[MdO 2022] Pèlerinage

Hommage

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Sur les sentes songeuses
Pour un fils
Errances
L’œuvre des ombres
Pélerinage

Dix huitième année du XIe Cycle,
Troisième ennéade de Bàrkios,
Abords de la forêt d’Aduram.

Silène et Flambeau veillaient sur son insomnie, quand au gré de sa respiration, la canopée endormie laissait filtrer leur éclat. Il était là. Le bruit sourd qui se faisait inextricable bourdon de culpabilité lorsque venait le silence, lorsque venait la nuit. Lorsque s’éteignaient les dernières voix souhaitant aux sommeils d’être réparateurs, lorsque l’Œuvre se couvrait de son rideau de noirceurs et devenait, pour quelques heures, le terrain de chasse des nocturnes, le poids du deuil devenait fardeau plus lourd encore.

« J’ai assez confiance en ton cœur, et en celle à qui il appartient, pour te guider à travers ce pèlerinage. »

Le climat des berges de l’Oliya leur laissait entrevoir leur destination. Anaëh s’était clairsemée de plus nombreuses clairières, dans lesquelles ils faisaient parfois halte. A l’approche d’Aduram, les traits d’Uinèn s’étaient peu à peu tendus, signe que les chants de Liltalaima s’étaient crispés. Les rives du Grand-Fleuve seraient la limite au-delà de laquelle ils n’oseraient s’aventurer.

« Prends garde à ne te laisser séduire ni par le fantôme de ton enfant, ni par celui qui l’aura séduit. »

Elle ne dormait pas non plus. Imperceptiblement, le Doyen resserra l’étreinte qu’ils partageaient et elle lui rendit sa marque de tendresse par le doux épanchement de ses doigts sur le dos de la main du Taledhel. La paume posée contre le cœur meurtri de la Première Serindë, Lómion gouttait à la sérénité qu’inspirait la respiration de l’Ornedhelle lovée contre lui. Il savait son Souffle aussi égaré que le sien mais, dans la Tourmente de sa propre douleur, la présence de son amante était la certitude d’un appui.

La brume de l’aube couvrait leur marche. Dans leur sillon, la flore verdoyante brasillait du scintillement de milliers de perles de rosée déposées sur les feuilles par le matin printanier. Le bas de leurs vêtements moite, ils n’en avançaient pas moins vite sous les arches que ménageait la canopée.

Lorsqu’il fut clair que l’Oliya n’était dorénavant plus éloignées que de quelques heures, les compagnons de la Première Serindë et du Doyen se retirèrent. La dernière étape de leur Hommage ne pouvait qu’être le pèlerinage de deux parents. Ils invoquèrent pour eux la bénédiction d’I Emël et restèrent en retrait lorsque, les mains entremêlées et partageant la même douleur, Lómion et Uinèn s’éloignèrent.

L’étrange beauté des rives du Grand Fleuve, où il est admis que l’Œuvre est pervertie, que Son Chant se tait et où le Cri de la Dissonance arrache aux Enfants d’Ir Iarwin l’Équilibre de leur Souffle s’ouvrait à leur yeux embués. Où la folie des Arïn s’était arrêtée, amputant Anaëh de son Linoïn, comment Estiam aurait-il pu voir autre chose qu’une frontière à repousser ?

Ensemble, ils se penchèrent sur les eaux de l’Oliya venant des montagnes des Ondùr en direction des pays Vaanis. Dans les flots mouvants en contrebas de la berge, Uinèn contemplait le reflet de ses prunelles d’or qui se dérobait sans cesse dans le fleuve ; l’or qu’elle avait partagé avec Estiam.

Il était parti.

Le feu de ses yeux ardents s’était éteint. Consumé par ce même Feu, emporté par Aduram, il n’avait pu s’arrêter. Il avait traversé et s’était perdu.

Sur le visage du Doyen, les larmes ne semblaient plus vouloir s’épancher. Il contemplait, le vague aux yeux et au cœur, la rive au-delà de laquelle s’était brisé mille ans d’existence.

Pourquoi ne pas le rejoindre ?

Souffle troublé, au cœur de la Tourmente ne trouve pas son chemin.

Le combat d’Estiam, il ne l’avait pas compris. Mais à présent, il devrait l’accepter. Le sien n’était pas fini.

Des replis de soie de l’araignée, Lómion tira l’Ambre. À Tari, il dédia sa prière. Estiam aussi, devrait, dans la Tourmente, trouver le chemin des Terres d’Émeraude. La Trame se dévoila à lui, dans la beauté d’une quiétude parfaite. Esquissant un premier mouvement de bras, le Doyen tissa. Les flux s’ourdirent à sa convenance, esquissant à même la Trame des chemins et des nœuds, entrelacs de magie qu’il modelait à l’envie. Les arcanes étaient la pierre et l’Ambre le ciseau duquel il jouait pour bâtir une sculpture, visible des seuls mages qui viendraient à croiser le chemin qui fut celui d’Estiam. Les yeux fermés, l’esprit tout tourné vers son œuvre, le temps n’eût plus d’emprise.

Lorsqu’il s’éveilla, il contempla un instant son Hommage. Les flux semblaient ici, mouvants, là, figés dans une danse qui, inéluctablement, finirait par retourner à l’ordre naturel. Le tout dessinait un édifice abstrait qui échappait aux sens mais qui parlait pour lui de culpabilité et de bonheur, de joie des moments partagés et de la douleur de la perte.

Alors, enfin, dans une étreinte avec Celle qu’il aimait, Lómion se laissa touché par la peine d’Hirnuith et laissa les larmes sceller à jamais leur Hommage à la frontière d’Aduram.