Quand le chat n'attaque pas, les souris s'ennuient. [Krish]

Favriüs, quatrième ennéade
An seize du onzième cycle

Il avait fallu peu de temps au culte de Tesso pour avoir des yeux et des oreilles partout dans les trois camps eldéens, et même la brume formée par le chaos de la ville spontanée commençait à s’éclaircir. Aucune rumeur n’était laissée tranquille, chaque pierre était retournée, et des crises étaient régulièrement tuées dans l’œuf. Quand un culte était habitué à une cité aussi tortueuse que le Puy, il s’ennuyait presque d’une ville plus plate, et le Haut-Prêtre serait le premier à l’avouer. Mais là où lui ne voyait qu’ennui, les autres voyaient un réseau omniscient et très bien organisé. Bien sûr, l’idéal de l’omniscience était loin d’être réalité et tant qu’une rumeur ne tombait pas par hasard dans la toile de Tesso elle n’était qu’une éventualité parmi tant d’autres. Et quand elle se retrouvait dans les oreilles des bonnes personnes, elle arrivait rapidement dans celles de ceux qui pouvaient la vérifier sans

Une telle rumeur allait émerger du Second Ost, à travers ces yeux que Ssol’riss Ulnen y avait disposé, mais elle ne concernerait pas les eldéens dirigés par Kerath. Les mots qui vinrent aux oreilles du Haut-Prêtre furent des mots de mécontentement. Au moins un officier du Premier Ost posté là était chef d’une petite faction de mécontents. Ils trouvaient ce drôle de siège ridicule, ils voulaient se battre, ils en voulaient à Krish Al’Serat, ils estimaient qu’elle était trop molle, et que l’absence d’Urgoll’Ven dans le Triumvirat était préjudiciable au Puy. Le serviteur du Silencieux savait que de telles rumeurs pouvaient être dues simplement à des tensions entre les différents osts, et il savait qu’elles pouvaient n’être que des rumeurs, mais il avait un nom, et il pouvait vérifier cette piste assez aisément. Quand un serviteur de l’officier se mit à la recherche d’un esclave à louer pour son maître et ses amis, Medril lui proposa un meilleur prix et y ajouta le prêt d’un autre esclave qui les satisferait tous plus qu’ils ne pourraient l’imaginer, Azsancha.

***

C’est usé physiquement et mentalement que je termine cette soirée, et plus personne ne fait attention à cet esclave assoupi qui a été largement au niveau promis par le roi des esclaves. Je ne sais ce qu’il est advenu de l’autre, mais les quatre soldats et l’officier m’ont gardé plus longtemps. Maintenant ils chuchotent entre eux juste assez fort pour que je n’en loupe presque pas une miette. Ils restent en surface, mais cette soirée a été jetée pour finalement convaincre un des soldats. Le convaincre de quoi ? Je ne sais pas exactement. Mais une autre souligne qu’aucun Prime Feu ne pourrait être aussi peu guerrier, et je comprends que les rumeurs n’en étaient pas. Ils me les confirment toutes une à une alors qu’ils croient que je continue de somnoler et il est fait mention de quelques choses qu’ils attendent tous. Puis l’officier s’endort et déclenche une petite hilarité qui le réveille avant qu’il ne s’y joigne. Un des soldats s’en va, les autres restent, et l’un d’entre eux décide de revenir vers moi.

***

Le lendemain, après qu’ils m’aient rendu à un des hommes de main de Medril pendant que celui-ci était paraissait-il indisposé, je me dirige vers la tente où je saurais retrouver Krish Al’Serat. Ssol’riss Ulnen a repris son masque, son manteau de prêtre et son bâton en même temps que je reprends son rôle. Les rumeurs n’en sont plus et même si tu veux que je les garde quelques temps pour m’en servir, je décide de les répéter à la principale intéressée. Tu ris et parles de ma loyauté placée au mauvais endroit, tu me dis que je n’ai pas appris, mais je ne te réponds pas et te demande simplement de me répéter les souvenirs d’Azsancha. Tu obtempères au moment où je repousse le battant de la tente. La triumvir est bien présente mais pas seule, et en m’approchant tout en martelant le sol de mon bâton, je la salue, le regard masqué dans le vide pas complètement aligné dans sa direction.

« Sesmika. » Une petite inclinaison vers le vide auquel je faisais face et je reprenais. « Tesso peut-Il vous faire part d’informations sensibles sans qu’il n’y ait d’autres oreilles indiscrètes que les miennes ? »

L'entrainement du matin était devenue une part de la routine quotidienne. L’échauffement. La course. Quelques passes d'armes avec les Repentis. Et l'Oliya à proximité pour ne jamais manquer d'eau. Puis le soleil qui cogne de plus en plus fort sur le camp dégagé et fait la température déjà brûlante du printemps Vaani. Pour éviter de ridiculiser les prêtres en se servant si bassement d'eux, la triumvir commençait à envisager l'embauche des aéromenciens et des hydromanciens locaux pour s'occuper de rafraichir de larges tentes, ouvertes à tous les soldats hors de leurs quart. Pour l'instant le printemps était encore jeune, mais elle connaissait l'Ithri'Vaan et vu leur positionnement, la chaleur et l'ensoleillement pourrait bien être un problème plus tôt que prévu.

Après les âpres leçons de Kerath en ce qui concernait la stratégie militaire et les quelques idées glissées à l'oreille de l'intendance, elle s'était installé dans la tente du conseil de guerre pour lire les rapport des autres camps et proposer quelques changements dont elle laisserait les Obok Senger juger l'utilité pour leurs osts respectifs. Sa plume courait sur une feuille déjà couverte de pattes de mouches lorsqu'un illustre hôte de plus se présenta dans ce petit sanctuaire de travail. En levant les yeux, elle ne croisa que le masque de Ssol'riss... et comme d'habitude la façon qu'il avait de la regarder sans la voir laissait un arrière goût perturbant à ses apparitions.

- Avec plaisir, Suliss. Tesso, et même toi tout seul, si tu le désires. " soupira-t-elle en laissant retomber la plume dans l'encrier. Les officiers alentours s'apprêtaient à sortir tout naturellement, mais elle les retint d'un geste. " Non. Restez. Vous avez encore les roulements de la garde entre la frontière et le camp à terminer. "

Elle se leva et épousseta la large tunique blanche sans manche qui floutait lâchement son buste au-dessus d'un pantalon de cuir noir à large ceinture. Des sandales tendaient les bras à ses pieds nus, soigneusement posées à côté de son siège, mais elle les dédaigna pour contourner la table et inviter le Haut-Prêtre à sortir, tenant le pan de toile pour lui permettre de passer sans heurt.

Le soleil était haut et la terre battue chauffait durement la plante de ses pieds, mais elle ne le sentait plus vraiment. Depuis son plus jeune âge, elle avait une sainte horreur des semelles quelles qu'elles soient. Durant son adolescence, elle s'était même fait brûlé la plante des pieds en hommage à Kiel, et surtout pour désensibiliser définitivement cette partie de son anatomie. Certes, depuis Uriz, les sensations étaient revenues, mais l'Ombre s'était chargé de lui donner l'habitude de les ignorer sans problème.

L'invitant à marcher près d'elle d'un geste du bras, ils s'éloignèrent de la grande tente vers la rive de l'Oliya. L'heure du repas des hommes n'était pas achevée et mis à part les sentinelles, les lieux étaient assez paisibles.

- Je t'écoute. Tu as toute mon attention."

Une fois que la voix du Feu d’Uriz se fait entendre je me tourne vers elle tout à fait. Je lui emboite le pas lorsqu’elle sort de la tente et ne peux m’empêcher de lui faire remarquer que sans Tesso je ne serais pas bien utile ici. Ssol’riss Ulnen est pris dans son propre jeu, et tu me fais remarquer que c’est remarquable que je puisse m’en détacher comme ça. Je te demande quel détachement des deux est le plus remarquable et tu ne me réponds pas. Je perçois ton sourire quand même, mais les mots de Krish pour le Haut-Prêtre me détournent de toi. Je marche à ses côtés depuis que nous avons quitté la tente et tourne finalement la tête vers elle. Cette fois, les deux scintillements pourpres se fixent dans ses yeux à travers le masque. Ils s’éteignent quelques instants avant de revenir, apportant une pointe de couleur au masque noir constellé d’étoiles blanches.

« Depuis combien de temps sommes nous là ? Un peu plus de deux mois ? » Je sais très bien et ne lui laisse pas le temps de répondre. « Combien de temps depuis que le Triumvir a disparu ? Plus ? » Mon bâton heurte le sol à chaque interrogation, comme pour leur donner plus de substance. « On dit que le Feu d’Uriz s’endort sur ses lauriers. On dit que cette disparition n’y est pas étrangère. » Ce on était moins indéfini qu’il n’y paraissait de prime abord, et je décidai de l’amener jusqu’au bout de ma tirade pour convaincre Krish. « On est chaque jour plus nombreux. On est chaque jour plus important. On se rapproche chaque jour de quelque chose qu’on attend. » Tu ris, tu me dis que j’en dis trop peu, tu me dis que cela ne la satisfera jamais, tu me dis qu’elle a la connaissance de centaines de complots comme celui là et qu’elle n’a pas besoin de Tesso pour ceux là. Et je t’ignore.

J’éteins les scintillements qui ont profité de l’éclairage pour virer sur un mauve et les fais réapparaître. « Tesso pourrait en savoir plus seul, Tesso pourrait arrêter comme accélérer ce qu’on attend seul. Mais son plus grand serviteur pense l’avoir convaincu que le concours du Feu d’Uriz permettrait aux efforts du Puy d’Elda de ne pas être gâchés par un petit groupe d’insoumis qui lancerait les hostilités sur une cité qui sera éventuellement trop impatiente pour nous empêcher d’entrer. »

On se rapproche...?

Elle s'arrête, se tournant totalement vers le Haut-Prêtre pour lui faire face. " Des mutins... " Ce n'est pas vraiment une question. Elle s'attendait à ce genre d'éventualité depuis que l'idée du siège sans combat avait germé dans on esprit fertile. On ne gagne pas une guerre en sacrifiant ses hommes sur les batailles qui ne sont pas nécessaire. D'autre avant elle ont essayé et Elda n'était plus que l'ombre d'une gloire passée... Mais expliquer à de la bleusaille fanatique que le combat doit attendre, ce n'est pas une tâche des plus aisées et ils ne peuvent voir à quel point elle tempère ses propres ardeurs pour réussir à garder ce cap stratégique. Alors que certains finissent par avoir des doutes n'était pas étonnant... Cela dit, elle s'attendait plutôt à voir les Obok Senger lui en parler. Voir un membre du clergé de Tesso s'en mêler n'était pas nécessairement de bonne augure pour l'état de cette 'petite' conspiration.

Le versatile Haut-Prêtre confirme. Des mutins qui voulaient lancer le conflit armé. Mais le reste de son discours reste ambiguë...

- Tu proposes que nous agissions ensemble pour les arrêter ? " demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

Je ne suis pas surpris de ne pas la voir surprise, mais quand elle s’arrête je fais de même. Les étoiles mauves se plongent dans ses yeux, Krish Al’Serat leur pose cette question, et là, tu déferles. Je ne montre rien et me lie le plus solidement possible à un bâton comme scellé dans le sol, mais tu essaies d’avoir raison de moi, tu essaies de m’écraser sous ton poids. Ssol’riss Ulnen n’est plus la cible, je le suis, et je dois résister. Puis ton assaut cesse aussi soudainement qu’il a commencé. Je m’efface, je laisse le Haut-Prêtre reprendre sa place peu à peu, et je souris, avec une petite insulte à ton égard. J’entends à peine ta protestation et tes appels à l’hérésie.

« Je ne suis pas juge, je ne suis pas bourreau, je suis simplement les sens d’Elda. Je ne pourrais agir seul, si quelque chose doit arriver à ces mutins cette chose ne saurait arriver qu’avec le concours de quelqu’un me prêtant une force que je n’ai pas. » Et elle représentait cette force. Et elle a toujours représenté cette force pour toi. Tu as abandonné tes assauts idiots et essaie de me convaincre, mais Ssol’riss Ulnen ne s’en rend pas compte, il ne le pourrait. « Et si le Feu d’Uriz se propose, je ne saurais l’éconduire. » Le sourire s’agrandit légèrement et je faisais volte face pour me remettre dans le sens de la marche.

Cette fois c'est elle qui le suit, qui mesure son pas sur le sien.

- Je prends ça pour un oui. " ricane-t-elle avec un demi sourire amusé. Le comportement étrange du Haut-Prêtre ne semble pas l'énerver le moins du monde. Les plus hauts représentants de leurs cultes devaient toujours maintenir une part de mystère et jouer aux yeux de tous le rôle qu'on attendait d'eux. Elle se payait le luxe de ne pas respecter cette règle dans un but qui la dépassait et était sur le point d'en payer le prix, alors n'était-ce pas normal que le représentant de Tesso soit aussi versatile que secret ?

- Bien. Je ne suis pas sûre que te demander ce que tu sais exactement de toute cette affaire soit vraiment percutant, mais si tu te mêles de vouloir prendre parti, tu dois bien savoir par ou commencer. " Elle parlait sans ambage, comme si elle réfléchissait tout haut... mais ses yeux scrutaient par petits coups les réactions les plus infimes de son allié d'habitude si silencieux. " Voyons voir... Des eldéens ennuyés cherchant à déclencher les hostilités... Et tu as parler d'Urgoll'Ven. Les prêtres du Prime Dragon auraient-ils décider d'affronter les mysticistes qui gardent la cité pour faire tomber une partie des murailles pendant que personne ne regarde pour obliger les Dorniens à réagir ? Ou... Des fanatiques belliqueux qui ont trouvé un moyen de rentrer discrètement dans la ville pour faire un massacre signée de notre part ? La Doth'Ka est hors de cause et Myr'Hennis aussi donc ils doivent avoir leurs propres entré si c'est le cas. Certains de tes disciples peut-être ? " Le sourire caustique de l'eldéenne se fit plus prononcer. Mieux valait le prendre avec humour car les prochaines heures seraient bien sombres sans ça. La Prime Feu comptait bien garder tout son mordant et elle avait déjà un goût de combat sur les lèvres bien difficile à dissiper... Bien trop difficile... Si seulement les mutins pouvaient arriver à leurs fins, quel spectacle cela donnerait ?

Tu retiens la leçon que je ne suis pas aussi peu résistant que tu le penses, et tu ne tentes aucun nouvel assaut. Ssol’riss Ulnen est seul maître de son corps et de son esprit à ce moment là, et a pris ma place.

Je souris à la dernière proposition de la triumvir, et je ne sais si elle est uniquement une boutade ou plus que cela, me forçant à l’adresser. Même pour le Haut-Prêtre de Toi, c’est une tâche impossible que de les contrôler, c’est une tâche impossible que de les surveiller, ils sont partout. « Je ne doute pas un instant que certains de mes semblables soient impliqués mais vous savez aussi bien que moi qu’ils ne feraient rien sous une forme avec laquelle je suis familier. » Je la laisse écarter de l’enquête ceux en qui elle a confiance, pensant tout de même l’erreur grossière, mais pour l’instant il n’y a aucune raison de les incriminer et quelque chose me pousse à ne pas aller contre elle, quelque chose qui n’a comme écho que ton ricanement.

La même chose semble-t-il me pousse étrangement à être moins mystérieux que je ne l’aurais été, à parler plus directement, comme si je sais de quoi il en retourne, même si je n’ai que quelques pistes à peine explorées. « Je soupçonne la mention d’Urgoll’Ven d’être uniquement un argument pour rallier les plus frustrés à leur cause, quel meilleur symbole que Zhak'Bar, vraiment ? » Tu me confirmes que les discussions surprises par Azsancha ne font jamais mention du Haut-Prêtre ou du Prime Dragon, et qu’elle n’existe que dans les rumeurs qu’on laisse courir. « Non… Pour l’instant je n’ai que des échos de l’armée régulière. Je crains que ce ne soit un complot aussi dangereux qu’il est simple, je ne saurais comment l’enrober de mystère. »

« Et puis il y a un nom… » Je te le demande, tu me le donnes. « … Dirini’th. Un officier du Premier Ost. » Je ne me rends compte uniquement maintenant que tout est tellement stupide que ce pourrait être un véritable nom, et transformer l’enquête en une vulgaire chasse à l’homme. « Mais pour Tesso, j’espère que ce n’est qu’un surnom. »

Elle continue de m’interroger, sentant probablement qu’elle est tombée le bon jour pour me tirer des vérités. « Dirini'th... » Elle répète comme pour se le mettre dans le crâne. « La révolte concerne ce camp ou d'autres ? » Je lui réponds sans changer de ton. « Les rumeurs sont plus étouffées au nord et à l'ouest mais elles se mêlent à la frustration ambiante, ce n'est qu'ici où Tesso les a confirmées. Ils doivent penser qu'ils n'ont besoin que d'une étincelle, qu'un petit groupe suffirait, mais d’autres ailleurs sont observés. » Il y a déjà des prêtres de Tesso qui enquêtent en ce moment même dans les camps nord et ouest, sans aucun retour pour le moment.

Bon... au moins il répondait... Mais il répondait tout juste et c'était une bien étrange coopération qui se profilait à l'horizon. Krish regarda par dessus son épaule pour observer le profil de son allié.

- Tu ne me donneras pas plus que ce à quoi j'aurai pensé moi-même, n'est-ce pas ? " Il n'y avait pas d'agacement dans la voix de la Prime Feu, mais la question était somme toute rhétorique étant donné la façon dont il avait procédé jusque là. Il ne donnait que des informations sans proposer d'action ni avancer les détails qu'on ne lui demandait pas spécifiquement. " Bien... As-tu eu vent d'une date pour passer à l'action, ou cela peut se passer n'importe quand ? " Elle continua d'un pas tranquille, questionnant l'homme sur le temps qu'avaient mis ces rumeurs à s'installer. Depuis quand le nom de l'officier avait été découvert ? Et fallait-il compter en dizaines de voix ou en centaines ? Elle l'interrogea sur divers détails stratégiques, sur ce qu'il savait de certains hauts gradés du premier ost avec lesquels elle avait été en relation lors du mois passé et sur les moyens d'accès à Sol'Dorn qu'avaient les disciples de Tesso. Ils étaient arrivés sur la berge de l'Oliya et déambulaient près de l'eau depuis longtemps lorsque les questions se tarirent enfin. Elle n'avait jamais posée deux fois la même et n'avait jamais exigé de réponses. Elle n'était pas folle au point de penser pouvoir forcer un Haut Prêtre de Tesso à dire quelque chose contre sa volonté et le fait que Tesso, malgré ses mensonges, soit un Pilier assurait la fidélité de son représentant envers l'Eda et les dieux. Il avait su convertir Valas. Son Haut-prêtre pouvait bien éviter à Elda de s'affaiblir sur le chemin de la Dernière Guerre.

Elle fit encore quelques pas dans le silence avant de s'arrêter à nouveau.

- D'ici ce soir, les noms des officiers du Premier Ost auront été vérifier, des Kyorl aux Streea Jabbuk. Si rien n'est découvert et que tu ne peux avoir d'informations plus précises, nous agirons par élimination lors des quarts de garde nocturne. " Elle fixait la surface et parlait à voix basse. Un vent chaud balayait son visage, s'évertuant à rabattre sur son visage la crinière blanche qu'elle retenait d'une main. Son profil curieusement jeune avait perdu une part de sa prestance en même temps que les rides d'expressions qui adoucissaient son nez droit et proéminent. D'une fin de quarantaine bien entretenue, elle était retombée à une trentaine à peine éclose dans laquelle son regard luisait étrangement dès qu'il se faisait sérieux. Était-ce une impression ou l'or de ses yeux était-il plus terne qu'à son arrivé dans ce camps au début de l'année ? " Nous allons leur donner le moyen d'agir pour les faire sortir de leur trou. " Elle eut un vague sourire absent. " On va séparer les Osts. Certaines patrouilles seront exclusivement composées de membres du premier Ost. La Doth'Ka, les Repentis et les tiens les observeront tous pour en tirer le maximum d'information et repérer les actes suspect. Dès que nous trouverons un fil, nous n'aurons plus qu'à tirer dessus pour démêler la pelote. " Son attention se posa sur le masque faussement opaque. " ça te va ? "

Les questions défilent et j’y réponds comme je le peux, comprenant que ma loyauté me joue des tours et que je me suis précipité, que je n’ai pas toutes les informations que je pourrais lui donner, qu’un jour ou deux de plus aurait donné du poids à mes mots. J’ignore encore s’il existe une date, je ne connais le nom de l’officier que depuis la veille, on parle de plusieurs dizaines de voix au sein d’une cellule, peut-être qu’une parmi tant d’autres… Je continue de répondre à toutes les questions qu’elle a, en donnant tour à tour des informations fiables ou d’autres moins fiables, toutes dans un seul but. Et tandis que nous marchons, mon bâton heurte le sol de la berge de l’Oliya dans un rythme chaotique qui peut être frustrant pour beaucoup, parfois avant mon pas, parfois juste après, parfois pas. Quand Krish s’arrête, elle m’expose ce qu’elle veut faire, et j’écoute jusqu’à ce qu’elle demande une confirmation.

Bien sûr que ça me va. Ce n’est pas la solidité de son plan qui m’intéresse, c’est le plan en lui-même, ceux qu’il implique, ceux qu’il risque d’incriminer, les failles à exploiter, et la marge de manœuvre qu’il me laissera. Tu sais que je n’ai pas tout dévoilé, tu sais qu’il me reste quelques pistes à exploiter, tu sais que je me suis laissé de quoi m’amuser un peu, dans l’ennui infernal de ce camp, et même à l’extérieur. Mais tu ne commentes pas ça, tu restes tourné vers Krish Al’Serat, comme si quelque chose te retient le regard et que tu ne peux l’en détourner. Mon regard se confond au tien alors que les deux billes mauves se plongent dans celui de la Triumvir. Une voix dénuée d’émotion répond à la question de l’eldéenne. « Si je ne me satisfaisais pas d’un plan d’action élaboré par Krish Al’Serat, ne serais-je pas de l’autre côté de la mutinerie ? » Je souris d’un sourire qui laisse entendre que rien ne m’empêche d’être également de l’autre côté, mais elle le sait sûrement déjà.

Ma réponse donnée, je la regarde quelques instants, et quand tu t’apprêtes à reprendre ton jeu je me détourne d’elle et m’éloigne, redevenant l’aveugle que certains me croient être.

***

Trois jours plus tard, dans le camp nord, une chasseuse se fait repérer par une autre de ces cellules séditieuses alors qu’elle ne cesse de se plaindre aux bonnes personnes de l’inactivité de l’armée, de cette interdiction de dégainer une lame dans Frontière, de son ennui. Et puis, qu’ici les quelques chasses sont beaucoup moins excitantes qu’autour du Puy. Tu ris en te rendant compte à quel point le mouvement est grossier, mais elle se fait approcher malgré toutes tes protestations, et je comprends que ce qu’il leur manque est de l’organisation, de la cohésion, et que le petit groupe de taille plus réduite encore que celui du camp sud est prêt à se reposer sur la chasseuse pour les aider à communiquer. Elle leur apporte des contacts, elle leur apporte des messages, elle leur apporte des idées, mais ce dont ils ont besoin, ce qu’elle ne rapporte pas, ce sont des recrues. Elle les dompte petit à petit jusqu’à ce qu’ils n’aient plus de volonté propre, et quand elle a épuisé le filon, une intense ennéade plus tard, elle disparaît, les laissant s’écrouler sur eux-mêmes, bien aidée par quelques messages falsifiés.

***

Quelques lettres de la correspondance entre Dirini’th et d’autres cellules se sont malencontreusement perdues sur le bureau de Krish Al’Serat – ou de ceux chargés de cette affaire, on ne sait jamais quand on reçoit des rapports de prêtres de Tesso – et il n’y a certainement aucun doute sur qui les a amené là. Elles ne doivent pas suffire à arriver au bout, mais je compte bien sur des surprises de la part de la Triumvir. Ou plutôt, je serais surpris de ne pas en avoir et tu me le confirmes. La petite tente est vide comme à son habitude, je suis agenouillé en son centre et je ne serais surpris de voir l’intéressée ou un simple messager venir me convier. Sinon j’attendrais silencieusement que mes quelques pièges se déclenchent, signalant le réveil des séditieux et ma dernière chance de communiquer ce que je savais.

Sans que les Obok Sengers ne soient mis au courant de la raison, les équipes de gardes pour les rondes nocturnes furent modifiées, une excuse trouvée, et Krish ne dormit plus que quelques heures par nuit. Le plus gros casse-tête fut de trouver une façon de ne pas trop affaiblir la sécurité en doublant les rondes militaires de discrets prêtres d'Uriz et de Zhak'Bar, tout en donnant la latitude à chaque groupe d'agir à sa guise sans trop attirer les soupçons.

Une fois la nuit tombée, les ombres avaient d'innombrables yeux et oreilles. Certains effectifs de la Doth'Ka avaient été rapidement rapatriés de leurs missions dans les seigneuries et le second soir, les trente Repentis avaient discrètement retrouvé le chemin du Camp Sud après plusieurs ennéades à combattre les mercenaires et les despotes récalcitrants. Le troisième jour, rien n'avait bougé encore, mais les prêtres et la Doth'Ka avaient placés quelques appâts alléchants en tant que nouvelles recrues mécontentes. Les trois griffes étaient en place pour refermer la serre qui planait sur les parias.

Deux jours de plus s'étirèrent avant que les soupçons ne se resserrent sur une liste d'une cinquantaine  de noms suspects. L'identité de Dirini'th n'était pas avérée, mais les possibilités étaient réduites à deux hommes. Deux Veldruk... Ce qui n'avait rien d'engageant. Si les informations étaient toujours apportées à Ssol'riss Ulnen, Krish avait prit l'habitude de ne pas se reposer sur cette seule source. Ceux qu'ils surveillaient étaient mal organisés et trop emportés pour être réellement discret au final, mais ils frémissaient. Quelque chose de gros approchait et le risque devenait par conséquent plus grand. Cependant, pour éviter toute suspicion dans la hiérarchie, il fallait les prendre la main dans le sac.

Une haute silhouette longiligne à la profonde capuche et à la tenue de cuir et de tissus noirs pointa son masque d'argent dans la tente du Haut-Prêtre avec les derniers rayons du soleil. La femme assez fluette posa un genou en terre pour se baisser humblement devant ce très haut représentant de la volonté divine avant de lui apprendre les dernières nouvelles.

- Votre Grâce, Le Prime Feu demande si vous avez d'autres choses à nous communiquer. "

Je tourne la tête à moitié pour observer celle qui m’interrompt dans ma prière à Toi. Dans la pénombre elle ne peut que distinguer un profil et jamais la précision de mes traits. Ainsi donc le messager est venu, comme prévu, et c’est un Repenti. Il est sans aucune surprise plus discret qu’un messager courant à travers les allées du campement et je n’ai pu prévenir sa venue assez tôt. Tu me fais remarquer par conséquent qu’il y a deux présences dans la tente et que la seule qui n’est pas masquée est la mienne. Je corrige la situation avec un sourire avant de finalement me redresser lentement et de me retourner franchement. Si le contact était prévu, je ne sais quoi penser de cette façon de me forcer la main pour que je dévoile mes cartes. Je ne me vois plus lui demander d’attendre que le bon moment arrive et je réfléchis tout en acquiesçant d’un mouvement lent à l’intention de l’intruse. La réponse s’impose d’elle-même et à peine le hochement terminé que je sais comment je vais procéder.

« Amène-moi à elle. » Je demande simplement, sans faire plus de cérémonie. Pendant le trajet je délaisse le chaos pour mettre de l’ordre dans mes pensées et tel un métronome le martellement du bâton suit, heurtant le sol à chaque trois pas, chacun espacé par le même temps. Tu réagis, bien sûr, et tu apprécies un peu d’ordre pour une fois. Je ne fais pas cas de ton commentaire, sachant très bien que c’est comme une pièce que tu as lancée. Pile et c’est un commentaire positif, face et j’aurais eu droit à quelque critique. Tu protestes, et cette fois je sais que la pièce est tombée sur face. Le jeu peut durer longtemps comme ça et je coupe ma perception de toi plutôt que de l’endurer pour le restant du trajet.

Quand j’entre dans la tente où Krish Al’Serat m’attend je ne simule plus aucune cécité et les deux billes mauves se vrillent dans ses yeux. L’impression fugace de la dernière fois semble se confirmer encore aujourd’hui et l’éclat dans ses yeux est changeant. Tu te demandes s’il y a une explication à cela mais je coupe court à tes pensées en effectuant une rapide courbette et en susurrant quelques mots pour la saluer. Je laisse la Triumvir la seule juge du lieu, du temps et du nombre d’oreilles indiscrètes à nous écouter et quand elle est satisfaite je lui pose une unique question. « Je suis sûr que le Prime Feu conviendrait qu’un Haut Prêtre de Tesso qui dévoile tout ce qu’il sait ne lui ferait pas honneur ? » Je ne lui laisse pas le temps d’enchaîner et continue sans avoir eu sa réponse. « Je vous propose autre chose, si vous le voulez bien. J’ai laissé à nos amis mutins plusieurs opportunités pour se dévoiler d’eux-mêmes… des pièges, si vous voulez. » Je souris. « Je peux vous communiquer les réponses à vos questions, ou je peux vous montrer ces pièges se déclencher les uns après les autres jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul de leurs secrets qui le soit resté, vous choisissez. »

Ce n'est pas dans la tente de l'état major que Krish se trouvait ce soir là. Ce n'était pas non plus dans la sienne. Non. Depuis qu'ils avaient commencé à suivre les patrouilles nocturne du Ier Ost, elle avait renfilé l'armure de cuir noir et de plaques ternies que Dren'Zess portait en tant que Repentie. Ih'ara avait naturellement pris le commandement de ceux qui chassaient les hérétiques directement sur le terrain au cœur des Seigneuries. Eshk'Oroth coordonnait l'ensemble de l'Ordre depuis le Camp Sud. Ce soir, ils sont tous les deux présents et c'est Ferya, capitaine des six gardes rapprochés de la Prime Feu, qui est absente, occupée qu'elle est à protéger la tente de la triumvir et l'auguste habitant qui s'y trouve depuis les premières alertes.

En train de finir de se préparer dans la tente qui leur sert de dortoir, les repentis les moins pressés sursautent en entendant le pan de toile s'ouvrir de l'extérieur. L'apparition du visage masqué de Shundara laisse la tension retomber pour un instant bien trop court.

Avant que le prêtre n'entre, chacun ajusta son masque et tous sortirent pour se fondre dans les ombres du camp par groupe de deux. Seuls trois silhouettes restaient à l'intérieur lorsque la messagère fit entré le Haut-Prêtre avant de disparaitre elle-même. Des trois, Krish était la seule a ne pas avoir encore ajuster masque et capuche, par égare pour son illustre visiteur. La réponse ne mit pas longtemps à venir.

- J'ai toujours aimé les paris. " ricana l'eldéenne sans aucun préambule. Il était directe ? Elle n'allait certainement pas s'en plaindre. Ih'ara n'était cependant pas convaincue et elle le fit savoir. Eshk'Oroth répliqua quelques mots apaisants et Krish coupa court en lui intimant de continuer le plan comme prévu. La petite femme sortit de la tente d'un pas militaire et Krish reporta sa pleine attention sur l'adepte des Secrets. " Je suis sûr que le Haut-Prêtre de Tesso conviendra qu'une Triumvir qui se repose uniquement sur le bon vouloir de quelqu'un d'autre ne ferait pas honneur à son titre. " ricana-t-elle. " Alors ? Par où commençons nous ? "

Tu fais une remarque sur son armure mais je t’ignore alors que je ne suis pas capable de la comprendre.

Si j’invite Krish Al’Serat à rejoindre ma tente pour répondre à son interrogation je lui annonce lui fausser compagnie un certain temps avant de l’y rejoindre. Mes mots étant loin d’être fermes et définitives, plus de l’ordre de la proposition, je lui laisse l’opportunité de me suivre alors que mes pas et mon bâton me guident le long d’un chemin détourné. Je reste muet tout du long alors que j’arpente les allées du camp en passant devant les tentes qui m’intéressent, laissant glisser mon bâton le long de leurs parois, et pour peu qu’un observateur soit là, il en déduirait que c’était parfois par inadvertance alors que je m’écartais du chemin de groupes d’eldéens, parfois volontairement, alors que je faisais l’écart nécessaire pour m’en approcher. Au bout d’une vingtaine de minutes je reprends un chemin plus direct vers ma tente et presque rien ne m’interrompt, si ce n’est cet eldéen qui avec maintes courbettes m’offre un paquet qui me semble bien lourd.

J’arrive devant la tente et utilise mon bâton pour en écarter le battant alors que je baisse la tête et passe dessous. La tente est complètement vide, comme à son habitude, mais cette fois un pan entier de tissu a été relevé pour créer une grande ouverture qui surplombe une bonne partie du camp, des tentes les plus proches jusqu’à un pan de mur qui délimite le périmètre. Plus loin on devine la forme de Sol’Dorn mais ce n’est pas le sujet d’intérêt de la nuit. Sans un regard vers Krish je m’avance jusqu’à me trouver à un pas de l’ouverture, je pose l’objet que je tiens toujours dans la main sur le sol devant moi en m’asseyant à ses côtés et je le déballe avec des gestes précis.

Une nouvelle statuette, une forme plus ou moins humanoïde blanche sans visage sertie de quelques gemmes ambrées assise sur un piton rocheux. Vers le haut de son buste et à l’emplacement de sa tête il y a quelques courbes qui rappellent la forme d’un autre objet que je tiens dans la main qui tenait un instant plus tôt le long sceptre. L’objet est un demi anneau et on y voit à l’intérieur des écritures dans la langue des eldéens, des noms. Je le pose sur le sol de manière à ce que l’anneau encercle quasiment le piton. Pour la première fois je tourne mon masque et mes billes mauves vers la Triumvir et l’invite d’une main à prendre place à côté de l’objet, pour ne rien perdre ce que je vais lui montrer.

J’ai déjà discuté avec toi du détail de cette démonstration pour préparer le terrain et la rendre parfaite, j’ai senti ton sourire dans tes réponses et je te fais confiance comme rarement je ne l’ai fait, misant gros. Je te rappelle ce que je veux et au fur et à mesure que je te le décris une lumière commence à apparaître au dessus de la petite construction. Comme un cadran solaire, la statuette commence à projeter son ombre sur l’objet à une de ses extrémités, et avec un mot silencieux je te donne le signal pour que tout commence à se déplacer. La lumière commence à tourner lentement autour du cadran comme un petit soleil et alors que l’ombre tombe sur le premier nom, la forme tourne la pointe de la forme au sommet de son être vers un eldéen qui se déplace vers une tente, plus loin.

« Ilmros. Le messager. Il va entrer, passer trois minutes dans cette tente et quand il en ressortira… » Je laisse la phrase en suspens, attendant les trois minutes, attendant que la lumière ait assez tourné pour que l’ombre tombe sur le deuxième nom. « …Caelnill sera celui qui l’accompagnera. » Et mes mots étaient justes, l’eldéen sort avec un de ses semblables. « Vous reconnaissez peut-être le nom… il est Dirini’th… » Bientôt le cadran désigne un autre nom et la statuette qui avait perdu toute vie entre temps se réveille pour se tourner dans une direction. C’est un dénommé Ryld qui heurte l’épaule d’un autre dont le nom n’est pas important. Il est celui qui approchera le temps venu les mutins des balistes qu’ils pointeraient alors vers Sol’Dorn.

Un autre nom et le même manège se répète, plusieurs fois, il y a douze noms en tout alors que je ne donne que leurs prénoms pour ne pas allonger le spectacle. « Celui qui va oublier d’allumer cette torche… » Et sans faute le soldat qui passe dans les allées pour allumer des torches – assez tardivement il faut le dire, alors que la soirée est déjà très avancée – passe devant l’une d’elles sans y prêter attention. Je souris. « …s’appelle Zekdrin, et ce message est le mien, il signifie que la prochaine alerte sera une fausse alerte. » D’autres noms défilent et la statuette oriente ce qui aurait pu être sa tête dans bien des directions. Le dernier nom arrive, Dhaunae, et c’est simplement une sentinelle qui attend entre deux tentes. La lumière disparaît et la statuette tourne la tête vers Krish, comme si elle attendait quelque chose d’elle. « Ce pourrait être la première capture… » Je propose. « Les aveugler d’abord, sécuriser les balistes ensuite, capturer les douze enfin… » Je saisis le demi anneau d’une main vive avant de le présenter à la Triumvir.

Un visuel de la sculpture:

Elle l'accompagne. Elle l'attend. De toue façon, la mécanique bien huilée qu'elle a mis en place parera au plus pressé si le Haut-Prêtre lui joue un tour pendable. Cela reste une possibilité bien maigre, mais avec ses pairs, il ne faut jurer de rien, surtout quand on à pas un seul moyen de pression pour les faire ployer.

Ayant placé son masque avant de sortir pour pouvoir déambuler sans que les soldats lui prête grand intérêt, elle jouait distraitement avec le couteau qui pendait à sa ceinture lorsque le Haut-Prêtre revint. L'assemblage de son petit théâtre personnel prit encore quelques instants, avant qu'il ne se mette à jouer les devins. Quelle grandiloquence... Mais il fallait tout de même avouer qu'il savait y faire en mise en scène. Il faudrait qu'elle pense à lui demander de s'occuper d'un numéro bien marquant pour le jour où Sol'Dorn leur tomberait enfin dans la main.

Elle l'écouta, regardant la statuette, tentant de se souvenir des noms, sans grand succès. S'il y avait bien une chose qui coulait dans sa mémoire, c'étaient les noms des gens sans importance. Ceux là entraient parfaitement dans cette catégorie, malgré l'ombre qui planait sur le camp. La lumière passait de nom en nom, de détail en détail. Enfin, le Haut-Prêtre dévoilait ce qu'il avait appris, phrase par phrase... Jusqu'à donner leur ultime but. Les balistes.

Krish frémit avant de se remettre sur pied. Elle s'empara du demi anneau pour y jeter un œil.

- Les aveugler et les prendre la main dans le sac. " sourit-elle, mauvaise derrière son masque. " Je suppose que c'est à moi de jouer, ou tu voudras participer ? " prit-elle le temps de lancer à l'homme de blanc vêtu, sans en attendre grand chose. Elle aurait été bien étonné de voir un prêtre de Tesso dans sa position prendre ouvertement les armes après une telle démonstration.

Ssol’riss Ulnen est content de lui, je le sens à travers cette connexion qui nous relie tous, je le sens à travers toi. Et il faut avouer que j’aime sa façon de faire, sa façon de ne pas ennuyeusement donner une liste de personnes à surveiller, sa façon de démontrer qu’il a de nombreux pouvoirs que beaucoup ne soupçonnent presque jamais. Et quand il est content de lui il baisse légèrement sa garde, et profitant de ce moment de faiblesse je frappe. Cette fois tu ne te mêles pas à la danse et tu me laisses faire alors que je le bouscule sans aucune difficulté et l’expulse. Il est aisé d’imaginer ce qu’il avait prévu de faire après ça, une déclaration qui n’avait pas énormément de sens mais qui appuyait son service à Toi, la seule chose qui lui importait, finalement, comme on attendait de lui. Puis il serait resté immobile en attendant que Krish s’en aille, et aurait peut-être passé la nuit là, face à l’ouverture.

La fin serait peut-être très similaire, je ne pourrais pas garder le contrôle bien longtemps et pour que cette forme survive tu l’aiderais peut-être à revenir en t’alliant contre moi. Mais sa question m’avait particulièrement touché et elle méritait une réponse qui n’était pas celle d’un Haut-Prêtre de Tesso. Je n’avais sûrement jamais entendu cette question posée telle quelle car notre lien avait été si évident qu’elle n’avait jamais eu besoin de moi pour y répondre. Aujourd’hui la réponse n’était pas évidente pour les bonnes raisons, et je voulais lui donner une bonne raison, pour une fois. Une voix loin d’être neutre s’élevait de sous mon masque, modulée par la présence d'un sourire, alors que je tournais la tête vers elle. « Bien sûr que c’est à toi de jouer, tu me connais. » C’était osé, c’était un risque que je prenais, et je m’attendais à une nouvelle remontrance de ta part. Mais tu ne dis rien, tu souris, simplement, ne m’expulsant pas tout de suite, lui laissant à elle une chance de rebondir et à moi d’être blessé par ce qu’elle répondrait ou ce qu'elle ne répondrait pas quand sans erreur tu rendrais le vaisseau de chair à Ssol’riss Ulnen.

Elle regardait déjà par l'ouverture, basse sur ses appuis, lorsqu'elle avait nonchalamment posé la question. Une interrogation posée à la va vite par acquis de conscience, par politesse envers un prêtre qui faisait tout pour restait en retrait. Elle ne le voyait pas avoir la carrure ou le courage de prendre part au côté pratique d'une mission quelle qu'elle soit et c'était uniquement pour ne pas le froisser qu'elle avait jeté ces quelques mots. C'était un paris bien trop risqué sur le long terme de se mettre un type pareil à dos. Jouer au plus malin, à la limite. Lui envoyer quelques piques, mais certainement pas le froisser pour une bêtise.

Derrière son masque, elle guettait les ombres et les mouvements fugaces des rares éveillés. Mieux valait ne prendre aucun risque. C'était à elle de mettre hors course la sentinelle avant de faire appel à ses oilles pour la suite des opérations. Ses oreilles n'écoutaient que très distraitement les possibles circonvolutions de Ssol'riss Ulnen...

Et un frisson tendit brusquement les épaules de l'eldéenne qui fit volte face pour le regarder. Dans l'ombre de son capuchon, ses yeux rouges glissèrent sur le prêtre, inspectèrent l'ombre de la tente vide puis revinrent se poser sur le prêtre, seul être vivant qui restait dans ce lieu. Surprise. Suspicion. Ses sourcils se froncent. Elle cherche des orbites qu'elle ne trouve pas derrière le masque constellé du Haut-Prêtre. Sa gorge se serre. Après un bref écart, sa respiration redevient pleinement contrôlée.

Elle avait cru un instant... Et si c'était volontaire... Nan. Le fait que ce soit un prêtre de Tesso la rendait paranoïaque. Elle avait seulement cru... Une simple impression de déjà vu. Un sourire ironique se fraya un chemin malgré elle jusqu'à son visage camouflé. Même si longtemps après sa mort, son esprit lui jouait encore des tours. Heureusement, ce n'était plus aussi douloureux. Ce mystique faisait décidément très bien son job...

- Peut-être pas aussi bien que je le devrais. " ricana-t-elle... mais elle riait jaune. Elle détestait cet arrière goût. Elle n'écoutait plus l'homme masqué. Elle avait une mission à accomplir.

Deux pas et elle profitait de la torche éteinte pour se faufiler entre des tentes parallèles à celles de la sentinelle. Quelques minutes plus tard, Ssol'riss Ulnen la voyait disparaitre en arrière sans un bruit.

La nuit ne s'agita à nouveau que deux heures plus tard, lorsque les hommes du Ier Ost et son Obok'Senger prirent sur le fait douze soldats rebelles prêts à faire usage des balistes conte Sol'Dorn sans l'aval de leurs supérieurs. Ils osèrent s'exprimer tout fort contre l'Avatar d'Uriz... Qui ne leur accorda pas même un duel et les condamna tous à passer le reste de leur courte vie entre les mains des prêtres de Kiel pour qu'ils expient leur insubordination. Deux d'entre eux provoquèrent leurs camarades et furent gravement blessés, trois tentèrent de s'ôter la vie, mais on parvint à les immobiliser sans les tuer. Un seul succomba sur le champ. Les autres traversèrent le camps avec pertes et fracas, allumant les étincelles du doute sur leur chemin. Des étincelles qui pourraient prendre en brasier de contestation envers le pacifique et lâche feu d'Uriz qui refusait de faire couler le sang. Que la torture leur serve de leçon avait elle clamé. Qu'aucun ne songe à prendre la même voie...

Elle n'avait pas voulu les affronter en duel... Et le doute parcouru le camp durant toute la journée du lendemain, mais ce qui se passa la nuit suivante fit définitivement taire les rumeurs.

FIN