Pour le Royaume [PV - Brohan]

Derniers jours de l'an XVI

« Protégez l'enfant, Francesco, soupira l'homme agonisant. Protégez-le des charognards et des vipères... Ce Royaume est beau et fier, protégez-le des fous qui le convoitent et veulent sa perte... ».
Tels avaient été les derniers mots prononcés par le Régent Aymeric de Brochant sur son lit de mort. Cette scène macabre s'était déroulée dans les appartements du serramirois. Sa famille, ses plus proches conseillers et des membres du conseil royal dont l'amiral faisait lui-même partie s'étaient tenus jusqu'aux derniers instants à ses côtés pour le voir pousser son ultime souffle. Dès lors que ses paupières s'étaient fermées et qu'il n'avait plus émis aucun bruit, Francesco réalisa que le Royaume venait de perdre l'un de ses pères. Lui qui avait fait tant pour son Roi ; lui qui avait œuvré à la paix quitte à prendre les armes pour le remettre sur son trône ; lui qui avait maintenu Diantra à flot pendant toutes ses dernières années, voilà qu'il les laissait à présent seul. Tout s'était passé si vite depuis l'accident du duc. Il y avait eu d'abord une chute de cheval, puis une infection que nuls soigneurs n'avaient sut apaiser. La voilée l'avait rappelé à lui pour lui confier une nouvelle besogne pour sûr. Toujours est il qu'en une ennéade seulement, le régent était mort.
« Amiral Castigliani ? L'interrompit un homme durant son moment de recueillement.
– Oui ?
Celui qui lui faisait face était un proche conseiller du Roi répondant au doux nom d'Athanase de Vertbois.
– Sur ordre du roi et accord de notre défunt régent, c'est à vous que revient la charge de régenter le Royaume, messire. Et ce, jusqu'à la tenue d'un collège des pairs afin de nommer à la majorité le futur régent.
– Messire de Brochant vient à peine d'expirer son dernier souffle et vous me...
– Toutes mes excuses votre altesse régente ».
Il ne s'était pas attendu à ça. Tout était allé beaucoup trop vite. N'y avait-il pas d'hommes plus qualifiés que lui pour guider l'impossible péninsule ? Bien sûr que si. Il était pourtant peu probable que d'autres que lui aient obtenus la même confiance que le roi lui octroyait. A y regarder de plus près, celui qu'il considérait presque comme l'un de ses fils venait tout simplement de lui prouver le même attachement en retour.
« Je servirai alors mon Roi et son royaume avec honneur et respect ».

Deux jours après,

Les cloches de Sainte Deina continuèrent de sonner régulièrement les jours suivants pour annoncer à tous la mort du régent de Brochant. Des badauds vinrent même des quatre coins du Royaume pour aller se recueillir et remercier une dernière fois le gisant du corbeau. La cérémonie passée dans la cathédrale fut à la hauteur du personnage qu'il avait été durant sa vie, grande, pieuse, sobre et brève. Les chœurs chantés par les orphelins de Néera n'en finirent d'ailleurs pas d'ajouter un peu plus à la mélancolie déjà bien présente.
Il s'était tenu à la droite de Bohémond durant toute l'assistance. Il avait vu dans les yeux de l'enfant une émotion forte et inattendue. Il y avait vu une larme ruisseler sur sa joue avant que le petit n'use de son poing pour l'effacer au plus vite.
« N'ayez cure de montrer vos émotions à celles et ceux qui sont assis derrière vous, Bohémond. Il est bien normal d'agir ainsi en une telle circonstance, avait-il murmuré à son oreille.
– Et vous, Francesco, vous ne pleurez pas ?
– J'aurai aimé, mais je ne peux me le permettre pour des raisons que vous connaissez.
– Alors je ferai comme vous ».  
La réponse de l'enfant avait fait apparaître un petit rictus sur son visage. Le premier depuis la triste nouvelle. Il s'était ensuite de nouveau paré d'une expression neutre et d'un regard figé avant de redonner toute son attention à celui qui faisait son prêche.

Cinquième ennéade Karfias en l'an XVII

Dans les ennéades qui suivirent, chacun put retourner à ses occupations et œuvrer aux affaires du Royaume. La vie reprit son cours. En ce jour, le roi en personne avait sa leçon d'escrime avec le meilleur maître d'arme de la péninsule. Le chancelier s'affairait à démêler une vieille histoire de justice tandis que l'intendant de la cité s'employait à la bonne tenue des travaux de l'extension du palais. De son côté, le nouveau régent s'était fait un devoir de récupérer les affaires laissées en suspens depuis l'accident du Brochant. Ainsi dut-il recevoir l'un des hommes que le défunt régent avait déjà rencontré par le passé. Il avait alors été question de défense du Royaume à l'initiative d'un seigneur nordien.    
« Quel est son nom déjà ?
– Sire Brohan Wulfekiin, messire. Il vient d'Oesgard
– Voulf...
le nom lui était difficilement prononçable à cause de son accent soltaar.
– Ne le faites pas attendre plus longuement ».
La salle, dans laquelle il le recevrait, était un espace suffisamment approprié pour tenir des discussions privées sans être émerveillé par la grandeur et l'immensité de la salle du trône lui étant attenante. Elle était pourvue de tout le confort nécessaire avec sa grande cheminée aux décors sculptés rappelant les armoiries du Lys de sa Majesté Bohémond. Aux murs étaient présentés quelques beaux tableaux représentant ici et là les grandes dates de l'histoire du Royaume. Ainsi pouvait on contempler l’œuvre d'Alfredo Picchione s'intitulant « Le siège de Nebelheim » auquel avait participé le seigneur de Brochant durant son vivant. Autre élément intéressant, le fauteuil sur lequel il avait pris place était celui réservé au Roi où à son premier conseiller. Il était alors impossible, pour les autres personnes présentes, d'asseoir leur séant quelque part. La raison était simple : ceux qui souhaitaient parler au Roi n'étaient pas là pour se reposer.