[entre Geresh-Naelis] Les lunes s'unissent, vient l'éclipse (Cécilie, Shyn)

<< Dis, on peut la garder ?

La bête de la grotte aux bernacles >>

Un bruit de frottement.

Un grincement d'élongation qui annonce la rupture d'une corde épaisse.

Il pourrait y avoir un échos, mais ce serait déjà quelque chose. Ce qui se trouve sous elle ne peut tolérer qu'il y ait quelque chose. Le son étouffé s'y perd rapidement. Attiré. Avalé. Broyer. Détruit. Oublié.

Une balancement. Répétitif. Un balancement. Lent.

Au-dessus d'une bouche béante.

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Une brise nocturne adoucit l'air de cette nuit Vaanie, jouant avec les cheveux noirs de la jeune femme parfaitement immobile. L'inconscience et le sommeil ont la même apparence. Sa respiration égale reste le seule signe de la vie qui l'habite. Même la sortir de ses terreurs quotidiennes n'est pas toujours une mince affaire.

Pas toujours...

Mais cette fois-ci, le grondement d'un cheval et un coup de sabot y réussirent très bien. Pelotonnée dans sa cape, la selle de Zayase comme oreiller de fortune, elle se retrouva assise près des braises faiblissantes. Son regard était tourné vers l'ombre de leurs montures. Ténèbre était agité. Dante debout près de lui.

- Un problème ? "

Une paillasse posée sur l'herbe écrasée, sous la voûte celeste parsemée d'étoile. Sur le ciel règnent les deux lunes d'or et d'argent.

Couchée de coté sur la paillasse en chien de fusil, emmitouflé dans sa cape de voyage, un jeune daedhel semble endormi. Sa carrure est celle d'un adolescent encore inexpérimenté. La brise nocturne caresse de temps à autre ses cheveux courts, pourtant, ce n'est pas pour cette raison qu'elle ne parvient pas à se rendormir. Car en réalité, grimée en garçon, il s'agit d'une Eldéenne perdue loin de chez elle.

Un mauvais rêve l'a éveillée, comme souvent ces nuits-ci, un goût de cendre dans la bouche. Dante monte la garde, mais, agité, il tourne encore et encore, et l'agace.

Lorsque l'assassin s'éloigne finalement, la daedhelle se retourne doucement, le regard posé sur les milles étoiles qui constellent le ciel.

La drow dresse une oreille, le grondement d'un cheval suivit du bruit d'un sabot contre le sol a retentit. Probablement Ténèbres, l'étalon de Dante: La bête a notoirement un sale caractère, mais il y a quelque chose de satisfaisant de n'être pas la seule à être agacée par Dante. Ainsi lorsque peu après Cécilie se redresse, la drow se hisse sur un coude silencieusement et son regard curieux nullement gêné par l'obscurité fait le tour du campement.

Le ciel ? A son ordre, les deux femmes lèvent les yeux. Cécilie, comme d'habitude, ne distingue  que des tâches de lumière floues. Le noir de la voute céleste et le terrain à peu près dégagé donnent une une impression de toile infinie où voltige des lucioles approximatives. Et... Et la lune d'argent déjà grignotée par la fin du mois se fait mordre le dos par le cercle d'or de la Silène. C'est... étrange ? Une expression de surprise non dissimulée passe sur les traits de l'humaine, suivit d'une tension méfiante. Les braises de leur feu de camp éclairaient encore son profil et ses cheveux noirs en contre plongé.

- Qu'est-ce que c'est ?

Mais il y a plus important. Dante ne s'arrête pas. Il marche, il bouge, il est agité d'une façon que la jeune femme peine à interpréter. Ses sautes d'humeur, ses faims et ses doutes, elle les voit et les sent, mais ça... l'analogie la plus correcte est celle d'un fauve en cage.

La deadhelle hésite, la vision devant ses yeux réveille des souvenirs perdus en elle, des ombres au travers d'une glace en apparence infranchissable. La glace craquelle. Le regard de  Shyn'tae passe des lunes à ses compagnons de voyage. Elle ne comprend pas les mots de Dante, mais ce n'est pas la première fois. L'esprit dérangé et chaotique de l'assassin est difficile à suivre, surtout pour elle qui ne possède que peu de clés. Un frisson la parcours. Comment ça, seuls? C'est une bonne question.

Cécilie se lève et s'approche de Dante.le langage corporel de l'homme est différent, mais ses mots sont bien pire. Comment ça 'seul' ?! Il ne voulait tout de même pas dire que la Bête… ?! Ce n'est que par les années de mensonge et de faux-semblant que le visage orgueilleux de la jeune femme ne montre aucun signe de peur. Qu'est-ce qui recommençait ? En quoi était-ce si grave ? Pourquoi la Bête... ?!

- Si quelque chose se passe, nous réagirons plus facilement si nous sommes ensemble. Partir de ton côté comme ça... " Alors qu'il avait l'air à ce point troublé... et il y avait de quoi si la Bête avait disparue. Il lui lança un regard en coin de son côté marron, avant de tourner la tête vers les Ténèbres.

Les mots qu'il avait prononcés à propos de leur cible revinrent frapper Cécilie comme un coup de masse. Sa demande de ne pas le laisser devenir moins que lui-même. Le refus qu'elle lui avait opposé. Il était bien trop tôt pour s'en inquiéter, mais le couperet menaçait sa mémoire. Il frémit et repart de l'autre côté.

Elle arrivait à peine à sa hauteur lorsque la voix de Shyn'tae s'élèva dans l'ombre. La glace venait de se briser, et le souvenir d'une vie d'avant venait de refaire surface. L'Eldéenne revenant des temples du camp militaire, toute sourire, sa démarche féline, malicieuse, légère. Joyeuse d'assister à cette éclipse de lune, certaine que, contrairement au voile, ce serait un moment où elle pourrait regarder le ciel avec un regard d'enfant. Elle avait déjà prévu de réserver sa soirée.

- Je me souviens… Je voulais observer l'éclipse de lune. "

L'humaine tourna la tête vers la drow, visiblement surprise, avant de lancer un regard méfiant aux deux astres. Ses lèvres se fendirent d'un mouvement pensif plus facile à deviner qu'à entendre.

- Alors c'est ça... " Un mot qu'elle avait souvent entendu. Un mot qui était attendu, redouté, adulé ou honni. Et pour la première fois elle mettait un fait sur le concept abstrait. C'était étrange... Cela semblait si inoffensif et sans conséquence. Deux tâches vaguement brillantes qui se croisaient. Elle se demandait aussi comment un croisement comme celui là pouvait obscurcir le ciel, mais ce n'était pas le moment. Son esprit facilement inquiété par l'état de son compagnon avait fort à faire. Et il y avait une chose qui pouvait tout changer à son approche. " Ca arrive souvent ? "
- Ca dépend ce qu'on appelle souvent... mais ca arrive nécessairement." répondit sa consœur dont le regard plein de questions s'était posé sur Dante. Cécilie vit l'éclair de la compréhension naitre dans cette paire d'yeux rubis. Aux paroles de Shyn'Tae, Dante s'immobilise et la regarda fixement, son œil marron indéchiffrable et Cécilie frémit.

Une éclipse... C'était ça... La seule éclipse dont on avait parlée à l'humaine, c'était le Voile. Et si c'était également à ça qu'il avait ressemblé... * Bon sang, Dante... Ne te laisse pas happer par des souvenirs de cette époque. *

Et pourtant, comment ne pas se laisser happer par ce qui est gravé dans sa chair et sur son visage ? Il avait envie de se laisser tomber à genoux, dans un coin, pour gronder et prier Zhak'Bar pour qu'il revienne. Seul son orgueil l'empêchait de succomber à cette envie. Ne pas montrer de faiblesse devant la drow… Jamais.

Les mains de la jeune femme glissèrent sur les joues de l'assassin tandis qu'elle se hissait sur la pointe des pieds pour poser son front contre le sien, capturant doucement son regard asymétrique, ramenant son chemin de pensées vers elle.  Ses pupilles se dilatèrent à l'extrême. Les mots anciens revinrent dans sa mémoires, sur ses lèvres et sur sa peau.

Dante fronce les sourcils, mécontent. Elle se dévoile devant la Drow… Elle ne devrait pas. Il sait qu'elle l'a déjà fait mais c'était subreptisse, ici, malgré la pénombre, elle pourait en voir plus... Mais sa Ténébreuse le fait sans hésiter. Elle le fait pour lui. Plus d'une dizaines de seconde s'écoulent ainsi, dans les murmures graves de l'Enchanteresse. Des paroles à la mélodie à la fois dérangeante et envoutante. Les Lamentations sifflent et sourient en s'avançant vers l'être à leur portée mais les ordres de Cécilie ne vacillent pas. Elle ne se glisse pas en lui, elle ne s'en empare pas, elle ne passe même pas les premières barrières pour l'instant. Elle s'y frotte et s'y entortille. Elle espère qu'il puisse sentir sa présence, même affaiblie. Entrer était risqué, autant pour lui qui était en position de faiblesse, que pour elle qui pourrait se laisser prendre par les travers d'un être se défendant à l'instinct. Le frisson bien connu qu'amène la caresse fait légèrement sourire l'homme qui gratifie sa compagne d'une caresse de la joue.

- Rien ne recommence. Tu es ici, avec moi. Et si quelque chose nous tombe dessus, nous saurons faire face.
- On les prendra tous et il ne restera rien…
- Et nous aurons toute l'éternité pour ça. " souffle son visage sévère, l’œil brillant.

Dans les prunelles dépareillées de Dante, une lueur meurtrière luit du côté marron. L'iris verte étant indubitablement éteinte. Les doigts fins de la jeune femme tatouée soulignent les cicatrices sous son oeil terne, comme elle le faisait parfois les tous premiers temps après leurs retrouvailles aux Grand Jeux de Thaar, lorsqu'elle avait cru qu'il y avait reçu une blessure définitive. Il est doublement aux aguets, compensant mal sa part hors service. C'est comme essayer de pagayer seul. La tension physique qu'elle sent sous ses doigts suffit à mettre sa compagne sur le qui-vive.

- Si j'étais seul, ça serait facile, peu importe le nombre… Ils me prendraient pas vivant, et quand bien même que ça arriverait, je suis capable d'encaisser, c'est pas ce qui m'inquiète. Avec toi non plus… on aurait un bon petit gueuleton pense t'il… Mais…

Il jette un regard méfiant à Shyn'tae… Si elle disjoncte comme les autres lors du Voile? Si ses copains sont près? L'engeance drow justement l'observe en retour avec méfiance, souple et fourbe. Elle est restée en dehors de la discussion des deux amants. Elle la juge surréaliste et un brin grandiloquente. Dante en fait toujours trop. C'est quelque chose qu'elle peut apprécier.

Faudrait-il d'ailleurs que l'assassin la défende elle aussi le petit chaton à semi sauvage? Hors de question… Cécilie en premier. Mais il sait qu'il n'est pas dans la meilleure des formes. Ce n'est pas la première éclipse depuis le Voile et c'est toujours la même chose. Ça les affaiblis. La Bête disparait le temps que les astres fusionnent. Mais les rares autres fois, il était seul. Il suffisait de se planquer et d'attendre le bon vouloir des dieux… Aujourd'hui, c'est différent, il y a du monde avec lui. Une à laquelle il ne veut pas que rien n'arrive, l'autre heureuse bénéficiaire de la protection de la première. Une avec laquelle il taperait dans le tas volontiers, l'autre qu'il ne sait pas si elle est alliée ou ennemi. Tout ça à cause de la couleur de sa peau.

Elle a l'air au courant... qui dit que c'est pas un truc vénéré par les drows et où ils disjonctent?

Voyant les regards échangés et les tensions non dissimulées, Cécilie se retient de soupirer. Elle n'a pas envie de lui répéter une fois de plus que si les choses devaient mal tourner, vraiment mal tourner, leur duo primerait toujours. La raison est secondaire face aux souvenirs. Elle est bien placée pour le savoir. Aussi continue-t-elle ses investigation pragmatiques, le ton purement factuel. Elle ne prête pas attention à son propre visage marqué de couleurs passées et de croquis étranges, se tournant vers l'eldéenne sans s'éloigner de Dante. Seule l'une de ses mains graciles reste nonchalamment posée au creux de son cou.

- Tu sais combien de temps ça dure ce genre de choses ? "
- Une dizaine de minutes tout au plus, le temps que la lune transite derrière la silène."

Description factuelle. C'était de cela dont ils avaient besoin. Elle n'avait nullement envie de débattre de sa capacité à se défendre seule. Le regard de la drow se détacha de Dante le temps de faire un tour d'horizon. Il y avait une tension en elle. Aucune chance qu'il soit causé par l'évènement astronomique. Non, Dante en était la source. Ce regard. La daedhelle se rassura en sentant le poids de son épée à son coté.

- Mais cette éclipse n'a pas l'importance de celle du voile… Je ne vois personne sur les hauteurs, nous ne risquons rien." Sa voix calme est celle de la professeur, mais l'oreille exercée de Cécilie n'a aucun mal à percevoir la nuance de méfiance qui y réside pourtant. Ses appuis sont souples, ceux d'un chat prêt à bondir. Ils ne risquent rien semble dire son amie, sans être certaine que cela s'applique aussi à elle.

Dante aussi s’en aperçut. sous ses doigts fins, Cécilie peut sentir le cœur ralentir, son agitation s'apaiser… La voix grave claque.

-Tu compte aller quelque part toi ?

Ce mélange de centaines de son discrets que le commun des mortels appelait silence s'étirait depuis longtemps déjà. Dante s'était endormit rapidement, terrassé par l'angoisse puis une détente dont Cécilie profitait sans se l'expliquer. Shyn'tae s'était blottit contre elle, tenant le froid nocturne éloigné. Ses doigts caressaient toujours lentement la tempe de cet Indomptable qui s'était lentement laissé amadouer. Son bras était pressé contre le corps frêle de sa féline amie.

Et les yeux clos, Cécilie ne dormait toujours pas. Elle n'avait pas besoin d'y voir pour se forcer à rester éveillée ou à servir de garde efficace. Pierre angulaire du curieux spectacle qu'ils formaient, elle ne bougeait pas. Elle était bien installée, bien entourée, et curieusement mal à l'aise. Les frôlements chuintants des insectes. Les respirations désaccordées de ses deux comparses. La brise dans les branchages feuillus. Les rares hululement des oiseaux nocturnes. Le meuglement lointain d'un taureau dérangé dans son sommeil. Les murmures incessants qui avaient remplacés les Mélodies du monde depuis bien des années déjà. Ces murmures enjôleurs, attentifs, critiques, doux, loyaux. Ces murmures dans lesquels elle percevait parfois le ton de sa propre voix.

" Je sais..." souffla-t-elle en un murmure à peine audible.

Shyn'tae changea légèrement de position contre elle. Elle avait envie de se lever et quitter le camp, mais elle ne le faisait pas. Elle était trop bien pour ça. L'éclipse n'avait pas eu grand effet sur elle. Le changement de comportement des deux ennemis en guerre couvée par contre, elle ne pouvait en dire autant.

Longuement, elle écouta les bruits nocturne mêlés aux murmures de ces conseillères. Elle ne devait pas rouvrir les plaies qui se fermaient. Elle le regretterait tôt ou tard. Alors elle laissait ses pensées vagabonder. Jusqu'à des lieux et des temps inexplorés. Jusqu'à ce que le soleil se lève, offrant une nuit sans interruption à ses deux compagnons de voyage. De toute façon, le repos semblait la fuir cette nuit.