Dis, on peut la garder ? | Shyn & Dante

<< Un pied devant l'autre et puis s'arrête

Les lunes s'unissent vient l'éclipse >>

Blême et droite, Cécilie était restée face à la porte ouverte. Les prunelles étrécies, les bras croisés. Elle allait toujours trop loin... Et elle frémissait lorsqu'il s'arrachait à sa présence ainsi. D'ordinaire ça la mettait hors d'elle. Aujourd'hui, s'il lui en avait laissé l'occasion, c'est elle qui serait sortie en claquant la porte pour se calmer. Elle pouvait comprendre... Mais finalement c'était lui qui avait coupé court. Et ça lui faisait... mal. Parce qu'aussi stupide et hors de proportion qu'il s'était montré, il n'avait pas refusé  une seconde d'aider Shyn'tae. Parce qu'elle l'avait laissé partir seul dehors mais qu'elle ne se retrouvait pas seule. Parce qu'elle était en colère mais que son empathie lui renvoyait dans la figure la culpabilité de ne pas avoir été de son côté. Elle le détestait quand ils en arrivaient là. Mais elle aurait eu l'impression de se renier en ne lui disant pas qu'elle trouvait cette histoire de purge répugnante, humiliante et disproportionnée. Si quelqu'un lui faisait un coup pareil un jour, elle le tuerait... Mais ce n'était pas elle qui était concernée.

Elle se poussa pour laisser passer Shyn'tae, toujours glaciale, le menton haut. Sa voix était de nouveau posée. Contrôlée comme elle savait si bien le faire grâce à sa si noble éducation.

- Tu as envie de manger quelque chose en particulier ? Je vais sortir. J'en aurai pas pour longtemps.

La drow s'était avancée, impassible, et s'arrêta sur le pas de la porte. Si elle avait pu se donner un but, voir son amie dans cet état était douloureux, plus que cela n'aurait du. Elle aurait aimé trouver les bons mots, mais existaient-ils seulement? Elle n'était de toute manière pas douée pour cela. Tu sais qu'il reviendra. Tant qu'ils sont capables de se disputer ainsi et d'en souffrir, c'est qu'ils sont importants l'un pour l'autre.  Shyn'tae ne sut si c'était une bonne chose. Elle se demanda si elle devait se venger.  La vengeance… l'idée lui évoqua une corvée. La sombre frémit, l'association était bien trop inacceptable pour qu'elle ne refuse pas de s'y attarder. Plus tard.

Shyn'tae s'était arrêtée sur le pas de la porte. Elle hocha la tête et se tourna finalement vers Irulan, le regard interrogatif.  
- Des pâtisseries au miel... Ce serait possible ?
Sans se départir de son expression distante, Cécilie acquiesça.

- Repose toi tant que je ne suis pas là, d'accord ? Je n'ai pas envie de te ramasser sur le plancher. Je vais te monter une cruche d'eau.

La drow hocha légèrement la tête. Cela n'avait pas été dans ses plans, elle avait de la colère à évacuer. Mais faire preuve de prudence était bien le minimum qu'elle puisse faire.
- Promis.

Après l'eau et un gobelet monté sur la table basse du salon accompagnés d'un livre de botanique trouvé par hasard dans la boutique, Cécilie disparut pour ne revenir qu'après une bonne heure d'absence, lavée, les cheveux d'un noir de jais toujours aussi profond et parfumée d'une huile d'argan mêlée de jasmin et de muscade. A Thaar, au moins, il existait des termes à la portée de toutes les bourses et celle qu'elle avait arrachée au vieil homme qui avait subit son courroux n'était pas si maigre que ça.

Une fois déchaussée et une pierre à aiguiser neuve posée sur la table de la cuisine, elle monta à l'étage pour voir si sa camarade était éveillée, un bocal en terre cuite dans les bras et la mine plus apaisée.

Elle la trouva habillée et assise à genoux sur le tapis, le livre de botanique ouvert devant elle. D'un doigt, elle manipulait délicatement une page: La magicienne la soulevait, puis la laissait retomber doucement, régulièrement, encore et encore. Cela aurait été déjà étrange, mais la daedhelle s'était improvisé un bandeau à partir d'un torchon prit dans la cuisine, lequel couvrait ses yeux. Elle paraissait étrangement détendue, et ne semblait pas avoir entendu Irulan entrer.

L'humaine posa sa jarre sur la table et s'assit sur le plus proche fauteuil, silencieusement. Le bruit ténu de la page donnait un métronome discret et doux. Détendue, elle ferma les yeux, écoutant d'une oreille distraite tout en se tendant vers la magie alentours, laissant les marques recouvrir son dos. Les murmures et les Rythmes que lui envoyaient la Trame caressaient sa conscience.

C'était une sensation diffuse, perdue au milieu de l'ensorcelante et fascinante complexité des motifs. Lorsque Shyn'tae concentrait son attention sur un détail, c'était, au sein de ce dernier, un nouveau monde d'intrications envoutantes qui se dévoilait à ses sens. Puis un souvenir, une idée, une angoisse brisait cette harmonie, et la forçait à recommencer. A chercher comment l'infime mouvement du papier faisait naitre ces vagues et ces reflux.
C'était une sensation diffuse, une vague qui avait mis du temps à percer sa conscience, et qui, lorsqu'elle y était parvenue, lui avait appris qu'elle rêvassait au lieu de se concentrer.
Quelque chose avait changé. Bien sûr, elle ne le voyait pas, car là était le but de l'exercice. Ses oreilles fines se tendirent, mais elle n'entendit rien si ce n'était son propre souffle.

La page s'immobilisa. Shyn'tae sentait ses propres légers mouvements se répercuter dans la trame… Sa respiration. Les battements de son cœur. Il y avait autre chose. Le vent léger au travers des fenêtres, un rythme propre... elle se concentra, et d'instinct, le rythme de sa respiration lente s'harmonisa sur ce mouvement comme elle s'était auparavant aligné sur celui du papier. Elle se concentra sur les motifs de cette oscillation, un sourire aux lèvres.

Elle fronça les sourcils, son sourire disparut. A la frontière de sa perception, elle avait cru sentir quelque chose. Une sensation impossible à décrire, indicible. Cela ne dura qu'un court instant, laissant le souvenir d'un rêve. A nouveau, sa concentration était rompue.

La drow porta la main à son bandeau et le retira. Irulan était revenue. La magicienne, apaisée, lui sourit.
- Je ne t'avais pas entendu rentrer."  Shyn'tae s'étira presque félinement, puis fit rouler ses épaules dans l'espoir d'en extraire les noeuds.

- Je ne voulais pas te déranger. Les biscuits sont sur la table. Tu peux te servir." Sa compagne se leva pour lorgner le bocal, puis l'ouvrit. Son estomac semblait soudain douloureusement vide. plusieurs pâtisseries gorgées de fruits et de miel, parfois même de sucre, lui tendaient les bras.

Ce n'est qu'après quelques instants supplémentaires que l'humaine ouvrit les yeux à son tour. " Tu tentais de pratiquer sans focaliseur ?
Shyn'tae avait saisi une gourmandise poisseuse de miel entre deux doigts et la portait à ses lèvres mais s'interrompit pour répondre.
- Non… je me suis dit que si je me grillais le cerveau, ca aurait été gênant." Elle prit la pâtisserie en bouche. Le sucre la fit frissonner. Elle avait la sensation de n'avoir rien mangé d'aussi bon depuis des années.
- Par contre, même sans focalisateur, rien n'empêche de travailler sa perception. Ce n'est pas un domaine où j'excelle, je suis plus instinctive… Alors c'est l'occasion. Plus j'y pense, plus j'ai des idées. Elle saisit un autre biscuit.
- Tu en veux?
- Non merci. C'est pour toi. Je ne suis pas certaine que Dante prépare quoi que ce soit d'assez riche pour te remplumer et on va devoir bouger d'ici peu, alors profite. " Shyn'tae haussa les sourcils avec incrédulité. Irulan venait de refuser une friandise. Cette dernière roula un peu des épaules, avant d'ajouter d'un air pince sans rire. " En parlant de domaine d'excellence, il me semble que tu trouvait ma façon d'incanter 'explosive' si je me souviens bien ? "

En parlant d'incrédulité, la drow parut surprise que le sujet soit remis sur la table. Elle se souvenait très bien l'avoir suggéré en effet, et, lorsque c'était arrivé, il n'y avait pas eu que l'incantation qui avait été explosive. Du bout des lèvres, elle brisa un morceau de biscuit aux amandes, son regard énigmatique, puis malicieux.

- Assez explosive pour me tirer de l'inconscience. C'est une échelle de mesure comme une autre… La daedhelle devint plus sérieuse, son regard celui de la chercheuse. Son amie venait-elle de lui offrir une ouverture? "Ta magie est différente, alors je ne sais pas à quel point je peux t'aider en en restant à la théorie. " Elle continua, pensive.
"J'ai longtemps été trop perfectionniste, à vouloir que chaque once du pouvoir que je canalisais serve à mes effets. C'est un excès inverse, je me limitais. A un moment tu ne peux plus procéder ainsi sans te freiner. Ca…" Elle pointa son bras. " M'a forcée a réaliser que c'était une fierté mal placée… A accepter l'imperfection, pour tenter de faire mieux…"

" Ton pouvoir, c'est le contraire. Pour le rendre plus discret, il faudrait s'exercer à mieux le canaliser. Tu donnes l'impression d'avoir à ta disposition un pouvoir disproportionné comparé à ta maitrise. Peut-être pourrais-tu travailler cette dernière. Pour que quelqu'un comme moi ne remarque rien de trop inhabituel. C'était un euphémisme pour dire qu'Irulan donnait l'impression de ne rien contrôler du tout. Ce n'était manifestement pas entièrement vrai, si sa demonstration avec Memeth en était témoin.
- La question est : par ou commencer ?

La daedhelle pencha la tête et resta pensive un long instant. Ce n'était pas qu'elle n'y avait pas pensé, ni qu'elle n'avait jamais travaillé ce sujet précis. La magicienne se souvenait des longues heures qu'elle avait passé à s'entrainer, elle, dans ce but précis, à chercher la moindre imperfection dans sa pratique. Il fallait bien reconnaitre que par chance, elle était probablement une des mieux placées pour travailler ce domaine si particulier dont la plupart des mages sombres se fichaient comme de leur première chemise.

La sombre se lécha les doigts et se rassit face à son amie dans le fauteuil moelleux. Son regard, celui à la fois attentif et respectueux d'un maitre, était fixé sur l'humaine. Elle faisait de gros efforts pour ne pas paraitre intrusive ou trop curieuse à sa consœur. L'effet était un peu brisé par le crâne dénudé, cela lui convenait un peu trop bien. Une véritable mage noire. Il ne lui manquait que quelques tatouages et un chat sur les genoux.

- Tu pourrais commencer par me montrer? Comment t'y prends tu?

A la vue du visage de l'humaine, elle ne s'attendait pas franchement à cette question. Mais elle était légitime. Et puisque Shyn'tae avait vu ses tatouages, il était bien inutile de se limiter aux zones couvertes par ses vêtements à présent. Là où la question était plus épineuse c'était de savoir jusqu'où elle pouvait renseigner sa consœur et jusqu'à quel niveau de détail était déjà aller sa déduction.

- Comme tous les mages je suppose. Cela dépend de l'effet que je veut obtenir. Dans la théorie, je perçoit ma cible. Je sonde éventuellement ses défenses et ses particularités. Puis j'ordonne la magie à ma guise pour arriver à ce que je désire. " commença l'humaine. " Mais contrairement à toi, je ne peux pas vraiment montrer ce qu'un sort donne dans n'importe quelle condition. Il me faut une cible. "
La drow se pencha en avant, en proie à de nombreuses interrogation. Elle ne s'était pas non plus attendue à cette réponse, et dû se rappeler qu'Irulan était différente des mages qu'elle avait côtoyé.
- D'accord. Est-ce que tu as déjà essayé de procéder un peu différemment? Commencer par canaliser un peu de magie, pas trop, et la laisser s'échapper sans pour autant faire d'effet. Ce n'est pas forcément facile au début, mais en mettant de coté le sort lui-même, cela permet de bien mieux se connaitre. C'était un bon exercice de maitrise qu'elle avait beaucoup pratiqué. Un peu dangereux, peut-être. Shyn'tae regretta de ne pouvoir lui montrer. Elle avait une bonne idée de ce qu'une telle manœuvre ferait dans son propre cas.. Mais qu'en était-il de sa consœur? Maniant une magie mystérieuse et qui la dépassait peut-être, Shyn'tae pensa que justement, un peu et pas trop étaient peut-être là où résidait la difficulté.

Une inspiration. Dans le dos de l'humaine, la cicatrice du Karkal se colora à l'abri des regards. Oui... Cela elle y arrivait sans soucis, bien que ça ne serve généralement à rien. La Trame frémit comme la surface d'un lac dans lequel affleurait un serpent. Shyn'tae se pencha un peu plus en avant, souplement, comme hypnotisée par le phénomène. Mêlées à l'Arcane tout en la plissant sur leur passage, froide et vicieuses. Par instinct, elles s'apprêtaient déjà à fondre sur l'entité pulsant de vie que représentait Shyn'tae, mais pour faire quoi ? Elle en tâtait les alentours, distinguant les murs et la porte d'entrée sans la passer ni la forcer, aussi furtive qu'un malaise diffus à la source incertaine. L’œil d'un prédateur qui se pose sur sa proie avec insistance, aiguisant la sensation de vide qui ronge le ventre de la jeune mage. Elle en a l'habitude lorsqu'elle se mobilise avant de frapper.

Le trouble grandit peu à peu en l'Eldéenne. Cela n'avait rien de rationnel. Comme si la partie la plus ancestrale de son esprit, la plus animale, avait reconnu un vieux prédateur oublié. Cela n'avait rien de rationnel. Elle avait senti ce mouvement dans les motifs envoutant de la trame, cette sinuosité furtive, à peine perceptible qui l'observait en retour. L'inconnu et le danger l'attirèrent, fascinée.

- C'est faisable, mais je ne peux rien faire avec... " constata-t-elle visiblement inconsciente du malaise que pouvait engendrer sa magie sur sa consoeur. " ça ne suffirait pas même à passer les défenses d'un enfant il me semble. "

-Non.. en effet..." La drow cligna des yeux, sortant de sa fascination. "Peut-focaliser plus avant d'orienter le sort… ou c'est le contraire? J'avais l'impression.." Elle secoua la tête, pensive, avant de s'avancer un peu plus encore, jusqu'à tenir à moitié sur le moelleux de l'assise, les jambes serrées de coté. Hésitante, elle accompagna ses mots d'un mouvement fluide de la main qui tenait toujours son bandeau improvisé. "... J'avais l'impression que la magie m'observait… et que si tu montais plus en puissance, elle se jetterait sur moi comme une panthère. Ceci dit… l'effet était inhabituel, mais suffisamment discret. "

Cela s'annonçait plus épineux qu'elle ne l'avait pensé. Pourtant, la drow était intuitivement convaincue qu'il y avait quelque chose à faire.
- Il nous faudra un sujet. conclut-elle de manière bien pragmatique devant le fin sourire de l'humaine.

Le sujet promettait d'être passionnant... Et épineux à la fois. Elle aurait bien des choses à tester et à tenter. Pas forcément sur la façon de rendre sa signature magique moins évidente, mais pourquoi pas également se concentrer plus longtemps, ou dans n'importe quelle condition. Sur une cible ou plusieurs. De façon rapide ou plus furtive. Elle avait déjà hâte d'y être.

- Si tu veux m'aider à explorer mon plein potentiel, il se pourrait même que je te montre ce dont je suis vraiment capable. " glissa Cécilie en poussant les Lamentations à se rendormir. Sa consœur souriait, son regard pétillant d'intérêt.  " Mais tant que nous ne serons pas sur les routes, il va falloir se contenté de théorie et d'exercices de concentration ou de dosages. Et puis on pourrait peut-être te trouver un focaliseur. "

Un nouveau focalisateur... Le cœur de la daedhelle s'était soudainement serré. Pourtant, c'était quelque chose de souhaitable; d'inevitable même. Eveil était sa meilleure compagne. Sa meilleure confidente. Un symbole d'une autre vie qu'elle avait vécu. Un jour. Eveil avait été, admit-elle difficilement, le regard voilé. Selon toute vraisemblance, ne put elle s'empêcher d'ajouter.  
- Oui. Ce serait une bonne chose. Répondit-elle finalement en trempant son bras fin dans le pot de patisseries. Il faut que je travaille ma concentration également… J'ai l'impression d'avoir beaucoup trop perdu et je n'aime pas ca. Elle soupira. Nouvelle vie. Lorsqu'elle repris, ce fut pour se redresser, un sourire malicieux et déterminé aux lèvres."Trouvons un focalisateur. Je ne vais pas me morfondre qu'un enfoiré m'ait pris l'ancien. J'aimerais aussi trouver des moyens de travailler ma perception."
- Je ne peut-être pas t'aider pour le choix du focalisateur, mais pour la perception ça pourrait s'avérer plus facile. " la jeune femme jeta un coup d’œil au volet dentelé de la plus proche fenêtre. " Après avoir mangé quelque chose de solide. Je vais faire chauffer les restes en bas. "
- Je t'aide. La daedhelle s'était déjà levée.

3hres du matin, la nuit suivante

La porte s’ouvre silencieusement dans la cuisine. Tout a été rangé et rien ne marque une quelconque anomalie. Dante se glisse dans l’interstice de la porte avant de refermer et de verrouiller le battant tout en retenant la clenche pour ne pas faire de bruit.

Alors il cligne des yeux sous la lumière mouvante de la bougie qui éclaire une nouvelle pierre à aiguiser. L’homme commence par froncer les sourcils, dubitatif, se demandant si elle a sorti finalement, avant qu’un léger sourire n’effleure sa grande bouche.La prenant dans sa grande main, il en teste le grain, le soupèse avec une déférence non feinte. Ce genre de petites attentions est, pour lui, pas mal plus significatives que des grandes envolées lyriques.

Quand a t'elle été chercher ça? Dante décide qu’il s’en fout finalement du pourquoi du comment. D’un geste brusque il éteint la bougie avant de remonte un gros et un petit paquet soigneusement enveloppé de tissus ciré à la cire d’abeilles en main.

Sans se cacher il entre dans la chambre pour se glisser illico par la porte secrète. Il y a quelques instants d’attente et il reparaît, sans rien dire concernant la porte non verrouillée, ce n'est pas important finalement. Plutôt il avise Cécilie qui fait de la lecture. Un air neutre au visage, il va la rejoindre. Et contourne le lit pour passer du côté de la jeune femme.

Les paquets sont déposés sur la table de chevet sans dire un mot. Il hésite à donner un baiser à sa compagne, ne sachant pas son humeur du moment, ne voulant rien imposer.

Elle lève les yeux vers lui, sans trop savoir à quoi s'attendre.

La pièce était silencieuse depuis de nombreuses heures, mais elle n'était pas pressé de trouver le sommeil. Il lui semblait qu'une éternité s'était écoulée depuis la dernière fois ou elle s'était endormie seule et malgré l'agréable journée qui s'était écoulée si elle exceptait le réveil, elle avait irrémédiablement froid. Alors elle avait commencer à relire ses notes. De plus en plus loin. A relire les idées qu'elle ne voulait pas oublier et constater avec plaisir qu'elle ne les avait effectivement pas perdues. Elle avait fait des liens, compléter leurs connaissance sur leur cible et poussées de nouvelles hypothèses. Il ne restait plus qu'un trognon de bougie lorsque la porte avait laissé passer une ombre rapide et souple qui ne lui adressa pas un regard.

Soit.

Elle avait commencé à abaisser son grimoire, mais ce n'était sans doute pas la peine... Du moins c'est ce qu'elle suspecta jusqu'à ce que son Chasseur pose ces deux paquets auprès d'elle, à côté de la statuette d'Isten qui borde sa bougie sur la table de chevet. Le silence de sa compagne rend Dante circonspect. Et si...

Son épais grimoire se referme lorsque sa propriétaire le laisse doucement tombé sur la couverture qui dévoile son corps nu à partir de son ventre. Du coin de l'oeil, il ne la rate pas. La douce courbe de son visage délicatement soulignée par la lumière mouvante, l'éclat de ces yeux bleus… qui l'épinglent toujours.  Elle regarde les deux paquets, mais ni à l’œil, ni à l'odorat, ni à l'oreille elle ne parvient à estimer ce qu'ils contiennent. S'il ne s'est pas précipité dans un coin pour se rouler en boule sur le plancher, c'est qu'il ne doit pas tant lui en vouloir... Ses yeux pâles le guettent. Indécise, elle se redresse finalement pour s'asseoir au bord du matelas, encore à demie drapée, et tend la main dans l'espoir d'attraper doucement celle de son Chasseur pour la porter à ses lèvres.

Un soupir, un infinitésimal soupir soulagé tandis qu'il se laisse tomber à genoux à côté d'elle, assise. C'est une situation nouvelle... Autant laisser entrer Cécilie dans sa vie lui a semblé naturel, autant ce qu'elle ne lui a pas demandé certes,  mais ce qu'il a quand même pris sur lui est, selon lui, contre nature. Il doit accepter la drow… Pourtant, laisser quelqu'un s'immiscer si près d'eux le rebute profondément. Confronté à la réalité du monde que, peu importe comment on peut être fusionnel, le commun des mortels a besoin de se lier à d'autres personnes, même si on est un loup, ca ne veut pas dire nécessairement être un loup solitaire. C'est une situation inédite qui le déstabilise profondément. Même La Bête, pour une fois, se ferme la gueule.

Si Shyn'Tae est si proche de Cécilie, plein de questions lui montent en tête. L'a t'il, lui, retenue contre son gré sans le vouloir? En a t'elle assez? Il a voulu bien faire… Mais même si pour tuer il faut savoir soigner… Et bien, soigner les autres, ce n'est pas sa spécialité. Rien ne laissait présager une réaction si violente. Techniquement, elle n'aurait pas dû réagir physiologiquement autant. Shyn'Tae a t'elle forcé la dose pour les séparer? Pour que Cécilie prenne son côté?

Les yeux dans les yeux, une grande main aux longs doigts écartent une mèche noire de sur le pâle front. Elle appuie légèrement sa tempe contre sa large paume qui accepte et recherche le contact, descendant le long de la joue veloutée jusqu'au menton. La drow a rompu leur équilibre naturel et il craint qu'elle ne se laisse mener en bateau.  L'autre grande main de Dante pivote et prend le fin poignet pour enfouir son visage dans la paume de sa Ténébreuse. La main encore libre de la jeune femme glisse avec douceur sur ses cheveux tressés. Dante aimerait que sa Ténébreuse la défasse mais ce n’est pas le moment ...Il finit par lui murmurer.

-Elle est si importante pour toi?
- Nous partageons une même curiosité. J’apprécie son humour. Nous nous racontons des choses futiles et elle me permet d'aller plus loin dans ma pensée. Elle met mon esprit au défi et m'aide à améliorer ma pratique. Et je serai certes triste si elle venait à mourir. Donc j'imagine que ça lui donne une certaine importance. " Elle n'a pas hésité. Elle ne veut pas garder de faux semblant, surtout pas à ce sujet. Les caresses sur sa chevelure descendent jusqu'à sa joue rêche tandis qu'elle se penche vers lui. Si elle en avait eu la place au bord du lit, elle se serait laissé tomber à genoux pour être à sa hauteur. Sa propre nudité ne les gêne pas le moins du monde. Les lagons qui lui servent d'iris ne cherchent que le contact intense du vert et du brun. " Mais lorsqu'elle finira par mourir, une fois la tristesse passée, je trouverai une autre personne avec laquelle partager ça. Un autre érudit. Une autre amie. Et même si ce n'est pas le cas, je pourrais vivre sans en étant heureuse. Ça n'a rien à voir avec ce que tu es pour moi. Ce que Nous sommes. Dante... "

Le silence se fit entre eux. S'étire. Les mains de la jeune femme s'accrochaient à l'angle de sa mâchoire, ses pouces passants et repassant sur ses joues rugueuses. Elle le regardait avec dévotion, sa fragilité au bord des yeux. " Si tu savais comme je m'en fais pour toi depuis que tu m'a dis que tu devrais affronter la Bête. Je pense à la ferme dont tu m'as parlé presque chaque soir en m'endormant. Lorsque je vois l'éternité, je ne l'envisage qu'à ton bras. Les ennéades que nous partageons depuis notre départ de Frontière sont les plus belles de toute ma vie." Et elle pesait ses mots. Silencieux Dante enregistre les paroles. Il n’y a rien à renchérir, parce qu’elle a raison " La richesse, le pouvoir, la famille, la sécurité, rien ne m'a jamais comblée comme tu le fais simplement en étant toi. Parfois, je me prends à reconnaitre ta façon de parler dans mes propres mots. Certaines de tes habitudes rien qu'en posant les yeux sur un objet... Nous sommes à toi, mon Indomptable. Tout simplement. "

Dante porte les odeurs de la soirée qu'il a passée à la taverne… La sueur, l'alcool, la fumée, le miel… Mais il est parfaitement à jeûn. Il est assez intelligent pour comprendre le principe que, s'il lui arrivait quelque chose, il serait content qu'elle ait quelqu'un…. Le serait t'il réellement? Il en doute. Cécilie ne serait certainement pas non plus de cet avis. Mais effectivement. Il ne peut pas lui apprendre ce qu'elle a besoin de savoir pour atteindre son but.  Comme elle ne pourrait lui apprendre certaine choses. Leur complémentarité a des limites. L'homme en a pleinement conscience. Sûrement plus que sa Ténébreuse.

Lâchant le menton fin, avec un soupir un peu plus marqué, il la prend dans ses bras pour l'embrasser. Sans la quitter du regard. Elle l'enlace en retour, frissonnante de sa chaleur et de l'odeur lourde de fumée qui lui colle à la peau. Elle n'était pas certaine qu'il comprenne toute l'ampleur de ce qu'elle venait de lui dire, mais son étreinte lui faisait du bien.

-Ca va, je vais m'y faire... Laisse-moi du temps… Je sais qu'on en a pas, mais je ferai le nécessaire. Ca sera comme en mission.
- Merci.

Seule réponse qu'il obtient de la jeune femme blottie contre lui. Et ça lui suffit. Il passe près de s'excuser mais non… Les mots se coincent dans sa gorge. Plutôt, il se tourne vers les paquets et il lui flanque le plus gros dans les mains.

- J't'ai trouvé ça… Yen a un pour petit chaton aussi. La viande sera pas assez. J'en ai de caché pour le voyage…

Dans le paquet, un superbe rayon de miel, tout encore scellé dans ses alvéoles de cire. Les yeux de Cécilie s'agrandissent de surprise autant que de gourmandise. Une enfant ne les auraient pas eu plus brillants. Manifestement, il s'est donné du mal et, à cette heure, ça ne vient certainement pas des marchands. N'y tenant pas, elle brise la cire couvrant une alvéole au coin de la structure et y trempe le doigts avant de l'amener à ses lèvres.  Il la regarde, ramenant à lui son regard bleuté. Elle fronce les fronce les sourcils, interrogatrice. Il se bat contre lui même pour ne pas esquiver le sujet qu'elle a abordé plus tôt.

Sensible à son hésitation, elle repose le paquet sur la table de chevet pour lui accorder toute son attention... Ou peut-être ne pas garder le tout pour elle sans que Shyn n'ait pu poser les yeux dessus. Il est sombre, semble fâché, parce qu'il se rend compte qu'il a failli faillir à sa promesse de tout lui dire. Mais ce n'est pas toujours évident et il se sent épais dans le plus mince, surtout qu'elle ne prononce pas un mot. Elle attend et le laisse se débattre avec ses pensées.