Dans les yeux des cyclones [Sauveur]

Verimios, premier jour de la première ennéade
An dix-sept du onzième cycle

L’argenté à Geresh, Ehni quelque part sur la route entre le Puy et Esion, il ne me restait que Sauveur pour me consoler vraiment, et heureusement pour moi c’était le meilleur pour faire exactement ceci. Il avait fallu que le plus improbable des cadeaux, un cadeau d’une valeur inestimable, soit injustement attaqué par des Prince Marchands de Thaar devenus fous. Ce n’était pas la politique qui m’inquiétait, ce n’était pas Elda qui m’inquiétait, c’était le fait qu’on se soit attaqué à la chose que personne ne savait que je possédais à part moi, c’était le fait que personne ne sache que toutes ces souffrances je ne pouvais que les prendre personnellement, et surtout que je ne pouvais m’ouvrir à personne. Une première défaite avant même que je ne commence à jouer, en quelques sortes, par ceux qui haïssaient celle qui m’avait fait ce cadeau mais ne me connaissaient même pas. J’étais arrivée à Thaar hier, on m’avait trouvée faisant les cent pas dans ma chambre, sans même savoir pourquoi, et au milieu des larmes j’avais pensé à Sauveur. Les larmes s’étaient taries, Sauveur était resté dans mon esprit.

Je me présentai donc d’exactement la même manière dans exactement le même manteau devant exactement la même porte de ce qui avait été sa demeure avant mon départ, la seule différence était la robe sous le manteau, une robe à la coupe plus sage et aux manches qui me couvraient jusqu’aux poignets. Tadeo frappa, fidèle au poste, et j’attendis qu’on vienne m’ouvrir alors qu’il s’écartait. C’était peut-être Sanaa qui ouvrirait, cette fois encore, et avec elle viendrait éventuellement un drame, mais je ne pouvais faire autre chose qu’être ici. Après tout ce que j’avais entendu des événements qui avaient secoué la cité, je me sentais aussi blessée que je craignais qu’il soit arrivé quelque chose à Sauveur. J’avais entendu le nom de Maralina flotter sur des lèvres, et elle s’était opposée à un massacre, disait-on. Ce n’était pas la seule, mais les autres n’importaient pas, pas encore, car ils n’avaient pas à leur service le seul mercenaire à qui je ne voulais rien voir arriver. Beaucoup d’attentes, donc, et une porte qui ne devait pas tarder à s’ouvrir ou l’inquiétude que je gardais à peu près sous contrôle m’engloutirait.

La maison lui semblait si grande tout à coup... Et si silencieuse.
Sauveur se tenait debout, l'épaule appuyée sur le montant de la porte, les bras croisés. Il observait la chambre de ses filles devenue bien vide. Tout était prêt. Les lits étaient faits, la pièce était aérée. Dans le salon, quelques jouets et peluches étaient rassemblés dans une petite caisse, un tapis coloré avait été disposé pour leur faire un espace de jeu bien à elles. Plus que quelques heures à attendre...

C'était la première fois de sa vie que l'Hadajoui se sentait aussi seul. Jusque là, il avait toujours été entouré par les membres de sa famille. Mais Aimé et Patience étaient sur leurs terres, presque aux limites de leur pays. D'après le message qu'il avait reçu, Courtois et Digne étaient sur le chemin du retour avec Clémence et pas loin de rejoindre leurs aînés. Quant à Modeste, elle peinait encore à admettre leur lien de parenté. Il n'avait donc personne sur qui s'appuyer.

Soudain, quelques coups portés sur la porte d'entrée le tirèrent de sa rêverie. Il se redressa rapidement et resta là encore une seconde avant de descendre enfin. Dans les escaliers, il passa une main dans ses cheveux pour les réarranger, même s'il n'avait jamais été parfaitement nickel de ce point de vue. N'ayant pas ouvert la bouche depuis des heures, il s'éclaircit la voix avant d'arriver enfin dans le vestibule. D'une main, il déverrouilla le loquet puis tira sur la poignée.
S'il avait attendu ou espéré quelqu'un, ce n'était certainement pas à cela qu'il s'attendait. Il ne montra pourtant aucun signe de surprise, ou si peu. Il esquissa un sourire pour accueillir la Princesse car, malgré tout ce qui le préoccupait, il était heureux de la voir. Il tendit une main dans sa direction puis referma ses doigts sur les siens avant de l'attirer doucement à l'intérieur. Il adressa un simple hochement de tête entendu à Tadeo avant de refermer derrière lui. Enfin, il se tourna vers Aerianna pour la saluer de quelques tendres baisers.

-Tu n'étais pas censé ne plus remettre les pieds ici ? Fit-il semblant de la gronder.

Sauveur.

Tellement de doutes venaient de s’évaporer en le voyant, tellement de peurs venaient de s’évanouir. La surprise, le soulagement et la joie me transformèrent en la plus docile des amantes et je me laissai entraîner à l’intérieur sans un mot. Je ne recouvrai mes moyens qu’après qu’il m’ait déjà amplement saluée, bien après que mon entourage m’ait complètement abandonnée à lui. A force ils avaient appris à le considérer comme le seul homme qui ne soit pas déjà à mon service à être absolument digne de confiance. Même après qu’il ait fait valoir son jeu d’acteur je restai silencieuse pour finalement venir me hisser sur la pointe des pieds et venir chercher ses lèvres pour un nouveau baiser que je contrôlai totalement. Une fois que je fus rassasiée, ou plutôt, une fois que j’eus l’impression d’avoir rendu ses attentions au double, je m’écartai légèrement de lui pour afficher un grand sourire dont je voulus l’air plus mutin que je ne parvins à lui donner.

« Je n’aurais jamais accepté de prendre part à un tel supplice, vous devez faire erreur… »

Si j’avais su qu’il n’y avait personne d’autre ici je me serais débarrassée de ce manteau avant de revenir contre lui.

« J’ai eu tellement peur qu’il te soit arrivé quelque chose quand j’ai entendu ce qu’il s’est passé… »

Tout paraissait bien ridicule maintenant que je sentais et entendais son cœur battre paisiblement. Je m’étais basée sur une absence totale d’informations viables et j’avais lié ma souffrance personnelle à la sienne sans réfléchir si elle était logique. Mais ce n’était pas important, et comme pour beaucoup de choses sur lesquelles je ruminais, toute son importance avait été perdue au moment où j’avais compris qu’il allait bien. Je ne pouvais clairement pas tout ressentir, mais de là où j’étais ça me suffisait, et pour l’instant j’ignorais encore tout de ce qui le tracassait. Je l’ignorais, et je fis peut-être l’erreur de ne pas m’en préoccuper, alors que je passais déjà à l’explication de ce que je faisais ici. Je relevai le menton et une fois que mon regard eut accroché le sien je lui montrais enfin que ce grand sourire s’était envolé. Mes traits restaient tout de même paisibles, ma voix restait tout de même douce, seulement j’étais passé à un sujet relativement grave.

« Je n’aurais pas dû rentrer du mariage avant l’ennéade prochaine, mais ils ont assassiné leur reine… »

Sauveur ne lui en voulait pas d'avoir à nouveau fait irruption chez lui. En d'autres circonstances, il aurait été ennuyé que Sanaa la surprenne encore chez eux, cela n'aurait fait que créer plus de tensions encore, les menant à une situation de laquelle il n'aurait pas pu les sortir. Elle n'avait pas confiance en la Princesse, la craignait même. Peut-être pas pour elle mais pour ses filles, les êtres les plus vulnérables qui soit. Aucun mot n'avait su apaiser ses peurs, si bien qu'elle en était venu à interdire sa demeure à celle qu'elle percevait comme une menace. Alors, si elle avait été là...

-Ça n'a plus d'importance de toute manière... Tu veux boire quelque chose ?

La réponse de la belle le fit sourire. Oui, il était vrai qu'elle n'avait jamais eu le verre d'eau qu'elle lui avait réclamer la dernière fois... Il prit donc la direction sur salon puis de la cuisine, l'invitant à le suivre. Si elle connaissait la première pièce, elle n'avait pas vu la seconde. C'était assez modeste chez lui. Ils étaient bien loin des demeures qu'Aerianna occupait en temps normal. Cela devait sans doute lui paraître étrange de se retrouver affublée d'une cape des plus communes et de se tenir dans une maison qui était plus petite que l'entrée de son palais. Pourtant, pour quelqu'un du commun, il vivait très bien et dans un quartier relativement sûr.
Lorsque la belle lui avoua la raison de son audace, il se tourna immédiatement vers elle, oubliant un instant pour quoi il était là. Il pouvait la rassurer tout de suite, et pas uniquement parce qu'il se tenait devant elle en un seul morceau. Il aurait pu être blessé et avoir été soigné depuis et simplement être suffisamment en état pour que sa blessure ne se voit plus dans sa démarche. Il plongea alors son regard dans le sien avec intensité, sa voix s'élevant avec douceur.

-Je te le dis tout de suite : je n'y étais pas. Et quand bien même, il ne s'est rien passé de toute manière pour mes compagnons. Ils sont entrés, ceux d'en face se sont arrêtés. Ils n'ont même pas eu à se battre.

Il resta là encore quelques instants, s'assurant que le message était bien passé. Non seulement il savait de quoi elle parlait mais il pouvait couper court à ses craintes. Cependant, il ne lui rappellerait sûrement pas que son travail l'amenait à tirer l'épée, encore et toujours. Il n'était certes plus dans l'arène et le taux de mortalité chez les mercenaires étaient plus faible que chez les gladiateurs mais il risquait malgré tout sa vie pour gagner son pain. Elle en avait visiblement conscience, le lui redire ne ferait que retourner inutilement le couteau dans la plaie. D'autant que son engagement devait encore durer deux ans et qu'elle ne pouvait rien y faire sans avoir à montrer sa part de faiblesse à une femme aussi puissante et dangereuse que Maralina.

Lorsqu'il fut certain qu'elle l'avait bien entendu, il se retourna de nouveau. Il s'approcha d'un placard pour y prendre deux verres puis il les posa près de la cruche qui se trouvait sur la table tout en écoutant la Princesse. Il commença le service et ne vit donc pas la mine de sa compagne tout de suite.

-C'est à se demander comment ils font pour vivre durant des siècles... Lâcha-t-il en évoquant le sombre peuple. Mais lorsqu'il tendit son verre à Aerianna, il ne manqua pas de remarquer cette petite lueur triste dans son regard. Ça à l'air de t'affecter... Pourquoi ? Demanda-t-il, sincèrement intrigué.

Il n’y était pas. Le soulagement m’emplit pleinement et je pus faire l’effort de complètement ignorer tout ceci pendant un temps. Il n’avait rien eu parce qu’il n’avait rien risqué, c’était tout ce que je pouvais demander. Je voulus lui demander autre chose mais il alla plus vite que moi, il s’était rendu compte, il se rendait souvent compte. Il pouvait savoir quand quelque chose me dérangeait, il m’avait souvent vu afficher mes larmes et devait penser qu’un nouvel épisode arrivait. L’épisode serait arrivé si je l’avais appris en arrivant, je pensai, mais l’ennéade dans le désert avait réussi à sécher toutes les larmes que j’avais réservées pour Krish Al’Serat. Non, là je n’avais qu’une envie et c’était de tout lui expliquer, de lui expliquer la place immense qu’avait emplie la reine des eldéens dans ces dernières années. Je n’expliquerais pas tout, mais il y avait une dose d’admiration qui se voyait sur mon visage et ce regard qui s’éclairait. Je bus une gorgée d’eau avant de commencer, j’avais beaucoup à dire.

« Je l’ai rencontrée en l’an treize, lors d’une soirée ici, à Thaar. Il y avait presque tous les Princes Marchands qui étaient avec elle au Conseil de Thaar, mais elle est venue me voir moi. » Je l’avais vue fendre la foule, après que je l’aie attirée par ce cri qui m’avait échappé. Je ne me souvenais pas de ce que j’avais pensé, mais il devait y avoir la joie d’avoir attiré son attention. Les Princes Marchands avaient découvert mon existence cette soirée là, mais surtout Krish. « Elle… m’a prise en affection, je crois… » J’étais encore tiraillée, une part de moi aurait dit que c’était un bel euphémisme, une autre n’était toujours pas sûre, et je ne savais toujours pas laquelle choisir. Il y avait toujours la possibilité qu’elle ne m’aie que vue comme un jouet, tout du long de cette relation qui avait été complètement parasitée quand elle avait choisi avec qui elle se marierait. Mais je n’en étais pas là dans mon récit, j’étais encore à quand il n’existait pas.

« Elle est venue me voir à Geresh, un an plus tard, juste avant les Grands Jeux, elle a passé une ennéade chez moi, même si Père n’en voulait pas. Je l’ai un peu forcé… et puis il n’aurait pas osé s’opposer à une Princesse de Thaar… » Je souriais, à cet instant de mon petit récit, parce que même si elle n’était plus cette ennéade était restée dans mes souvenirs. J’en rêvais encore d’ailleurs, parfois, même si le dernier de ces rêves remontait à plusieurs ennéades, et en me souvenant de ce fait mes joues commencèrent à rosir. « Je te laisse imaginer ce qu’on a fait pendant cette ennéade… » Et là, comme si j’oubliais à qui je parlais, comme si j’oubliais que cette barrière n’existait pas dans ma relation avec Sauveur, j’eus peur de titiller une quelconque jalousie et j’essayai de me justifier. « Ce n’était pas sérieux… elle ne voulait même pas que je passe mes nuits à ses côté… je sais… je ne te connaissais pas vraiment et tu t’en fiches mais… »

Je gloussai de ma bêtise et j’ajoutai à demi-mot un aveu que je n’avais jamais fait, le regard devenu fuyant.

« Je l’aimais bien, moi aussi… »

Le moment de faiblesse passa en quelques instants et je décidai que le moment était trouvé pour le lui dire.

« Mais il n’y a pas que ça… je suis au milieu de tout… tout m’affecte… même ce qu’il s’est passé ici… »

Ma main se saisit d’une des siennes et mon regard remonta jusqu’à ses yeux. Les quelques mots changeraient nos vies du tout au tout, la mienne parce que je l’avais choisi, la sienne parce qu’il ne pourrait pas vraiment se libérer de cette pression tant que je restais près de lui. Si j’avais brigué cette place avec la seule puissance de Geresh je n’aurais pas eu peur, le problème était que j’allais potentiellement devenir une pièce importante du Conseil avec cette révélation que je n’avais faite à personne avant Sauveur. Etais-ce un point clé de notre relation, que je puisse lui vouer une confiance si importante ? Je clignai des yeux, une fois, deux fois, et je bus une autre gorgée d’eau. Je n’y croyais toujours pas vraiment, c’était complètement fou. J’avais couru derrière ce rêve, et c’était cette ennéade à Geresh qui avait décidé de me projeter là où je voulais être depuis petite. Je le rendais vivant aujourd’hui, je le rendais vivant avec Sauveur.

« Avant de mourir elle m’a donné la Corporation d’Argent, et aussi sa place au Conseil de Thaar. »

C’était mon cyclone, et là, ce soir, j’étais dans son œil.

Sauveur écouta le début du récit de sa compagne sans chercher à l'interrompre. Ainsi donc, elle avait entretenu une liaison avec l'ancienne Princesse Marchande ? S'il haussa un sourcil un peu surpris, il ne sembla pas choqué. Son frère s'était bien lié avec une demie-drow avec laquelle il couchait dès qu'ils en avaient l'occasion. L'attirance ne se contrôlait pas. Et il savait déjà qu'elle ne se limitait pas aux hommes pour sa compagnie. Cependant, lorsqu'elle commença à paraître gênée de lui parler de tout cela, il s'avança et vint se planter devant elle. D'un doigt sous son menton, il l'invita à redresser la tête sans pour autant la forcer. Dans tous les cas, il lui dirait ce qu'il avait à lui dire, telle une sorte de petit rappel.

-Non seulement je ne m'en fiche pas mais tu n'as pas à te justifier. Tu peux fréquenter et même aimer qui tu veux. Tu n'es même pas obligée de m'en parler, tu es libre. Tout ce qui m'intéresse, c'est nous. Et savoir que tu es en sécurité lorsque je te laisse...

Il n'allait pas lui mentir, il pouvait parfois s'inquiéter pour elle, lui aussi. Elle lui avait donné quelques bonnes raisons d'appréhender après tout... Cependant, du moment qu'elle faisait attention à ne pas se mettre en danger, il n'avait que faire de ses fréquentations en dehors de leur couple. Si elle voulait lui en parler, il n'avait rien contre et jamais il ne la jugerait ou se permettrait d'émettre le moins commentaire. Il était ainsi... Et il pouvait comprendre que tout le monde ne voit pas les choses de la même façon que lui. Même Aerianna avait dû prendre un peu de temps pour s'adapter et l'avait fait avec bien plus de facilité de Sanaa finalement.

La Princesse initia alors une nouvelle annonce et la main qu'elle lui prit l'incita à se taire jusqu'à ce qu'elle ait fini. Il l'observa prendre le temps de rassembler son courage, buvant quelques gorgées d'eau comme pour étancher une soif soudaine. Il fronça les sourcils, intrigué et inquiet. Et puis, la nouvelle tomba et il écarquilla des yeux ronds. S'il ne travaillait pas dans les métiers du fer, il n'était pas sans savoir ce que représentait la Corporation d'Argent et qu'elle dérangeait au point que l'on s'en prenne directement à Krish Al'Serat en profitant de son absence. Et, au vu de ce qui lui avait été rapporté concernant cette journée funeste durant laquelle il était en congé, il ne pouvait que comprendre qu'elle soit inquiète pour la suite des évènements...

Alors les traits de Sauveur se radoucirent. Elle semblait avoir pleinement conscience de tout ça et n'avait certainement pas besoin qu'il lui rajoute plus de poids sur les épaules. Au contraire, elle était sans doute venu pour trouver du réconfort mais aussi la force de faire face à tout ce qui l'attendait désormais. Aussi, sa réaction première ne serait certainement pas celle à laquelle elle pouvait s'attendre.

-Eh bien... J'ai bien l'impression... qu'elle tenait à toi, en fin de compte.

Il lui adressa un doux sourire. Il était convaincu de ce qu'il disait. On ne faisait pas un tel cadeau à quelqu'un si on n'éprouvait rien pour lui. Et Krish ne s'attendait probablement pas à ce qu'il s'était passé sans quoi elle aurait pris les mesures qu'il fallait pour s'en préserver. Elle en avait les moyens. Or, ses gens avaient manifestement été pris de court.
Une pensée fila dans son esprit et repartit aussi vite qu'elle était venue. Ce n'était pas le moment de songer à cela. Aerianna était là, devant lui, qui attendait plus de soutien que ce qu'il venait de faire. Il l'attira alors à lui et la serra dans ses bras épais.

-Si je le pouvais, je quitterai le service de Maralina pour venir assurer moi-même ta sécurité. Puis il rechercha à nouveau le regard de sa compagne. Mais je suis certain que Tadeo et les autres prennent leur travail très au sérieux.

Il aurait pu lui dire qu'il estimait que ses hommes manquaient d'entraînement à ses yeux mais il s'en garda. Il pourrait évoquer ce sujet avec elle un peu plus tard. En tant que membre d'une élite armée, il pouvait se permettre ce genre de commentaires mais il voulait auparavant s'assurer qu'Aerianna ne repartirait pas de chez lui avec la même peur au ventre qu'en arrivant.

Il était toujours si compréhensif, et à chaque fois que je me perdais dans l’inquiétude il faisait de son mieux pour me ramener dans l’instant. Qu’il y parvienne si souvent commençait presque à être inquiétant. Ses mots avaient été justes et quand ses bras m’avaient enveloppée j’avais décidé de ne pas les quitter pour un bon bout de temps. Je rêvais de ce qu’il venait de me proposer, je rêvais de l’avoir avec moi plus souvent, pour assurer ma sécurité ou non, et quand il trouva enfin mon regard il vit ce rêve dans mes yeux. Je n’aimais trouver ceux qui m’entouraient que sur mes termes, quand ils pouvaient m’être utiles, quand je pouvais m’en débarrasser sans la moindre émotion une fois qu’ils m’ennuyaient, mais avec lui c’était différent, et que ce soit vrai ou non j’étais prête à certifier que je voulais vivre le restant de ma vie à ses côtés. Mais peut-être étais-ce un mensonge que je me répétais à chaque fois que quelqu’un apparaissait comme ceci ?

Rêve ou non, quand je lui répondis c’était pour lui rappeler ce que je lui avais dit il y a longtemps.

« Tu le peux… je t’ai déjà dit que je voulais payer le reste de ta dette envers elle… »

Je le pensais très honnêtement, même si quelque part j’avais l’impression d’être de retour au début de notre relation, quand je lui avais tout donné avec une légère sensation d’essayer de l’acheter, sans être honnête ni envers lui, ni envers moi-même. Mais au final, si je pouvais comprendre s’il ne voulait pas amener cette dépendance dans notre relation, je n’étais pas certaine que ce soit le cas. Il y aurait cette relation de dépendance si je le nommais à la tête de ma garde, il y aurait toujours cette relation de dépendance si nous allions plus loin… Il n’était pas encore temps d’aller plus loin, pas avant une poignée de jours, peut-être plusieurs poignées de jours. Et il restait un autre obstacle, un qui cette fois n’était pas venu ouvrir cette porte mais qui ne devait jamais être loin. Tout en pensant à ceci, je me dis que la maison était plus calme qu’elle ne l’était l’autre fois, trop calme, comme si la raison pour laquelle elle n’était pas venue ouvrir était simplement son absence.

Je tentai de faire comme si je n’avais rien remarqué en lui posant une question faussement innocente.

« Mais que penserait Sanaa si elle me trouvait là t’enlaçant, t’embrassant et te proposant ta liberté ? »

Oui, elle en rêvait. Ils en avaient déjà discuté et le problème restait toujours le même : pour l'instant, il était liée à une autre. Qu'il s'agisse de Sanaa ou de Maralina, cela ne changeait pas grand chose. Sa vie devait se dérouler à Thaar, pour quelques temps encore. Quant à la proposition qu'elle lui avait faite... Il l'avait toujours refusée. Parce qu'il ne voulait pas lui devoir davantage qu'il ne lui devait déjà, au début. Puis par politesse. Mais maintenant, alors que leur relation semblait plus forte qu'auparavant, il avait d'autres raisons de refuser.

-Ça signifierait montrer un de tes points faibles à une femme aussi dangereuse que ma patronne...

Il n'ajouta rien de plus mais y en avait-il besoin ? Aussi fort, courageux et compétent que soit Sauveur, il représentait un moyen d'atteindre la Princesse. Et qui pouvait mieux le faire que celle qui l'employait actuellement ? Elle l'avait toujours sous la main, il lui serait si facile de le faire enfermer... Pour l'heure, leur relation n'était pas définie officiellement. Cela pourrait tout aussi bien être une simple relation charnelle ou une amourette de passage. Il était donc encore relativement à l'abri d'une quelconque tentative. Mais qui savait... Surtout si Aerianna prenait de l'importance à présent. Mieux valait prévenir que guérir.

La question de sa compagne le laissa un instant immobile avant qu'un voile de tristesse ne traverse son regard. Dans un soupir, il défit son étreinte. L'heure n'était plus à la consolation... C'était à lui de donner de ses nouvelles.
Que dirait-elle ?... Eh bien, en réalité, il en revenait à ce qu'il avait sous-entendu un peu plus tôt, telle une idée à peine effleurée. Parce que lui-même n'avait pas envie d'aborder le sujet. Il avait encore du mal à le digérer. Cependant, il ne pouvait pas lui cacher cela. Pas à elle...

-A vrai dire... Pas grand chose. Les traits de Sauveur étaient partagés entre une multitudes d'émotions qu'il tentait de faire taire. Peine, incompréhension, colère, dépit... Tout cela se mélangeait en lui et il ne pouvait rien faire pour les empêcher. C'était trop tôt. Elle ne supportait plus. Et elle savait qu'elle ne pouvait pas me demander de choisir entre elle et toi. Il haussa les épaules. Alors elle a choisi à ma place. Comme d'habitude...

Il lui en voulait un peu pour ça mais pas seulement. Il avait toujours été franc et sincère avec elle, elle avait toujours su à quoi s'en tenir. Et, une fois devant cette situation, elle n'avait pas pu s'y résoudre. Le problème venait de la condition de sa seconde compagne selon elle mais il avait tout fait et tout proposé pour la rassurer et rien y avait fait. Voulait-elle vraiment que ça s'arrange ? Il ne pouvait s'empêcher de se le demander... Et voilà... Elle était partie. Il vivait seul dans une grande maison vide et un morceau de manquait à son cœur.

J’avais mis à nu son cyclone à lui, et j’avais la charge de l’emmener dans son œil, le temps qu’il passe.

« Elle… est partie ? »

Bien sûr qu’elle était partie, la question était partie trop vite et je la regrettais, elle avait fait son choix à sa place en disparaissant de sa vie. Instinctivement je ne pouvais qu’en vouloir à Sanaa, pour ce qu’elle faisait subir à Sauveur, pour ne pas s’être rendue compte de ce qu’elle mettait de côté, pour ne pas avoir fait l’effort que j’avais dû faire. C’était facile de ma position, de lui en vouloir, j’étais la deuxième et j’étais venue en sachant très bien qu’il y en avait une autre. Sanaa, elle, n’avait pas eu à imaginer une autre quand elle l’avait choisi. Peut-être avait-elle eu l’espoir de lui suffire ? Je n’étais plus certaine mais je croyais à cet instant que j’avais eu la même pensée, avant qu’il ne me révèle son existence, quand je lui avais demandé s’il avait commencé. J’aimais croire, pourtant, que si les situations avaient été inversées j’aurais su laisser une autre prendre la place qu’elle voulait. Peut-être aurais-je essayé de la séduire elle aussi, avant ?

Si je lui en voulais, bien vite je ne pensai plus qu’à Sauveur, c’était le seul qui méritait mon attention. Il était malheureux et pour l’instant je n’avais que fait l’enlacer plus fort encore. J’avais d’autres questions, j’avais besoin de savoir depuis quand il vivait seul, j’avais besoin de savoir à quel point elle était partie, j’avais besoin de savoir si c’était définitif, j’avais besoin de savoir s’il reverrait Sagesse et Liberté, j’avais besoin de savoir tant de choses et pourtant mes lèvres restaient scellées. Il n’y avait que douleur derrière chacune des réponses, alors je m’abstins. Je ne m’abstins pas par contre de poser une main sur son torse et de chercher à l’embrasser doucement en me hissant sur la pointe des pieds. Il n’y avait pas de la fougue et de la passion usuelle, il y avait une volonté d’apaisement, un peu comme quand je l’avais enlacé pour la première fois, il y avait bien longtemps, alors que l’année ne faisait que débuter.

« Je suis là… je veux t’aider, s’il te plaît… »

J’étais résolue à l’aider du mieux que je le pouvais, et pourtant cette proposition naïve était si loin de ce mieux…

« Dis moi comment… »

Sauveur n'avait rien répondu. Le silence de la maison parlait pour lui. Quelques vides laissés sur les murs, sur les meubles, parmi les meubles parlaient pour lui. Le tapis au milieu du salon était différent. Les jouets des filles étaient neufs. La décoration était plus spartiate et n'avait gardé que les traces masculines de ce qui était autrefois une demeure mixte. Sanaa avait emporté tout ce qui venait d'elle et il s'était débarrassé de tout ce qui venait d'eux et dont elle n'avait pas voulu. Il n'avait pas tout jeté, bien sûr, mais ce qu'il avait conservé était enfoui dans un placard afin qu'il ne les ait pas en permanence sous les yeux tel un rappel douloureux de leur séparation.

L'Hadajoui laissa Aerianna faire preuve de tendresse à son égard et tenter de le consoler. Même s'il apprécia ses attentions et le lui témoigna par un soupir de bien-être, il se retint de se laisser totalement aller à la douceur de ses bras. Il l'aimait mais il ne voulait pas prendre le risque de la voir remplacer Sanaa dans son cœur, de s'en servir comme substitut à cet amour qu'il ne pouvait plus témoigner à une autre. Il aimait la Princesse, sincèrement, mais ce ne serait pas honorer leur relation que de lui faire cela.

-J'ai seulement besoin de temps... Finit-il par répondre à sa proposition. Puis son regard parcourra les murs et le plafond. Et peut-être de trouver une nouvelle maison. Une où je n'aurais pas le sentiment que je vais la voir en entrant dans une pièce.

Il esquissa un triste sourire qui disparut bien vite. C'était le plus difficile pour lui : devoir vivre dans ce qui avait été leur maison pendant plus d'un an alors qu'il n'y avait plus de "eux". Avoir l'impression de sentir son parfum en s'asseyant dans un canapé. Se retourner à chaque craquement du bois qui travaille en pensant apercevoir une silhouette bien connue. Trouver chaque pièce tellement vide après qu'elles aient accueilli tant de vie, de rire, de larmes, de gémissements, de soupirs... Pour tourner la page, il devait quitter cet endroit. Il lui avait fallu le comprendre, maintenant il lui faudrait le temps de s'y mettre.

-Je commencerai à chercher dans quelques jours. Je récupère les filles pour la première fois ce soir. Ça fait plus d'une ennéade que je ne les ai pas vue...

J’étais convaincue pouvoir tout lui offrir, tout ce qu’il pouvait me demander, sauf ça.

Je ne savais pas ce qu’il me demandait vraiment en répondant ainsi, mais je craignais en avoir une idée. Mes pensées vinrent effleurer cette fois où c’était moi qui avait dû lui demander du temps, mais je voulais tellement que ce ne soit pas ça qu’il insinue que j’allais faire semblant de ne même pas m’être posé la question. Il ne s’était pas attardé là-dessus, il ne m’avait montré aucun signe alors que je lui exposais mes doutes, il devait vouloir dire autre chose, sûrement. Et puis il avait enchaîné si vite sur une émotion que j’avais ressentie à plusieurs reprises. Le plus dur n’avait même pas été quand Aethka m’avait quittée, le plus dur avait été après qu’elle ait quitté notre monde sur mon ordre. Ça avait été bref, heureusement, et au lendemain j’avais pu repartir sur autre chose, au lendemain j’avais reçu l’homme qui se trouvait aujourd’hui devant moi, l’homme avec qui j’avais tant partagé, l’homme que je n’avais pas réussi à consoler. Il était dans la retenue, peut-être même froid si on comparait ces retrouvailles avec d’autres.

Quand le bref sourire s’était éclipsé je m’étais dégagée doucement de lui et j’avais fait quelques pas pour me débarrasser de ce manteau. Je ne me rendis pas compte que j’envoyais le mauvais message, j’allais rester alors qu’il demandait du temps et qu’il parlait maintenant des retrouvailles avec ses filles. Je ne comptais pas forcément rester, en réalité, pas plus qu’il ne le voudrait en tout cas, je voulais juste qu’une autre barrière tombe, une des rares barrières sur lesquelles j’avais la moindre prise. Quand je revins vers lui je me rendis compte en lui prenant les mains qu’il n’y avait pas une bien grande différence. Mes bras étaient totalement couverts par la robe sous le manteau et comme le reste des parties de mon corps qui auraient dû pouvoir venir se coller contre son corps n’étaient pas plus exposées. Ce n’était pas la mesure qui m’avait poussée à me vêtir de la sorte, c’était la peur qu’il découvre un autre secret, secret qui aujourd’hui était l’obstacle dont j’aurais voulu me dévêtir.

« Je peux t’aider avec ça. Et… au moins quand tu n’auras pas tes filles, je veux que tu vives chez moi. »

J’avais parlé d’une voix voulue claire mais rendue hésitante par le doute sur le temps qu’il m’avait demandé.

Lorsqu'Aerianna se défit de son manteau, Sauveur ne dit rien et ne fit rien pour l'arrêter. Il ne montra même aucun signe de désapprobation. Il n'avait rien contre le fait qu'elle reste un peu. Il aurait besoin d'un peu de temps pour faire son deuil de cette relation et il ne voulait pas que la Princesse la remplace mais avoir du monde une fois de temps en temps pour rendre cette maison plus vivante lui faisait du bien malgré tout.
Et la belle lui offrit de venir vivre à mi-temps chez elle. Il sourit, l'air peu joyeux malgré tout mais ses traits n'en demeuraient pas moins sincères. Sanaa mise à part, leur histoire était on ne pouvait plus sérieuse. Ils n'étaient pas seulement attirés l'un par l'autre et insatiables du corps de l'autre, leurs sentiments étaient tout à fait réels. Elle avait changé pour lui. Il avait accepté de s'effacer de sa vie pour elle. Ils avaient attendus plusieurs mois durant de pouvoir se retrouver... Leurs sentiments semblaient à toute épreuve. Il paraissait donc logique que leur relation passe certaines étapes. Et, s'il n'avait pas eu sa première compagne à gérer, il s'en serait peut-être préoccupé plus tôt. Aerianna semblait penser que le moment était venu, puisqu'il n'y avait plus d'obstacles entre eux.

L'offre le laissa songeur un instant avant d'enfin lui répondre.

-Je vais les avoir pendant trois jours. Je viendrais peut-être après.

Il ne voulait pas lui dire non car ce n'était pas ce qu'il pensait. Il en avait envie mais il ne pouvait prédire quels seraient ses besoins à ce moment-là. Il allait retrouver ses filles mais il allait sans doute aussi recroiser Sanaa. Il ignorait encore quel effet cela lui ferait et s'il se sentirait de retrouver la Princesse aussitôt. Il était prêt à faire un essai et ce qui le bloquait était davantage le contexte dans lequel il se trouvait que l'offre en elle-même.
Libérant une de ses mains, il la porta jusqu'au visage de la belle afin de la poser sur sa joue.

-Je t'aime. Et j'ai envie de vivre avec toi. Lui assura-t-il avant de continuer. Mais... J'ai besoin de vous garder séparer toutes les deux dans ma tête. Je trouverais ça injuste de combler son absence par ta présence, de faire de toi une remplaçante, même si ce n'est qu'en partie puisque tu avais déjà ta place dans mon cœur. Je tiens à toi et tu ne mérites pas ça. Tu comprends ?

« Non, je ne comprends pas… »

J’aurais voulu être plus conciliante, j’aurais voulu lui dire que je comprenais, j’aurais voulu qu’on passe à un autre genre de discussion, mais c’était trop tard, les mots étaient sortis trop rapidement. Ils auraient pu être plus violents, ils auraient pu prendre pour cible la responsable de cette situation, mais je parvins à garder assez de contrôle pour que seule l’incompréhension soit perçue. Je n’en voulais pas qu’à Sanaa, j’en voulais aussi à Sauveur, mais pour une raison si différente qu’il ne me vint pas à l’idée de l’accable. J’avais l’impression qu’il essayait de sacrifier son bonheur et je ne parvenais pas à comprendre pourquoi. Il était trop noble, pas assez égoïste, il prenait sa décision en pensant aux autres avant de penser à lui-même. Il pensait à moi avant de penser à lui-même. Je ne pouvais pas le laisser faire, il fallait que j’insiste, il fallait que je lui fasse comprendre. Nous avions déjà fait trop de sacrifices l’un pour l’autre, il fallait arrêter, je voulais arrêter…

« Ce qui serait injuste pour toi et pour moi ce serait ton refus… Je ne supporterais pas de te savoir seul et malheureux quand je me sentirais tout aussi seule et malheureuse de ne pouvoir être avec toi… »

Je fermai les yeux, de peur qu’il me montre ne pas apprécier mon insistance.

« Surtout en ce moment… tu as besoin de moi et moi de toi… »

J’avais besoin de lui en ce moment, mais aussi pour ce qui viendrait après ce moment. Je ne voulais plus me faire à la solitude, je voulais cesser de passer d’un amant à l’autre sans jamais m’arrêter plus qu’une seule nuit, je voulais rentrer chez moi et voir quelqu’un d’autre que des serviteurs. Je n’avais plus Aethka, je n’avais plus Père, et même le drow argenté je ne l’avais pas vu plus d’une poignée de jours à la suite depuis deux mois. Et c’était sans même mentionner Baaz’Hima… un frisson me parcourut l’échine. C’était égoïste et quelque chose de risqué à long terme, peut-être, mais si cela signifiait être avec lui, je pouvais prendre le risque de devenir le remplacement de Sanaa. En réalité j’avais peur, mais l’alternative m’effrayait encore plus. Je lâchai sa main et je me retournai, préférant ouvrir les yeux sur un mur que sur Sauveur dont les potentielles réactions m’effrayaient de plus en plus.

« Je ne veux plus être seule… »

Je ne pleurais pas, pas encore, mais ma voix tremblait.

La première réponse d'Aerianna surprit un peu Sauveur qui fronça légèrement les sourcils. Il lui parlait de la protéger, de protéger ses sentiments, leur relation, leur couple... Et elle ne comprenait pas ? Qu'avait-il manqué pour obtenir une telle réaction ? Mais la Princesse s'expliqua bientôt et son front se détendit. S'il ne pouvait plus voir que son dos, il n'en resta pas moins là à la regarder. Il n'avait vu les choses que sous son angle à lui et, pour une fois, il l'avait oubliée, elle. Avec tout ce qu'elle venait de lui raconter, évidemment qu'elle avait besoin de lui... Et lui voulait se contraindre à demeurer loin d'elle pour la préserver des conséquences de cette rupture forcée. Mais qu'est-ce qui lui ferait plus de mal finalement ? Qu'est-ce qui leur ferait le plus de mal ? Probablement le fait qu'il se mette à l'écart, s'enfermant dans sa douleur et laissant Aerianna seule avec la sienne.

Lentement, il s'approcha puis passa ses bras de chaque côté du corps de la belle pour l'enserrer contre lui, son dos contre son torse. Sa joue se posa contre sa tempe dans cette étreinte. Elle avait son caractère, elle aussi, mais elle était si différente. Depuis toujours, il n'aspirait qu'à la protéger car elle semblait forte mais il avait vu cette fragilité en elle. Et c'était ce qui l'avait touché, ce qui l'avait fait flancher... Depuis, il avait toujours fait ce qu'il fallait, pour elle. Et il avait bien failli manquer à son devoir envers elle. Mais heureusement, elle savait faire entendre sa voix lorsque quelque chose la contrariait. Et autrement qu'en criant.

Ses lèvres au niveau de son oreille, il finit par lui susurrer quelques mots.

-D'accord. Commença-t-il faiblement. Je viendrais dans trois jours.

Il rendrait Sagesse et Liberté à leur mère et ne rentrerait pas chez lui. Quelque part, cela le soulageait de ne pas se retrouver encore seul ici. Maintenant qu'Aerianna était là, il se rendait compte que cela lui faisait du mal et qu'il tentait vainement de s'y habituer. Mais après plus d'une ennéade, il ne se sentait pas mieux que le premier jour. Il avait besoin de changer d'air... Et peut-être de quelqu'un pour ne plus éprouver cette solitude.

Il me fallut bien trop longtemps pour laisser la peur redescendre et je me tins droite dans son étreinte pendant quelques minutes. Je n’étais pas sûre qu’il soit totalement convaincu, je n’étais pas sûre qu’il ne prononce pas ces mots juste pour me calmer dans le moment, j’aurais dû l’être mais la peur me tenait encore et je la sentais beaucoup trop présente. On ne pouvait pas être instantanément rassuré aussi peu de temps après avoir réalisé l’ampleur de sa solitude. Mais petit à petit, sentir le corps de Sauveur pressé contre mon dos, sentir ses bras forts autour de moi, sentir sa joue contre mon visage, ce souffle si chaud dans mon cou… Je ne pouvais pas résister pour toujours à l’impact que sa présence avait sur moi, alors petit à petit il parvenait à me pousser vers quelque chose qui n’était ni la peur ni la solitude, il me poussait vers le bonheur, ce que peu savaient faire, ce que je pensais être la seule à pouvoir faire…

Je serais seule quelques jours, mais ensuite…

Je me permis de retrouver ce sourire que j’avais perdu mais que je n’aurais dû perdre et alors que ma respiration s’appaisait une main vint se poser sur son bras. Je tournai la tête dans la direction de la sienne et cherchai un baiser que j’allais finalement trouver, en grande partie grâce à son aide. Le baiser dura quelques secondes puis prisonnière de son étreinte je me commençai à me trémousser légèrement. Il me fallut forcer un petit peu pour qu’il comprenne ce que je voulais faire et qu’il relâche légèrement son étreinte, assez pour que je puisse me retourner. Je ne cherchais plus ses lèvres à cet instant là, alors je vins coller ma tête contre sa poitrine. Je cherchais les battements de son cœur qui me diraient tant de choses, je cherchais les battements de son cœur qui me diraient exactement ce que je voulais lui dire, et je les trouvai. C’était plus facile de dire quelque chose qu’on entendait les autres répéter, c’était plus facile de lui dire la même chose que j’entendais de lui…

« Je t’aime. »