La croisière s'éclate [Ilm'Ryn, Elghinn, Na'ri, Driz'na]

2ieme jour de la 1iere Enneade de Verimios,
An 17 du XIieme cycle.

Le choix de leur itinéraire avait fait l'objet d'un débat aussi court que prévisible. Deux choix s'offraient au groupe. La route de Sol'dorn d'une part, la route d'Esion de l'autre. Shyn'tae avait suivi les deux, et était partagée. La route d'Esion était la plus rapide certe, mais elle les obligeraient à prendre le bateau. La magicienne aimait l'eau, mais n'aimait guère la marine : ces cochonneries passaient leur temps à bouger de manière chaotique et elle avait passé la plus grande partie du voyage malade. Elle doutait que cela soit différent cette fois-ci. Mais encore une fois, ce chemin était le plus rapide, et la vitesse était dans leur cas un critère capital.

Elle avait donc défendu le chemin de Sol'dorn.
Le Prima Char'rath avait en conséquence choisit Esion.

Il paraissait que le navire s'appelait une flûte. Un vaisseau de transport comme un autre, doté de voiles comme souvent, construit en bois. Beaucoup de bois avait noté Shyn'tae lorsqu'elle l'avait approché. Des détails tels que son nombre de mat, sa longueur et son nom semblaient laisser croire que l'effrayant instrument de torture qui se tenait sur le quai, oscillant dangereusement sur une étendue d'eau vertigineuse n'était pas celui qui avait permis à la drow de faire le trajet inverse. C'était amusant, elle s'était promise de ne jamais reprendre la mer.

Manifestement, les drows ne tenaient pas leurs promesses.

- Est-ce que l'on va vraiment faire ça ?

La voix grave d'Ilm'Ryn raisonna dans l'oreille de l'aspirante malgré la tentative de murmure. Il fallait dire qu'il n'était absolument pas serein, quel Drow le serait ? On parle de mettre sur un assemblage de planches et de clous des êtres incapables de se maintenir à la surface. C'était une idée à peu près aussi bonne que celle d'envoyer des gamins à l'assaut d'un dragon vert.

- Oui. Selon mes informations, ils coulent remarquablement peu souvent." Un sourire narquois était apparu sur les lévres de la petite drow - petite, au moins à coté d'Ilm'ryn et de Char'rath. "Il s'agit du moyen le plus rapide de rejoindre Thaar. Si tout se passe bien, personne n'aura besoin d'apprendre à nager."

Char'rath pour sa part, semblait serein devant le navire. Certes il avait entendu des histoires effrayantes, de monstres marins cherchant à happer les marins au fond des océans, de vagues immenses capables d'engloutir des villes. Mais ce n'étaient finalement que ça : des histoires. Aussi quand Shyn'tae avait proposé de plutôt passer par Sol Dorn, il avait perçu là une crainte, une faiblesse à exploiter. Oh certes il lui avait fallu user de psychologie inversée pour parvenir à cette conclusion. Mais au moins la crainte d'un transport quasi inconnu au Sombre peuple et aussi chargé en mauvais présage que celui-ci, se voyait contrebalancé par le plaisir anticipé de voir sa second humiliée par ses peurs.

- Allons Félynë... Ne me dite pas que durant vos longues péripéties en dehors de notre douce demeure ne vous ont jamais amené sur ces... bateaux, c'est ça ?
L'interessée posa son regard indéchiffrable sur le chef de l'expedition.
- Et pourtant si. Je suis surprise, Maitre Tael'chath, je croyais que vous connaissiez tout de moi ?

Le Prima partit d'un rire bref avant de lui répondre d'une voix forte et intelligible à tous pratiquants de la langue noirelfique.

- Ne soyez pas si imbue de votre propre importance, Félynë. Le Puy ne tourne pas autour de votre misérable personne. Néanmoins j'ai dû rattraper mon retard quand le Triumvirat dans son infinie sagesse m'a affublé d'une clown experte en pitreries ollyanne comme second. Et c'est ainsi que j'ai su que la Harpie après être devenue esclave puis pitre manchote en chef des marchands de tissus a décidé de jouer à la poupée avec une Ditrown Da're cinglée avant de finir par usurper un poste trop important pour elle et de finalement déserter en plein campagne. Je me dois tout de même de vous accorder le mérite d'avoir su dans ses conditions infléchir le cœur d'acier de votre Karlik Glenn de père, pour être autorisée à revenir vivante au sein de notre communauté. Au prix fort évidemment....

Son regard s'attarda sur le buste de la noirelfe et s'approcha d'elle et la regarda droit dans les yeux.

- On pourrais finir par croire que vous ambitionnez le titre d'Avatar de Kiel...

A quelques pas de là, la bouche d'Elghinn s'était ouverte pour rugir à l'impudent prima de ne pas blasphémer, mais une main se posa sur son bras, lui intimant de garder le silence tandis que le prima avançait. De plus en plus proche, dans une parodie de baiser sur la joue, il murmura à l'oreille de sa seconde.

- Et d'aucuns de prétendre une proximité de pensée avec feu notre hérétique de reine...

Et c'est dans un grand éclat de rire, repris en coeur par certains de ses gardes, qu'il alla s'assurer que ses affaires étaient correctement chargées à bord.

Shyn'tae en resta bouche bée en le regardant s'éloigner. Qu'y avait-il à répondre à ça ?

La Grande Prêtresse rejoignit le groupe quand le rire mourut, ses novices sur les talons. Un de ses sourcils blancs était haussé.

Il y a des maladies que je ne sais soulager. Son regard se posa tour à tour sur le Prima et sur le bâteau. "Est ce que vous croyez que cela se cumule ? L'un n'exclue pas l'autre... et je ne vois pas pourquoi l'un pourrait soulager l'autre." Devant l'air interogatif d'un des visages, elle prit la peine de préciser. Je parle de la folie et du mal de mer. Mais je ne suis pas la seule à en être atteinte." Na'ri haussa les épaules et poursuivit son chemin.

La plus grande des deux silhouettes qui l'accompagnaient resta sur place, clignant plusieurs fois des yeux le temps de rassembler les morceaux de compréhension éparts qui auraient du lui permettre de saisir ce que la Grande Prêtresse venait de dire. Mais c'était peine perdu. Il avait le sentiment que quelque chose lui échappait et son attention refusait de rester penchée sur ce problème. Le cœur battant encore de colère, il se tourna de façon grandiloquente vers Shyn'tae, laquelle semblait suinter le courroux, et posa un genou en terre comme il avait vu tant d'inférieurs le faire dans sa courte vie. Sa voix était volontairement forte.

- Émissaire, On m'a chargé de vos bagages. Voulez-vous que tout soit monté dans votre cabine ou devons-nous réserver une chambre à l'auberge ?

Certes, en le motivant, le batelier ne refuserait sûrement pas de prendre la mer en fin de journée, mais quitte à jouer au plus con, le drow blanc n'avait pas oublié que le Prima ne parlait pas Oliyan. Des deux, il n'était donc pas celui en position de force aux yeux du jeune homme... Et sans grande compréhension des art magiques, il ne comprenait pas vraiment pourquoi la noire elfe continuait à s'écraser en permanence.

Le regard de la sorcière quitta le dos du Prima pour se poser sur Elghinn, et, en un instant, sa rage fut remplacée par un sang froid des plus glacial.
- Plus vite nous serons partis, plus vite nous serons arrivés. Allons parler au capitaine avant que je ne fasse quelque chose que je regretterai. La drow sourit, ses yeux dans ceux d'Elghinn à la recherche de sentiments qu'elle perçu sans mal comme aussi violent que les siens. L'air amusé, elle lui tendit alors la main pour le pousser à se relever. "Je me dis que..." La drow prit quelques instants pour formuler ses pensées. "Quelqu'un contraint de rabaisser les autres pour s'élever au dessus d'eux doit jouir d'une bien pietre estime de lui. Il est agaçant. Mais c'est ma pitié qu'il mérite."

***

3e jour de la 1iere Enneade de Verimios,
An 17 du XIieme cycle.

_ BRAAH! Cela ne faisait que journée que le navire voguait sur les flots et ce fut une journée de trop pour le plus jeune des prêtres. Le chahut des vagues et les mouvements parfois lents, parfois abruptes du bâtiment lui donnaient la nausée. Il ne quittait l'extrémité du navire que pour se soulager, le reste du temps, l'équipage pouvait l'admirer affalé contre les barrières de bois, libérant de temps à autre son repas. Un jour, il faudra qu'il trouve un remède au mal de mer. Mais il était trop mal pour le dire tout haut. Il prit une grande inspiration et se mit à jurer sur les idées discutables du Prima, la moitié du corps par dessus bord. Son voyage sera certainement très long.

Sur le gaillard avant se tenait dans toute sa majesté le Prima Char’rath Tael’Chat là où se doit être un leader né : au niveau de la proue. Celui-ci se tenait droit et fixer l’horizon de ses yeux carmin, le mettant au défi de lui envoyer des épreuves qu’il saurait sans nul doute surmonter. Sa longue tresse de neige quand elle flottait dans le vent chargé d’embrun et de sel. Le navire fit une embardé.

- Oh mer…

Et donc notre fier prima fit ce qu’il n’avait cessé de faire depuis qu’ils avaient quitté le port : vider le contenu de son estomac. Kerhel ! Comment cela peut il se faire que j’ai encore quelque chose à vomir ! Il s’affaissa lentement et colla son dos à la barrière de bois. Soi-disant que fixer l’horizon aide ! Soi-disant que cela ne dure pas ! Que Teïweon emporte tous ces maudits marins apenteur de mer !

C'était au milieu du pont que l'oscillation était la plus supportable, avait déterminé la sorcière. Le mouvement incessant ne la quittait jamais, exactement comme la première fois qu'elle avait pris la mer. Inexorable, impitoyable, le moindre mouvement du navire porté par la mer stimulait son équilibre, soulignant à quel point rien de tout cela n'était normal. Fixer l'horizon arrangeait un peu les choses, mais dés qu'elle fermait les yeux, la nausée la prenait.

Brusquement, la sorcière se précipita jusqu'au bastinguage pour se pencher par dessus bord. Comment quelqu'un pouvait-il marcher si droit sur le pont d'un navire en pleine mer et être autant sujet au mal de mer était rapidement devenu un des sujets de conversation principaux du moment parmi les membres d'équipage. Lorsqu'elle eut terminé de vider son estomac, Shyn'tae tourna la tête vers son voisin, l'air hagard. Le pauvre bougre n'avait plus rien de digne dans cette position, ses yeux pleuraient malgré lui et ses joues ne cessaient de gonfler et dégonfler au rythme des inspirations et expirations forcées de leur propriétaire. La bouche entrouverte, les yeux rouges, il passa sa main sur ses lèvres pour tenter de préserver un soupçon de décence. Son regard se porta sur sa partenaire, elle aussi victime de cet odieux mal. D'un côté, il voulait dire quelque chose, mais de l'autre, son estomac lui fit bien comprendre que toute tentative d'effort serait punie. Prenant son courage à deux mains, il souffla un "Maudit soit-il..." qui lui provoqua un énième relent. Heureusement ou hélas -les connaisseurs connaissent- son estomac était vide depuis un bon moment et rien ne vînt. A cet instant précis, durant un centième de seconde, il en venait à espérer que le nauffrage les frappe pour le sauver de ces crampes.

Le regard du prima se porta alors vers les autres membres de sa délégation. Le jeune prêtre de Kiran n’était pas dans un meilleur état que lui. Le chien-ours de la grande prêtresse allait de gauche à droite sans gêne. Le drow ressentit même une pointe de jalousie à son absence de mal de mer. Et en parlant de jalousie, il jeta un œil sur sa rivale, droite au milieu du pont avant de la voir se précipiter au bastingage avec satisfaction. Un petit rire lui échappa, vite interrompu par un haut le coeur.

Sur le gaillard arrière, ayant abandonné sa cape pour ne garder qu'une bure trop courte sur un pantalon de cuir tout sauf réglementaire pour les novices de Kiran, un jeune homme à la peau aussi blanche que ses cheveux et aux yeux aussi rouge que le sang profitait de l'attention moribonde de ses camarades et geôliers pour prendre l'air. Ni sa soeur, ni sa fausse mentor n'avait réussit à lui faire entendre raison, aussi ses cheveux dansaient-ils librement - c'est à dire bien souvent dans ses yeux - et sa pâleur disgracieuse était exposée aux quatre vents.

Le dos appuyé sur le bastingage, les voiles au dessus de la tête et les rame rythmant le temps, il était sciemment resté bien loin de l'avant où il observait sans s'approcher les dégâts de l'océan sur ses semblables. De toute façon, lui s'amusait follement de l'impression étrange qui lui faisait bondir l'estomac à chaque remous de la coquille de noix sur laquelle ils flottaient au milieu d'une étendue d'eau dépourvue de bord, plus ragaillardit que mal à l'aise. A vrai dire, il réfléchissait. Oublieux du passé et d'Elda tout entier, il s'interrogeait sur l'origine de ce curieux phénomène capable de mettre à mal de si puissant mages et sur la façon d'y mettre un terme.

De la petite troupe de sombre elfe, Varg' était le seul vraiment heureux. Il allait de l'un à l'autre sur le pont pour y quémendait, ici une gratouille, là un calin. Pour le moment, jamais il n'était repoussé durant la traversée. Il avait appris, les premières fois à ses dépends que le vent pouvait être mouillé avec plein d'odeur dedant. Les odeurs les plus agréables étaient celles qui les entouraient tous : celle de l'iode, du sel et des poissons. Bref, les odeurs de la mer.

Présentement, il se dirigea vers la main la plus succeptible de lui gratouiller l'oreille. C'était une main blanche comme de l'albâtre. Doucement, il toucha de sa truffe le génial apendice et lui offrit le plus mignon des regards. Généralement ça fonctionnait avec sa maitresse aux biscuits. Un moment, la main s'éloigna. Parfois ça arrivait quand on les sentait d'un peu trop près. Mais le stratagème fonctionna une fois de plus. Les grattouilles trouvèrent leur juste chemin et un visage surgit près de la gueule du chien. Deux yeux rouges et aiguë l'observaient avec attention.

- Alors comme ça tu viens me voir maintenant. Bon... Tu es baveux et tu sens fort, c'est un fait. Mais à quel point tu es stupide. Hein mon gros ?

Le chien lécha le visage du jeune homme qui recula en braillant. Il avait le goût de sel. Et c'était bon, mais ça donne soif. Alors il fit quelques pas sur le côté et alla s'enfoncer dans l'épaisse obscurité des cabines passagers. Sa queue freillait de contentement.

Dans la cale, là où la délégation avait ses quartiers, Myar se redressa en sursaut de son hamac. Il s’emmêla dans les fils et finit par tomber. Il rampa jusqu’à son sac et but une gorgée d’eau. Puis il s’approcha de la coque et fit une nouvelle entaille dans le bois. Il contempla la dizaine d’entailles sans dire mots pendant quelques secondes. Son esprit enfiévré et l’enfermement lui avait fait perdre la notion du temps. Impossible de se rappeler depuis combien de temps il avait quitté la terre ferme. Il ne savait plus qui il était. Ni quel était son nom. Il fit quelques pas en titubant et entendit au loin un hululement, et des fragments de mémoires explosèrent dans sa tête. Un grand daedhelle, juché sur un puissant morgal, portant une lourde armure noire, le visage sans trait hormis deux grands yeux rouges. Puis une écurie de ces puissants lézards où les palefreniers risquaient bien plus qu’un coup de sabot à la moindre négligence avec les bêtes. Une morgal resplendissante, aux couleurs chatoyantes, battue et laissée pour morte, et un maitre heureux, si heureux d’avoir été prévenu. Et ce maitre, son maitre chevauchant sous le soleil couchant dans le vaste désert, pas si solitaire que ça. Et enfin… une main blanche. Si blanche. Elle lui faisait mal rien qu’à la regarder.

- Kiel… C’est Kiel… Et Elle m’envoie cette épreuve. Oui ! C’est ça ! Tout prendra fin quand j’aurai purgé le clergé de Sa Bienheureuse Putréficience de cette corruption !

Il se rua hors de la cale à la recherche de son maitre.Cependant, langue pendante, le chien-ours était sur le chemin. Noirelfe et colosse se percutèrent.

- "Kaï" japa l'animal avant de grogner.

- Vous êtes peut être malade, mais ce n'est pas une raison pour vous en prendre à ce pauvre animal !" vociféra la prêtresse du fond de son hamac. Péniblement elle s'en extraya et se dirigea vers le garde. Varg' s'était légèrement abaissé sur ses pattes en barrant le chemin, détournant le regard vers la source de râles prononcés dans bien des langues et jargons. Ilm'ryn s'avançait en titubant, les joues recouvertes de larmes séchées et la bouche entrouverte à la recherche d'air frais. Il enjamba l'animal avec difficulté et se retînt sur le garde en murmurant un pseudo merci. Il était à la recherche d'eau. D'eau fraîche. Et de Na'ri aussi. Mais chaque chose en son temps. Son corps réclamait le précieux liquide qu'il ne cessait d'évacuer, assoifé le guérisseur avala maintes gorgées jusqu'à finir sa gourde et soupirer bruyamment. Ce n'est qu'alors qu'il croisa le regard de sa camarade.

_ Na'ri... je vous en prie... faîtes quelque chose...

La prêtresse claqua de la langue. L'animal s'éloigna du garde en le gardant à l'oeil.

- Qu'attendez vous de moi ? Que j'arrête le bateau ?
_ Vous pourriez...

Un raclement sinistre résonna soudain au travers de la cale, et le navire se mit à trembler. Tous se regardèrent. L'instant d'après, un craquement violent secoua la Guenaude sanglante, qui effectivement s'arréta en projetant tout ce qui n'était pas arrimé vers l'avant, avant de commencer à s'incliner peu à peu sur le coté. Les deux prêtres rencontrèrent trop violemment le Morgal à leurs yeux et ce dernier servit de coussin au garde qui -après s'être mangé une poutre- se retrouva affalé sur la créature. Puis tous glissèrent lentement à babord, l'esprit encore embrûmé.

Je n'ai rien fait... Prise entre le morgal et son collègue, Na'ri était encore étourdie par le choc pour faire quoique ce soit.

Il s’était retrouvé face à la gardienne du temple. Il s’était retrouvé face à la gardienne du temple et il s’était tu. Il s’était tu, sa rationalité refusant de croire, de concevoir, toute la portée de sa révélation. Il avait refusé de croire et la déesse frappa. Frappa de toute ses forces, son monde se bouleversa, le haut devient le bas, la douleur explosa, et sur Ses épines, Kiel le déposa.

- La déesse ! C’est la déesse !! Kiel nous fait souffrir ! Kiran nous fait vomir ! Leetha nous fait tanguer ! C’est un signe ! Un signeeeaarg…

D’abord enfermée, puis ballotée, et enfin envoyé valdinguée et écrasée, voilà qu’on lui criait injustement dessus. Et tout ça en étant maintenue loin du sel dont elle sentait la présence proche, Sinjin Sin sentit un instinct primal et ancestral se réveiller au fond de ses organes. Elle s’ébroua afin de dégager ceux qui l’entravait et poussa un terrible roucoulement.

Sur le pont, quelques minutes plus tôt.

Dans la nuit noire, Char'rath se tenait droit, dressé tel le dieu de la mer à la proue du fier navire. De son regard pourpre, il défiait la mer de gonfler. De ses mains fermement accrochées au bois, il défiait le navire de tanguer. Fermement campé sur ses appuis, il se défiat de rester droit. Mais comment fait cette peste pour tenir aussi droit ? Une nouvelle embardée secoua le navire, le faisant fléchir un genoux. Il serra les dents, se retenant de vomir. Je t'offre cette douleur, à Toi qui nous a montré par le seul procédé qui en vaille la peine, à comment surmonté tout obstacle et...

- Shu !

Dans un violent fracas, le frêle esquif heurta ralentit brusquement. Char'rath, qui comptait accompagner en douceur le mouvement se retrouva alors catapulté par dessus le bastinguage. Non loin de là un vieux marin au sang mélée, à l'oeil vif (l'autre étant sous un bandeau) cria au reste de l'équipage.

- Un dlow à la Mel ! Un dlow à la Mel !
- Shu! Un peu plus loin sur le pont, Shyn'tae, la mine fatiguée, contemplait l'horizon dans l'espoir vain de vaincre le mal qui s'était emparé d'elle lorsqu'elle fut jetée sur le pont comme tout ce qui n'était pas attaché. D'un coin de l'oeil, affalée par terre, elle eut le temps de voir le Prima disparaitre par dessus bord.

Bon débarras, pensa-t-elle par reflexe, juste avant de réaliser qu'Eveil se trouvait présentement accroché à sa taille. Un haut le coeur s'empara d'elle, et sans reflechir, s'appuyant de ses quatres pattes comme un chat, elle s'élanca pour courir et disparaitre du pont derrière lui.

- Deux dlow à la Mel ! Deux dlow à la Mel!" Pour le marin, c'était dorénavant prouvé. Les Eldéens étaient suicidaires. Combien y avait-il de chances que celle-là sache nager ?

... Et combien de chance en plus pour celui qui était tombé par dessus bord à l'arrière pendant que tous se précipitaient à l'avant pour voir ou secourir les glorieux émissaires d'un triumvirat bien trop jeune pour se permettre de les perdre à tour de bras ?