[L'ire impatiente] La maison de l'horreur | Nehril, Cassis & Stephen

7ème jour de la 1ère ennéade
Hiver, Verimios de l'An 17:XI

Autrefois étincelant, le quartier dans lequel se trouvait le trio avait perdu tout son faste d'origine. Les maisons auparavant magnifiques ressemblaient à présent à de vieilles bicoques abandonnées que le ciel gris enlaidissait un peu plus encore. Certaines étaient habitées par plus de personnes qu'il n'y avait de pièces. D'autres étaient trop en ruines pour qu'on prenne le risque de s'en approcher, les murs et/ou le toit menaçant de s'effondrer à tout moment... Ce qui arrivait parfois sur de pauvres âmes infortunées. Les rues n'en demeuraient pas moins habitées d'une certaine activité. Camelots et autres marchands essayaient de faire commerce en criant au milieu des passants pour tenter d'attirer leur attention.

Le petit groupe d'enquêteurs s'était dispersé pour moins attirer l'attention et surveiller discrètement une bâtisse indiquée par le vieux Stephen. C'était une des rares maisons encore assez bien conservée et elle était... étrangement vide. Personne ne semblait y avoir élu domicile malgré son bon état. Sans doute quelqu'un de plus puissant que les autres s'en réservait-il l'usufruit exclusif. Toujours était-il que les trois compères épiaient la moindre trace de vie mais rien ne semblait bouger à l'intérieur... Et ils ne bénéficiaient pas d'un mage pour le leur confirmer.
Aussi, après un moment d'observation, chacun dans son coin, l'ancien mercenaire caché sous un capuchon d'emprunt fit un signe à ses camarades. Un échange silencieux d'opéra entre eux : personne n'avait rien vu d'étrange... Peut-être les Delzeenil étaient-ils au sous-sol, là où Stephen avait été retenu captif.

Il n'y avait apparemment qu'une seule façon de le savoir...
Entrer.

Note aux joueurs:

Nehril observait la bâtisse décadente avec un air renfrogné. Il n’y avait nulle lumière ni aucun signe d’une quelconque présence. Le mystérieux locataire avait-il eu vent de leur arrivée ou avait-il fui juste après avoir malmené Stephen ? Le mercenaire n’avait pas de réponse. Et à vrai dire, il lui semblait que sa patience s’étiolait à mesure que le soleil disparaissait à l’horizon. Jugeant préférable de commencer à investir les lieux, il fit un signe à Stephen et Cassiopée pour les prévenir qu’il se préparait à investir les lieux. Son regard balaya les différentes ouvertures puis il désigna la porte principale après une once d’hésitation. Il ne servait à rien de raser les murs. Un assaut massif et direct, voilà ce qui convenait à une telle situation. Remarquant le groupe de trois personnes qu’ils composaient, Nehril songea qu’à défaut du massif, le direct suffirait.

Le semi-elfe s’approcha furtivement de l’entrée tout en tirant son épée. Puis il vérifia que la porte était bien verrouillée avant de l’ouvrir d’un coup de pied. Il s’aventura immédiatement dans les ténèbres, les sens à l’affût.

Sa compagnonne chargea son arbalète et le suivit à une distance de deux pas. Le carreau qu'elle avait chargé possédait une grosse ampoule de verre en lieu et place de la pointe. Cette ampoule était remplie d'un liquide clair : de l'acide. Se déplaçant sur la pointe des pieds, elle garda sa main sur sa sacoche d'alchimiste, prête à en déverser le contenu au moindre danger. Et par Néera, cette sacoche contenait plus d'une dizaine de moyens de faire trépasser le quidam.

Elle aurait pu saisir sa masse, mais au vu de l'arsenal qu'avait déployé son compagnon, elle estima qu'il serait plus sûr de diversifier ses atouts. A lui les muscles et les réflexes, à elle les chausse-trappes et les coups imprévisibles. Elle se déplaça sur la pointe des pieds. Il y avait tout intérêt à ce que les occupants potentiels de cette demeure pensent que le mercenaire était tout seul. Elle profiterait ainsi de l'effet de surprise.

Quoiqu'ils puissent trouver dans cet endroit, elle se tenait prête.

C'était une façon de procéder. Pas très finaude, surtout lorsque l'on savait qui se trouvait en face. Les passants alentours avaient observé la scène mais personne ne bougea. Personne ne broncha. Certains filaient même en vitesse : pas question de rester s'il y avait du grabuge. Stephen pesta en silence mais maintenant que c'était fait... Il n'y avait plus qu'à espérer que les Delzeenil soient sourds ou qu'ils ne soient plus là. Cette dernière possibilité n'arrangerait pas leurs affaires mais autant éviter que Neassa soit utilisée comme bouclier humain... Surtout si elle était entre leurs mains depuis une ennéade, voir plus...

Les vieux mercenaires suivit, l'épée à la main. La première pièce dans laquelle ils pénétrèrent n'était autre qu'un grand salon. Il y faisait presque plus froid que dehors et il n'y avait pas eu de feu dans la cheminée depuis plusieurs jours malgré les cendres relativement récentes. Une large porte sur la gauche était entrouverte et laissait apercevoir un couloir desservant quelques pièces. Sur la droite, un escalier menait à l'étage tandis que son flanc était tapissé de planches dont quelques unes manquaient, laissant entrapercevoir des marches dissimulées qui descendaient sous la maison. Stephen eut un signe de tête en direction de la porte cachée à leur vue qui permettait d'accéder au sous-sol.

-Ils l'auront probablement enfermée en bas, comme moi. Fit-il à voix basse. On descend ou on vérifie d'abord qu'il n'y a personne dans la maison, Monsieur le bélier ? Fit-il à l'attention de Nehril, non sans jeter un coup d’œil à Cassiopée. Elle avait le droit de donner son avis aussi après tout.

- Je vous suis ... répondit-elle, bien que Stephen ne s'adressait pas spécifiquement à elle.

Cassiopée s'approcha de la cheminée et remarqua les cendres d'un feu qui n'avait pas été allumé depuis plusieurs jours. Elle posa ses doigts dans la cendre d'un air songeur. C'était bon signe pour l'étrange équipage : au moins, la piste n'était peut être pas très fraiche, mais au moins, elle avait le mérite d'exister. Il fallait désormais s'aventurer dans le sous-sol...

Elle n'était pas spécialement à l'aise avec cette idée. Les sous-sols sont traitres et il était très probable qu'avec de tels espadons dans leurs mains, les guerriers qui l'accompagnaient ne pourraient facilement manoeuvre et combattre. Il leur fallait des armes plus courtes ...

Elle s'approcha de Nehril et lui murmura :

" Prenez une épée plus courte ... les sous-sols de ce genre de bâtisse sont étroits. Il vous faut pouvoir manoeuvrer avec aisance. "

Nehril opina face au conseil de Cassiopée et rengaina son arme. Il tira de sa ceinture un poignard affûté, parcouru d’une longue ligne sur la lame et entourée d’une écriture soignée.

— Le sous-sol semble être la meilleure idée, répondit le mercenaire à Stephen en évitant délibérément de relever le sarcasme dans sa voix. C’est ce que j’aurais dit si je ne savais pas que nos ennemis étaient particulièrement retors. Il se pourrait que ce ne soit qu’un piège et que Neassa occupe l’étage.

Par acquit de conscience, le mercenaire désigna les escaliers qui s’enfonçaient vers l’étage supérieur d’un signe de la tête.

— Je monte. Vérifiez les pièces au fond du couloir.

Stephen hocha la tête. A priori, il n'y avait personne dans la bâtisse mais il n'avait rien contre un peu de prudence. Il avait assez de bouteille maintenant pour savoir qu'il ne fallait pas toujours se fier aux apparences. Surtout que les Delzeenil étaient des pervers. Ils se séparèrent donc, laissant à la jeune femme le soin de choisir ce qu'elle faisait de son côté. Il se rendit donc dans le fameux couloir et inspecta chaque pièce.
Il s'agissait plutôt là de la salle à manger et d'espaces de service. La cuisine était presque propre mais les fruits dans la coupelle sur le plan de travail commençaient à tourner. Une porte entrouverte donnait sur une petite cour. Il s'en souvenait très bien... C'était par là qu'il s'était échappé, n'ayant pas pu prendre la grande porte à cause d'une voix qui s'était élevée juste derrière au moment où il s'apprêtait à l'ouvrir. La pièce d'après était le cellier. Tout était rangé, comme si quelqu'un n'allait pas tarder à venir se servir. C'était étrange comme ambiance... Et pas tellement nouveau pour lui pour autant.

Ayant fini de faire son tour, il fit le chemin en sens inverse et alla attendre dans le salon que ses deux comparses redescendent, tendant l'oreille tant vers l'étage supérieur que l'inférieur. Une menace pouvait poindre de n'importe où.

Note aux joueurs:

Nehril gravit les escaliers silencieusement, rasant les murs et brandissant son poignard devant lui. Il ne servait à rien de vérifier quelles étaient les marches qui grinçaient au vu de leur entrée fracassante, il préféra donc concentrer son regard devant lui. Il remarqua que Cassiopée le suivait furtivement et il hocha la tête avant de lui faire signe de rester légèrement en retrait. Concernant le troisième membre de leur groupe, Nehril n’avait nulle crainte à l’égard de Stephen : le vieux mercenaire était parvenu à s’échapper de cet endroit, il ne manquait dès lors pas de ressource.

Le semi-elfe parvint en haut de l’escalier et entreprit de fouiller les trois chambres qui se proposaient à lui. Les deux premières étaient vides et poussiéreuses. Des particules blanchâtres virevoltèrent dans les airs lorsqu’ils foulèrent le plancher grisâtre. La troisième en revanche, était davantage accueillante. Un lit moelleux aux couvertures retournées, un tapis ouvragé recouvrait le sol, et certains ustensiles de toilette étaient disposés sur les rares meubles qui la garnissaient.
Son second examen des lieux effaça toute sensation de chaleur qui émanait de la pièce. Le lit défait laisser sous-entendre les horreurs qui s’y était produites. Certains tiroirs gisaient au sol complètement vide, et des placards restés ouverts dévoilés des lambeaux de vêtements. Non loin, une bourse reposait sur un meuble. Une bourse étrangement familière…

Nehril s’approcha du sac fait de tissu précieux et s’en saisit. Il le secoua un moment avant de jurer.

— Il appartenait à Neassa, lui révéla-t-il en se surprenant lui-même d’être parvenu à s’en souvenir. Elle était donc captive en ces murs.

Il se pencha pour examiner le sol.

— Ils sont partis précipitamment. Depuis plusieurs jours peut-être.

Il passa une main sur le sol pour en prélever une mince couche de poussière.

— Voir plusieurs heures, poursuivit-il en fronçant les sourcils. Stephen est parvenu à s’échapper d’ici hier. Ce qui signifie que soit Neassa était captive ici en même temps que lui, ce qui ne me paraît guère plausible, soit qu’elle a séjourné ici un bref moment après qu'il se soit échappé.

Nehril se redressa et ses yeux étincelèrent.

— La piste est encore chaude. Descendons. Tâchons de voir ce que contient le sous-sol.

Stephen attendait, arme à la main et oreille tendue. S'il perçut les pas et les voix qui venaient d'en haut, rien ne lui parvenait de la cave et cela le rendait aussi méfiant qu'inquiet. Soit les Delzeenil n'étaient plus là et il leur faudrait encore les traquer, soit ils patientaient, tendant lentement leur embuscade, utilisant peut-être même Neassa à leur avantage. Car, même s'il n'en avait pas encore la preuve, il était pratiquement sûr qu'elle avait été capturée, elle aussi.

Finalement, Nehril et Cassiopée descendirent... Apportant cette fameuse preuve avec eux. Il n'eut qu'un œil à poser sur la bourse pour la reconnaître. Ses yeux se fermèrent et il tourna la tête dans une expression de colère et de culpabilité. S'ils l'avaient eue, c'était par sa faute. Il savait qu'il ne pouvait empêcher ce qui était arrivé, pas avec une mage comme Ihisca. Mais tout de même.
Cependant, le vieux mercenaire était tout à fait capable de contenir sa rage. Il avait assez de bouteille pour savoir quand il pouvait se laisser submerger par l'émotion et quand il devait la contenir, pour son bien mais aussi celui des personnes qui l'accompagnaient. Et ils auraient tous besoin de leur sang froid s'ils voulaient pouvoir s'en sortir vivants et avoir une chance de libérer la prêtresse en prime.

-Ne les perd pas. Lança-t-il à Nehril. Ce sont ses focaliseurs.

Si le demi-elfe tâtait un tant soit peu le sac, il sentirait plusieurs formes à l'intérieur. Rien ne l'empêchait d'y rejeter un œil s'il le souhaitait. Cependant, si leurs adversaires avaient pu identifier le catalyseur de la magie de Sirène, il y avait de quoi se faire du souci. Car, à moins d'être mystique, il était impossible de le deviner.

Sans un mot, Stephen se dirigea vers la porte menant au sous sol. Cette fois, ce serait lui qui ouvrirait la marche. L'escalier de pierre s'enfonçait dans le noir sous la maison. Il prit donc une lampe et l'alluma à l'aide d'un briquet posé sur un meuble et descendit les marches une à une. En bas, toujours aucun son. Il régnait un silence de mort... Et l'atmosphère se faisait de plus en plus pesante à mesure qu'ils avançaient. Peut-être à cause de l'air chargé d'une odeur âcre. Finalement, les trois comparses arrivèrent dans une pièce transitoire carrée, pas bien grande mais assez pour comporter une porte sur chaque mur. Celle d'en face était fermée tandis que les deux autres étaient ouvertes. Par où nos amis allaient-ils commencer ?

« Je n’aime pas les portes fermées … surtout dans les caves. »

L’alchimiste s’approcha prudemment de la porte fermée. Elle prit le temps de l’examiner. Porte en bois, verrou simple. Il serait facile de la défoncer, au prix de leur discrétion … bien que le fait d’avoir défoncé la porte d’entrée ne jouait pas en leur faveur.

Rapidement, elle fit un signe à Nehril et Stephen, de ne pas faire de bruit, ni de bouger. Elle ouvrit sa sacoche et en tira une fiole remplie d’un liquide clair marquée d’une étiquette signifiant qu’elle contenait quelque chose d’extrêmement dangereux. Le bouchon sauta facilement et d’un coup, elle plongea une petite spatule de bois dedans pour en extraire quelques gouttes de liquide.

Manipulant la petite spatule d’une main experte, elle la glissa dans l’entrebâillement de la porte, afin de déposer les gouttes sur la pêne de verrouillage. Un léger « psssht » accompagna le contact de l’acide avec la pêne en fer, qui fut lentement grignotée. Cassiopée se recula : les vapeurs d’acide étaient particulièrement toxiques et même si elle avait été parcimonieuse quant à son usage, elle ne pouvait quand même pas prendre le risque de finir intoxiquée.

Elle finit par se tourner vers les deux comparses et leur fit signe que la porte pouvait être ouverte sans souci.

La porte fut ouverte sous l’œil vigilent de Stephen et Nehril. Dans les deux autres pièces, aucun mouvement. Et s'ils décidaient d'y jeter un coup d’œil, ils ne trouveraient qu'une cave délaissée depuis des années mais dont quelques casiers avaient été vidés récemment et une autre au milieu de laquelle trônait une chaise renversée et des liens encore en désordre dont une partie usée avait finie par céder. Il s'agissait de l'ancienne geôle du vieux mercenaire. Ainsi donc, elle n'avait pas été réattribuée... Étrange.

A moins que...

Les gonds de la porte du fond grincèrent, attirant inéluctablement l'attention des deux guerriers. A peine fut-elle entrebâillée qu'un vive odeur agressa leur sens. Une odeur âcre que les trois enquêteurs ne pouvaient que reconnaître pour l'avoir déjà sentie. Une odeur de sang. Car il avait coulé, en abondance. Mais la note la plus importante qui surpassait toutes les autres, c'était un parfum pestilentiel. Un parfum que les riches dans leurs palais d'ivoire n'avait jamais senti de leur vie. Une odeur de mort...

La porte s'ouvrit et rien ne se passa. De la noirceur de cette pièce, rien d'autre ne sortit à part cette odeur qui rendait l'air difficilement respirable. Il faudrait une torche pour y voir à l'intérieur, mais les trois visiteurs en auraient-ils le courage ? La peur d'arriver trop tard était d'autant plus forte mais il n'y avait qu'un moyen de confirmer ou d'infirmer cette crainte. Alors on apporta un semblant de lumière et le spectacle ici fut si horrible que c'était à se demander comment on avait pu s'en donner à cœur joie dans les draps après ça...

Une nouvelle chaise se trouvait elle aussi au milieu de la pièce, mais toujours debout. Les liens avaient été coupés net par une lame venue libérer l'être captif. Mais les accoudoirs du siège laissaient entrevoir que le prisonnier ne devait pas être au meilleur de sa forme. De l'emplacement du poignet jusqu'au sol, le bois et la terre battue s'étaient gorgés d'un liquide d'un rouge caractéristique. Le sang avait coulé abondamment. Peut-être pas assez pour le tuer, mais bien assez pour l'affaiblir.
Mais ce n'était pas la seule marre de sang dans cet ancien garde-manger. Une autre, bien plus imposante, se trouvait à deux pas devant la chaise. Cette fois, nul doute possible sur ce qu'il était advenu de la personne qui avait été blessée. Parce que la quantité était importante et, surtout, parce que le corps se trouvait là, ayant commencé à se putréfier. C'était une femme. Les cheveux longs et noirs. La peau pâle, tirant sur le gris.

-Non... Stephen se précipita au chevet du cadavre mais un rapide coup d’œil sur le visage boursouflé suffit à le rassurer. Même dans cet état de décomposition, il saurait reconnaître sa compagne de chasse. Ce n'est pas elle.

Si Nehril ne parvenait pas à identifier les traits déformés de la pauvre femme, un indice saurait le mettre sur la voie. Il lui suffirait de se remémorer le combat dans le cimetière en découvrant, près d'elle, une oreille coupée...

Œil pour œil.

Suivant Stephen qui descendait les marches, Nehril dardait son regard sombre vers les ténèbres qui régnaient en contrebas. Sa vision ne mit qu’un moment pour s’accommoder à la pénombre ambiante, et il distingua sans mal les trois portes qui leur faisaient face. Sa dague toujours fermement tenue dans sa main droite, le semi-elfe s’approcha d’une des portes ouvertes avant de s’immobiliser. Il y régnait un silence inconfortable. Il se prépara à y pénétrer lorsqu’il remarqua que Cassiopée avait également jeté son dévolu sur la seule porte close. Il préféra attendre derrière elle. Il observa d’un œil intrigué le contenu de la fiole faire son effet sur la serrure, et haussa les sourcils lorsque le chuintement vint briser le verrou. Il s’apprêtait à l’interroger sur cette curieuse substance, mais Stephen le prit de court en poussant la porte.

Une odeur de chair et de mort vint cingler les narines du mercenaire. Elle lui raviva des souvenirs. Il se souvint de Sol'Dorn. Des cadavres qui gisaient dans les rues telles des pantins désarticulés. Il se souvint de la terrible bataille pour l’Aduram, du démoniaque Unvan qui jaillissant d’entre les morts pour rependre sa sourde colère. Meurtres et combats se succédèrent dans l’esprit du semi-elfe alors que la porte grinçait lentement, laissant apercevoir l’immensité noire et obscure qui sévissait derrière elle. Seule l’odeur ravivait ses souvenirs, et à travers elle, des blessures autrefois oublié. Soignées, mais jamais véritablement guéris. Nehril fit un pas en avant et brandissant une main, il matérialisa une flamme vermeille. Elle éclairait bien trop.

Le spectacle était saisissant, mais le mercenaire avait déjà vu de semblables massacres. Des salles de tortures, de long écoulement sanglant le long de champs de bataille. Toutefois, cet endroit le laissa légèrement circonspect. Une chaise. Du sang. Et… un corps.

Stephen se précipita vers la jeune femme qui reposait au sol. L’odeur qu’elle exhalait était sans nul doute celle de la mort. De la mort la plus terrible. Celle que l’on accepte pour échapper aux terribles souffrances que subissent le corps et l’âme. Nehril resta un moment en arrière avant que Stephen finisse par préciser qu’il ne s’agissait pas de Neassa. En s’approchant à son tour, le soulagement qu’il ressentit ne fut que de courte durée. Avec une horreur sans nom, ses yeux écarquillés rencontrèrent ceux sans vie de la Grise.

Le mercenaire reprit rapidement contenance, mais il eut du mal à maîtriser sa voix lorsqu’il expliqua à ses compagnons :

— Il s’agit de la Grise. Elle était à nos côtés lorsque nous avions mis aux arrêts les Delzeenil et Légende.

Toujours choqué par ce qu’il voyait, il mit un genou à terre pour examiner le visage de son ancienne alliée. Son oreille avait été tranchée, de même que sa gorge. Du sang séché la recouvrait. Les Delzeenil avaient probablement souhaité qu’elle se vide lentement de son fluide vital. La chaise non loin était sans conteste un accessoire qu’ils avaient utilisé pour la torturer. L’affaiblir suffisamment afin de prendre leur vengeance. Il se souvint que c'était la Grise qui avait tranché l'oreille d'Habraen. C'était donc un message à leur attention ?

Nehril n’avait fréquenté la Grise que durant ce contrat, mais il avait tout de suite apprécié le caractère gaffeur et franc de la demi-drow. Il se souvint de cette soirée qu’ils avaient passé tous les trois, Drystan, lui et la Grise, dans cette taverne pour fêter leur succès. De ces danses, de cet alcool frelaté qu’ils avaient consommé ensemble.

— Elle ne méritait pas une telle mort…

Mais qui la mérite vraiment ?

Une terrible colère vint progressivement monter en lui lorsqu’il songea à ses meurtriers. Un feu glacé qui se propagea dans tout son corps avant d’habiter son esprit. Sa main serra si fort le couteau qu’il tenait qu’il entendit plusieurs de ses doigts craquer. Nehril avait vu nombreux de ses compagnons mourir, et il en avait toujours éprouver une certaine indifférence. C'était pour cette raison qu'il ne s'attachait à personne. Mais dans cas-ci, les Delzeenil avaient attisé sa colère. Il ne laisserait d’eux plus que des cendres. Il les taillerait en pièce, membre après membre. Ce qu’ils avaient fait à la Grise ne serait qu’un travail d’amateur en comparaison à ce qu’ils risquaient désormais. Le mercenaire aurait la main lourde. Il tourna son regard vers Stephen :

— Il nous faut d’abord prendre des dispositions avec son corps. Ensuite… ensuite…

Le mercenaire serra les dents.

— On va trouver une piste. Trouver l’endroit où ces enfoirés se cachent. Et ensuite, vous me les laisserez…

Aeris semblait brûler sur son dos, comme pour répondre à la colère de son maître. Bientôt, le sang coulerait de nouveau à flots. Oh oui, il coulerait.

Stephen ne dit rien mais il garda dans un coin de son esprit qu'il devrait peut-être calmer les envies de vengeance de Nehril s'il ne voulait pas finir dans le même état que son ancienne comparse. Sa colère était naturelle mais, s'il voulait la mort des Delzeenil, ce n'était pas en fonçant dans le tas qu'il y parviendrait. Ils étaient tous deux mages spécialisés dans la tromperie. L'une pouvait vous retourner totalement la tête et l'autre vous faire voir des choses qui n'existaient pas. Seul face à eux, le mercenaire se ferait tuer. Et leur amie serait perdue. Il ne doutait pas qu'il parviendrait à lui faire passer le message, mais à tête reposée.

Le vieil humain continua cependant d'observer les lieux. Sur la chaise, il y avait plusieurs effusions de sang survenues à des dates différentes, toujours au même endroit : à l'emplacement des poignets. N'ayant pas peur de manipuler un cadavre, il tourna l'un des bras de la Grise et remarqua qu'il n'y avait aucune coupure... Ce n'était donc pas elle qui se trouvait collée à ce siège.

-Les salauds... Lâcha-t-il. Ils l'ont tuée devant Neassa-Laella.

Cela n'avait l'air de rien comme cela... Sauf si on remettait en perspective le fait que la sang-mêlée était une prêtresse de Tyra. La vie et la mort étaient sacrées pour elle. Aucune vie ne devait être gâchée et, si possible, la mort devait survenir sans souffrance inutile. Ici, rien n'avait été respecté, que ce soit ses valeurs ou le dogme de la Voilée. Stephen ne pouvait qu'imaginer ce qu'elle était en train de vivre. Ils la vidaient lentement de son sang mais pas assez pour la tuer. Il y avait fort à parier que, comme lui, elle était privée d'eau, de nourriture et de sommeil. Sans parler de fait de la garder dans le noir pour qu'elle n'ait plus conscience des jours qui s'écoulaient. Il fallait bien tout cela pour briser un esprit comme le sien et surpasser sa volonté...

-Il est clair qu'ils sont partis. Trouvez une couverture pour emporter votre amie. On s'occupe d'elle et on repart à leur recherche.

Le vieux mercenaire proposa de confier le corps au culte de Tyra. Ils sauraient en prendre soin et procéder aux rituels tout comme ils pourraient rechercher sa famille pour les informer de la triste nouvelle et les accompagner dans leur deuil. C'était ce que Neassa-Laella aurait fait et, surtout, c'était le mieux, autant pour la Grise que pour les trois compères qui avaient toujours deux fugitifs et leur captive à trouver.

Stephen les conduisit dans un endroit où Nehril n'avait pas remis les pieds depuis au moins deux mois : le repaire de Sirène. Dans son bureau, il y avait une étagère pleine de ses archives sur les criminels qu'elle avait traqué. En deux cents ans de carrière, cela faisait un certain nombre de dossiers mais la jeune femme était aussi minutieuse qu'ordonnée. Ils trouvèrent ce qui les intéressait à la lettre "d". Il restait encore à parcourir tout le lot de parchemins qui étaient rassemblés dans cette pochette cartonnée. Connaissant bien sa collègue et amie, l'humain dénicha rapidement les papiers qui concernaient les victimes passées du duo ainsi que la liste de leurs biens immobiliers. Sirène s'en était servie à l'époque pour trouver leur cachette. Ils pourraient faire de même à présent.

Les parchemins furent répartis entre les trois compères et passèrent de main en main afin de procéder par élimination, chacun possédaient des informations qui permettaient de supprimer bon nombre d'adresses de la liste. Là, le propriétaire était mort et chacun de ses biens avaient été hargneusement disputés par les membres de sa famille, ce qui voulait dire que ses demeures avaient probablement changé de mains depuis. Là, cette maison se situait dans un tout petit quartier qui avait brûlé le mois dernier. Ici, l'endroit n'était pas assez discret. Les Soieries étaient à proscrire car, s'ils avaient pu en sortir en menaçant la jeune femme d'une arme, ils n'avaient certainement pas pu l'y faire retourner dans son état actuel. Cette maison-là ne possédait pas de sous-sol ni aucune pièce suffisamment discrète pour y retenir quelqu'un captif...
Ainsi, peu à peu, la liste de réduisit jusqu'à ne plus comporter que deux adresses qu'ils iraient vérifier bientôt. En attendant, ils leur restait un sujet à éclaircir : leur plan d'attaque.

Nehril emporta le corps de la Grise après l’avoir soigneusement enveloppé dans un tissu propre. Il fit fi de l’odeur qui se dégageait d’elle lorsqu’il grimpa les marches qui menaient vers l’extérieur. Suivant les conseils de Stephen, ils se rendirent auprès du culte de Tyra afin de lui confier cette dernière. Parcourant une dernière fois son visage ravagé, le mercenaire aux cheveux d’argent se détourna, son visage arborant une froide résolution.

Ils ne discutèrent que brièvement lorsqu’ils se dirigèrent en direction d’une ancienne cachette de Naessa pour y poursuivre leur investigation. Une fois parvenu dans les lieux, Nehril jeta un coup d’œil critique sur les étagères poussiéreuses et fronça le nez face à l’odeur nauséabonde qu’exhalait la pièce. Cela faisait une éternité que personne n’avait foulé l’endroit. S’attablant tous trois à une table robuste, ils commencèrent leur recherche. Les minutes se succédèrent à une vitesse effroyable, mais ils finirent par trouver deux lieux susceptibles d’abriter les deux assassins en fuite.

Nehril se laissa aller contre le dossier de sa chaise branlante.

— Espérons que les Delzeenil n'ont pas pour habitude de changer régulièrement de cachette, lança Nehril avec un pessimisme cinglant. Cette ville comporte bien trop d’endroits dans lesquels ils pourraient s’abriter.

Il se gratta un moment la barbe et se tourna en direction de Stephen :

— Je me doute bien que vous ne souhaitez pas que l’on se rende à ces deux adresses avec l’objectif de défoncer la porte d’entrée à grand coup d’épaule. Nous devrions faire preuve de davantage de discrétion, j’en conviens. Nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en danger la vie de Neassa. Pas après ce qu’il s’est passé avec la Grise.

Le semi-elfe se leva avant de se planter face à une fenêtre. La pénombre était omniprésente.

— Par chance nous avons une alchimiste parmi nous, reprit-il en croisant le regard de Cassiopée. J’ai vu ce que vous avez fait à cette porte close tout à l’heure. Ce précieux liquide pourrait nous en ouvrir d’autres ?

« Comme je vous l’ai dit Nehril, je n’aime pas les portes fermées, surtout dans les caves. »

Elle sortit de son havresac de nouvelles fioles, qu’elle fit jouer entre ses doigts fins. L’acide, c’était son dada. Elle en avait à revendre et elle pouvait en produire des quantités suffisantes pour pouvoir inonder des bacs entiers.

Déposer le corps au temple de Tyra était une chose qu’elle pouvait respecter. Elle ne connaissait pas cette personne, mais elle supposait, à tort peut être, que cette dernière aurait été heureuse de se savoir entre les mains des prêtres de la mort. Ses deux compagnons remontaient clairement dans son estime : ce n’était pas tous les jours qu’elle pouvait rencontrer des gens soucieux du bien être de viande froide … surtout parmi les personnes dont la principale activité était de transformer la viande vivante en ladite viande morte.

Elle appuya ses coudes sur la table et déposa ses fioles dessus. Le plan de Nehril était … cohérent. De toute façon, l’autre solution était de rameuter l’ensemble du Guet à cette petite sauterie … ce qui n’aurait pas été le plus sûr pour la survie de la prêtresse … mais cela aurait au moins eu l’intérêt de mettre un peu de piment dans la vie des habitants de la cité.

« J’ai de quoi faire fondre non seulement des portes, mais aussi quelques membres … Si besoin évidemment. J’aurai aussi d’autres surprises en réserve, mais une jolie dame ne révèle jamais tous ses atouts d’un seul coup . »

Cela était vrai. Sa sacoche recélait encore quelques surprises de son crû … mais elle hésitait à s’en servir.

« Mmmmmh … en revanche … si je devais me cacher, je prendrai plutôt cette adresse. Je connais l’endroit. Peu de passage, mais assez pour que l’endroit n’attire pas les regards … Quelques issues de secours en cas de grabuge et assez proche du port et du Nid pour pouvoir prendre la poudre d’escampette si le besoin s’en faisait sentir. »

-Alors on commencera par celle-là. Acquiesça Stephen à la suggestion de la jeune femme. Quant à leur plan... Entrer avec discrétion, d'accord. Il n'empêche que nous aurons toujours deux demi-drows de la pire espèce en face de nous.

Ils étaient au moins tous les trois d'accord sur un point : foncer tête la première n'était pas une option si on prenait en considération la vie de Sirène. Mais le vieux mercenaire n'en oubliait pas leurs chances de réussite alors qu'ils s'apprêtaient à affronter deux mages qui avaient donné pas mal de fil à retordre au groupe qui les avait capturé la première fois. Et la composition de leur petite unité n'était pas la plus optimale aujourd'hui. Stephen se tourna vers Cassiopée pour lui parler un peu de ce qui les attendait.

-Le gars, il sait se battre à l'épée. C'est pas une foudre de guerre mais il est particulièrement fourbe. Il utilise la magie pour créer des illusions. Vous pouvez vous retrouver avec deux hommes en face de vous ou croire qu'il vous attaque par la gauche alors qu'il est à droite... On peut pas faire grand chose contre ça. Mais la sœur, c'est pire. Elle maîtrise parfaitement la magie de l'esprit et s'en sert pour retourner la tête de ses victimes. Elle nous empêcherait de nuire en un rien de temps.

Stephen n'avait certes pas eu à affronter les Delzeenil la première fois mais il les avait un peu étudié avec Neassa-Laella afin de l'aider à trouver les bons partenaires pour se tenir à ses côtés au moment de les affronter. Et puis, il fallait bien reconnaître qu'avoir séjourné presque deux ennéades avec eux avait eu de quoi affiner son analyse... Cette mission demanderait bien plus de doigté que de force brute.

-Je pense que le mieux, c'est d'attendre le moment propice pour agir. Quand ils s'y attendront le moins. Et si on pouvait au moins les déstabiliser avant de leur faire face, ça augmenterait considérablement nos chances... De ce que j'ai cru comprendre, ils peuvent pas s'empêcher de se sauter dessus à la moindre occasion. Le moment où ils filent dans leur chambre, ça pourrait être notre signal pour agir. Vous auriez pas quelque chose dans votre besace qui nous aiderait ? Demanda-t-il à destination de l'alchimiste.

« Demi-drows ou pas, ils peuvent saigner, donc mourir … »

C’était dit sans état d’âme. Cassiopée n’était pas du genre à sous-estimer son adversaire, certes, mais pas à la surestimer non plus. Ces Delzeenil laissaient trop de traces derrière eux, pour des professionnels. L’alchimiste commençait à douter de leur capacité à représenter une menace extrêmement sérieuse pour deux guerriers accomplis et une arbalétrière. Et puis, pour l’instant, qu’avaient-ils fait ? Tué une femme, kidnappé une autre … Quelle vilenie ! … Sérieusement, même des gamins du Nid arrivaient à l’âge d’homme avec plus de dégueulasseries dans leur besace.

« Tenez, prenez ça. »

Et voilà de l’aide en provenance directe des laboratoires d’Ys. Cassiopée sortit de sa besace deux petites fioles transparentes contenant un liquide verdâtre, qu’elle tendit à ses comparses.

« C’est de l’anesthésiant raffiné. Enduisez vos lames de cette préparation. Si l’un de vos adversaires se prend une vilaine estafilade, il ne lui faudra pas plus de quelques secondes pour voir son membre s’engourdit pendant quelques heures. Cela devrait vous permettre de prendre l’ascendant rapidement. »

Nehril saisit le flacon avec délicatesse. Il l’examina un moment avant de le ranger dans ses affaires : il en enduirait sa lame lorsqu'ils arriveraient sur place.

— Notre principale difficulté reste Ihisca, rappela-t-il en enveloppant la fiole dans un épais tissu. Croyez-moi, sa magie est vraiment redoutable. D’autant plus que cette fois-ci, nous n’avons pas Drystan et son dragon pour la contrer.

Le semi-elfe se redressa et s’attarda longuement sur le visage de ses compagnons.

— Quant à Habraen, il reste un illusionniste. Il n’est pas un guerrier accompli. En le désorientant et en brisant sa concentration, nous devrions rapidement en venir à bout. Mais gardez à l’esprit qu’il nous faut impérativement maîtriser Ihisca en premier lieu. Ses dons sont bien trop dangereux. Si nous parvenons à libérer Neassa et qu’elle reste en condition pour se battre, elle pourrait nous être d’une grande aide face à elle. Mais ne rêvons pas : nos chances sont minces. Les affrontements directs sont à proscrire. Nous devons faire glisser nos lames sur leur gorge sans qu'ils s'en rendent compte.

Il poncuta sa dernière phrase d'un sourire glacial avant de faire quelques pas.

— Allons-y, lâcha-t-il simplement en faisant claquer sa cape sombre.

Si Cassiopée était sceptique quant aux capacités de leurs adversaires malgré l'expertise qu'il venait de leur donner, Stephen fut satisfait de voir que Nehril abondait dans son sens. Tous deux avaient affrontés -certes de manière différentes- le duo qu'ils devaient mettre hors d'état de nuire et ils avaient parfaitement conscience qu'il ne fallait pas les sous-estimer. Tenir tête à un élémentaliste était une chose. Mais face à quelqu'un qui pouvait pousser votre propre esprit à vous trahir, c'était une autre paire de manche.

-Je sais que Neassa-Laella favorise la capture à la mort... Mais ils nous ont prouvés qu'il n'y avait qu'une seule manière de les mettre définitivement hors d'état de nuire...

Alors qu'il était jeune et fougueux, le mercenaire tirait facilement l'épée et n'hésitait pas à blesser grièvement ses adversaires, voire à la tuer. Avec le temps et la compagnie de la prêtresse, il avait fini par voir les choses autrement au point d'adopter sa vision des choses. Mais, cette fois, il pensait qu'il faudrait s'écarter peut-être une dernière fois des préceptes qu'elle lui avait enseigné. Elle ne serait probablement ni ravie ni soulagée de l'apprendre mais les Delzeenil leur laissaient-ils vraiment le choix ? S'ils les mettaient encore en prison, qu'est-ce qui les empêcherait de s'évader de nouveau et de recommencer leurs plans de vengeance ?

-Et en ce qui concerne Sirène... Après ce que nous avons vu dans cette cave, je ne compterai pas trop sur son aide.

L'air de Stephen était grave et inquiet. Tout ce qu'il espérait, c'était qu'ils n'arrivent pas trop tard. Les fugitifs avaient emporté Neassa, elle était donc en vie à ce moment-là. Mais avec tout le sang qu'ils lui avaient retiré, avait-elle survécu au transfert ? C'était certes une maîtresse dans son domaine et une mage redoutable cependant il doutait qu'elle soit en état de réaliser le moindre sort lorsqu'ils la trouveraient...

***************

Le quartier était nimbé de ténèbres. Les allumeurs de lanternes ne passaient pas par ici. Tant mieux. Cela dissimulait d'autant mieux les trois compères qui approchaient lentement à la faveur de la nuit. Et puis, cela leur donnait une idée de l'activité qui régnait à l'intérieur de la maison. A leur arrivée, tout le rez-ce-chaussée était éclairé si bien qu'il était impossible de savoir où se trouvaient les Delzeenil précisément. Ils demeurèrent donc à bonne distance afin de ne pas se faire repérer jusqu'à ce que les pièces sombrent une à une dans le noir... et qu'un rai de lumière apparaissent enfin entre deux volets à l'étage.

C'était le signal qu'ils attendaient.

Rapidement et silencieusement, ils avancèrent vers l'une des issues qu'ils avaient repéré. Elle donnait visiblement sur une pièce de service, assez éloignée pour pénétrer dans la bâtisse en minimisant les risques de se faire repérer. L'alchimiste usa de son acide tandis que les deux mercenaires enduisaient leurs lames. Dès que la porte fut ouverte, ils entrèrent prestement.

La maison était plongée dans l'ombre. Le feu brûlait encore dans l'âtre du salon mais c'était la seule lumière qui subsistait encore à cet étage. Il y régnait un silence de mort... Si ce n'était les beuglements qui provenaient de l'escalier qui permettait d'accéder au niveau supérieur. On aurait dit deux animaux en rûte... Stephen avait utilisé l'expression "se sauter dessus" mais il était loin de la réalité finalement. Les deux amants s'en donnaient déjà à cœur joie alors qu'ils n'étaient pas en haut depuis cinq minutes. Bien, c'était le moment où jamais et il ne fallait donc pas tarder à se mettre en place. La priorité, c'était d'en finir avec les tortionnaires. Ils s'occuperaient de Neassa lorsqu'ils ne risqueraient plus rien.

En silence, Stephen fit un signe de tête pour inviter ses deux comparses à le suivre à l'étage.

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Cassiopée fut la première à grimper les escaliers. Elle était la plus légère d’entre tous et surtout, elle portait sur elle son « petit cadeau » au Delzeenil … Finalement, les outils de mort qu’elle préparait pour l’Ombre allaient se montrer utile. Il suffisait de simplement bien viser.

Lentement, elle grimpa l’escalier, profitant du fait que le rez-de-chaussée était inhabité pour se déplacer en silence. Les bruits provenant de l’étage couvraient, de manière fort peu élégante, les grincements qui auraient pu provenir des marches en bois. Cassiopée retenait du mieux qu’elle pouvait sa respiration, essayant de se focaliser le plus possible sur sa tâche.

Arrivée en haut des marches, elle aperçut les rais de lumière provenant de la pièce où les tortionnaires faisaient … et bien … ce qu’ils étaient en train de faire … et elle s’adossa au mur de pierre. Ses mains plongèrent dans son sac et agrippèrent fermement sa petite surprise. Elle dégagea le cylindre en acier perforé de son étui. Parfait ! Enfin un test grandeur nature sur des sujets dont le consentement lui importait peu.

Le cylindre en acier était composé de deux fourreaux dont l’un était perforé. D’un geste, elle fit faire un quart de tour à la partie supérieure du cylindre et entendit le cliquetis caractéristique du mécanisme qui s’enclenchait. Ses comparses étaient désormais en haut de l’escalier et elle commença à se déplacer latéralement vers l’entrebâillement de la porte.

Un second quart de tour et le mécanisme à l’intérieur du cylindre fit percuter un petit piolet sur la flasque d’acide, déversant le contenu dans la cuve inférieure … qui commença à chauffer. L’acide venait d’entrer en contact avec les spores concentrés du Criard Jaune que l’Ombre lui avait confié. Parfait … Maintenant … laisser tranquillement mijoter quelques instants sans se brûler les mains … avant de libérer le contenu.

De son index, elle poussa très légèrement la porte … juste de quoi lancer le cylindre sous un bon angle. L’acier commençait à lui brûler la main droite. C’était le moment. Dans un dernier geste, elle tourna à nouveau d’un demi-tour complet le cylindre, alignant de fait les perforations les unes avec les autres. Un chuintement aigu se fit entendre tandis qu’une fumée jaunâtre s’extirpait à grands jets du cylindre : le Criard Jaune était libre. Vite ! Elle projeta d’un coup sec le cylindre au milieu de la pièce où se trouvaient les Delzeenil, libérant l’épaisse fumée toxique.

Elle se recula, commença à sortir son arbalète et fit signe à ses deux compagnons d'attendre, leurs armes au clair, pour faire un carnage.

Les pieds sur le sol, les seins au jour, les jupons relevés, le ventre posé sur un bureau qui se trouvait là, une main maintenant fermement sa nuque pour la plaquer contre le bois, Ihisca libérait un cri rauque de plaisir à chaque fois que le bassin de son frère venait percuter le sien avec violence. Plus tard, ce serait à lui de se soumettre à sa domination car elle se vengerait de l'impuissante frustration qu'elle ressentait de ne pas pouvoir bouger en cet instant. Pourtant, elle ne pouvait pas dire qu'elle n'y prenait aucun plaisir, bien au contraire. Cela faisait partie de leur relation complexe et, il fallait bien l'avouer, tordue.

Le dos tourné à la porte qu'ils avaient tout juste repoussé derrière eux, ils ne virent pas le pan de bois pivoter sur ses gonds, ni la frêle silhouette qui lança quelque chose dans leur chambre. Ils ne découvrirent le pot-aux-roses que lorsque le cylindre métallique frappa le sol près de leurs pieds. Ils interrompirent alors leurs ébats sauvages pour se tourner vers l'origine du bruit puis voir la demie-drows pointer son arme sur eux.
Sans se soucier outre mesure d'un poison qu'ils pensaient inoffensif pour eux du fait du sang de leur mère, Habraen se retira du ventre de sa sœur mais se retint de se précipiter vers son épée pour ne pas se prendre un carreau dans le dos. Alors que tous deux commençaient à tousser, ils se préparaient malgré tout à se défendre, ignorant le danger qu'ils encourraient en réalité de rester dans cette pièce plus longtemps. Essayant d'ignorer le fait que sa respiration se perturbait, Ihisca, à présent debout mais immobile, se concentra sur l'intruse, provoquant une vive douleur dans sa tête puis l'ensemble de son corps. La paralyser, l'empêcher d'user de son arme, voilà quel était son objectif. Au moindre signe de défaillance de l'alchimiste, son frère irait attraper son arme qui ne se trouvait qu'à deux pas de lui.

Elle avait fait un signe : elle n'était pas seule. Ils l'avaient compris.

Nehril se tenait à quelques pas sur la droite de Cassiopée, le dos contre le mur, son arme plaquée contre son torse. Il avait eu un mouvement de recul lorsque l’alchimiste avait mis en branle son cylindre, n’accordant que peu de foi en ces instruments qu’il jugeait faillible. Fort heureusement celui-ci ne leur explosa pas au visage et déversa son contenu mortel dans la pièce. Avant de laisser Cassiopée mettre en œuvre son plan, le mercenaire avait chercher à avoir confirmation que Neassa n’était pas détenue dans cette salle. Après l'avoir obtenue, il avait fait signe à Stephen de se préparer à l’assaut à venir. Les premières ripostes des deux Delzeenil risquaient d’être sévères avant que le poison ne les affaiblisse suffisamment.

Les gémissements de l’autre côté de la pièce s’étaient tu. Nehril recula silencieusement de quelques pas et fit un geste à l’attention de ses compagnons pour leur faire savoir que leur cible savait qu’ils étaient là. Malheureusement, la pièce étant remplie de poison, Nehril ne pouvait pas charger les deux assassins. Un repli stratégique devrait probablement s’opérer. Rester dans le couloir n’était pas la chose à faire tant qu’Ihisca disposait de ses pleines facultés. Il sentit soudainement Cassiopée qui se raidissait à ses côtés. Les Delzeenil ne savaient probablement pas combien ils étaient. En focalisant leur attention sur Cassiopée, ils laissaient les deux mercenaires libres de les accueillir lorsqu’ils ouvriraient la porte. Et si ces derniers ne le faisaient pas, ils finiraient empoisonnés par la fumée de l’alchimiste.

Nehril surveilla Cassiopée afin de la protéger d’éventuelle atteinte d’Ihisca et d’Habraen, ainsi que si elle décidait soudainement de s’en prendre à eux. Il patienta. À l’affut de leur prochaine action.

Le sortilège atteint l'alchimiste de plein fouet, lui foudroyant les muscles d'une douleur vive. Décontenancée, elle recula contre le mur du couloir sous l'impact se jeta sur le côté, espérant que la perte de vision de l'ennemi sur elle permettrait de défaire le sort.

La douleur lui vrillait les nerfs et l'empêchait de se mouvoir correctement. Impossible pour elle de tirer à l'arbalète dans ces conditions. Tant que le sortilège était actif, elle serait incapable de se défendre. Les crampes s'étiraient le long de sa colonne vertébrale et la firent s'effondrer au sol, sur ses deux genoux. Elle toussa violemment : la douleur était en train de lui envoyer des signaux dramatiques au cervelet.

Dans un geste lent, elle porta sa main à la poche de sa robe et en sortit une espèce de cosse en caoutchouc qu'elle mordit à pleine dents avant de se mettre à hurler. Au moins, cela étoufferait un peu le bruit ...

Son arbalète posée sur le sol et à quelques décimètres de la naissance de l'escalier, l'alchimiste tentait de rassembler ses esprits malgré le feu qui courrait dans ses nerfs et tentait de la mettre hors d'état de nuire.

Voyant que le sort de sa sœur fonctionnait, Habraen se précipita pour attraper son épée. L'alchimiste chercha à se dissimuler à la vue de son assaillant mais il était trop tard pour cela. Malgré sa toux, Ihisca avait déjà vrillé son esprit au sien et fit naître en elle une émotion... Celle qu'elle était perdue d'avance.
Cependant, les deux Delzeenil commencèrent à comprendre que cette fumée n'était pas si inoffensive que cela. Ils ne faisaient plus que tousser, ils sentaient leur respiration se faire plus difficile. Ils avaient beau avoir la résistance des drows aux poisons, ils n'étaient pas invincibles contre cette substance-là. Il était temps pour eux de sortir de là. Alors ils s'avancèrent vers la sortie, le frère en premier. Encore torse nu, le pantalon à peine remis de manière à cacher son phallus passablement calmé par la situation, il brandissait devant lui non plus son sexe mais son arme acérée. Partagé entre l'urgence de devoir se mettre à l'abri de cette fumée qui lui brouillait les sens et l'empêchait pour l'heure de se concentrer pour jouer de ses illusions d'une part et le danger que représentait les acolytes de l'alchimiste de l'autre, il choisit de foncer dans le tas afin de ne pas laisser à la femme le temps de trop s'éloigner. Avec cette toux, il ne pouvait pas jouer les furtif de toute manière.

Ainsi, presque immédiatement après que Cassiopée se soit effondrée sur le sol, Habraen débarqua en trombe avec pour objectif d'en finir avec elle et ainsi libérer la concentration de sa sœur qui pourrait l'aider avec leurs autres opposants.

En se précipitant à travers la pièce pour achever Cassiopée, Habraen ne vit pas la lame argentée de Nehril qui le guettait derrière la porte. Le mercenaire pût brièvement distinguer cette lueur de surprise qui s’alluma dans les yeux de l’homme, peinant à réaliser qu’il venait de commettre une erreur fatale. L’épée de Nehril décrivit un large arc argenté, siffla avant de cueillir la tête de l’homme comme l’on fauche un fruit trop mûr. Le sang jaillit de son cou alors que le tronc s’effondrait mollement sur le sol. La tête vint heurter le mur avant de dégringoler les escaliers dans un bruit sourd. Les yeux du mercenaire croisèrent le regard d’Ihisca et un sourire mauvais se dessina sur ses lèvres.

— Œil pour œil Ihisca.

Il se jeta ensuite sur le côté, afin d’éviter l’emprise de ses yeux révulsés. Il fit signe à Cassiopée et Stephen de prendre les devants tant que la jeune femme était choquée par ce dont elle venait d’être témoin.