[Manoir Rutso] - Qui est à la grille? (Cécilie)

Hiver - 2e jour de la 9e ennéade de Verimios
Année 17 du XIe Cycle

Devant Cécilie, la couche de neige met en valeur la grille d'or et d'argent ouvragée avec extravagance formant des animaux fantastiques et des formes suggestives. Les entrelacs laissent voir le chemin pavé de marbre jaune arrogant qui monte et entoure une fontaine tout aussi prétentieuse de marbre noir. comme point central, De part et d'autres, sous la neige, se devine les haies et les statues en marbre de diverses couleurs sont pudiquement recouvertes de neige blanche.

Un hibiscus à l'air piteux marque l'entrée d'un passage secondaire, parfaitement visible.

Tout est en marbre, tout a l'air prétentieux à souhait à défaut d'être de bon goût. Au bout de la place centrale, derrière la fontaine qui met le bâtiment en valeur, s'impose un manoir de marbre blanc aux bas reliefs ouvragés et aux fenêtres de vitraux colorés qui mettent en valeur l'immaculé blanc de son matériau de construction. Les portes simples en érable blanchi à la chaux rendent justice et mettent en valeur la délicate complexité de l'architecture du bâtiment qui s'étend sur deux étages impossible de cet angle de savoir s'il abrite une cours intérieure ou si il est d'une seule aile. Des lanternes de verres coloré marquent le chemin, même si en cet instant elles sont éteintes et partiellement couvertes de neige.

En comparaison du palais de Maralina ce bâtiment est somme toute modeste, il en reste pas moins spacieux, indiquant de façon inimitable la fortune de son propriétaire.

D'ailleurs, à cette heure, un palefrenier est en train de ramener un hongre récalcitrant d'un gris de suie dans le chemin secondaire. Manifestement, l'animal n'a pas envie.

Un bâton à la main, une lyre au côté et un épais livre à la hanche, j'approchais de l'adresse de l'expéditeur pas si mystérieux que ça de la lettre qui faisait peser de lourds doutes sur les précautions que j'avais prises pour ne pas être rattrapée par d'éventuels acharnés comme l'avait été Victoria en son temps.

Les tâches de couleurs se mêlaient sans qu'elles ne vaillent la peine que je me concentre pour les détailler. Seule la grande forme sombre qui se déplaçait derrière la grille accaparait mon attention. Un homme accompagné d'un cheval.

- Excusez-moi ! " lançais-je à la cantonade sans grand résultat. Un froncement de sourcil et je levais davantage la voix. " Je cherche Dusko Rutsi ou son intendant Akhan. Sont-ils présents ? "

Un hennissement lui répond avant que, ne se dégageant, le cheval ne décide de retourner au petit corral au trot. Avec un soupir, le palefrenier se tourne le visiteur. La visiteuse plutôt. C'est qu'elle est mignonne... eut-être que le patron s'est remis à courtiser à tout vent? Peu importe. Il vient ouvrir à la visiteuse.

- Le patron n'est pas là mamz'elle... Il y a Akhan, l'intendant,  qui se les réchauffent. A cette heure, il doit être dans son bureau. Je dois l'avertir pour ce fichu hongre de toute façon.

Discourant seul sur les défauts de cette sale bête il ne me laisse pas l'occasion de lui signifier qu'il devait être un bien piètre palefrenier si un simple hongre lui donnait du mal. Peut-être est-ce mieux ainsi.

Derrière les portes, une série de braseros réchauffent l'intérieur d'une cour intérieur bardée de bâche de tissus. Une chaleur agréable y réside, empêchant les plantes de geler définitivement alors que leurs troncs et leurs tiges à nue folâtrent alentour. Là des vignes grimpantes. Ici d'autres qu'elles n'arrivait pas à identifier. Manifestement, le propriétaire ne lésine pas sur les moyens pour préserver ces audacieux jardins.

De part et d'autre, les ailes du manoir de marbre blanc surplombent cette jungle urbaine et des sentiers partent en tous sens. Une odeur d'humidité froide flotte dans l'air. Point d'eau ou masse de neige menaçant de faire crouler un plafond trop plat ?

Le palefrenier tourne à droite et suis le tracer du marbre jaune. Les colonnades supportent élégamment ce qui se devine comme une coursive extérieur à l'étage. Le manoir, vu de dedans, semble infiniment plus grand et pompeux que du dehors, ce qui était un exploit en soit. Qui pouvait bien construire en marbre tout un palais alors que les carrières étaient suffisamment loin pour qu'il n'ait jamais le courage d'y mettre les pieds ?

Enfin, la porte d'un bureau cède et le palefrenier entre sans une hésitation.. Et sans me laisser passer devant. Parmi une nouvelle débauche de couleurs criardes qui jurent entre elles, Un simple homme est assis, la figure dans une pile de documents. Un humain bien fait, la peau de miel et les yeux marrons, arborant une barbe soigneusement taillée et le collier des esclaves. Par l'entrebâillement de la porte, j'entendais seulement l'échange.

-M'sieur Akhan, " dit le guide de Cécilie avec déférence. " Y'a quelqu'un qui veut vous voir...
-Mais fais le entrer, qu'attends tu?
-J'veux vous parler du canasson...
-Encore lui?
-ben...
-Laisse la donc tranquille cette pauvre bête. Allez, va nettoyer sa stalle plutôt. Va et  fais entrer le visiteur.

Passablement agacée par la nonchalance du serviteur, je poussais moi-même la porte. Un son sec raisonna dans le bureau lorsque mon bâton de marche ferré se posa sur les dalles au rythme de mon pas. M'éloignant de la porte pour laisser tout loisir au garçon d'écurie de sortir le plus rapidement possible, j'attendais que son dos ait disparut de nos vue pour reporter pleinement mon attention sur l'actuelle maître des lieux - puisque je ne pouvais avoir mieux pour le moment.

- Votre maître m'a envoyer un message à propos de Nisetis, d'une capitaine nommée Lylianna et d'un possible financement pour une expédition vers la ville-morte. " commençais-je sans même m'être présenter. Je guettais plutôt le regard et le ton de mon vis à vis. Reconnaitrait-il la harpe ? Mentirait-il ? Ceci était très loin d'être une visite de courtoisie et je ne me gênait pas pour le faire sentir. " Comment a-t-il entendu parlé de moi et pourquoi me veut-il comme experte ? "

Non...

Non non et non !

J'avais espérer que tout ça soit relié à Dante d'une façon ou d'une autre. Qu'il se soit fait passé pour quelqu'un ou qu'il ait distordu la vérité pour m'envoyer des informations de façon un peu provocante. Mais quelqu'un d'autre semblait au courant avant qu'il ne la croise. Il y avait cependant une chose qui restait assez brumeuse et qui me faisait battre le cœur plus fort.

- Vous m'avez appelé Enchanteresse tout à l'heure. Le terme exact d'Enchanteresse de Missède a-t-il été prononcé par l'Ombre ou par la nécromancienne Lylianna ?
- Par l’Ombre madame, mademoiselle? Il l’a utilisé seulement lors de la dictée.

Soulagement... A priori personne d'autre n'avait trouvé une façon détournée de savoir que Cécilie de Missède était en vie et en pleine recherche. Inquiétude... Cette nécromancienne avait instinctivement reliée l'Enchanteresse à Nisetis, alors que ce nom était celui d'une pourvoyeuse de savoir et d'une mercenaire sans obédience particulière. Ce qui me reliait à Nisetis me reliait à mon ancienne vie et elle n'aurait pas à fouiller indéfiniment pour comprendre. Quelqu'un avait du lui permettre de commencer ce travail de rapprochement, et je ne voyais que deux personnes pour l'avoir fait. L'une était visiblement hors de cause et l'autre recevrait rapidement ma visite. Rage... La personne hors de cause avait pourtant fini le travail.

Dante savait à quelle point je haïssais qu'il fasse référence à mon véritable nom en m'y associant. Il savait que cet anonymat m'était nécessaire pour ne pas me retrouver avec les chasseurs de mage d'Ithri'Vaan, les prêtres elfes, les moines de l'immatériel et les chevaliers péninsulaire à ma poursuite. Et pourquoi pas, soyons fou, la Dot'kah puisque les drows vénéraient le Karkal. Il ne pouvait ignorer l'effet que ce genre de provocation avait sur moi. Même lorsqu'elles étaient juste entre nous, cela me mettait hors de moi. Le risque n'était jamais nul.

Même maintenant, près de sept ans plus tard, je doutais d'avoir le pouvoir nécessaire à les tenir tous en respect. Les princes marchands ne m'étaient pas assez liés. Shyn'tae était encore en disgrâce. Je n'avais ni guilde, ni fidèle, ni armée. Peut-être qu'en me livrant à eux, ils m'épargneraient pour certain, mais cela voulait dire retarder encore mes recherches et laisser à nouveaux des moutons me brider. Et tout cela n'était que le scenario le plus clément. Haldren s'était chargé de faire en sorte que Cécilie de Missède devienne un nom honni et terrifiant. Si la légende avait pris le pas sur la réalité, il suffirait d'un espoir pour que les hérauts de la bienpensance lâchent à nouveau leurs chiens. Ceux qui me craignaient et pensaient savoir la vérité n'oubliaient pas.

A l'époque, lorsque j'avais du changer d'identité, j'avais du renoncer à tout ce que j'étais. Mon nom était un joyau dangereux que je gardais autour du cœur, emplit de toute la noblesse et de toute la fierté dont nul ne pourrait jamais me déposséder. Alors, par orgueil peut-être, je m'étais emparée du sobriquet que me donnaient mes détracteurs à Missède. L'Enchanteresse de Missède était devenue simplement l'Enchanteresse. C'était risqué, mais c'était aussi un trait d'ironie qui moquait tous les imbéciles qui avaient pavé mon chemin. Une bravade qui me revenait aujourd'hui au visage.

Mon cœur, serré au point de m'en faire mal, semblait vouloir suspendre tout battement.

Il m'en voulait donc à ce point... De toute les façons de me trahir et de me mettre en danger, y en avait-il de plus pernicieuse... ?

Je dus avoir l'air particulièrement déstabilisée car l'esclave me regarda étrangement. Loin pourtant du souffle coupé et de la mine défaite des belles dames en pâmoison, mes yeux absents le fixaient sans ciller. J'avais un choix a faire. La colère et la douleur qui bouillaient en moi ne le rendait que plus ardu a faire en gardant la tête froide.

Tuer cet homme et son maître qui avaient toutes les cartes en main pour renvoyer les limiers sur mes traces. Disparaitre encore. Revenir plus tard.

Ou renouer avec ce que je n'avais cessé d'être que par nécessité. Laisser le secret filer peu à peu entre mes doigts et affronter ceux qui oseraient se lancer à ma poursuite.

Fuir ou se battre ?

Je me rappelais l'empressement de Gaël à ne pas révéler notre lien de parenté. Je frissonnais à l'idée du retour d'Ernest. Aurait-il l'audace de venir chercher sa femme ? Serais-je assez folle pour retourner là-bas et faire face à toutes les horreurs qui s'y terraient ?

Serais-je assez forte pour faire face à toutes celles qui viendraient jusqu'à moi ?

Oui.

Un sourire étrange déforma inconsciemment mon visage. Il était temps de s'en rendre compte. Le soutien de leur présence me rasséréna. Un peu de défi ne ferait pas de mal, cela me motiverait. Nous en étions capable. Il fallait juste s'en donner les moyens. Nous étions faites pour cela après tout. La mort et l'immortalité.

- Oui. Cela m'intéresse. " finis-je par déclarer sur un ton totalement radoucit, m'asseyant enfin. Mon faciès s'était également calmé et l'expression étrange en avait disparue. " Enfin je pourrai l'aider d'une certaine façon mais j'ai bien peur que la concurrence ne fasse pas partie de mes attributions. Pour les artefacts, je ne peux rien promettre. La ville-morte est gardée par des non-morts dont certains ont un esprit intact, des magies inconnues, des dragons rouge et un monstre divin gardien du Néant. J'y ait été moi-même et une seconde expédition n'est pas à l'ordre du jour. Cependant, si cela intéresse votre maître, je travaille sur les anciens savoirs de ce peuple. Leur langue, leurs arts et leurs pratiques. Je pourrais lui fournir des ouvrages les concernant. Je connais également une secte draconique qui pourra l'aider à authentifier les artéfacts qu'il pourrait découvrir. Pensez-vous qu'il soit intéresser pour une collaboration de ce genre ? "

Je restais interdite quelques instants, sans toucher à ce qu'il venait de me servir. Non par méfiance, mais purement par manque d'appétit. Aucun d'eux n'avait vu le visage de leur maître... Qui avait changé le mois précédent... Et qui utilisait Dante comme homme de main au point de lui faire rédiger des lettres... Mis à par Maralina, et encore, je ne connaissais pas un seul employeur pour lequel Dante se serait démasqué à ce point. Sans parler de donner des informations sur moi, c'était déjà donner des informations sur lui.

La colère se mua en un flottement dubitatif...

L'argent nécessaire à tout ce qu'elle avait trouvé dans le grenier. Les plans d'Isgaard qui étaient bien trop précis pour être locaux... Un marchant de marbre qui changeait en Ithri'Vaan, soit disant péninsulaire, que personne n'avait vu et qui était retenu ailleurs tout en s'intéressant aux reliques Nisetiennes... Et qui lui proposait du travail sorti de nulle part... Et qui spécifiait à son intendant de ne surtout pas lui mentir.

Soit je devenais paranoïaque... Soit tout cela s'imbriquait étrangement bien...

Dusko Rutsi...

Je réprimais un sourire incertain au moment ou l'homme m'assurait de sa volonté d'aller se faire fouetter après mon départ.

Je lui en foutrai du Dusko Rutsi...

- Très bien. Vous direz à votre maître qu'une collaboration est tout à fait envisageable. Il n'aura qu'à me contacter quand il sera disponible pour que nous puissions l'officialiser en face à face. Puisqu'il sait comment me joindre, je ne vais pas vous faire perdre plus de votre précieux temps. " Sur ces mots, je me levais gracieusement, bien moins sèche qu'à mon arrivée. Par réflexe, je tâtais le bord de l'assise par quelques coups de mon bâton de marche et m'extrayais du tour de la table basse. L'esclave s'était tout de suite levé en miroir et se précipitait déjà pour me raccompagner vers la porte.

Alors qu'il passait à ma portée, je posais ma main libre sur son bras, m'approchais d'un pas devant ses yeux arrondis et me hissais sur la pointe des pieds pour empoigner son collier. Évidement, il n'aurait eu qu'un mouvement à faire pour me repousser, mais la surprise le figeait encore lorsque mes lèvres enlacèrent les siennes. Un fois pour qu'il se rende compte. Une deuxième fois pour qu'il réagisse. Aussi langoureusement qu'il me laisserait faire. Aussi longtemps qu'il le désirait s'il participait. Et quel qu'en soit le résultat, je retombais sur mes talons en soutenant son regard de mes yeux bleu ciel.

- Lorsque vous transmettrez mes salutations à votre maître, n'omettez aucun détail."

Les quelques pas qui me séparaient de la porte furent rapidement avalés. Que je sois escortée ou non, je réussirait bien à trouver la sortie... avec un peu de chance.