La comédie Vaani

8ieme enneade de Verimios,
L'arène des sablons.

Ils avaient bouché le point d'impact avec une bonne couche de mortier. Quelques fissures dans la pierre rayonnaient encore de la réparation comme les rayons paresseux d'un soleil de chaux blanche. Elle ne s'était jamais demandé auparavant ce qu'était devenu la lame du stylet, ni les morceaux de sa garde. La sorcière croyait se souvenir avoir vu le sable se soulever là où les seconds l'avaient percuté, et elle croyait tout à fait possible que la première se soit retrouvée dans le couloir qui faisait le tour de l'arène, de l'autre coté de ce mur qu'elle caressait maintenant.

Ce qui s'était passé était flou dans ses souvenirs. Quelqu'un les avait-il ramassé et faisaient-ils maintenant partie d'une collection privée? Ou bien avaient-ils fini dans une poubelle quelque part, comme les outils brisés qu'ils étaient.

Une métaphore plutôt correcte du destin que les dieux réservaient aux drows. Était-ce un blasphème? Au diable tous ces hypocrites qui craignaient tant que les Eldéens ne se détournent de leur mission sacrée. Ils avaient tous si peur. La peur faisait stagner.

Du bout de l'index, Shyn'tae caressa la pierre rugueuse un instant de plus, puis se détourna pour se diriger vers le petit groupe dans l'arène. La neige avait fondue, et c'était tant mieux. Les températures remontaient peu à peu, on disait que les récoltes d'agrume seraient particulièrement mauvaise cette année.  Ce temps n'avait eu aucun sens, quelque part, Zhak'bar avait du boire un peu trop. Au moins les oiseaux de mauvaise augure avaient eu tort, comme prévu. Aucune catastrophe surnaturelle n'était advenue, si on omettait l'arrivée de son père dans la capitale Vaani.

Sa cape noire se soulevant dans le vent léger, dévoilant la courte toge d'un blanc immaculé qui lui servait de vêtements. ses pieds nus un peu de sable à chaque pas, elle s'approcha du groupe assemblé. Il faudrait qu'elle dise un ou deux mots à Dante, mais ce serait seuls à seuls. Lorsqu'elle s'arrêta, la drow étouffa un bâillement en passant ses doigts ornés des griffes d'argent sur ses lévres. Lorsqu'elle eut terminé, elle posa la main sur son flanc et se déhancha souplement. Le fourreau de son épée se balançait doucement prés de sa jambe nue. L'autre bras pendait, parfaitement détendu.

Après un bref hochement de tête à l'intention de X'andarin, son visage éclairé par un sourire félin s'était tourné vers Hanegard.

- Alors, Combien de rois as-tu tué depuis notre dernière rencontre?

Mille souvenirs envahirent le Tueur de Rois lorsqu'il entra de nouveau dans la grande arène où s'étaient déroulés les mémorables Jeux de Thaar. Tout lui revenait subitement en mémoire, le fracas des armes entre les duellistes, le grincement du métal ripant sur une armure, les hurlements de douleurs des blessés que couvraient la folie enthousiaste de la foule, l'odeur acre du sang vermillon versé sur le sable chaud, la croupe avantageuse de Shyn'tae qui l'avait troublé au moment décisif (si !). Heures de folies, heures de gloire où seule comptait la faveur du public envers les gladiateurs qui se voyaient temporairement adorés tels les Dieux eux-mêmes, n'en déplaise aux grenouilles de bénitier qui jettent des regards sévères sur ces agapes profanes. Bien qu'il n'ait guère ressenti l'envie de jouer à nouveau son existence dans de tels affrontements, Hanegard ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe de nostalgie en se remémorant l'ardeur virile qui l'habitait alors. Seuls les vrais guerriers savent que l'exultation du combat vaut tous les risques et que nul autre nectar ne peut égaler la jouissance du pouvoir qui parcoure alors vos veines.

Mais bref... en ce jour-là, le petit groupe qui se tenait dans l'arène ne prévoyait pas s'étriper façon boucherie avec de la tripaille collé partout sur les murs. Engagés par Diolando pour assurer un spectacle lui permettant d'exalter la grande Vaanie, ils flairaient prudemment les lieux comme des chiens revenus à leur ancien chenil pour vérifier que nul autre qu'eux n'y a pisser. Ce fut Shyn'tae qui brisa la glace et sa question déclencha un grand sourire sur le visage austère de son ancien adversaire.

Un seul ! Un chef de clan wandrais, lors de la récente bataille pour lever le siège de Fort Norkan. Certes ce gaillard ne portait pas le titre de roi, mais il dirigeait seul son peuple et n'avait de compte à rendre à personne.

Parcourant l'arène du regard, Hanegard rechercha Diolando mais nulle trace du troublant prince qui semblait aux abonnés absents. Se serait-il trop attardé dans les bras d'une conquête quelconque ou à la dégustation de quelque nouvelle drogue ? Connaissant cet hédoniste impénitent, cela n'aurait rien eu d'étonnant.

Bon alors, que fout notre commanditaire ? Il devait nous présenter nos costumes et je suis curieux de savoir à quoi ressemble nos personnages selon lui.

L'oreille de la drow la plus proche du tueur de roi s'était dressée à la mention de Wandres, de Nokan, à moins que ce ne soit Nhokran, de batailles et de rois qui n'en étaient pas. Elle aurait volontier posé milles questions, et peut-être le ferait-elle, car aussi érudite fut-elle, les connaissances en géographie de Shyn'tae était singulièrement limitée par son éducation puysarde.

Mais elle avait des siècles pour répondre à toutes ces questions, et quand elle parlait de siècles, c'était au sens propre. Du moins si personne ne la tuait quelque bétise auparavant, ce qui était une possibilité tout à fait envisageable.

- Il faudra que tu me racontes ca.  Quant-à notre employeur... il a probablement eu un empêchement. Prince marchand est une activité plus chronophage qu'on ne le croit. Entre les fêtes, la chasse aux petits fours, les amants et les drogues, je comprends qu'il puisse avoir des difficultés à trouver du temps pour ses loisirs. La locataire du palais d'argent était intervenue d'un ton professoral des plus serieux. Seul un auditeur particulièrement attentif aurait été en mesure de sentir le sarcasme qui s'y était glissé.

- Si on allait en profiter pour voir ces costumes nous même?

Et aussitôt, la drow s'en était allée d'un pas dansant, agitant ainsi sa croupe gracieuse sous le nez d'Hanegard et de Dante. Avait-elle un peu grossie depuis la dernière fois? La soie blanche de sa robe n'aidait pas à en juger, et il était fort peu probable qu'elle soit conçue pour être arrachée comme l'avait été la jupe de son armure légère.

***

Les costumes étaient stockés dans une pièce nichée dans les tréfonds des sablons, protégés par une lourde porte de bois et de fer verrouillée par un mecanisme des plus intimidant. Celui qui en portait la clé devait se sentir puissant rien qu'en la sentant dans la poche de son pantalon, supposa la sorcière.

Surtout, il n'y avait personne d'autre dans le couloir. Parfait. Il n'y avait qu'à entrer. Rien de bien difficile.

- Hmm... c'est ici, je crois. Pensive La daedhel avait posé l'indexsur ses lévres noires. Dehanchée elle observait la porte. Son regard passa d'un coté à l'autre du couloir, ils étaient seuls.

- Ils préfèreraient qu'on n'entre pas sans autorisation, conclut-elle alors avant de se frotter les mains l'une contre l'autre, le regard brillant d'enthousiasme.

Les gladiateurs possèdent maintes qualités mais la patience n'en fait malheureusement pas partie. Suite à une proposition de la sorcière à la croupe avantageuse (sur laquelle Hanegard lorgnait un peu comme un dawi fixant son tonneau de bière), ils s'enfoncèrent dans l'obscur dédale de galeries qui courait sous les Sablons. Aucun plan précis n'existait de ces corridors qui dataient pour certains de l'ancienne arène bâtie du temps de l'empire Nisétien et la rumeur voulait que les fous qui s'y aventuraient trop profondément n'en ressortaient jamais. Mais ne vous inquiétez pas pour nos héros car ils demeurèrent sagement dans les zones connues à proximité immédiate des salles de repos, bien qu'un problème d'apparence insurmontable se dressa férocement devant eux alors qu'ils pensaient toucher au but.

La porte était fermée à clé.

Et bien entendu, pas trace de la clé ni du portier qui l'accrochait habituellement à sa ceinture. Nul doute que ce jean-foutre devait traîner ses braies dans quelque bordel du coin afin de tremper son biscuit dans un pot accueillant en échange de ses émoluments de l'ennéade. Toutefois les frasques sexuelles du petit personnel ne représente qu'un intérêt fort limité pour notre histoire, aussi revenons en à la résolution du problème de l'ouverture de cette fichue porte devant laquelle Shyn & Cie font le pied de grue tandis que je m'égarais à vous narrer des anecdotes inutiles.

Ce fut X'Andarin qui proposa la solution, se moquant à moitié du wandrais en le défiant de défoncer l'obstacle dans une débauche de force brute débordant de testostérone à laquelle nous ne pouvons bien entendu pas résister. Gonflant son poitrail puissant et huilé, le Tueur de Rois secoua la tête pour rejeter en arrière sa crinière poivre et sel dans un geste qui aurait fait s'évanouir de bonheur le public féminin... s'ils n'avaient pas été que quelques couillons dans un couloir mal éclairé.

Un wandrais ne refuse jamais un défi, sachez le ! Passant ses doigts sur la porte à la recherche des endroits où des aspérités du bois trahiraient une faiblesse, Hanegard opta finalement pour les charnières qui ne lui semblaient pas être renforcées. Logique au demeurant, car si les voleurs devaient être tenus à l'écart de telles salles, il ne s'agissait malgré tout que de costumes de scène et pas des réserves d'or des Princes marchands. Reculant d'un pas pour prendre son élan, notre étalon rutilant banda tous ses muscles avant de grommeler à l'attention de X'Andarin:

Laisse faire les vrais hommes.

Et le Tueur de Rois se rua sur sa victime ! (je parle de la porte, pour ceux qui auraient les neurones encrassés)

HRP:

Hanegard avait bien calculé son coup et la violence de sa charge fit littéralement sauter les gonds qui retenaient la porte, laquelle bascula en arrière et s'effondra au sol dans un grand craquement tandis que son vainqueur se voyait propulsé dans la salle par son élan. Après quelques pas pour conserver son équilibre, le wandrais pivota sur lui-même et s'inclina face à ses comparses dans une parodie de la révérence de cour avant d'annoncer d'un ton espiègle :

C'est ouvert.

Il ne va pas le faire, tout de même ?

Les oreilles de la noire créature s'étaient dressées, avant que la droite ne s'abaisse progressivement pour renforcer encore l'expression de profonde incrédulité qui ornait son fin visage. Puis il l'avait fait. Hanegard, le tueur de roi, s'était jeté sur la porte massive, et virile. L'épaule avait frappé le bois, avait-elle révé, ou l'impact avait-il aussi fait trembler les fondations même des sablons?

Puis le tueur de roi était devenu le tueur de porte. Sa victime s'afaissa lentement, agonisante, et finit par s'ecraser violemment sur les dalles dans un fracas tonitruant.

C'est ouvert.

Restée derrière les deux mâles, la championne de Thaar ressentit un frisson, son regard posé sur le vainqueur et son corps embrasé par la performance, puis hésita à applaudir.

C'est alors qu'elle se rappela que le mâle dont il était question l'avait privé de son bras gauche quelque années auparavant. Il n'aurait pas droit aux applaudissements, et ce ne serait que justice.

- Beau travail d'équipe !

Sa robe légère ondoyant à chacun de ses pas gracieux, la demoiselle enjamba la porte pour pénétrer dans le saint des saints qu'en galant homme, Hanegard venait de lui ouvrir. Ses doigts caressèrent étoffes et ornements, épées et haches surdimensionnées alors qu'elle ondoyait dans la pièce à la recherche de...

Là!

Egaré sur un bureau, trônait le registre. La drow s'en empara prestement avant que ses camarades ne puissent faire de même et parcouru rapidement les entrées.

- Les semailles, les semailles... AH! Son regard abandonna l'ouvrage pour se porter vers les rangées de costumes vers lesquelles elle sautilla.

- Alors, Ascanio, c'est.. ca. Le sbire de la dame blanche, le vil serpent est ici. Elle pointa alternativement un costume puis un autre.
- Et l'allegorie de Griffargent...

Elle porta son regard sur un costume.

Son oreille droite se dressa.
Elle reporta son attention sur le document, elle avait du se tromper.
Elle fronça les sourcils, s'approcha comme si la costume avait été une bête feroce.
Verifia à nouveau.

C'était bien ca.

Le costume recouvrait son porteur de la tête au pieds de cuir et de métal comme une veritable armure complète. Des plumes de métal dépassaient de l'arrière du heaume, qui était doté d'un long bec.

- Shu... C'est quoi ce truc ?