[Portes Bleues] L'antre des sorcières

Hiver - 2e ennéade de Karfias
An 18 du XIe Cycle

Sur la ville en reconstruction, un soleil pâle se levait. De tous les quartiers, il y en avait un qui avait gardé toute la superbe d'avant guerre et effacé bien rapidement la couleur des massacres. Loin des murailles et de leurs souffrances visibles. Loin les quartiers populaires et des fosses communes remplies des os du bétail humain dévoré pendant le siège pour pourvoir au plus riches banquets. Loin du Bae'd, de la Citadelle. Un centre névralgique d'un autre genre. Un saint des saints ou les eldéens avaient succédé aux doeben sans que la couleur des habitant ne varie. Le quartier des hauts temples.

Là, sur le parvis de la cathédrale dédiée à Teiweon, non loin des immenses marches de celles d'Uriz, des demeures d'une taille princière se comptaient sur les doigt d'une main. Et même moins. Elles étaient au nombre de trois. L'une d'elle avait servit à entreposer les corps des riverains pendant l'assaut d'Elda et la guerre civile. Et c'était précisément le seuil de cette dernière que venait de passer une grande charrette bâchée.

Les double battants de la porte extérieure avaient été refermés sur la rue, leur épais bois bleu protégeant le commerce de toute indiscrétion. Dans la cour extérieure, la seconde porte avait été ouverte en grand pour laisser passer les quatre hommes qui installaient progressivement d'étranges creusets de marbre, amphores, ballons de cuivre et trousseaux de verrerie.

- Non. Pas ici l'alambic. Toutes la grande salle du rez-de-chaussée du pavillon. De l'autre côté. " indiquais-je aux deux porteurs les plus proche, un sourire froid sur les lèvres.

Si au début du mois précédent, on m'avait dit que j'en serai là aujourd'hui, je ne l'aurai pas cru...

L'hiver frappait à peine à nos portes lorsque j'avais rencontré Cassiopée à Ys. La revoir quelques ennéades plus tard dans le Palais d'Argent, en tant qu'invitée et amie de Shyn'tae avait déjà été une surprise. M'entendre avec elle plus qu'une soirée et quelques cours l'avait été bien plus. Si je ne lui faisais pas plus confiance qu'à n'importe qui d'autre, j'avais appris à respecter et à apprécier l'esprit vif de la jeune femme dont la curiosité rivalisait avec la mienne... Et cela m'avait conduit à partager avec elle des idées folles concernant mes recherches, de celles que je réservais d'ordinaire aux oreilles de la lionne noire.

Entre les connaissances magiques de Shyn'tae et les idées novatrice de l'alchimiste, nous avions vite élaboré toutes sortes de plans loufoques et deux évidences étaient venues nous couper l'herbe sous le pied. Tout d'abord, aucune expérience sérieuse ne pouvait être entreprise au Palais d'Argent. Entre les Princes et le propriétaire, trop de mondes auraient put en pâtir en cas de problème. Deuxièmement, les nains pouvaient devenir un véritable problème pour Cassiopée et il valait mieux qu'elle ne traine pas seule dans un endroit où elle serait facilement accessible.

Aussi avais-je proposer une autre idée folle. Et si le manoir que je venais d'acquérir à Sol'Dorn nous servait de lieu de réunion et d'expérimentation pour nos recherches. Un haut lieu d'innovations et de savoir dépourvu du moindre tabou religieux ou éthique. Darnab, expériences sur les esprits, créations de glyphe, remèdes et recherches concernant les encres magiques. Je fournissais le lieux, les résultats et les frais étaient partagés - et sûrement bien amortis si les idées de filtres concentrés de Cassiopée aboutissaient - les expertises s'entraidaient.

L'idée était lancée, il n'y avait plus qu'à meubler un minimum la "petite bicoque dans laquelle nous aurions à peu près notre place, mais surtout aucun compte à rendre". J'avais en priorité fait aménager trois chambres avec l'argent de mes derniers contrats princiers, le reste était passé dans les laboratoires et les matières premières. Si la cuisine était encore chiche et les pièces communes encore entièrement vide à l'exception d'une grande table de réception, le principal était là. Au moins nous aurions de la place pour dessiner des schéma.

Dans tous les cas, d'ici quelques jours, mes deux compagnes provisoires me rejoindrais dans cette majestueuse demeure logée dans le quartier le plus riche et le plus sacré de Sol'Dorn, entre la cathédrale de Teiweon et celle d'Uriz.

Carte du domaine:

L’ANTRE DES SORCIERES

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“What makes you think she’s a witch ?
- Well, she turned me into a newt.
- A newt ?
- … I got better …”

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Quelle horrible cité …

Un endroit parfait pour se cacher.

Cela faisait plusieurs ennéades que mes activités personnelles étaient gênées. J’avais sur le dos les limiers les moins fins et les plus ridicules qui soient, mais pas les moins dangereux. Parmi mes détracteurs, les limiers des Milles-Caves étaient les plus compétents. Ils me surveillaient régulièrement dès que je quittais Ys. Jamais bien loin, mais jamais menaçants, ils prenaient des notes sur mes déplacements et me gardaient à l’œil. Je n’en attendais pas moins des teigneux des terriers après les avoir fait passer pour des pouilleux en plein cœur de leur territoire. Je m’accommodais de leur présence : il valait mieux pour moi que les Mille-Caves dépensent des fortunes pour suivre mes faits et gestes. Cela les tenait occupés et pendant ce temps, mes propres agents pouvaient vaquer à leurs affaires sans risquer d’attirer l’attention des nains. En un sens, que l’attention des nains soit braquée sur moi arrangeait beaucoup mes affaires. J’avais déjà expliqué ce petit tour à Ascanio Vossula … il ne l’avait pas compris à l’époque. Bien mal lui en a pris …

Mes autres limiers étaient plutôt des dogues baveux. Il s’agissait ni plus ni moins que des sbires de ce cher Diolando Vega. Qu’avais-je fait pour provoquer son ire, si ce n’est refusé de lui donner ce qu’il attendait ? Les gens étaient d’un susceptible ! Par contre, il n’était pas bien malin et ses larbins non plus. L’Ithri’Vaan était une terre d’intrigues et de complots. Ayez au moins l’obligeance d’embaucher des gens compétents pour faire des filatures et pas des gens du cirque … !

Nous jouions au jeu du chat et de la souris et je m’amusais à les faire tourner en bourrique de temps à autre quand l’envie m’en prenait. La dernière fois, j’avais réussi à les faire entrer dans le Nid sans qu’ils s’en rendent compte. Ils avaient fini dépouillé par les gamins du Gerboir qui trainaient aux franges du quartier. Ils étaient stupides … mais leur incompétence pouvait se révéler dangereuse. Il suffisait d’un mot de leur maître pour qu’ils deviennent tout de suite plus menaçants. Dans le doute, j’avais prévenu l’Ombre pour parer au moindre geste hostile de leur part.

Afin de pouvoir continuer à m’amuser avec eux, j’avais laissé des pistes sur ma prochaine destination. Aux espions nains, j’avais laissé entendre que je passerai mes journées dans les palais d’Ophélia à Ashaï. Aux sbires de Vega, j’avais laissé entendre que mes affaires allaient m’amener à Sélynonte. Cela me permettait de faire discrètement affréter une caravane pour me rendre à Sol’Dorn avec mes affaires, sur invitation de la belle Enchanteresse.

Ma caravane comprenait tout un attirail de ce dont nous aurions besoin pour travailler dans les meilleures conditions : alambics, athanor, creuset, précis d’alchimie. La moitié de la bibliothèque avait été déplacée pour l’occasion ainsi qu’une grande partie de mon matériel de rechange. Si mon hôte avait déclaré pouvoir parer à tous les imprévus, mieux valait être sûre de ne pas avoir à sortir de la cité. Il en allait de ma tranquillité.

Mes véhicules étaient arrivés tôt dans la matinée. Passer l’octroi n’avait pas été des plus faciles en raison de la loi martiale encore en cours dans la cité, mais mon statut de Princesse Marchande … et l’argent … permettaient d’ouvrir bien des portes. La cité était calme. Il faut dire, après un génocide pareil, il ne devait plus rester grand monde dans la cité fortifiée. Les humains se comptaient sur les doigts de la main : la plupart de ceux que j’avais croisé n’étaient pas des locaux, mais des « entrepreneurs », profitant du vide laissé par le génocide pour racheter quelques propriétés dans le la cité. J’avais pour ma part, demandé à La Valériane de racheter des propriétés dans la cité à vil prix pour pouvoir m’y implanter durablement. Les rares humains ayant survécu ne souhaitaient pour la plupart plus y vivre … aussi racheter des propriétés n’était pas très compliqué, d’autant que les Eldéens souhaitaient visiblement trancher avec la politique des précédents gouverneurs de la cité.

La porte bleue de ce que l’Enchanteresse appelait son « Antre » se dessina après quelques dizaines de minutes à l’intérieur des rues désertes. Les gardes du temple nous observaient de loin, mes compagnons et moi, mais se détournèrent rapidement. Ils avaient bien mieux à faire de leur journée que de contrôler à nouveau les carrioles ayant passé l’octroi.

Mes compagnons firent entrer les charrettes dans la cour de l’hôtel particulier et commencèrent à décharger les caisses de matériel ainsi que ma garde-robe. Eh ! Je n’allais quand même pas venir avec un seul trousseau. Je descendis de mon véhicule et inspectait l’hôtel particulier. Beau bijou que celui-ci. Nous aurons toute la place nécessaire pour travailler sans être embêtées.

Il n’y avait plus qu’à s’installer …




LA ROBE DE CASSIOPEE: