[Portes Bleues] Les profondeurs de l'âme

Hiver - 3e ennéade de Karfias 18:XI
Peu après l'installation de Cassiopée et Shyn'tae

Des odeurs de fumée, de feu, et de divers éthers voltigeaient dans le pavillon et s'échappait par les fenêtre ouverte de la grande salle que les trois femmes avaient transformer en laboratoire. Chaque jour de la Missèdoise était bien réglé et si les fantasmes des plus imaginatifs auraient jurés qu'un palais abritant ces trois femme en particulier tournerait en une antre des délices, ils auraient été particulièrement déçus.

Levée plus tôt qu'elle n'en avait l'habitude, Cécilie commençait comme promis par étudier les bases et princes de l'alchimie auprès de Cassiopée. Le laboratoire lui permettait surtout d'observer des transformations simples, le reste était un travail de mémorisation colossal conjugué à de la logique, de l'inventivité et des mathématiques poussées. Elle consacrait la matinée à ce qu'elle ne pouvait apprendre dans les livres : la manipulation des différents instruments et les bases de sécurité, profitant du séjour de la princesse marchande qu'elle savait devoir être de courte durée. Elle l'assistait notamment dans des distillations, macérations et concentrations étranges concernant un cactus rabougri que Shyn'tae faisait venir par charrette de deux tonnes. Une plante nommée Darnab dont les vapeurs et les sucs étaient sensé attiser les sens, renforcer le corps et rendre plus enclin au plaisir. L'humaine s'était gardée d'y toucher, les aphrodisiaques étaient une science inexacte qui lui répugnait. Alors en contre partie, Cassiopée lui apprenait à réaliser quelques onguents de base pour les tracas de la vie quotidienne. Elle était loin d'y exceller, ses doigts gourds n'étant pas particulièrement habile hors du domaine de la musique, mais au moins elle avait quelques recettes à reproduire méticuleusement et savait par ou commencer.

Après le repas de la mi-journée, tandis que la Princesse blanche étudiait les possibilités de concentrer toutes sortes de composés venant de créatures ou de plantes sensément magiques pour en faire des huiles ou des ambres et espérer pouvoir conduire plus facilement un flux arcanique, l'eldéenne et la péninsulaire se réfugiaient dans l'un des salons vides pour danser. Pendant de longues heures, elles créaient, répétaient et peaufinaient le spectacle qui leur servait d'alibi pour gagner la péninsule en toute sécurité politique. Liss'na s'était mise en tête de les accompagner au kamancheh et de venir elle aussi, mais avec le temps qui passait, le concours de l'aide promise par Mamba ne serait pas de trop. Un mage de lumière gommerait à coup sûr tous les faux pas et les imperfections de ces danseuses plus ou moins amatrices.

Puis, la rouquine s'accordait un long bain, s'enquérait de l'état d'Ali et Naïm, les jumeaux esclaves qu'elle avait récemment achetés et qui se révélaient surprenamment efficace pour tirer quelque chose de Khadija. Leur convalescence se déroulait bien et du moment que les repas étaient fait, elle les avaient autorisé à chercher un moyen de rassembler de l'argent pour payer les soins de la jambes de Naïm.

La fin d'après-midi et la soirée, aussi bien avant qu'après le diné et jusqu'à très tard dans la nuit, était consacrée aux recherches personnelles de Cécilie. Ces recherches qu'elles attendaient de pouvoir mettre en pratique depuis si longtemps !

Pour éviter que les cris de ses victimes dérangent les autres habitantes ou les voisins, elle avait profité des étages souterrains de cette demeure à l'eldéenne. Dans l'ancien cellier communiquant avec la première cours pour faciliter les livraisons, elle avait délimité un espace réservé à son matériel. Pour l'instant, il n'y avait ni coffre, ni armoire ni étagère, mais tout l'argent dont elle disposait encore était passé dans l'aménagement de trois chambre et la préparation du voyage. Alors elle faisait ce qu'elle pouvait.

Deux portes plus loin, c'est sans étonnement qu'elle avait découvert ce qui ressemblait à une chambre de torture, ou une geôle privative. Après tout, ces lieux avaient appartements à de glorieuses et puissantes familles sombriennes. Que ce soit dans un but récréatif ou utilitaire, infliger la douleur et garder pour soit les bavardages de quelques infortunés curieux ne lui semblait pas un choix délirant. Ce que Shyn'tae lui avait apprit des coutumes eldéennes étaient loin des caricatures qu'en faisaient les péninsulaires, mais la violence n'en était pas exempte pour autant.

L'avantage d'un tel lieux c'est que le dallage était légèrement incurvé vers le centre de la pièce de sorte que tout liquide y coulerait invariablement. Et en ce centre, de discrètes fentes reliées à un réseau de canalisation amenaient le tout aux égouts. L'avantage d'une cité salubre construite par un peuple à ingénierie architecturale épatante.

Certes, l'endroit manquait de fenêtre, d'air frais et de lumière, mais encore une fois, elle ne pouvait pas à la fois limiter le bruit, profiter du calme et de la beauté des jardins. Peut-être plus tard, quand elle serait plus expérimentée. Pour l'instant, son étude se trouvait au dernier étage, en face de sa chambre, mais ce laboratoire se devait d'être moins accueillant.

Pour le moment, un seul habitant était reclus derrière les épais barreaux qui délimitaient trois espaces distincts dans deux coins de la pièce : un vieux bonhomme hirsute et prostré que la propriétaire avait ramassé dans une ruelle crasseuse. A priori, il s'agissait d'un humain mais cela n'importait pas à la jeune femme. Une fois de plus, elle s'en approcha, ses petits pieds claquant sur le dallage de pierre. A défaut d'être sanglé à une table l'une des mains du malheureux était encordée à l'un des barreaux. Marqué de bleus et d'éraflures, ses guenilles sales étaient en lambeau. C'était lui qui les avait déchiré dans un accès de démense, tout comme il s'était blessé a veille en essayant de se jeter contre le sol. Il ne pouvait que s'en prendre à lui même s'il avait froid dorénavant.

Sans prendre le temps de lui adresser le moindre mot, la jeune femme tira près de la corde l'unique meuble de l'endroit : une caisse de marchandise lui servant de chaise. L'atmosphère était toujours aussi poisseuse. L'odeur pestilentielle de son sujet d'expérience la répugnait bien plus que celle des quelques cadavres soigneusement préparés sur lesquelles elle s'était entrainée à la découpe rituelle eldéenne pendant son séjour à Thaar.

Celui-ci gémissait doucement. Au moins, il s'était calmer. L'approcher en pleine crise demandait plus de concentration. Doucement, aussi silencieusement que possible pour ne pas avertir le fou avant d'avoir atteint sa peau crasseuse, Cécilie posa la main sur celle qui était attachée à la cage et commença a murmurer d'antiques paroles en choeur avec une infinité de voix oubliées.

Avant de vouloir changer une âme de corps, il fallait qu'elle maîtrise parfaitement l'art de l'en tirer à la conserver et à la remettre dans la même enveloppe de la façon la plus fluide possible. Qu'elle soit intacte n'était pas un prérequis pour ces premiers pas...

Pour la première fois aujourd'hui, la voix du pauvre homme bondit en un hurlement de terreur pur. La première fois d'un nombre incalculable de tentative... répétée chaque jour... de chaque ennéade... Jusqu'à ce qu'il ne reste rien de lui.