Celui qui cherche

Hiver - première ennéade de Karfias 18:XI
Au petit matin

Dans le matin frais, un homme pestait contre l'immense cheval buté qui n'arrêtait pas de relever la tête pendant qu'il lui installait son chanfrein. L'animal d'un baie passe-partout tenait plus du cheval de trait que du destrier tant il était épais. Un chien ours grand comme un poney agitait à la queue près de lui, reniflant avec application un pavé démit sous l’abreuvoir tout proche. A côté des deux bêtes, l'humain paraissait bien fragile alors qu'il n'avait nullement à rougir, ni de sa taille ni de sa carrure.

- Arrête de faire ta mule, mon vieux. T'y échapperas pas de toute façon.

L'attache cliquetas autour des joues de l'animal qui rumina un peu pour s'y habituer. L'homme vérifia une dernière fois que son plastron ne le gênait pas pour respirer et resserra d'un grand coup la sangle pour ajuster la selle. Georges gratta le pavé d'un sabot mécontent. Son énorme tête balança un peu, mais la bonne patte ne fit pas le moindre geste pour se débarrasser de son cavalier.

- Alors c'est décidé. Pas moyen de te faire changer d'avis.
- Pas le moindre. " rit l'homme en se retournant vers la demi-elfe rondelette qui venait d'apparaitre sur le perron. " Le troufion que tu as devant toi en a soupé de la guerre. "

Il avait déjà donné, son visage balafré en faisait foi. Il avait vu comment quelques mots des puissants décidaient du sort des pauvres et il n'avait confiance en aucun des dirigeant présents. L'entourage du couple royal avait commis l’innommable et le roi lui-même avait lancé le petit pays dans une histoire de vendetta en péninsule avant que sa femme n'abandonne leurs frères d'arme en coupant l'approvisionnement. Le roi et son plus proche amis étaient morts et on murmuraient que c'était d'une malédiction divine. Rien qui ne pouvait le décider à risquer sa vie pour la donzelle restante en somme. Quant aux elfes qui venaient d'arriver, ce n'était qu'une invasion étrangère comme une autre. Ils asphyxiaient tôt ou tard les gens du coin par leur culture et leurs idéaux. L'homme n'avait plus vingt ans, alors autant se tenir loin de ce nouveau gâchis.

Il avait vu de quoi les civiles d'Elda étaient capable et il n'avait vraiment pas envie de voir son armée en action. Il n'était pas le seul, ça il en avait la certitude. Mais contrairement à d'autres, cette ville, aussi accueillante qu'elle avait été, n'était pas sa maison. Il avait passé plus d'un mois à escorter en lieu sûr ceux qui voulaient quitter le royaume... Et a essayé de convaincre ses amis d'en faire autant. Certains avaient fini par accepté. Un forgeron. Quelques dockers. Mais les prêtres étaient bien plus difficile à déloger... Et il ne pouvait que saluer leur abnégation. Il leur avait donc donné le savoir et l'équipement dont il pouvait se passer. Aujourd'hui, il partait pour ne pas revenir. Du moins pas avant que cette sombre histoire ne soit close.

- Et toi ? Dernière chance.
- Je sais que Georges est grand, mais je doute qu'il arrive à tirer la Pimprenelle jusqu'à Thaar." rit la jeune femme.

Juste au-dessus d'elle, la pancarte portant le nom de son auberge était grêlée de gel et les plantes du même nom qui ornaient les fenêtres avaient été rentrées à la fin de l'automne. Ses grands yeux d'un violet presque rose  soutenaient les iris noisettes de l'humain. Laissant un moment le vieux Georges à la garde de l'énorme chien-ours, il s'approcha pour enlacer affectueusement la tenancière qui n'eut pas un mouvement de recule pour le visage pourtant particulièrement abimé qui avançait vers elle.

- Fait attention à toi, d'accord ?
- Hey. C'est pas moi qui reste servir des chopines en pleine zone de guerre. " Mais malgré son ton léger, il la serra un peu plus fort. La silhouette souple disparut presque entièrement dans les couches de fourrure qu'il avait par-dessus son armure. " Promis. Je rest'rai prudent. Puis Tragen me surveille. " ajouta-t-il en s'éloignant. Un jappement fier lui répondit, l'énorme chien le couvant d'un regard protecteur. L'homme rajusta sa pelisse et fronça un sourcil " Bordel... Huit ans que je m'en occupe, et j'te jure, son intelligence me fait toujours flipper.

La jeune femme rit de plus belle. Enroulée dans une superposition de châles, elle suivit l'humain, tenant lâchement les rennes de sa placide monture le temps qu'il se hisse en selle. Le fourreau de l'épée longue qu'il portait à la taille apparut entre les pans de ses lourds vêtements.

- Tu retournes à Baaz'Hima ?
- Pas tout de suite. Shez'kin m'a dit qu'il y aurait un redoux pour le reste de l'ennéade.
- Je vois. " La mine de la tenancière se fit plus entendue.
- Quoi ?
- Rien. Je ne sais juste pas comment fait Amina pour ne pas être morte de jalousie.
- Elle me connait, c'est tout.
- Tu ne m'enlèveras pas de l'idée qu'elle doit être extraordinaire, cette comtesse, pour que tu la cherches encore après toutes ces années.
- J'ai...
- ... Donné ma parole. On lui dira.

Il secoua la tête, amusé. Ils avaient déjà eu cette conversation trop de fois. C'est fou comme elle pouvait lui rappeler Rose lorsqu'elle s'entêtait ainsi.

Elle tapota l'épaule de l'énorme cheval et recula d'un pas pour gratter Tragen entre les oreilles.

- Allé. Bon vent, Sire Antoine. Que les dieux te soient favorables.
- Salut ! Et ne m'appelle plus Sire. " jeta-t-il par dessus son épaule alors que Georges s'ébranlait de toute sa masse dans la longue rue mal éclairée.

Le rire frais de la jeune femme lui répondit. Il sourit, enfouissant son visage plus profondément dans sa capuche. Tragen jappa à son côté, trottinant avec joie dans l'air frais qui lui allait bien mieux que la chaleur étouffante de l'été.

Il avait de la route à faire.