[Diantra] L'habit ne fait pas le moine (Louise)

milieu de la 7e enneade de Karfias an 18 du XI cycle.
chez le tailleur
le matin.

Votre garde robe est prête monsieur. Elle vous attend depuis le mois passé. Je commencais à craindre qu'il ne vous était arrivé malheur.

Arun lève un sourcil  condescendant tandis que ses lèvres se pincent de mécontentement. Il lui avait dit pour la fin de ce mois ci. Le tailleur le savait. Et pourtant, il n'y a que la moitié de ce qu'il a demandé qui convient.

Dante prend son pied à le voir obséquieux, cet enfoiré qui lui cracherait dessus s'il s'avait. Mais bon, son identité avait besoin d'une garde robe pour lui faire prendre corp. L'argent d'Haldren et le cachet de Diolando auxquels il n'a pas touchés parce qu'il n'en n'avait aucune utilité, ainsi que le bonus donné sous le manteau voilà déjà quelques jours par le patron, avec le conseil amical de commencer à... s'habiller un peu mieux pour être digne de son rang le moment venu, servent bien l'un et l'autre habillent Arun aujourd'hui et ce, sans passer par le budget Rutsi... C'est bien, Dante est pingre.

Il faut maintenant donner une facade à ses plans. Et si, en lui même, il n'aime pas être grimé ainsi, c'est justement ce paradoxe qui fait que ce déguisement est parfait.

Il garde quand même les impondérables, les basiques, ce qui est bon èa toute les sauces. Pantalons chauds et solides, chemises sans fioritures. Mais dans la nouvelle malle de riche qu'il se monte et qui trouvera sa place dans la petite maison cachée dans les boisés de sa ferme qui lui sert de planque. Il a aussi des habits que nous pourrions qualifier de plus... flamboyants. L'excentricité de la cape de soirée à fourrure d'hermine au fermoir d'argent n'est pas à négliger.

Ca et le fabuleux couvre chef assorti qui l'attend. Putain, ca coûte la peau du cul ce truc... C'est le genre de chose qu'il ne s'offre pas, autant par le mauvais goût flagrant du truc que par le prix. Arun est un flambeur, un flamboyant... Qui ne se contente pas de peu. Quiconque le connait n'aurais jamais dans l'esprit qu'il pourrait incarner un tel personnage.    

D'ailleurs, la voix grave s'enfle et se porte dans chaque recoin de l'atelier, tandis que les grandes mains se lèvent dramatiquement. Arun est volubile, Arun est expansif. Il tourne le dos à la porte d'ailleurs, ses longs cheveux d'encres laissés libres sur ses épaules.

Non, ca ne va pas... Dit il d'un ton colérique, au fond grondant, un fond qui donne envie de s'aplatir au sol. Pourriez vous me dire, maître, quelle lubie vous a pris de me faire un manteau de femme? Violet? doublé de fourrure blanche?... Je suis peut-être un Estreventin, mais je ne crois pas encore être totalement dénué de mauvais goût. Et je me permet de dire qu'à ce temps ci de l'année, c'est hors saison!!!  Ne me dite surtout pas que vous avez fait mon habit de soirée de ces teintes fantasques ou que vous essayez de me refiler un vêtement de femme... Parce que je vais faire un scandale!

L'oreille de Dante frétille au son de la clochette d'entrée. Il est occupé à regarder l'artisan. Ce qu'il croit c'est que ce connard a vendu sa commande à quelqu'un d'autre et qu'il pensait qu'il ne regarderait pas ce qu'on lui refile. Du violet... il y a des limites tout de même.

La clochette annonce une entrée, en effet. Une entrée qui n’était pas attendue avant quelques jours. Elle a pris un peu d’avance sur son programme. Quoiqu’il en soit, elle entre seule, à peine débarquée à Diantra, encore toute sale de la poussière des chemins, les cheveux dissimulés sous une capuche couverte de choses indéfinissables, les bottes devenues grises, le visage dissimulé par un tissu qui la protège des particules en suspension et des insectes quand elle chevauche. Elle est fatiguée, elle a faim, elle est sale et sent très fort le cheval, le cuir et la sueur. Louise essuie la sueur qui barre son front, collant quelques mèches de cheveux marron sur sa peau quelque peu noircie par la route. Elle est tout simplement repoussante de saleté. La cavalière veut donc en finir au plus vite, récupérer ce qu’elle a commandé par courrier il y a déjà de cela plusieurs ennéades, avant d’aller se décrasser, et profiter d’un bain bien chaud.

Le tailleur, lui, se fait tout petit devant son client mécontent et est soudain fort aise de voir ce mendiant se présenter dans sa boutique. S’il peut bouter le manant hors de chez lui avec plein d’arrogance et un peu de brutalité histoire de montrer qu’il est un homme à qui on ne la fait pas, ce sera peut-être une manière de remonter dans l’estime de ce client mécontent et quelque peu hargneux.

- Excusez-moi un instant, Messire, je suis à vous tout de suite, le temps de faire régner l’ordre dans ma boutique.

Il sort de son comptoir et se dirige vers Louise qui pourtant vient de s’incliner poliment. Elle n’a pas le temps de dire un mot que le tailleur se saisit de sa cape dégoutante, à hauteur du col, avant de la secouer.

- J’ai déjà dit « pas de mendiant dans ma boutique » ! Ceci est un endroit respectable, on ne fait rien pour les gueux, va voir ailleurs !

Quelque part, ça le soulage de passer ses nerfs sur cette personne toute sale. Au moins, il peut se donner une contenance devant son client déçu. Et déçu à raison. Parce qu’il est en tort, sur toute la ligne. Il s’est trompé et a vendu une partie de sa commande à un client habitué et pressé. Avec un peu de chance, il pourra faire oublier son erreur de cette façon. Ce n’est qu’un mendiant après tout.

- Allez, va vo… !!!!!!!!!!!!

Le tailleur ne dit plus rien. Le mendiant vient de se défaire de son emprise avec souplesse et, tandis qu’il allait de nouveau se saisir de lui, le tailleur peut alors sentir, à proximité de son nombril quelque chose qui vient de couper son habit et qui menace de couper sa chair.

- Vous ne faites rien de respectable non plus pour vos clients lointains, marchand. Touchez moi encore et vous aurez quelques livres de graisse en moins à déplacer.

Elle parle d’une voix tout à fait paisible et calme, sa dague posée sur le gros ventre du tailleur, avant de baisser sa capuche et de révéler une chevelure pleine de poussière et de feuilles. De son autre main, elle baisse le linge qui couvre sa bouche et son nez. Une peau blanche et douce de femme s’affiche, tout autant qu’un sourire ironique.

- Mais je vois que vous êtes occupé…Je vous retiens. Faites donc votre office, tailleur, je vais attendre…

Elle range la dague dans son fourreau et va s’asseoir sur un somptueux fauteuil tendu de velours. Un velours qui sera totalement fichu après son passage, elle le sait. Louise observe les lieux, amusée, puis jette un regard au tailleur, un tailleur consterné par ce qu’il vient de vivre. Une main sur son ventre, il ouvre de grands yeux sur Louise, sur son fauteuil saccagé, puis revient vers son client. Un client qu’observe Louise, un large sourire jusqu’aux oreilles, à présent, le regard illuminé.

- … !

- Excusez-moi un instant, Messire, je suis à vous tout de suite, le temps de faire régner l’ordre dans ma boutique.


Il sort , laissant Arun devant les vêtements coûteux. Un Arun qui passe mine de rien derrière le comptoir pendant que le tailleur est occupé et qui va se prendre lui même le beau manteau d'un rouge profond brodé de jais qui lui fait de l'oeil, sur un mannequin de l'arrière boutique.

- Allez, va vo… !!!!!!!!!!!!

- Vous ne faites rien de respectable non plus pour vos clients lointains, marchand. Touchez moi encore et vous aurez quelques livres de graisse en moins à déplacer.


Sans remord, Dante  pique la commande d'un autre client et plie rapidement le vêtement en revenant. Profitant de la diversion sans attendre. Et il le place dans sa pile, entre un foulard et une chemise de la même teinte. Et voilà, ni vu ni connu. Tant qu'à être étourdi... Il n'aura qu'un client mécontent de plus... Parce qu'à voir la scène, l'homme a un de ces sourires de matou! Et tiens, ces gants... Allez, hop! Au milieu de la pile eux aussi!

Les prunelles dépareillées se posent sur la voyageuse. Il a reconnu la voix. Il reconnait les vêtements malgré la fatigue et l'odeur du voyage qui occulte le parfum naturel de la femme. S'appuyant souplement sur le comptoir, croisant les jambes et les bras, il regarde la scène légèrement par en dessous, les prunelles rendues foncées par l'amusement.

- Mais je vois que vous êtes occupé…Je vous retiens. Faites donc votre office, tailleur, je vais attendre…


Il la regarde s'asseoir. Il la regarde prendre ses aises sans rien craindre. Il regarde le tailleur le regarder lui, puis elle, puis lui. Il y en a un qui doit se dire que, finalement, aujourd'hui il aurait dû rester couché et obliger sa femme à travailler.

L'Estreventin décolle son mètre quatre vingt du comptoir et s'approche de Louise sans hésiter. Le port droit, il semble plus grand que d'habitude. Plus imposant. Et si il est toujours de noir vêtu, elle peut sans erreur se rendre compte qu'il garde une propreté quasi irréprochable presque en tout temps.

Dame de Fernel! S'exclame t'il en forcant sur son accent Péninsulaire, en lui faisant le baise main d'usage. Votre déesse est bonne de m'avoir permis de vous revoir ici! Manifestement, il se marre. Comme d'une bonne blague qu'ils sont les deux seuls à comprendre. N'en veuillez point à mon bon ami je vous en prie. Le mariage de messire de Brandevin et de Dame de Soltariel doivent lui demander beaucoup d'effort.  Venez plutôt admirer la superbe merveille  qu'il vient de me montrer. Je suis certain que le violet s'accorde parfaitement à votre teint et vos yeux et la fourrure m'évoque la neige de chez vous. Dommage que vos carmines ne soient pas de cette teinte.

Et pendant qu'il parle, il relâche la main de Louise, ne prolongeant pas le contact plus longtemps que nécessaire.

Mais je parle, et je ne vous ai même pas demandée ce qui vous amenait ici en cette belle journée!

La satisfaction de Louise atteint son point d’orgue quand Dante approche, prend sa main et y dépose un baiser. Le sourire qu’elle a, à ce moment-là…Elle l’observe avec la plus grande attention, inclinant la tête avec une rare élégance, une élégance en totale contradiction avec sa tenue, ses agissements et son attitude, afin de saluer Dante.

Le tailleur, lui, se fait tout petit derrière son comptoir, emballant distraitement les tenues commandées par son client précédent. La dame de Fernel ? Il tend le cou pour mieux voir, observer Louise. La dame de Fernel, hein…Une sauvage habillée comme un homme et sale comme un pavé après trois jours de fête…Ces gens du Nord sont tous des brutes, pense-t-il en rangeant le tout dans des étoffes délicates, elles même rangées dans de grands sacs de tissu. Pourtant, elle a commandé des choses exquises, des habits délicats et d’un bon goût indéniable…

- Vous devriez mieux choisir vos amis.

Elle le vouvoie, en réponse à son attitude réservée et protocolaire. Louise se redresse, non sans avoir au préalable secouer les pans de sa cape, libérant de ce fait une poussière grisâtre sur le beau velours du siège. Face à lui, elle est minuscule, mesurant une tête de moins que lui.

- A priori, je suis ici au même titre que vous, au titre de cliente qui vient récupérer une commande chèrement payée et établie de longue date.

Elle tourne alors la tête pour fixer le tailleur qui s’empourpre, comme si elle venait de le surprendre dans de grossières pensées. Louise redresse un peu le menton et approche du comptoir, d’un pas léger et tranquille, comme s’il ne s’était absolument rien passé. Non, elle ne fera pas d’effort afin de paraître moins sale. Non, elle ne fera pas d’effort afin d’être aimable.

- J’ai chevauché depuis peu après Apreplaine sans prendre le temps de m’arrêter, de manger ou quoi que ce soit d’autre. La boutique était sur mon chemin, je me suis arrêtée, voilà tout.

Ses doigts sales courent sur le comptoir, sous le regard horrifié du tailleur. Encore quelques centimètres et elle atteindra la soie blanche disposée là, sur un rouleau. Et Louise sait que des tâches pareilles ruineront le tissu, un tissu hors de prix. Elle ne quitte pas le tailleur des yeux et dit, d’une voix douce et délicate de femme, tandis que ses doigts noirs approchent dangereusement l’étoffe.

- Alors, Tailleur, auriez-vous l’extrême obligeance de me montrer ce que vous avez confectionné, je vous prie ? J’ai hâte de voir cette cape rouge ornée de fourrure que j’ai commandée, elle ira parfaitement bien avec la robe que je porterai à cette cérémonie. Et cette cape violette, où est-elle ?
- Dans l’arrière-boutique ! je m’excuse pour ma méprise ma Dame, je reviens de suite, ne bougez surtout pas !, dit-il en regardant les doigts.

Louise esquisse un sourire en coin. Et ôte ses doigts du comptoir. Le tailleur s’échappe, littéralement soulagé, la châtelaine regarde alors son frère puis rentre la tête dans ses épaules, en posant une main noircie devant sa bouche. Depuis l’arrière-boutique, on entend une fouille acharnée, des jurons étouffés et ensuite un silence. Le Tailleur est au plus mal…Le manteau rouge a disparu…

- Tu as l’air en forme ! Je suis ravie de te revoir ! Comment vas-tu ??

- Je ne suis pas si cruelle. Je n’ai juste pas aimé sa façon de me bousculer, sans savoir si je suis un homme, une femme, un client. D’accord, je suis loin d’être fraîche mais ce n’est pas une raison de se comporter de cette façon…Ajoute à cela la fatigue, la faim, et l’indécente perspective d’un bain chaud avec des huiles…En somme je suis un tantinet plus irritable que d’habitude et j’aimerais en finir au plus vite…

Elle lève les yeux au plafond, inspirant profondément, avant de soupirer.

- …mais pas sans lui montrer qu’on ne fait pas ce qu’on veut avec moi. C’est tout. Son pourpoint est fichu. Son velours de même. Et il s’en est fallu de peu que ce joli satin, là, soit définitivement gâché.

Louise passe une main dans ses cheveux emmêlés et se penche vers lui, amusée :

- Voyons ce manteau violet.

Elle cherche la touche violette du regard et la trouve, la soulève et reste un long moment dubitative, avant de regarder Dante.

- C’est ça qu’il voulait te vendre ?

La coupe est audacieuse, aux couleurs vives et lumineuses. Louise esquisse un sourire avant de déposer le vêtement sans plus y prêter attention.

- Disons que c’est très…féminin. Sans être destiné à une dame. Je n’aime pas le violet. Je préfère le rouge. Et cela n’ira pas du tout avec la robe que je compte porter. Une tenue merveilleuse que tu n’as jamais vue, je pense. Du tissu de velours brodé d’or. La robe que préférait ma mère…J’ai du la faire ajuster évidemment mais c’est une véritable splendeur, la plus belle robe que je possède.

Ce n’est rien de le dire. C’est la robe que préfère son père également, pour des raisons qui sont loin d’être esthétiques, car c’est une robe remplie de souvenirs. Des souvenirs magnifiques dont Louise ignore tout. Puis, elle sait qu’elle est très belle dans cette robe. Et il n’y a pas de mal à se présenter sous son meilleur profile en ce jour de noces, surtout après avoir passé plusieurs ennéades en pantalons et chemise, sur un cheval. Pour la figuration qu’elle fera là bas, petite châtelaine dont tout le monde ou presque ignore l’existence, elle ne va certainement pas engager des dépenses folles. De toute façon, la fête terminée, elle s’en ira et personne ne se souviendra de Louise, de Fernel, et de tout ce qu’elle est. Parce que c’est ainsi que vont les choses. Elle n’est pas assez riche, pas assez influente, pas assez mariée pour qu’on la remarque. Et cela l’arrange parfaitement bien.

Elle dépose le manteau sur le comptoir et observe Dante se déplacer à pas de loup, puis l’entend ricaner. Louise hausse un sourcil avant de soupirer, pleine de dépit.

- J’ai besoin de mes chemises. Il fait trop chaud ici, même en hiver. J’ose à peine imaginer ce que cela doit donner en été…quelle horreur. Il me faut du linge fin. Holà, Tailleur ! Ma commande je vous prie !

Elle se déplace à son tour et observe le marchand qui se balance d’avant en arrière dans son coin  d’arrière-boutique. Elle fronce les sourcils.

- Que les gens du sud sont étranges…Que signifie cette attitude ? Il a mal quelque part ?

Elle se frotte le menton avant de secouer la tête.

- Voilà ce qu’on va faire. Je vais m’en aller et j’enverrai un membre de mon escorte quérir ce que j’ai acheté demain matin. Je sais que vous ne me décevrez pas, Tailleur. N’est-ce pas ?

L’homme hoche frénétiquement la tête, le regard rempli d’espoir. Demain matin… ! cela lui laisse le temps de trouver cette fichue cape et tout le linge destiné à la Dame de Fernel.

- Je vous remercie gente dame. En dédommagement, j’ajouterai quelques articles. A mes frais, évidemment.

Louise étire un sourire satisfait et salue élégamment de la tête. Elle a un regard pour Dante et rabat sa capuche sur sa tête, prête à quitter les lieux.

- Je n’ai pas besoin de robe neuve. Même si je suis châtelaine, cela ne veut pas dire que je baigne dans des rivières d’or. Donc j’utilise ce que j’ai et je l’adapte au goût du jour. C’est pratique, économique et ça évite ce genre de…situation dramatique, par exemple, dit-elle en montrant le tailleur.

S’éloignant du comptoir et donc hors de portée d’oreille du marchand, elle demande :

- Veux-tu te joindre à moi pour un repas au chaud en compagnie de mon escorte ? Cela me ferait plaisir de bavarder un peu avec toi.

Pourquoi justifier ses actes? Essayer d'intellectualiser? Elle en l'avouera pas louise, mais elle a eu du plaisir à terroriser cet individu. Un pourpoint, ca se reprise, s'il est malin, il va même faire des broderies. du velours ca se brosse. Au pire un jeté par dessus et on n'en parle plus.  Egal à lui même Dante regarde le reste, avise le coin à chapeaux et ses plumes. Laissant Louise à l'examen de la cape, il regarde ce qui s'offre de loin. L'homme la laisse parler, elle a toujours plein de trucs à dire de toute façon.

Et en la voyant parler de sa robe, une idée lui vient à l'esprit. Une idée qui, il en est certain, ne coûtera strictement rien. En tout cas, d'essayer. le pire qu'il peut arriver c'est rien du tout, si ca ne fonctionne pas, ca va couter une franche rigolade et si ca fonctionne, il l'aura à la bonne.

le fait est que les tailleurs ont toujours des trucs dit "prêts à porter", refus d'ancien clients...

- J’ai besoin de mes chemises. Il fait trop chaud ici, même en hiver. J’ose à peine imaginer ce que cela doit donner en été…quelle horreur. Il me faut du linge fin. Holà, Tailleur ! Ma commande je vous prie !


Il fait trop chaud? Tu n'es pas prête pour Thaar... Ici, il fait toujours un froid de canard humide.

Lui rétorque t'il pendant qu'elle s'approche et commente et parle au marchand. Pendant qu'elle règle ses affairess, il prend et s'emballe trois plumes et ce, sans gêne. Une d'un noir profond, une d'un rouge sombre et la dernière, c'est la plume d'une mériale, de son beau bleu vibrant.  Alors prend il le couvre chef et l'essaye, non sans avoir préalablement enlevé l'accessoire violet.

Etrangement, ca va comme un gant à Arun. Le sourire de matou revient tandis que Dante ajuste sa mise et les plis de son manteau de voyage doublé de fourrure.

Et voilà comment on négocie.  Il écoute attentivement la jeune femme qui se rhabille pour retourner dehors.

- Je n’ai pas besoin de robe neuve. Même si je suis châtelaine, cela ne veut pas dire que je baigne dans des rivières d’or. Donc j’utilise ce que j’ai et je l’adapte au goût du jour. C’est pratique, économique et ça évite ce genre de…situation dramatique, par exemple,

Pour faire ca, Louise, il faut en premier lieu avoir une garde robe de base, ce que je pensais avoir en ces lieux. Dit il en tirant le registre de comptes vers lui. Tant d'effronterie des deux clients. Il faut profiter de la faiblesse pendant qu'elle se manifeste.  Tournant les pages, il va dans la section des invendus... lève les yeux et regarde la châtelaine comme un scientifique examinerait un insecte sous un microscope. Avant de reporter son attention sur ces listes.

le fait est que ce marchand tient extrêmement bien ses comptes et son inventaire. Il est fort compréhensible qu'il panique à l'idée de ces mélanges. Dante s'apercoit aussi qu'il s'est fait voler. Mais bon, ce n'est pas lui qui va le lui dire...  Quoique... Un sourire mauvais soulève le coin de la grande bouche. ROuge... ROuge...

Ta cape est dans les invendus je penses. Elle y aurait été déplacée avant hier. Pas étonnant qu'il la cherche. Donne moi dix minutes.

Il s'interrompt et examine la cavalière crottée.

Je présume que tu veux te rafraîchir avant. Si tu me disais où me joindre et quand plutôt? Parce que dans ton état actuel, tout goûtera la poussière du voyage.  

Prenant un autre livre, il feuillette et trouve les mensurations exactes de Louise de Fernel, telles qu'elles ont été transmises par courrier.

Elle le regarde triturer un grand livre puis hausse un sourcil.

- Mais qu’est-ce que tu fais ??

Le tailleur semble avoir perdu toute notion des convenances et reste sagement dans son coin à réfléchir, tout en suçant son pouce. Louise, elle, approche de Dante.

- He bien voilà, je la récupérerai demain et tout ira bien, là, pas besoin de fouiller davantage dans son livre…

Elle le regarde la regarder, puis observe ses vêtements parfaitement dégoûtants.

- Oui, évidemment. Je m’étais arrêtée par esprit pratique, rien de plus. Là, j’ai juste envie de me décrasser et de me laisser fondre dans un bain chaud avec des huiles. Je suis à l’auberge des cent chemins, c’est un relais presqu’en dehors de la ville. Je n’aime pas les rues agitées et les gens qui crient, du coup j’ai choisi un endroit calme et éloigné de tout ça.

La châtelaine replace le tissu devant son visage, un tissu qui dissimule un sourire tranquille. Louise approche alors de l’entrée menant à l’arrière boutique et dit, d’un ton neutre :

- J’enverrai un membre de mon escorte en votre boutique demain matin, vers les dix heures. Ne me décevez pas.

Elle s’incline poliment et revient enfin à Dante, pour chuchoter :

- Ne viens pas trop tard, tu veux bien ? J’aimerais passer une bonne soirée en ta compagnie avec un bon feu et un bon repas. Tu m’as manqué.

Louise a un mouvement pour le prendre dans ses bras mais se retient. Elle se ravise, esquisse un sourire et lui adresse un clin d’œil avant de sortir de l’échoppe, remontant en selle souplement. Dante pourra entendre le bruit de nombreux sabots heurtant les pavés, un bruit qui s’éloigne en douceur.
Le commerçant, lui, a entendu la clochette retentir et consent à enfin s’extirper de sa cachette, tendant le cou pour mieux voir et note que son premier client est toujours là. Il inspire profondément et expire de la même façon cherchant à se donner une contenance.

- Je vous prie de m’excuser Messire. Donc…Où en étions-nous avant cet…interlude quelque peu mouvementé ?

C’est le moins que l’on puisse dire, en effet…Le marchand éponge son front en sueur et observe son pourpoint. Elle a coupé dans la broderie. Du somptueux fil de soie…La reprise se verra comme une tâche de gras sur du satin. La garce…

La châtelaine a passé près d’une heure à littéralement mariner dans un bain d’huiles, afin de détendre ses muscles endoloris et d’apaiser son corps considérablement malmené par des chevauchées incessantes et rudes. Elle s’est endurcie, elle a perdu du poids à force de manger en vitesse de la nourriture d’auberge pas toujours fraîche, pas toujours appétissante. Et cette perte de poids ne fait que lui donner une allure plus svelte, plus élégante, plus délicate. Il lui a suffi de surprendre quelques regards insistants, quelques sourires enjôleurs, pour comprendre. Y a-t-elle répondu ? Non. Elle n’en avait tout simplement pas l’envie. Fort heureusement pour eux, ces hommes ont eu la décence de ne pas l’importuner.

Ne vous y trompez pas. Être en compagnie d’hommes à toute heure du jour, des hommes loyaux et braves qui donneraient leur vie pour elle, est rassurant, apaisant, lui apporte un sentiment de sécurité. Cela, pourtant, n’apaise pas l’effroyable solitude dans laquelle elle survit désormais, dès la porte de sa chambre fermée. Elle savait que ce contact dans le refuge, cette nuit au chaud en compagnie de Dante, serait le dernier de ce genre avant très longtemps. Alors, pour éviter de songer à cela, à cette solitude terrible qui est la sienne, à cet homme au sourire doux et au regard de velours qui l’a abandonnée, elle s’épuise. Physiquement. Chevauchées, galops interminables, passes d’armes dans la discrétion d’une grange, quand vient le soir, elle fait tout pour être littéralement à genoux et s’écrouler dans son lit. Et cela marche, souvent. Les soirs où cela n’est pas suffisant, une bouteille de vin la plonge dans l’hébétude salvatrice qu’elle recherche. Quand on ne pense à rien, on ne ressent rien. C’est ainsi que Louise a réussi à trouver un équilibre fragile et précaire qui lui permet de tenir le coup, de voyager, de rire, de découvrir sans arrière-pensée. Elle marche sur une corde tendue entre deux états contradictoires, au-dessus d’un vide abyssal. Et pour le moment, elle s’en sort plutôt bien.

Elle restera deux jours à Diantra, deux nuits, avant de reprendre la route. Les chevaux ont besoin de soins, les hommes également et elle…Elle a besoin de se souvenir ce que ça fait d’être une demoiselle de son rang, en dehors de ses oripeaux de cavalière, des oripeaux qui ont bien souffert du traitement rude qu’elle leur a infligé pendant ce long voyage à travers la Péninsule. La servante de l’auberge dument renvoyée afin qu’elle ne puisse voir ce qui orne son bras, Louise se pare elle-même, en prenant son temps. Rien de fastueux. Une longue chemise, la plus fine qu’elle possède – parce qu’elle meure littéralement de chaud sous ces latitudes -, aux longues manches légèrement évasées et brodées de feuilles de chêne stylisées. Par-dessus ce vêtement, une robe de velours vert que Dante connait bien, une robe qui souligne sa taille et qui tombe sur ses pieds chaussés de chaussons ravissants, souples et confortables. Ses cheveux ? Relevés et retenus par quelques épingles usuelles, bien loin des perles qu’elle utilise d’ordinaire. Ainsi baignée et vêtue, elle a toute l’allure et la grâce d’une noble dame, sans le faste et l’ostentation que ce rang requiert parfois.

Quand elle arrive dans la salle commune, ses hommes sont déjà là, certains ayant troqué leurs vêtements de voyage pour d’autres habits modestes et propres, confortables. Il y a d’autres clients évidemment mais l’essentiel des personnes présentes est composé d’habitants de Fernel. Des habitants qui se lèvent à l’arrivée de Louise, avant qu’elle ne fasse un signe, rieuse, leur enjoignant de se rasseoir. La bonne humeur est présente, les pipes sont allumées, et derrière eux, sur une petite estrade, trois personnes chantent des chansons, sur fond de luth, de flûte et de tambourin.

Assise à une table, loin des flammes, elle écoute, pensive, tandis que la servante lui apporte un verre de vin. Un sourire flotte sur ses lèvres. Elle est bien, en paix, elle ne pense à rien. Elle savoure le moment, le fait d’être en terres étrangère, sans qu’il ne lui soit rien arrivé de fâcheux. Elle a réussi. Elle y est parvenue, sans époux, sans père, sans personne pour lui dire quoi faire, quand le faire. Elle a fait tout cela seule, tout en gagnant le respect de ses hommes. Un immense sentiment de fierté l’envahit, alors qu’elle porte son verre à ses lèvres. Ses hommes, eux, rient fort, semblent heureux de partager un moment de paix dans un endroit propre, ils s’amusent…Il lui semble même avoir vu des regards s’échanger là bas entre Jehan et la servante…Quoi de plus naturel…Elle détourne le regard avec un sourire, contente pour lui. Un courant d’air lui fera pourtant tourner la tête vers l’entrée, apercevant enfin l’immense silhouette de Dante, qu’elle hèle d’un geste de la main.

- Claude !

Louise se lève et l’attend, les mains sagement croisées devant sa robe, le regard illuminé par la joie de le voir là. Lorsqu’il sera proche, elle lui tendra sa main à baiser, tout en disant :

- Tu seras ravi de savoir qu’il n’y a aucune soupe prévue ce soir, mais de la viande cuite à la broche.

Elle sourit en coin avant de lui indiquer un siège à ses côtés et de reprendre sa place. Décidément, c’est parfait. Maintenant qu’il est là, elle va passer un bon moment, discuter avec lui, avant d’aller se coucher. Parfait.

- As-tu obtenu ce que tu voulais chez le tailleur ? Tu es à Diantra depuis longtemps ? As-tu des nouvelles de Fernel ?

Traduction : as-tu des nouvelles de notre père ?

- Le moins que l’on puisse dire c’est que ce tailleur n’est pas à la hauteur de sa réputation. On me l’a chaudement recommandé, plusieurs fois et j’ai donc suivi les conseils donnés. On a vu le résultat…Je n’arrive toujours pas à croire que cet homme était en train de sucer son pouce dans son arrière-boutique.

Elle s’empare de son verre de vin et en boit une gorgée.

- Décidément, tu as des amis partout. Comment fais-tu donc ?

Louise esquisse un sourire tout en déposant son verre sur la table. Une odeur exquise de viande cuite chatouille ses narines. Un vrai repas. Un vrai bon repas en robe et en bonne compagnie, avec de la musique, que demander de plus ?

- Tu devais partir ce soir ? Et où te rends-tu, si ma question n’est pas trop indiscrète ?

La demoiselle passe une main légère sur le velours vert de sa robe toute simple. Et meurt déjà de chaud. S’il pouvait pleuvoir des hallebardes ou neiger des flocons larges comme des assiettes, à Papincourt, pour ces noces, elle en serait très égoïstement heureuse.

- Je suis heureuse de savoir qu’il va bien. Je dois t’avouer qu’il me manque un peu…

Elle appuie son dos contre le haut de sa chaise et sourit en pensant à son père. Elazar n’a pas la moindre idée de tout ce qu’elle a vu, vécu en ces trois ennéades de chevauchée libre. Peut-être serait-il opportun de lui écrire, afin de l’apaiser, parce qu’elle l’imagine très bien guetter les courriers d’un air réprobateur et sévère, tout en tapant sèchement le sol de sa canne. Louise pouffe d’un rire discret.

- Il va avoir sa propre maison, je lui ai donné celle du gardien, sur le vieux chemin qui mène aux montagnes. A mon retour, il commencera à m’enseigner ce qu’il sait. En attendant, je prends note de choses que j’ignore. Trois par jour, parfois plus. J’avoue que c’est très utile, comme méthode. Cela me permet de structurer mes pensées…

A son tour, elle se saisit d’un morceau de pain, laissant les hommes répondre à la dernière question de Claude.

- C’est fatigant, Monsieur, mais on s’y fait, puis on s’amuse et on fait des rencontres !
- Parle pour toi !
- T’as qu’à raser ta barbe, on dirait un bouzon !
- Non mais l’autre là, avec sa verrue sur le menton, tu crois que t’es un modèle de beauté, peut-être ??
- Non, mais…c’est pas ça que les dames préfèrent chez moi tu vois ?

Gros rires gras de l’assemblée, Louise sourit aussi. Elle laisse ses hommes deviser entre eux, avant de répondre plus calmement à Dante.

- Nous nous rendons à Papincourt pour les noces de Lohie de Brandevin et de Tibéria de Soltariel. Ce mariage…C’est ce qui a, entre autres choses, initié ce voyage, Papincourt n’est jamais qu’une étape parmi les autres. Je compte poursuivre sur Langehack et sur Thaar.

Louise, elle, mange avec toute la retenue d’une dame à table. Elle a faim mais profite de chaque bouchée, avec un sourire de satisfaction tranquille. Un peu de viande, un peu de légumes, du pain et du vin. Il n’en faut pas tellement plus pour qu’elle soit contente. Elle observe Dante manger et esquisse un sourire en coin, se concentrant sur son assiette, amusée. Cette manière de dévorer sa viande…

- Oui, toujours sur les routes, je sais…

Il ne tient pas en place, cet homme. Et Merval, elle sait que ce n’est pas la porte à côté. Elle n’en demandera pas plus autant par discrétion que par élégance. S’il avait voulu en dire plus, il l’aurait dit. Sa remarque au sujet de leur père l’étonne par contre. Elle regarde ses hommes qui visiblement n’ont rien entendu, tous occupés à rire et à manger de bon appétit. Il ne lui semble pas avoir parlé si fort, après tout. Elle essuie ses lèvres à l’aide d’une petite serviette disposée là et ajoute :

- J’en suis ravie aussi. Il sait tant de choses à propos de tant de domaines si…particuliers. J’ai hâte d’en savoir plus, je ne te le cache pas.

Bien loin des considérations de Dante, Louise a effectivement un réel désir d’apprendre et d’exceller dans tous les arts que voudra bien lui enseigner son père. Si elle se débrouille correctement avec sa lame désormais, elle veut apprendre davantage, de manière à ne plus être cette jolie oie blanche que beaucoup voient en elle. Pour l’instant, cette apparence est tout à fait commode et pratique parce qu’elle lui permet de passer partout où elle le souhaite, irréprochable de pureté, d’élégance et de noblesse. Mais…Quand viendra le jour où le masque tombera, là… Elle trempe à nouveau ses lèvres dans le vin, souriant à une perspective connue d’elle seule, qui l’amuse terriblement.

- J’ai toujours tout entrepris avec le but ultime d’y exceller. Peu importe le temps et les efforts que cela demandera, j’y arriverai.

Elle continue son repas, souverainement tranquille. Louise passe un bon moment. De la musique, un bon repas, une belle ambiance, et Dante. Dante qui raconte des histoires qui font rire et qui font sourire tout le monde, y compris Louise. Les histoires de dames, d’amour, de romances ne sont plus ses préférées depuis quelques temps et à force de vivre avec des hommes constamment, elle a appris à ne plus rougir à chaque propos un peu grivois énoncé par ses gardes. La chatelaine a changé, sous une apparence d’irréprochable jeune femme. Un changement initié par l’homme qui se tient à côté d’elle. Un changement uniquement perceptible par ceux qui la connaissent bien.

- La plupart des membres de mon escorte a une famille. Ils ne voudront jamais rester à Thaar et probablement que moi non plus. Je dois réintégrer mon domaine. Quant à Langehack, on verra bien. Je ne sais pas grand-chose, hormis ce qu’on m’a enseigné ou ce que j’ai pu en lire dans les livres.

Elle termine son assiette et la repousse tranquillement, rassasiée.

- Je serais ravie que tu nous accompagnes. Comme je te l’ai dit tout à l’heure…tu m’as manqué.

Louise a alors un regard tout à fait lumineux pour lui, une lueur que lui seul pourra voir, brève, fugace, aussitôt disparue lorsqu’elle pose un regard plus distant sur l’assemblée. L’avoir à sa table est déjà un privilège, alors si en plus il l’accompagne quelque peu…

- J’accepte volontiers ta proposition. Joins toi à nous, je sais que mes hommes t’apprécient. Il sera plaisant de chevaucher à nouveau ensemble…

La châtelaine sourit en coin tout en regardant la salle, en disant ces mots-là, pas du tout gênée ni même rougissante. Elle s’amuse, même, à l’évocation d’un souvenir plaisant. Tellement plaisant.

- Alors ? Comment te débrouilles-tu avec Melkor ? Il était tellement fougueux et vif, la dernière fois que je l’ai vu…Avez-vous pu tisser un lien particulier ? Comment va-t-il ?

Alors que les assiettes se vident, la musique se fait plus rythmée, plus joyeuse, il y a même des gens qui battent la mesure à l’aide de leurs mains là bas, visiblement contents.