Le début de la régence

La guerre, la guerre était terminée. Qui avait gagné? Qui avait perdu? Tous les camps en même temps. De nombreuses pertes dans les deux camps, des combats intenses, des ennemis féroces. La folie pure et le sang qui allait avec. Naélis avait souffert, les drows aussi, les alliés de Naélis aussi. Un déchainement de mort et de puissance magique. L'archimage Nakor avait fait des siennes, ce qui avait notablement aidé à faire basculer la guerre. Les drows avaient finalement reculés pour quitter la terre de Naélis et rejoindre la frontière de ce qui serait désormais un Ithri'Vaan entièrement sous domination drow. Naélis devenait par là même, l'ultime rempart humain, ou plutôt cosmopolite contre ce monstre endormi, prêt à se réveiller à chaque instant. La guerre et son déferlement de magie avait eu une conséquence à laquelle Nakor n'avait pas assez prêté attention, ni lui, ni le conseil militaire, ni la reine Glinaina. Du fait de son dédoublement interne, Glinaina avait malheureusement développé une sorte d'allergie profonde à la magie. Le moindre petit sort devenait difficile à subir et elle perdait le contrôle d'elle-même dans ce genre de situation. Lors de sa dernière visite à l'Aurore, elle avait à peine tenu le coup alors qu'il n'y avait que de la magie résiduelle dans l'air. Avec les sortilèges surpuissants déployés par les membres du C'nros mais surtout par l'archimage élémentaliste, elle avait manqué perdre l'esprit et sombrer dans le néant. Elle avait besoin de prendre une longue retraite spirituelle avec l'espoir, d'un jour, pouvoir revenir, débarrassée de son problème interne et de cette nouvelle entité en elle. Une décision particulièrement sidérante pour le vieillard fut prise : par décret royal, Nakor devenait le régent du royaume jusqu'à son retour ou celui de ses enfants. Lorsque la proposition lui fut faite, décret royal déjà rédigé, le vieux fou n'avait pu que balbutier :

"Que ... quoi? Qu'est-ce que ... ? Mais enfin ... je ne ... et ... en plus ... ."

Puis il avait fait silence et avait longuement réfléchi au problème. La cité se retrouverait sans reine quoi qu'il arrive, alors qu'elle devait être reconstruite, consolidé, des partenariats nouveaux devaient voir le jour, un lien plus solide ramené entre la Péninsule et Naélis. Il fallait donc quelqu'un à la tête du royaume et pas seulement un cercle de généraux militaires. En plus, pour le moment, le risque était trop grand pour la guilde du Firmament de retourner vivre dans leur château. C'était trop proche de la nouvelle frontière drow.

"Laissez-moi un jour pour donner ma réponse."

Avait-il dit au conseil. Et il s'était retiré dans ses appartements privés en demandant à ce que personne ne le dérange sous aucun prétexte. Il pesa avec douleur et crainte, le pour et le contre. Après de longues heures, Nakor accepta. Il serait nommé Roi régent de Naélis. Lui, le vieux fou, l'archimage, deviendrait roi. Une folie de plus dans sa trop longue vie. Une charge bien lourde à porter sur ses vieilles épaules. Il fut alors intronisé en public, après le retour de la plus grande partie de la population. Il craignait la réaction des gens du peuple. Le jour de la cérémonie, au moment clé, le conseil militaire fit avancer le sorcier sur le grand parvis du palais et dans un silence de plomb, le premier jour de la première ennéade de Barkios, le général prononça, parchemin royal déplié

"Par ordre royal, pour service rendu à la nation durant cette guerre meurtrière, pour le courage et la puissance mise au service de notre royaume, pour notre vieille amitié sincère, pour la confiance que nous vous portons, Archimage Nakor, Magistère du Firmament, nous Glinaina, reine de Naélis et son haut conseil, vous nommons Roi régent en notre absence. Acceptez-vous de veiller sur le peule naélisien tant que notre absence sera nécessaire?"

Et le vieux fou se retourna pour observer le peuple, toujours en silence. Il approcha d'un pas puis sembla hésiter. C'est alors que dans la foule, plusieurs voix commencèrent à scander un nom qui l'avait rarement été :

"Nakor, Nakor, Nakor !"

Au départ seulement deux ou trois, puis de plus en plus et de plus en plus. La foule entière se mit à hurler son nom. Tout le monde savait le rôle que le vieux fou avait joué pendant la guerre. Tout le monde connaissait le lien entre le sorcier éternel et le roi Hereon, avec la reine Glinaina aussi. Ce fut alors une foule en liesse qui intima presque l'ordre de prendre la couronne au vieux timbré. Ses vieilles mains se mirent à trembler et il ne put retenir une larme le long de sa joue. Il s'essuya les yeux et retrouva une poigne solide. Il leva les mains et dit alors

"Eh bien, si c'est ce que vous demandez!"

Et le sorcier se saisit du collier de régence. Un pendentif circulaire en or massif, frappé du symbole de la ville. La couronne resterait en place dans les coffres du trône. Il n'avait pas besoin de cela, il avait déjà un très beau chapeau. Son collier lui donnerait maintenant pleine et entière autorité sur Naélis jusqu'au retour de Glinaina ou de ses enfants.

"Je vous promets une gouvernance juste et de rendre la couronne dès que la reine ou sa famille pourra reprendre la suite de sa gouvernance."

La foule se mit à applaudir à tout rompre. Comment donc pouvaient-ils être heureux d'avoir pour nouveau roi, un vieux sorcier réputé comme étant fou jusqu'à l'os? Et pourtant, c'était bien réel. Ils l'étaient. Pour certains, ils avaient connu Nakor étant enfant et ils étaient maintenant des hommes ou des femmes en âge d'être grands-parents. Ils savaient tous que c'était un serviteur du bien, qui n'avait jamais recherché le pouvoir et qui n'était là que pour assurer la transition après une guerre où il s'était révélé comme un héros dans la bataille. Aurait-on pu penser qu'un jour cela arriverait? Sans doute pas! C'est donc dans sa barbe que Nakor marmonna, sous le regard de ses amis ainsi que de ses magiciens

"Nakor, Roi de Naélis! Stupéfiant !"

Et quelle meilleure conclusion qu'un rire tonitruant qui échappa de ses lèvres pour se répandre avec gaieté à tout le conseil.