Une escale heureuse ? [Fernel... Louise]

Syllas, le vieux guérisseur, ne bouge pas de son tabouret, il se contente d’attendre. Il observe la jeune femme, il observe le jeune homme et patiente, silencieux. Il sait que ce n’est jamais chose facile de venir le voir pour des blessures qualifiées de honteuses, aussi est-il toujours extrêmement prudent quand il s’agit de soigner ces endroits. Là, par contre, il s’agit de tout autre chose. Ce n’est pas une blessure, c’est une mutilation qui le fait frémir. Ce qu’a enduré ce pauvre jeune homme est pire que tout. Il a perdu ce qui fait de lui un homme, il a perdu sa dignité et toute possibilité de se reproduire, de connaître la joie d’avoir un jour une famille, d’avoir du plaisir. C’est son humanité qu’on lui a enlevée et le vieil homme s’estime – avec raison – heureux de n’avoir jamais rencontré de Drows.

Anaëlle, elle, garde la main de Lince’Sà dans la sienne et le conduit tranquillement à la paillasse, en serrant un peu ses doigts autour de ceux du jeune homme. Elle ne le connait que depuis peu mais elle le soutient, parce que c’est ce qu’elle estime le mieux à faire en cet instant. Pour lui. Quand il sera allongé, elle prendra place au sol, agenouillée près de la paillasse, pour ne pas déranger le vieux guérisseur qui déjà approche son visage de la plaie, un visage fermé et concentré. Il sort les besicles de sa poche et les pose sur son nez, pour mieux voir. Il a un regard pour Anaëlle avant de se détourner un instant et d’aller chercher de l’eau chaude et un linge propre. L’eau est parfumée, elle dégage une odeur de plante tout à fait agréable tout en étant forte. Sans un mot, il dépose le petit bassin d’eau à ses pieds et approche son tabouret, avant de plonger le linge dans la préparation.

- Inspire un grand coup mon garçon.

Le contact est fait, doux et délicat. Le vieil homme entreprend alors de nettoyer cette vilaine plaie par de tous petits gestes circulaires. La blessure est vilaine, mal soignée et rougie par endroits. Le vieil homme enlève par ces gestes les petites impuretés glissées là par manque de soins. Syllas est en colère, une colère froide, Anaëlle le voit bien et elle ne bouge pas, se contentant de garder la main de l’esclave dans la sienne et de lui parler d’une voix douce, en passant une main calme dans ses cheveux.

- Tu es courageux, tout va bien se passer…tu verras ! Syllas connaît bien les choses ! Hein Syllas ?
- …oui.

Le vieil homme change deux fois de linge, avant de les laisser seuls un instant. La servante jette un œil sur la plaie et se mord la lèvre. Bon sang que ces Drows sont méchants…Et dire qu’elle a failli être capturée par l’un d’entre eux. Le goût du sang de cette créature lui revient, elle détourne le regard en étant bien contente de l’avoir mordu si fort, celui-là, sûre qu’il doit au moins porter la marque de ses petites dents sur sa vilaine peau toute noire.

- Il a tout nettoyé, je cois qu’il est allé chercher une huile…Je l’entends triturer ses fioles là-bas…

En effet, le vieil homme revient avec des flacons et entreprend de mélanger le contenu de plusieurs d’entre eux dans un petit récipient, pendant quelques minutes, jusqu’à ce que cela forme une espèce d’onguent onctueux. Il emporte un petit instrument ressemblant à une cuillère et le trempe dans la préparation qu’il applique avec d’infinies précautions sur les plaies, méthodique et concentré.

- ça peut piquer un peu mais ça passera. Ne bouge pas, fils.

Cela prendra un temps considérable mais Syllas finit son ouvrage en entourant les hanche de Lince’Sà de fines bandelettes de tissu, bandelettes qu’il passe également entre ses jambes pour une meilleure tenue. Ainsi bandé, le jeune homme est au moins protégé des impuretés.

- Reviens me voir demain. Je changerai le pansement et te donnerai de quoi te soigner toi-même si tu as trop peur…

- C’est rien, fils. Rentre au château et va te reposer. Anaëlle ?
- Oui Monsieur Syllas ?

Le vieil homme lui sourit aimablement et lui lance un clin d’œil approbateur.

- Tu as été courageuse, toi aussi. Transmets mes amitiés à Efren.

La petite servante détourne le regard, un peu gênée, mais au fond d’elle elle est contente. Elle est contente parce qu’elle a réussi ce qu’elle a toujours voulu faire, aider les autres, aider quelqu’un qui en a besoin. Emue, elle ne répond rien, elle se concentre sur Lince’Sà, mais le vieil homme ne s’y trompe pas. Il a bien vu ses joues rougir, il a bien observé ce petit éclat dans son regard, il sait qu’elle est heureuse de faire le bien.

- Je vous attends demain matin. Ne soyez pas en retard, j’ai des choses à faire pour la châtelaine, dans l’après-midi.
- D’accord !

Anaëlle soutient le voyageur et passe son bras sous le sien, pour le guider vers la sortie. Alors qu’ils s’éloignent vers le château, le sourire du vieil homme disparaît. Il rentre dans sa maison, la mine sombre, visiblement préoccupé. La petite servante, elle, raccompagne Lince’Sà jusqu’à sa chambre, une petite chambre du côté est du château, là où logent tous les invités. Il aura le temps d’apprécier le lit moelleux et confortable, le petit âtre diffusant une douce chaleur, la décoration simple et propre de la pièce, le petit tapis au sol et les deux chaises de bois garnies de coussins rouges qui les ornent. C’est une pièce calme et simple, parfaite pour le repos du corps et de l’esprit.

- Voilà…Je vais avertir la Dame de Fernel que tu es ici et soigné. Elle te fera appeler quand cela sera le moment, d’accord ? En attendant, repose toi, je ne serai pas bien loin si tu as besoin de moi.

Elle le laisse alors, fermant la porte en douceur, avant de rejoindre les offices pour aider Maïethé, en espérant que tout aille bien pour lui, en sécurité dans sa chambre.