Une bonne action n'efface pas les mauvaises, et le mal attire le mal

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Deuxième ennéade de Bàrkios, second mois du Printemps.
Après le tragique évènement au sortir du conseil de Thaar, et les longues heures d’attente au palais Irohivrah.
Dans l’immensité des Mille-Caves.

Ainsi accompagné de celui qui avait dit n’être qu’un homme, une ombre modeste et anonyme de la grandeur de Maralina, nous n’avions point échangé d’autres mots. J’avais grandement apprécié cette petite phrase qui fut la sienne : qui sait quel mage de quelle école pouvait être là, et écouter les paroles qui se mêlent aux vents. Prudent il était, conscient il était. Un atout il devait être, assurément. Je ne voyais pas pourquoi Maralina s’était entourée d’un individu tel que lui, même aux moments les plus sombres – comme ceux de ce jour – si ce n’était grâce à sa redoutable efficacité. Ainsi présumais-je, en tout cas.

Alors nous avons avancé. Et en avançant, nous avons rallié les Mille-Caves. Passant la muraille de pierre blanche, nous sommes entrés dans l’épaisse forteresse de surface à l’intérieur de laquelle se déroulait la vie des nains et des commerçants ici, au-dessus des profondeurs. Et tout au fond de cet immense rectangle, la fameuse porte, gardée en permanence, qui mène jusqu’aux plus profonds tréfonds de ces lieux. La procession était ainsi faite : Moi-même en tête, deux Barbesables, Dante, et deux autres Barbesables, y compris un des seigneurs de la Loge d’Onyx. Dans cet étroit corridor, un individu de la taille de Dante était clairement désavantagé. Voûté, il ne pouvait ni dégainer ni faire volte-face, et mes nains, eux, étaient habitués à pareille situation.

Nous arrivâmes ensuite, au terme d’un dédale qui donnerait le tournis même à un nain, à la célèbre et fantasmée Eclaverne. Il n’y avait personne, ou presque. Les rares clients furent sommés de sortir, car l’affaire en cours était bien trop pressante. Habitués, conscients aussi que l’endroit n’était autre que la propriété du maître des Caves, tous s’exécutèrent. Seul le tavernier, membre de la Loge d’Onyx – mais cela était un secret pour tout le monde sauf pour moi – était autorisé à rester.

Les sofas, les poufs, et les fauteuils, étaient faits de cuir, de laine, de velours ou de soie. Des fourrures rembourraient les assises lorsque celles-ci n’étaient point emplies de plumes d’oies. Les sol était fait d’un marbre blanc ô combien magnifique, et les poteaux porteurs, eux, étaient dorés à la feuille. Le plafond ne dérogeait point à la règle, et les lustres étaient fait d’or pur. Les boutons de couture étaient également dans des métaux précieux, et partout autour de nous, des joyaux et autres pierres précieuses venaient rehausser le cuir, les fourrures et les broderies d’or et d’argent. Les verres qui furent déposés sur notre tablée, étaient en cristal d’une pureté exceptionnelle. Les dessous de verres, étaient en marbre – un luxe dispendieux n’est-il point – et la table en elle-même fut taillée dans un épais bloc de marbre rose. Les couverts et les assiettes étaient faites en or, les outils du tavernier – le marteau de perce par exemple – étaient faits en acier agrémentés de rubis et autres émeraudes. Tout avait été pensé pour créer un environnement de luxe écrasant. Ici, même le bec du Hook, était en métal précieux.

- Voici, homme d’ombre, l’Eclaverne. Prenez place, et consommez ce que vous désirez. Et dites-moi tout ce que vous avez à me dire. Vous êtes ici dans un lieu hermétique à toute magie, et où le secret est une règle qui dicte nos vies. Je vous écoute.

Au tunnels qui se rapetissent et qui se referment suis lui, la grande silhouette déguingandée de l'assassin semble suivre le même chemin. Ralentissant un peu, il semble comme se refermer, se replier sur lui-même en s'adaptant à son nouvel environnement sans mal. Ceci, Dante le prend comme un test et l'accepte comme tel, démontrant encore une fois le pragmatisme qui est le sien. Ca l'étonnerait que Marzaban cherche à le buter ceci dit.

Alors est il gratifié de l'honneur rare pour un humain de voir l'Eclaverne, Les métaux et pierres précieuses qui reflètent et multiplie la lumière donne un éclat riche et opulent aux lieux. Et même si le plafond est bas et l'oblige à marcher penché, l'humain ne se plaint pas.  C'est un lieu créré apr et pour leur espèce.

Les gens riches ont toujours la même propension à afficher leurs avoirs et leurs bien de façon ostentatoire, comme si ils affirmaient par le fait même leur pouvoir et leur influence. Mais comme dans toute choses, ils faut des personnes derrières pour fournir le prestige et les matériaux bruts nécessaires à ce pouvoir. Prenez ce marbre par exemple. Il vient peut-être des carrières de Rutsi. D'ailleurs ce dernier se servait de son propre manoir comme d'une salle de démonstration... Il reflète le pouvoir que ca a pris pour l'extraire, le polir, l'amener au lieu de livraison. Un pouvoir que els gens associent presque toujours à des espèces sonnantes et trébuchantes.  

Bref, tout cela pour dire que l'humain se préoccupe plus de la taille et de l'accessibilité du mobilier que de sa richesse. Si il s'asseoit sur une chaise, il va avoir l'air ridicule. Et on ne parle pas des tabourets. Aussi Dante s'asseoit il carrément au sol. Pourquoi couper les cheveux en quatre pour quelque chose dont il se fout au final?

-Merci de cet entretien. Je sais que votre temps est précieux. Le mien l'es tout autant. Si j'ai bien compris, le Prince marchand Diolando Vega vient de porter un coup à la Princesse Irohivrah. Je connais votre partenariat. Sans me vanter j'y ai même contribué dans la mesure de mes moyens.

Il se penche vers Marzaban en attendant sa réponse.

Ainsi, l’homme savait maîtriser ses émotions. Si, bien-sûr, il fut aisé de capter quelques regards pour les dorures, le marbre, les joyaux, les runes, l’homme au nom inconnu – mais qui le sera bientôt grâce à la Loge d’Onyx soyez-en sûr – eut tôt fait de maîtriser le moindre de ses sentiments. Nul doute que cette maîtrise – loin de ma stoïcité naturelle toutefois – était le reflet d’une grande maîtrise de ses émotions, de ses actes, de ses gestes et de ses pensées. L’individu devait sans aucun doute être de ceux pour qui l’ombre n’est point seulement une zone non éclairée, mais également un mode de vie. Une façon de se mouvoir, une façon de rester immobile, une manière d’être, en tout temps et en tout lieu.

- Tout le plaisir est pour moi. Répondis-je, pour l’entretien. Vous avez bien compris. Et Diolando Vega ne s’est point caché, puisque, avant de porter assistance à son altesse Maralina, il m’aura annoncé à mes oreilles que je devais me considérer comme « épargné ». Son insolence n’égale que son outrecuidance. Même en ses rêveries les plus folles, il ne pourrait espérer me nuire en aucune façon.

N’est-il point ? Pense-t-il que ma stoïcité signifie que je suis incapable de me défendre ? D’avoir une dague sur moi ? Ou d’user de runes ?

Car oui, je suis un runiste. Un scriberune élémentaire, maîtrisant préférentiellement la terre et le sable. Je ne suis point maître, aussi mes runes peuvent-elle ne point être de bonne qualité, mais lorsque le sort est réussi, celui-ci pourrait tuer un homme, à n’en point douter. Et puis, la loge d’Onyx est une arme au tranchant incomparable.

Et l’homme reprend un discours. Je dois dire que j’apprécie son côté prévisible, calculateur et manipulateur. Le chao ordonné, cela me parle pleinement. Et j’excelle en la matière. Les évènements de Hanning en témoignent. Toutefois, une phrase, dans son réquisitoire, pique au vif mon orgueil, provoquant autant de curiosité que de colère. Mais rien ne transparaît. Pas même un frémissement de sourcil, ni un changement dans ma respiration.

- Nul espion ne pourrait se targuer d’avoir un œil ni une oreille ici-bas, au cœur des Mille-Caves. Et je doute qu’il puisse y’en avoir en surface non plus, point dans mon enceinte. Si quelqu’un prétendait pouvoir savoir ce qui se dit, et se passe aussi loin sous la terre, cet individu serait le plus grand menteur de tous les temps. Et je lui trancherait la gorge moi-même, sans sourciller.

Les choses étaient ainsi clarifiées. Et cet homme devait comprendre que, tout doué, tout puissant qu’il était, il n’était point à l’abri de quoi que ce soit ici-bas, point même avec l’appui de la puissante Maralina. Bien que la Princesse-Marchande bénéficie de mon respect, et d’une forme de confiance, ce n’était point le cas de son entourage, proche ou lointain. Je poursuis donc ma réponse, occultant volontairement sa question que je présume être liée aux évènements de Hanning.

- Je n’ai point encore de plans prévus contre le fourbe Diolando Vega. La précipitation est ce qui a placé le fourbe dans cet étau que je compte bien resserrer jour après jour. D’autres informations m’attendent sur Diolando et sa cité. Et de ses informations, je déciderais d’une tactique.

L’homme semblait efficace, mais bien trop curieux. Et point trop à sa place ici bas.

Ne marquant aucune expression particulière à la mention de Diolando, la Bête en lui s'esclaffe bruyamment. Et bien, il ne l'a pas décu. C'est juste chiant un peu que ca soit Mara et les héritiers de Zhak'BAr qui trinquent. C'est dommage dans un autre sens. parce que si le prince de Qyriah avait fermé sa grande gueule, ce dernier aurait eu plus de temps pour placer ses pions sur l'échiquier.

Et pendant que le prince des Milles-Cave assure sa confiance en ces gens, autant une mise en garde qu'une menace, il ne se sent pas du tout menacé ceci dit. La mort, il ne la craint pas, il danse avec elle, aussi garde t'il ce silence qui est le sien avec un calme exemplaire. Le point à l'ordre du jour. le seul point important et qui importe d'ailleurs est enfin abordé.

-justement... je vais remettre les chose en perspective. En premier lieu. pour en revenir à vos gens. Tant mieux si c'est le cas. Je ne fais que vous avertir parce qu'il y a eu de la prospection de mon côté pour que je le fasse. Bien entendu, j'ai aucun intérêt à venir chez vous... Je fais environ soixante centimètre de trop, mais le commanditaire s'est sûrement essayé d'un autre angle.  Après c'est à vous de gérer vos milles-CAves comme vous l'entendez.

Il prend une gorgée de bière naine. Simplement parce qu'il sait que quelqu'un qui ne boit pas n'est pas digne de confiance pour eux. Toujours de ce ton calme et posé.

Ensuite, je suis venu vous avertir. Une guerre se préparait et vient d'être lancée. Je ne fais pas de politique, je vous laisse ca à vous. Ce que je sais c'est qu'en cet instant précis, vous pouvez être certain que je parle avec la voix de la princesse Marchande. si les rumeurs sont bonnes, vous devriez connaitre la valeur du Droit du Sang. Maralina l'a réclamé sur ses couches. Vous êtes le seul à vous être soucié assez d'elle, peu importe vos raisons, pour être resté et elle y a été sensible. C'est la raison de ma transparence en ce jour.

iL marque une pause, ne se marquant ni en inférieur ni en supérieur, simple messager de sa partenaire d'affaires en cet instant précis.

Les choses étaient déjà en marche lors de cet incident. Ne vous mettez pas entre elle et sa proie est mon simple conseil. Il se peut par contre que je reviennes vous demander assistance en son nom pour prendre le Prince de Qyriah à son propre jeu de dupes, aurais-je alors une oreille attentive de votre part?

Des propositions ? De son côté ? Intéressant. Ainsi donc, comme je le présumais, l’homme de l’ombre n’était point uniquement au service de Maralina. Il pouvait être embauché. Il était possible d’être à la fois son employeur et son commanditaire. Il était possible de s’attacher les services de l’homme, pour une poignée de souverains et d’écus. Et qui plus que moi pourrait en offrir le plus ? Personne assurément… Maralina, peut-être. Grâce au gouffre creusé par l’amende du conseil, sans doute. Encore un peu de patience, et ce gouffre serait renfloué, assurément.

Je ne dis rien, je ne montre rien. Tel le bloc de marbre, telle la stoïcité qui correspond à mon titre, je demeure stoïque. Seuls les mouvements de ma cage thoracique permettent d’attester de la vie qui couve en moi. D’aucun s’attendrait presque à pouvoir me toucher, et ressentir la froideur d’une pierre immuable et imperturbable. L’homme de silence distille ses informations à l’envie, mais garde juste ce qu’il faut pour pouvoir faire naître la flamme de l’intérêt, flamme qu’il faudrait entretenir pour ne point la voir s’éteindre. Mais je ne suis point fait en ce bois-là. Qu’importe la flamme, qu’importe le brasier, qu’importe la brûlure et la chaleur irradiée, je resterais de marbre, et graverait en mon esprit comme on grave dans le marbre, les propos tenus en ce jour, par l’homme qui n’a pas encore de nom. Jusqu’à-ce ce que l’homme termine…

- Vous comprenez, j’en suis maintenant certain, que face aux informations que vous avez laissé entrevoir, je ne puis décemment, et même avec l’estime que je porte à la princesse d’Uldal’Rhiz, vous offrir une oreille attentive, ni aujourd’hui, ni dans le futur. Je laisse un temps de pause, de latence. Pas longtemps, seulement deux ou trois petites secondes, secondes que je tente de mettre à profit pour détecter une mimique, un rictus, un mouvement involontaire de mon vis-à-vis. Dites-moi qui a tenté de vous passer contrat pour agir ici. Dites moi quand, et donnez-moi votre nom. Et vous disposerez de mes deux oreilles attentives et affutées.

Nul doute qu’il essaiera de négocier… Ainsi vont les choses.

Sous ses dehors imperturbables, le poisson est ferré. Et bien ferré. Il a besoin de l'entendre dire ce qu'il sait déjà. Il l'entend calculer d'ici. Probablement qu'il se demande combien coûteraient ses services. Peut-être le pense t'il une lame solitaire. Peut-être que non.  Irait t'il jusqu'à pousser l'audace à l'envoyer contre son alliée? C'est une question intéressante du point de vue de la psychologie. Mais ce n'est point ni le lieu, ni le moment de psychanalyser un dawi.

Dante le trouve, intéressant, silencieux, direct, cherchant à utiliser la moindre virgule à son avantage. C'est son premier contact direct avec un membre de cette race et il ne les sous-estime pas.

Une oreille affûtée sera suffisant. J'ai des besoins modestes. Mais puisque c'est si gentiment offert, il y a bien quelque chose. j'aurais besoin des services des artisans de votre peuple. Aucun forgeron de Thaar n'a les connaissances requises pour forger l'objet de mes désirs et aucun forgeron des Milles-Caves ne façonne pour un humain, ca me met dans une position délicate. J'ai un exemplaire unique d'une dague en ma possession, mais j'ai l'impression que le concept pourrait être amélioré.... Vous pourriez me faire un prix? Je ne vis pas de charité et j'aime les comptes en ordre 


Dit il en détachant son bracelet de force et le déposant devant Marzaban, Surprise, sa lame secrète, confortablement nichée dans son fourreau somme toute grossier .

Et la voici, la négociation. La voici. Et via une tournure que je n’apprécie point. Ainsi donc, en plus de mes deux oreilles attentives, l’homme qui ne m’a point donné son nom désir une chose qui, si cela venait à s’ébruiter, pourrait influencer de manière négative sur le monopôle des Mille-Caves noué avec le Zagazorn : forger une lame naine, ou améliorer une lame déjà existante et son dispositif.

J’ai une idée plutôt nette de l’état actuel des choses au sein du glorieux pays de mes ancêtres. Le souverain des terres ancestral est nettement plus ouvert au commerce avec le reste du monde, que l’était son prédécesseurs… Et ceux encore avant. Toutefois, les choses qu’il autorise à la vente restent des denrées et des ressources, point des produits réellement manufacturés tels que des armes, justement… Et ne parlons même pas des savoirs.

Il faut dire que si les coups des armes naines sont faramineux et ô combien prohibitifs, et donc, une immense source de revenue, la vente d’armes ainsi confectionnées demeure un piège en soi. Un piège, car outre les immenses revenus obtenus grâce à de telles ventes, il faut penser à ce que de telles armes pourraient faire entre les mains de non nains. Quoi de mieux que des armes naines, pour attenter à la vie de nains ? Les meilleures armures du monde ne sont-elles point défaites par les meilleures armes du monde ?

Et cet homme à l’air d’être un expert – autant qu’un mal-fait puisse l’être – dans le domaine des armes, et de leur utilisation. En témoigne cette arme, et cet ingénieux stratagème qui, effectivement, mérite plus d’une amélioration. Et cette lame également. Je reconnais bien là les médiocres capacités des mal-faits.

Alors, quoi… Que faire ? Mettre en danger mon monopôle ? Risquer le courroux de ce souverain éloigné qui, pourtant, pourrait détruire cette noble institution qui est aujourd’hui la mienne ? Ou accepter ? Certes, ses informations valent leurs pesant d’or… Mais si l’or appelle l’or, il appelle aussi les ennuis. Et je crains que, en mon esprit, les statistiques ne jouent en ma défaveur. A moins que…

- Ce que vous me demandez est bien plus excessif que la charité, qu’un prix, ou même qu’un trésor. Et je pense que vous n’imaginez pas à quel point. Je consens à améliorer votre dispositif, et, ce faisant, à mettre les meilleurs artisans nains dont je dispose, pour pouvoir y arriver. Toutefois, je ne peux rien faire pour votre lame. Pas pour le peu d’informations que je vous demande. Consentez à me donner les informations que je demande, et votre dispositif sera le meilleur qui soi. Pour la lame, nous devrons convenir d’un autre prix, plus tard. Qu’en dites-vous ?

Une négociation plus ardue que je le pensais. Ce n’est donc point seulement une lame, c’est aussi un bon négociateur, visiblement. Un homme doté de plusieurs compétences qui pourraient être intéressantes.

Je le laisse parler. Cet homme est un mystère. Il est un exécutant, ça, je l’ai bien compris. Un exécutant libre de choisir ses contractants et ses commanditaires. Il sort une pièce, et joue avec, et plus il joue, plus il se fait abondant dans ses paroles, et dans les différent détails, petits et grands, plus ou moins secret.

D’une certaine manière, cet homme me fait penser à Diolando lui-même. S’il est moins extravagant, et vraisemblablement moins impulsif, s’il semble plus réfléchi, et sans doute plus retors puisque moins impulsif… Il semble être un électron libre. Un électron libre fait de ses propres principes, de ses propres acceptations, de ses propres refus… Et, sans doute, de ses propres projets. Je comprends, ou du moins, j’aperçois pourquoi Maralina l’utilise si souvent, et de manière si indépendante. Définitivement, il me faut tout savoir de cet homme-ci.

Quelles sont ces conditions avec lesquelles il se considère libre de tout engagement ? Et donc libéré de toute confidentialité ? Quelles sont aussi ces conditions qui font que cet homme reste fidèle ? Et quid du fait qu’il pourrait disparaître du jour au lendemain, avec quantité d’information ? L’amener ici était sans aucun doute, une erreur.

Il semble avoir terminé, alors qu’il laisse l’ouverture dans ses propos. Il a une idée de comment parvenir à « nos » fins mais il pose des conditions. Et cela m’irrite au plus haut point. Je suis un grand manipulateur, je suis un fin calculateur… Mais celui-ci, en face de moi, semble échapper à toutes mes statistiques, à tous mes algorithmes.

Il a terminé de parler, et moi, je reste silencieux. Le visage neutre, sans expression, froid comme la mort, les yeux à moitié clos, regardant mon vis-à-vis sans aucune forme de vie… Je réfléchis. Ma main gauche se lève, et mon index en fait de même. Un signe destiné à un seul nain, qui s’avance, et se baisse, afin que son oreille droite soi à la hauteur de mes lèvres. En Khuzdul, je lui chuchote quelques ordres : que l’on se souvienne de cet homme dans le moindre détail, qu’un nain en dessine les tours et les contours, les rides et les cicatrices, les mèches et les défauts d’asymétrie de son visage. Que l’on note aussi ses tiques de langage, ses habitus nerveux. Que l’on note les détails de cette pièce qui tourne de doigt en doigt, et que l’on notifie son accoutrement. Tout, doit être consigné. Et je veux qu’un dossier à son nom soit créé et classé dans la Loge d’Onyx, à des dizaines de mètres sous nos pieds, dans un antre secret que même les divinités ne pourraient jamais trouver. Jamais, ô grand jamais.

Cette discussion chuchotée ne dure que quelques secondes, et le nain s’exécute. Il passe derrière le bar, et me ramène une bouteille d’un excellent cognac très âgé. Cela, dans le but de « justifier » pourquoi cette discussion et pourquoi ce détour derrière le bar. Et puis, le nain disparaît. Il s’enfonce au fond de la pièce, loin du regard de Dante, loin de sa vision directe et périphérique. Et là, il exécute son travail. Il dessine, il note, il établit, tout en Khazalide, et en un codage établi par moi-même. Ce Cognac, quant à lui… Est servi dans un magnifique verre de cristal. Le fond du verre est fait de motifs en forme de losanges en trois dimensions, permettant une bonne prise entre mes doigts, et ajoutant une touche stylisée agréable à la vue. Mais ce verre est… Exceptionnel. Sous celui-ci se trouve une rune gravée, une rune de glace, faisant de ce verre… Un verre magique. Constamment glacé, les liquides qui s’y trouvent reste à une température optimale pour être dégusté… Et l’alcool et moi, c’est une grande histoire d’amour.

Ma main gauche se lève à nouveau, et cette fois-ci, c’est mon index qui suit le mouvement. Très vite, un autre nain, présent non loin, se saisit de la bouteille, et sers un verre, dans les règles de l’art. Une fois fait, je me saisis du verre, de ma main gauche. Le passant sous mon épais tarin, j’en apprécie les effluves, sans pour autant changer d’expression de visage. Oui, ce cognac valait son pesant d’écus. Une gorgée, puis une seconde, et j’essuie ma moustache en tapotant un écrin de soie sur ma lèvre supérieure. Et je repose l’écrin, en le pliant en six, avant de joindre mes mains devant moi.

Mes bagues et chevalières faites d’or et d’or blanc s’entrechoquent en une musique cristalline. Et je plonge à nouveau mes mires dans les prunelles de mon vis-à-vis, afin d’y déceler la moindre lumière de trahison, de vérité. Une vérité drapée sous son manteau, sous son armure.

- Bien. Dis-je, d’un ton froid et distant. Visiblement, Diolando et vous avez des comptes à régler. Et Maralina, et moi-même, en avons également. Nul doute que vos compétences sont excellentes, et votre curriculum est plaisant. Les propos de Diolando m’ont bien-sûr révélés être dans le collimateur de ce fourbe, mais vos révélations viennent étayer cet état de fait. Je vous en remercie. Toutefois, vous n’êtes qu’un pion, entre les mains de Maralina. Un pion doté d’une liberté d’actions et de mouvements, qui vous permettent de choisir qui servir, ou à qui nuire… Mais un pion, tout de même. Maralina est une décisionnaire, et je suis un décisionnaire. Cela est dit, cela est fait. Passons à la suite. Je n’apprécie point que vous tentiez de dicter ma conduite, car j’ai moi aussi mes propres projets. Vous vous en doutez, j’imagine. Néanmoins, je n’ai pas confiance en vous. Nous allons nous revoir. Dis-je, pour conclure cette discussion. Combien cette information sur Diolando voulant vous engager pour m'espionner, va-t-elle me coûter ?

Tranquillement, sans marquer aucune once d'impatience, la pièce vole de doigt en doigt agile. Il se laisse soupeser, jauger, examiner sans marquer ne serais ce qu'une once d'impatience ou de nervosité, l'oeil du borgne analysant de son côté l'impassibilité de son vis à vis est sujette à diverses hypothèses qui défilent  dans la tête de l'homme de l'ombre. Et tandis que le silence s'éternise, Dante finit par se demander: Aurait t'il déstabilisé ce grand prince?

En tout cas, le contrôle de ses expressions faciales et de son non verbal est digne de mention. La pièce ne ralentit ni n'accélère. Ni quand ils parlent dans leur  langage natal. Il ne comprend pas, mais ce n'est pas important en fait. Il en devine assurément la teneur. Le cognac qui est en train d'être servi ne le dupe pas une seule seconde. Il n'aurait pas parlé en sa langue natale pour un alcool fort. La boisson d'ailleurs est servie et le sbire de disparaitre de la vue de son oeil marron.  Ca non plus ce n'est pas important. Dante ne se sent pas menacé pour le moment, même si il sait pertinemment que marzaban n'aurait qu'un claquement de doigts pour le faire disparaitre des vivants.

La démonstration de pouvoir du dawi n'émeut pas l'assassin, qui garde toujours son silence ponctué de la danse régulière de sa pièce. il reste de marbre.

Ah ah ah, le vilain jeu de mots.

Le jeu des nerfs se poursuit, il ne lui offre pas de cognac. mais ce n'est pas important ca non plus. Le maitre des milles-Caves agit comme si il n'était pas là, mais l'assassin sait parfaitement qu'il réflchis et calcule. Et quant le regard du nain se reporte sur le sien, il le soutient calmement et aisément sans ciller.
L'écoutant calmement dévoiler ses cartes.  

Ainsi donc, il n'est qu'un pion. Et il lui rappelle qu'il est le patron. Ainsi donc son jugement est fait... Bien, bien. Il ne le contredit pas, parce que l'opinion du nain, bien il s'en fout royalement comme de sa première victime. Il n'a pas confiance en lui, c'est un fait et c'est réciproque.

Seule la pièce bouge d'un doigt à l'autre, sans ralentir ni accélérer sa course.

[/i] Combien cette information sur Diolando voulant vous engager pour m'espionner, va-t-elle me coûter ?

La pièce s'abat soudainement sur la table, et l'humain garde son index dessus avant de répondre d'un ton calme et posé.

Le prix a déjà été négocié et entendu autour de cette table. Je ne demande rien de plus, rien de moins que vous teniez vos promesses à mon égard. Sans vouloir vous dicter votre conduite... Ceci dit, je ne suis pas un barbare et l'ami de mon amie est mon ami. Par dérivation, je me dois donc de vous faire confiance.


Message subliminal pour dire que la méfiance est partagée de chaque côté de la table. Dante fait glisser la pièce vers le nain et la lui laisse. C'est une pièce d'acier noir, avec un côté vierge et l'autre frappé d'une simple dague, avec une subtile encoche faite pour les doigts hypersensibles de Dante mais qui passe pour de l'usure. C'est la pièce de référence des assassins patentés de calibre.  

Donnez ceci à la princesse marchande si vous désirez me voir. Elle saura où me joindre en tout temps et je n'ai rien à lui cacher dans mes affaires avec vous. Quand le temps sera venu, si votre opinion change, nous pourrons voir à une collaboration future hypothétique et des tarifs qui seront alors en vigueur. Je vous remercie de votre précieux temps. Je dois retourner voir la princesse.  

Dante n'ajoutera rien de plus, attendant avec une économie de geste remarquable et une patience d'ange le retour à la surface.