Les choses ne se passent pas toujours comme prévues

Cela faisait quelques minutes qu’Albael avait remarqué la silhouette qui le suivait à un rythme constant. Au début ça ne l’avait pas forcément choqué, mais après avoir zigzagué entre quelques ruelles, il avait bien compris que ce n’était pas normal. Hésitant quand à quelle décision prendre pour se sauver la mise, le doeben se contentait pour l’instant de se mêler à la foule.

Certes il n’était pas bien discret, pour une fois il le regrettait bien. Malgré tout le foule était son salut. Tant qu’il avançait ainsi, la silhouette ne lui ferait rien, c’était ce qu’il se répétait en continuant de marcher comme si de rien n’était.

Machinalement sa main était  tout de même venue se poser contre sa poitrine, à l’endroit même où la doublure de son vêtement formait un petit rempli très discret. Il n’y avait qu’à cet endroit que le seul objet qui comptait pour le bonimenteur était en sureté.

Ce manège désagréable dura quelques longues minutes. Peut être s'écoula-t-il dix, quinze, vingt minutes de marche hasardeuse au milieux des rues, à guetter discrètement derrière son épaule. Et puis Albael finit par se rend compte que la silhouette ne le suivait plus.

Avait-il abandonné ? Le doeben avait-il halluciné ou bien avait-il finalement semé l’étrange personnage ?
Prudent, il avait tout de même pris le temps de vérifier, d’abord en tournant à une rue adjacente, puis en se stoppant net. Non, plus personne ne le suivait…

Soupirant de soulagement, le drow relâcha alors un peu son attention et entrepris de rentrer en vitesse dans sa petite cachette au-dessus de son établissement. Il ne se sentait pas en sécurité. Seulement voilà, les choses ne semblaient pas vouloir aller dans son sens cette fois-là car lorsqu’il atteint son objectif, l’homme l’y attendait. Il aurait dû s'y attendre le prétendu devin...

Ni une ni deux, Albael se sachant en danger se mit à courir dans la direction opposée mais le piège était déjà refermé. Une deuxième silhouette lui barra le passage. Silhouette qui lui assena un violent coup dans la tempe qui l’envoya sonné au sol.

N’entendant que le sang qui battait à la folie dans ses oreilles pointues, Alabel ne compris pas ce que lui disait le premier qui s’était finalement approché. A vrai dire il se fichait bien de savoir qui était cet homme. Il avait actuellement plus en tête de ne pas mourir roué de coup…

-Eöl, qu'est-ce tu fous ?!

Fantôme suit son frère d'arme mais sans vraiment savoir pourquoi. Ils marchaient tranquillement lorsqu'il a soudainement commencé à se comporter de manière étrange. Enfin... Plus que d'habitude. Rapidement, le bretteur a compris qu'il suivait quelqu'un mais il a beau interroger son compagnon, il ne lui répond pas et ça commence à l'agacer largement ! Il a autre chose à foutre que de pister un inconnu dans la rue ! Bon, en fait non, c'est son jour de repos et il ne savait pas comment s'occuper, mais même !
Après un moment interminable au bout duquel le mercenaire a fini par la fermer devant le silence de son ami, le mage s'arrête enfin, passant discrètement la tête à l'abri d'un mur pour observer quelque chose. Ou bien la ou les personnes qu'ils suivent depuis dix minutes déjà. Le bretteur en profite pour attraper le bras de son ami et le faire se tourner vers lui.

-Tu m'expliques ?! Demande-t-il d'un ton énervé mais prenant soin de ne pas parler trop fort pour ne pas attirer l'attention. Il ne comprend peut-être pas ce qu'il se passe mais il n'est pas idiot.

Eöl n'a pas le temps de répondre. Un bruit résonne dans la rue derrière eux. Un son qu'ils reconnaissent parfaitement, l'un comme l'autre. Celui de quelqu'un qui vient de se prendre un pain et qui se retrouve à terre. Cette fois, les deux amis passent la tête et voient un sombre au sol, étourdi par le coup qu'il vient de recevoir, et ses agresseurs qui se rapprochent dangereusement.

-C'est le diseur de bonne aventure ?... Remarque Fantôme, un peu surpris qu'ils soient là pour lui. Avec toutes les conneries qu'il dit, c'est normal qu'il se fasse tabasser une fois de temps en temps. Mais il finira par y passer si ça continue. C'est peut-être bien pour aujourd'hui d'ailleurs qui sait...
-Va le chercher. Lui demande le mage qui ouvre enfin la bouche.
-Tu te fous de moi ?!
-Vas-y. Insiste-t-il sur un ton sec pour couper court à toute tergiversation.
-Putain, tu fais chier...

Soudain, le bretteur s'élance. Ils n'ont pas besoin de se concerter, ils travaillent ensemble depuis suffisamment longtemps et le fondement même de leur compagnie c'est de pouvoir compter les uns sur les autres. Alors qu'il n'a fait que quelques pas et avant même que les deux agresseurs ne le remarquent, le sable et la poussière sur le sol s'agitent et s'élèvent soudain dans un tourbillon qui aveuglent tous deux qui se retrouvent pris dedans. Fantôme s'y plonge aussi mais il a calculé au préalable sa trajectoire. Rapidement et sans un bruit, il fond sur le drow. Il se penche aussitôt et l'attrape par ses vêtements, le tirant pour qu'il se relève rapidement quitte à le soulever de terre. Dès qu'il est sur ses pieds, il l'embarque avec lui, revenant sur ses pas sans une once d'hésitation quant au chemin à suivre dans le brouillard jaune. Ils sont vite sortis du nuage de poussière et se dirigent vers le mage qui le maintient en place. Dès qu'ils l'ont dépassés et que les deux hommes sont à l'abri des regards, il baisse les mains qu'il tenait en l'air et se dissimule avec eux.

-Restons pas là.
-Et tu comptes faire quoi de lui au juste ?

L'elfe ne lui répond pas. Une fois de plus. Il n'est pas très causant d'habitude mais aujourd'hui son ami s'en passerait bien ! La seule phrase qu'il sort, il l'adresse au bonimenteur.

-Je te conseille de nous suivre si tu veux leur échapper.

A ces mots, il s'enfonce dans la ruelle d'un pas rapide. Il faut qu'ils aient disparu avant que le nuage ne se soit suffisamment dissipé pour que les poursuivants du sombre remarquent sa disparition et ne se mettent à sa recherche.

Albael n’eut pas le temps de réfléchir à ce qui se passait. Alors qu’il levait un bras pour protéger son visage, un vent violent soulevant la poussière du sol sortit de nulle part et vint lui brûler les yeux à lui autant que son agresseur. Il voulut en profiter pour se relever et partir aussitôt mais on lui attrapa le col sans délicatesse et l’entraina au loin en lui ôtant toute possibilité de protester ou de se débattre. Remarque il s'avéra que les deux nouveau arrivant le tirèrent d'un sacré pétrin.Il ignorait qui étaient ces gens, ce qu’ils voulaient et même si ce n’était pas un autre piège mais pour le moment c’était le moindre de ses soucis alors il les suivis sans broncher.

-Ils ne nous suivrons pas longtemps si vous voulez mon avis. Albael jetait tout de même quelques coups d’œil derrière lui de temps à autre tandis qu’il leur emboitait le pas sans rechigner. Ils voulaient sans doute juste me faire peur.

Est-ce que ça avait marché ? Probablement. Albael appréciait peu la position dans laquelle il s’était retrouvé. Le coté tuméfié de son visage en témoignait plutôt bien.

Changerait-il pour autant à l'avenir? Non. Le bonimenteur ne se considérait pas en faute dans ce qu’il faisait. La prison n’avait pas altéré son gout de vivre, des petites frappes n’y parviendraient pas plus. Malgré tout le bonimenteur avait une légère tendance à prendre les risques à la légère. Ils faisaient partie de son monde après tout…

-A qui doit-je l’honneur de mon sauvetage par ailleurs ? J’ai de quoi vous récompenser s’il le faut. Ce que ces hommes ne m’ont pas pris.

Il tapota discrètement une de ses poches. A un moment, il fallait bien savoir à qui il s’adressait tout de même et il avait assez d’argent pour s’assurer que les deux étranges énergumènes ne se retournent pas contre lui à leur tour. Savait-on jamais ici bas.

Plutôt qu'un merci, le drow affirme qu'ils ne se feront plus suivre. S'il croit à ses paroles, il en était peut-être moins convaincu quand il s'est retrouvé entre les des molosses. Son attitude a le don de passablement agacer Fantôme, déjà énervé par le comportement de son compagnon qui s'est fait très mystérieux et particulièrement silencieux. Sans s'arrêter, il se tourne vers le bonimenteur.

-Si tu veux vérifier, je te remets où je t'ai trouvé. Y'a pas de problème. Râle-t-il.
-Désolé, je l'ai mis de mauvaise humeur. Il ne le fera pas.

Le bretteur grommelle puis se tait. Il suit sans plus rien dire et sans même savoir où ils vont. Il ne pose même pas la question parce qu'il a le sentiment qu'on ne lui répondra même pas. Il prend donc un air renfrogné et marche en queue de peloton, tout en guettant régulièrement sur les côtés et même derrière eux pour s'assurer qu'ils ne sont plus suivis.

-Je sais que le concept ne t'ai pas familier mais tout le monde n'agit pas forcément par appât du gain.
-On est mercenaires, je te rappelle... Peste Fantôme. Des Chimères. Précise-t-il à l'attention du drow.

Leur compagnie est plutôt grande et assez bien réputée. Ils sont connus pour leur sens de l'honneur et leur organisation complexe. Leurs contrats sont élaborés avec soin et toujours sur papier afin d'être signés. Ce ne sont pas des meurtriers sanguinaires qui tuent par plaisir. Ils remplissent leurs missions avec brios et selon les conditions demandées. Les hommes et les femmes qui en font partie sont aussi soudés qu'une famille. S'en prendre à l'un d'eux, c'est s'exposer aux représailles de tous. Alors que la vie de mercenaires est plutôt rude d'ordinaire, la leur semble bien moins difficile ainsi.

-Tu as besoin d'un refuge pour un jour ou deux. Je t'emmène chez des amis. Ils pourront te soigner au passage.
-T'as des amis toi ?
-Tu dois être le pire d'entre eux. Réplique l'elfe sur un ton neutre.

Fantôme grommelle et la boucle de nouveau. C'est sa fête aujourd'hui ou quoi ?!

-Contrairement à ce que tu pourrais croire, si le concept m’est familier.

Albael était légèrement agacé par la verve de l’énergumène qui avait pourtant choisit délibérément de le sortir de là, cependant il se contenta d'hausser les épaules et de répondre tout à fait neutre.

Oui Albael monnayait argent contre ses dons, qu’on y croit ou non et le mercenaire se trompait bien cruellement s’il pensait qu’Alabel en avait le moindre remord. Cependant c’était hypocrite de lui faire des reproches quand on vivait dans un monde tel que Thaar. Il doutait très fortement que les deux-là faisaient le même cirque à chaque passage devant une maison close, une fumerie d’opium ou il ne savait qu’elle maison de jeu fondé sur les mensonges et la manipulation des esprits faibles.
D’ailleurs, il avait plus d’une fois donné quelques pièces gagnées loyalement à ceux qui lui faisaient pitié. Le drow n’était pas sans cœur mais il connaissait les lois de l’itrhi vaan.

Enfin…Il laissa tomber pour cette fois et préféra se focaliser sur le reste des informations que lesdites chimères voulaient bien lui offrir.

-Ce n’est rien pour mon visage. Juste des ecchymoses. Protesta-t-il en haussant les épaules. 

Il passa sa main sur sa pommette et sur sa tempe, c’était un peu douloureux, probablement violacé en apparence mais rien de grave.

Il n’était pas très rassuré quant à se faire héberger il ne savait où par il ne savait qui. Il ignorait ce qu’il devait craindre mais il n’était pas à l’aise à l’idée d’abandonner son refuge si longtemps. Il était persuadé que les bandits avaient abandonné même s’il n’était largement pas prêt à faire demi-tour.

-vos amis sont des chimères ?

Il connaissait le nom des mercenaires, leur réputation mais ça n’allait pas plus loin. Il n’avait pas trop d’idée de pourquoi ils tenaient tant à l’amener avec eux maintenant qu’Albael était hors de danger immédiat puisque qu’ils ne désiraient pas de récompense et qu’il n’était pas des leurs.

Fantôme suit, marchant en queue de file, le regard passant de tout côté, y compris dans son dos afin de s'assurer qu'ils ne sont pas suivis. On peut lui reprocher beaucoup de choses mais, lorsqu'il le faut, il sait être concentré et professionnel. Comme c'est le cas maintenant. De son côté, Eöl est égal à lui-même. Peu causant, presque austère. Il ouvre la voie, veillant à éviter de nouvelles embûches entre eux et leur destination. Il n'a pas répondu à la dernière question du drow, hormis un simple "non" qui a fait plus qu'attiser la curiosité de son compagnon. Il n'a jamais su ce qu'il faisait de son temps libre, lui qui n'a ni famille ni amis en dehors des Chimères, mais on ne pause pas ce genre de questions entre mercenaires car on choisit rarement cette voix autrement que par nécessité. Ils ont tous des histoires personnelles que personne n'évoque jamais, à moins d'avoir fait la paix avec elle. Ce qui n'arrive que rarement. Leur supérieure est de ceux-là d'ailleurs.

Après une dizaine de minutes de marche en silence, les trois hommes ont atteints un quartier qui, à défaut d'être riche, est connu pour être curieusement assez calme niveau criminalité. Chose que les autorités ne s'expliquent pas vraiment. L'aéromancien s'arrête à l'entrée d'une ruelle sombre et se retourne vers son ami, lui demandant de rester là, sous-entendu pour monter la garde. Fantôme est loin d'être bête et comprend qu'il est surtout mis à l'écart mais il ne bronche pas malgré son air renfrogné. Puis le mage conduit le doeben à l'arrière d'une série de bâtiments qui ne sont plus de prime jeunesse. Au milieu de la voie boueuse, il s'arrête. Là, entre une pile de caisses et une rangée de tonneaux est dissimulée une porte à laquelle on accède en descendant trois marches. Eöl va y frapper quelques coups irréguliers et curieusement rythmés. Après un bref instant, la porte s'entrouvre et le mage glisse quelques mots à voix basse tandis que l'homme de l'autre côté lui répond avant d'ouvrir plus grand. Apparaît alors un humain cinquantenaire à l'air peu commode, accentué par les cicatrices qui ornent son visage comme les marques d'un dur passé. Il toise les nouveaux venus l'un après l'autre avant de revenir sur celui qui se tient le plus près de lui.

-Qu'est-ce qu'il te faut ? Demande-t-il avec un accent péninsulaire à couper au couteau.
-Un abri pour notre ami ici présent. Répond le mercenaire en montrant le drow du doigt.

Le balafré renifle. Il n'a pas bien l'habitude de cette race-là mais cela fait longtemps qu'il ne juge plus un livre sur sa couverture. Alors, après un bref moment de réflexion, il leur fait signe de rentrer et libère la voie vers l'ombre qui règne dans le couloir qui s'enfonce sous la maison. Eöl se retourne vers le bonimenteur.

-Ce n'est pas un palace mais tu seras en sécurité ici. Lui assure-t-il avant d'entrer.

A l'intérieur, il fait presque noir, et plus encore lorsque leur hôte referme derrière eux. Le couloir se poursuit sur plusieurs mètres avant qu'un soupçon de lumière et de bruit autre que les pas des deux hommes ne leur parviennent. Il s'agit de quelques toux, d'une cuillère raclant un bol en bois, d'une voix d'enfant un peu forte aussitôt suivie d'un "chut". Finalement, deux accès se dessinent de part et d'autre du couloir. La lueur des bougies rayonnent faiblement jusqu'à eux. A l'intérieur, hommes, femmes, enfants et vieillards sont regroupés et installés sur des lits de fortune autour d'une table basse posée sur une natte tressée. C'est sommaire mais c'est propre. Ces gens assis sur la natte sont inquiets, tristes et égarés mais ils ne sont pas inquiétés par la présence des deux inconnus vers qui ils lèvent des regards plus intrigués qu'autre chose.
Eöl ne s'arrête pas et continue pour atteindre l'ouverture qui clôture le couloir. Il écarte le rideau qui l'obstrue et s'adresse directement à la personne qui se trouve de l'autre côté.

-Yasmine. J'ai quelqu'un pour toi.

Ici, l'ambiance est un peu plus chaleureuse. Les murs sont chargés de meubles qui permettent de ranger tout un tas de plantes et produits dont les parfums embaumes la pièce. Une table trône au milieu assez grande pour accueillir un homme et il est aisé de deviné que cela a déjà été le cas à plus d'une reprise. Une jeune femme accroupie devant une étagère redresse son regard et tourne ses doux traits vers les nouveaux arrivants. Elle passe rapidement sur le mercenaire qu'elle connaît pour poser ses yeux clairs sur le drow. Elle étire un sourire paisible et se relève. Elle est vêtue d'une robe simple et d'une cape qui cache entièrement son bras droit.

-Tu m'as déjà amené des gens en pire état que ça. Répond-elle avec un accent bien plus doux que celui de l'homme à l'entrée.
-La prochaine fois, j'interviendrai pas aussi vite alors. Lance-t-il avec ironie, faisant sourire la jolie blonde qui s'est approchée du bonimenteur.
-Je peux regarder ? Demande-t-elle au sombre avec douceur alors qu'elle a déjà repéré le léger gonflement de sa joue gauche.

Comprenant le manque flagrant de sympathie de ceux qui l’avaient pourtant sauvé, Albael s’était résolu à se taire durant ce qui leur restait de trajet. Les oreilles tirées en arrière et la mine inquiète, il n’était pas serein quant à son sort. Plusieurs fois il hésita même à brutalement partir en courant et planter là ces deux énergumènes. Mais Albael n’était pas idiot. S’il n’était pas en totale sécurité, les deux chimères étaient une protection non négligeable alors il n'en fit rien.

Il renonça même à demander où ils allaient lorsque l’un d’eux resta en arrière et qu’ils atteignirent une bâtisse des plus banales. S’aventurer dans le long couloir sombre ne lui posa pas plus de problèmes que le reste étant donné son sang noirelfique. Par contre lorsqu’il entendit une voix il se figea. Il y avait des enfants ici ? Combien de personne se trouvaient dans ce bâtiment ?

Son accompagnateur finit par s’adresser à une dénommée Yasmine qui se releva et lui fit face. Albael ne put empêcher un sourire en coin de fleurir sur ses lèvres.

-Ce n’est rien. Il laissa tout de même faire la jeune femme, la fixant avec un air presque amusé dans le regard maintenant qu’il se savait en sécurité. Votre ami a effrayé à temps le grand méchant qui s’en prenait à moi. Je l'en remercie bien évidement.

Les rubis malicieux ne purent s’empêcher de glisser de la jeune femme au reste de la pièce. L’amusement donna place à une certaine curiosité.

-Dites moi, vous arrive-t-il souvent d’héberger vos patients douce Yasmine ?

Malgré les paroles du doeben, Yasmine comprend qu'il l'autorise à jeter un œil et c'est ce qu'elle fait. Sa main gauche se lève alors vers le visage du sombre pour effleurer sa joue abîmée, s'obligeant à réaliser une torsion du poignet qui n'a rien de confortable mais elle persiste au lieu d'utiliser sa main droite. Elle laisse le regard de son invité parcourir la pièce, il n'est visiblement jamais venu et sa dernière question lui laisse même à penser qu'il ne sait pas qui ils sont. La jeune femme tourne alors son regard vers Eöl et l'interroge en silence. Elle comprend à son air que son geste était délibéré, même si elle n'en comprend pas forcément la raison. Alors elle ne dit rien et l'aéromancien se contente de sortir, quittant les lieux pour retourner auprès de son compagnon qui va sans nul doute l'assaillir de questions auxquelles il ne répondra jamais, irritant Fantôme un peu plus qu'il ne l'est déjà aujourd'hui.
De son côté, Yasmine adresse un sourire au bonimenteur et l'invite d'un geste de la main à s'asseoir sur une chaise à proximité. Puis elle se tourne vers une étagère, semblant y chercher quelque chose.

-Nous accueillons beaucoup de monde, oui. C'est un lieu de transit. Un refuge pour ceux qui en ont besoin.

Elle saisit finalement un pot qu'elle vient poser sur la table. Puis elle va à une commode dont elle ouvre un tiroir pour y prendre un linge ainsi qu'une spatule de métal dans un pot posé dessus. Elle revient ensuite à la table et retire le bouchon de liège qui était simplement posé et non enfoncé. Elle plonge la spatule à l'intérieur et en ressort une pâte de couleur vert clair. Elle en dépose une noix sur le linge qu'elle referme et serre afin de former une boule. Enfin, elle revient auprès du sombre et presse le tout sur sa joue abîmée, tout cela sans jamais user de son bras droit.

-C'est de l'argile et de l'arnica, pour éviter que ça n'enfle davantage.

Elle maintient le tissu contre la peau noire du bonimenteur, son regard alternant entre son ouvrage et les yeux rouges du sombre. Elle réfléchit. Elle hésite. Et puis, finalement, elle se lance.

-C'est risqué de la part d'Eöl de vous avoir amené ici. Elle marque une pause avant de continuer. Qui êtes-vous ?

-Je ne suis qu’un simple voyant rien de plus.

Le sourire du doeben se fit plus hésitant qu’à l’accoutumé. Point de fioritures, point de grandiloquences et de messagers des dieux. Ce n'était pas le moment. Il grimaça d’ailleurs un peu en sentant le contact du tissu sur sa pommette. Ça faisait plus mal que prévu en fait, la brute ne l’avait pas raté…

-Quand à pourquoi votre ami s’est décidé à me tirer de mes ennuis et me faire atterri ici hé bien…Ils ne sont pas très bavard. Il haussa les épaules. J’ai dû leur faire pitié j’imagine.

Il marqua un nouveau silence, observant du mieux qu’il pouvait la salle en s’efforçant de ne pas trop bouger pour la guérisseuse. L’endroit n’était pas miteux mais il était loin d’être de grand luxe. Ces gens n’étaient certainement pas les plus à l’aise pour gagner de quoi vivre chaque jour.

-Vos camarades n’avaient pas l’air enchanté par l’idée, ce que je trouve étrange pour des mercenaires, mais je peux vous dédommager pour tout ça…

A vrai dire il ne comptait pas rester. Il ne connaissait pas ces gens. Il n’avait rien à faire là. Lui qui passait sa vie à profiter de la faiblesse d’esprit des petites gens n’avait clairement pas le cœur à abuser de la soudaine bonté de ceux-là. Il lui suffirait de s’éloigner un temps, d’atteindre l’habitat-cachette au-dessus de sa boutique et d’y rester un moment et tout irais pour le mieux.