[Foire] La Grande Foire de Diantra

Finalement, cette étrange Mère est plutôt sympathique. Vouloir comprendre les chevaux d'un lieu en connaissant les lieux, les éleveurs, la lignée et le contexte, cela lui paraît être du bon sens, et même être une vraie forme d'expertise. Après tout, il fait pareil dans ses choix de métaux en fonction des commandes. Peut-être, finalement, lui a-t-elle fait ce cours magistral parce qu'elle est une experte passionnée et pas pour étaler une culture qui lui l'indiffère. La touche d'humour sur ses cheveux arrache même un sourire à un ferronnier pourtant tendu.

- Tant que j'en ai en suffisance, ce serait hérésie que de les cacher, n'est-ce pas ?

Pas qu'il y porte une attention particulière, mais cela l'aide au niveau du look. Ses cheveux cachent les attaches du masque, entre autres choses. Mais Gendry est loin d'être une fashion victim et ne se voit pas déblaterer sur le sujet, d'autant que quelque chose l'inquiète. Aussi, pendant qu'elles se présentent et qu'il écoute d'une oreille attentive tout en observant les alentours. Louise de Fernel n'a quand même pas abandonné son escorte ? Elle est indépendante, mais pas imprudente pourtant. Puis il pousse un soupir de soulagement en apercevant Enguerrand et Aymeric, deux membres de l'escorte, non loin et discrets. Aussi ne les salue-t-il pas. Garde-du-corps ou garde tout court, c'est un métier et il aurait été mal à l'aise d'être le seul de "l'escorte" alors qu'il est le seul à ne pas être garde. Cela lui permet de revenir à ses deux dames qui conversent au moment où Lucia avoue que son coeur n'est dédié tout entier qu'à sa tâche.

- Voici qui est choquant, Mère. Vous devriez au contraire montrer l'exemple. Dame Louise, il doit bien se trouver à Fernel un parti présentable, un herboriste ou autre qui pourrait être assez bien né que pour épouser un membre du clergé. Accessoirement, cela vous permettrait de la retenir.

Se tournant vers Lucia.

- Ou un éleveur, pourquoi pas ? Comme vous le dites, vous ne manqueriez pas de travail et un bon parti serait une bonne motivation à rester.

Mais pourquoi dame Louise a-t-elle parlé d'élan du coeur ? Ont-ils eu la même idée ? Puis quand il voit qu'elle le regarde, que Lucia le regarde et qu'il réalise l'idée qui leur a traversé l'esprit, il se renfrogne. Que la Damedieu le pardonne, mais des trois à cette table, c'est lui dont le futur mariage est le moins pressant. Une noble célibataire et une mère célibataire sont bien plus choquantes qu'un forgeron célibataire. Si elles n'étaient pas Dame et Mère, il ne se priverait pas de le leur balancer en pleine figure et de partir de façon grandiloquente. Sauf qu'il n'est pas grandiloquent et qu'elles sont Mère et Dame. Le monde est mal fait. Bon, elle fait quoi encore debout, Dame Louise. Ah oui, aucune chaise pour elle. Il soupire, se lève, récupère une chaise vide et la place à côté de Louise, avant de se rasseoir.

- Je n'aime pas la capitale et ma forge me manque...

Puisqu'elle veut savoir comment il va, il le lui dit. Il n'est pas à sa place ici. Il n'est à sa place nulle part. Il n'y a juste que les quelques mètres carré de sa forge qu'il se sent chez lui. Ou en forêt. Bref, loin des gens. Et ici, c'est plein de gens. Des gens partout. Et aucun n'est comme lui.

- Hormis ce détail, ça va. Ma chambre est confortable, la nourriture est bonne et les gens plutôt gentils, même ceux qui vous bousculent dans la rue.

S'il retente l'humour, cette fois, la fatigue prend le dessus. Il essaie de comprendre comment ne rien faire peut être aussi épuisant. Lui qui tape le fer parfois pendant des heures est épuisé par une petite marche dans une ville et le fait d'être assis dans une taverne ? La fatigue mentale est une notion qui lui est inconnue mais là le frappe en pleine figure. Il a déjà connu cette fatigue, plus jeune, quand il sentait le rejet des autres et que ça lui pesait, mais il pensait que la fatigue était liée au fait d'être malheureux. Ici, il ne l'est pas vraiment. Sa forge lui manque, mais il la retrouvera. Cela laisse une perspective. Pour ne pas décevoir sa Dame, il se force à rester alerte. Mais il sait déjà qu'il dormira bien, cette nuit... si on ne le réveille pas.

Louise esquisse un fin sourire espiègle en constatant la perplexité de la prêtresse. On peut être de sang bleu et pourtant faire preuve d’un poil d’irrévérence, d’un brin de plaisanterie, de temps en temps. Peu de gens savent quand elle plaisante ou quand elle est sérieuse, ce qui est à la fois un avantage et un inconvénient. Toutefois, le sourire servi par la châtelaine rassurera sans doute Lucia, qu’elle salue avec respect.

- Le travail ne manque jamais à Fernel, qu’il soit manuel ou spirituel…en effet.

Ce n’est rien de le dire. Rien que le long processus de retour à la foi en la DameDieu occuperait un prêtre à temps plein sur de longues ennéades. Louise a entamé cette démarche il y a de cela de nombreux jours en compagnie de Mère Zofia mais c’est loin d’être suffisant pour faire revenir la noire brebis égarée qu’est Louise au sein du troupeau de fidèles croyants. Ce sera une longue démarche, un long processus, elle en est consciente. Pourtant, cela ne l’empêche de taquiner, au moins un peu, la représentant de la DameDieu. Si on ne peut plus s’amuser un peu…

Toutefois, le regard de la prêtresse se pose lourdement sur le ferronnier, ce que note la châtelaine avec amusement.

- Les chevaux de Fernel sont uniques. Pas parce qu’ils sont plus beaux ou plus solides que les autres, bien que tous les palefreniers de ma seigneurie m’en voudraient certainement de dire une chose pareille, mais parce que nous les traitons différemment, que nous leur parlons différemment également et qu’ils sont comme des membres de nos familles. Si cela vous intrigue ou vous intéresse, vous êtes bien évidemment la bienvenue sur mes terres. Je serais ravie de recevoir une prêtresse au château.

Louise prend place sur la chaise amenée par Gendry, les mains sagement nouées sur ses cuisses, toute à son observation de l’étrange couple qui lui fait face. Un large sourire étire ses lèvres.

- Tout le monde est le bienvenu à Fernel, pour autant qu’on ne manifeste aucune mauvaise intention. Il en est ainsi depuis que je dirige la seigneurie. Il est hors de question de retenir qui que ce soit contre son gré surtout pour un motif aussi personnel que celui des noces.

Elle lisse sa jupe tout en gardant le sourire même si à l’intérieur cela ressemble à un chantier couvert de ruines avec comme sombre point de repère un cœur cadenassé et maintenu entier par une armure de petits monstres qui la protègent des désillusions, des charlatans et des beaux parleurs. Louise est toujours célibataire oui. Parce qu’il n’y a aucun parti convenable à proximité. Parce qu’elle n’intéresse personne, compte tenu de son rang dans la hiérarchie péninsulaire, à part peut-être pour des moments privilégiés. Parce qu’elle-même n’est pas intéressée par la perspective de passer le restant de ses jours en compagnie d’un homme qui tentera sans doute de prendre le contrôle sur elle, sur son héritage et sur Fernel. Louise préfère donc vivre seule que vivre mal accompagnée, quitte à choquer ses pairs par cette attitude. Louise a déjà montré, de toute façon, tout le bien qu’elle pense de cette tradition et a, toutes prêtes sur la langue, de cinglantes réparties pour quiconque tenterait de lui faire la moindre remarque à ce propos. Quand son cœur sera guéri, quand elle se sentira mieux, la chose pourra être éventuellement envisagée. Pas avant.

- Je suis heureuse de savoir que l’auberge qui vous abrite vous convient. J’ai fait en sorte que vous receviez tout ce qu’il faut, j’ai largement payé l’aubergiste pour cela. En ce qui concerne la faune locale je ne peux malheureusement rien y faire.

Un regard gentil pour le ferronnier avant de les regarder tous les deux et de demander :

- Vous vous connaissez depuis longtemps ?

L'orage passe, et le ferronnier se déride un peu à l'évocation de sa chevelure pour le plus grand soulagement de Lucia, qui ne voulait pas que la fête soit gâchée par une simple maladresse. Mais la maladresse, cette fois, vient du ferronnier qui se permet de la sermonner sur son célibat, au point d'impliquer la dame de Fernel dans le choix d'un mari pour la retenir. Une fois encore, Lucia réprime une impulsion et garde le silence, se contentant de constater silencieusement que Gendry a laissé dans sa forge sa connaissance des Neuf, tandis que la conversation glisse sur les chevaux de Fernel, pour se conclure sur une invitation. Lucia hoche de la tête en guise de remerciement.

- Je serais ravie de pouvoir voir les fernelois à l'oeuvre avec leurs chevaux. Et je vous remercie pour votre invitation, ma dame. Je fais partie de ceux qui se contentent de peu, vous verrez. Cette dernière phrase contraste légèrement avec la tranche de pain généreusement garnie de viande qui se trouve devant elle, sur la table. Elle ne l'a pas terminée, mais ça ne saurait tarder. Séjourner dans un château, peu importe le prestige de celui-ci, est un événement rare dans la vie de Lucia qui préfère demeurer chez les petites gens, là où l'accueil ne se fait pas par politesse mais bien par pure bonté. Pourtant, son rang, une fois de plus, lui ouvre des portes qui seraient restées fermées sans la bonté de la Déesse Mère et des prêtres à Diantra. Si elle les passe, c'est uniquement parce qu'elle est convaincue qu'elle sera utile là-bas.

Lucia ne se rassoit que lorsque Louise de Fernel reçoit une chaise sur laquelle prendre place, et esquisse un sourire en entendant les grognements du ferronnier qui trouve matière à se plaindre à propos de bien des choses. Rapidement, elle prend une bouchée de viande -bon sang que c'est savoureux!- et l'engouffre juste à temps pour répondre.

- Une heure environ. Pas assez que pour envisager des épousailles, mais suffisamment que pour me sentir dans le devoir de vous rappeler, mon fils, que le plus choquant ici, n'est pas notre célibat mais bien votre masque qui pourrait porter à confusion. Par chance, les Neuf nous rappellent la nécessité de ne pas juger de façon hâtive et de garder une tolérance et une ouverture d'esprit qui nous permettent de vivre les uns avec les autres malgré nos différences. Par les choix et non la condition tu jugeras, et tes bienfaits à tous tu prodigueras.

L'arrivée de pichets d'eau interrompt momentanément la prêtresse, qui en profite pour demander un gobelet supplémentaire. Elle remplit les deux qui se trouvent déjà sur la table pour les présenter à ses interlocuteurs.

- Quant au mariage, il faut garder à l'esprit que celui-ci est un Choix important, libre et consenti. Il arrive que le mariage soit le fruit d'un arrangement entre deux familles, qui résulte du Choix de sceller une entente par exemple, même si personnellement je préfère les mariages d'amour. Il y a toujours une émotion particulière lorsqu'on a le privilège de les célébrer. D'autres choisissent de se retirer du monde pour vivre pleinement leur foi sans songer au mariage. Oh merci!

Lucia remplit le troisième gobelet qui vient d'arriver sur la table. L'homme qui l'a déposé affiche une mine contrariée : l'eau ne rapporte pas grand chose à un établissement. Une prêtresse non plus. Lucia reprend, en se servant enfin un peu d'eau.

- J'aime croire que la meilleure façon d'honorer la DameDieu est de faire ce en quoi nous excellons, chaque jour. Vous, monsieur Adkin, semblez être un artisan confirmé. Vous, damoiselle, paraissez être habile dans la gestion de votre seigneurie. Lucia ne le dira pas clairement, mais le simple fait que Louise de Fernel soit à la tête de la seigneurie tout en étant célibataire lui parait être un signe évident de ses compétences, sans quoi un homme aurait déjà fait main-basse sur le domaine et sa dame. Quant à moi, quand je ne parle pas autant, je soigne les blessures. Chacun à notre façon, à travers notre travail, nous rendons hommage à la Bienveillante et au Souffle qu'elle nous a donné.

Fin de l'exposé. Lucia a sans doute trop parlé, emballée par les beautés de la vie que sont la Déesse Mère, le Choix et la foi. Elle pourrait ajouter qu'elle ne s'attachera sans doute jamais réellement à un endroit en particulier, parce que la route a un aspect méditatif qu'elle affectionne particulièrement, mais elle préfère prendre une gorgée d'eau bien méritée.

- Et puis de vous à moi, je suis un piètre faire-valoir. Ça doit à être à cause de mes cheveux. Lucia rit doucement, pour détendre l'atmosphère et détourner les regards de la balafre qui barre son visage. Êtes-vous arrivés avec une grosse délégation? J'ai l'impression que la ville s'est tout à coup remplie de monde. Vous êtes chanceux d'avoir trouvé où vous loger! Quand avez-vous prévu de quitter? Voilà qui lui permettrait de prendre congé à la Cathédrale et de se faire envoyer, très officiellement, dans le nord.

Gendry et les femmes de pouvoir. Coincé entre une Mère et la Seigneure du lieu où il vit et travaille, le ferronnier se dit que la seule bonne attitude à adopter est de faire silence et de s'éclipser dès que c'est possible. Le fait de se faire retourner par dame Louise sur son idée de proposer à une Mère célibataire de croiser de bons partis fernelois lui fait clairement comprendre qu'il n'est pas de leur monde.

- ... !

Faire silence, bon sang. Pourquoi avoir cette manie de se défendre et de tout expliquer ? Parce qu'il n'y a pas de mal à faire se rencontrer des gens célibataires et de laisser la nature faire les choses si elles doivent se faire ? Si les célibataires ne se rencontrent pas, comment les gens vont-ils se marier ? Question pertinente s'il en est. Et quoi, il n'a plus le droit d'être choqué qu'une Mère ne soit pas mariée ? Apparemment, non, il n'a pas ce droit. Mais le coup de massue vient de l'autre camp, qui lui rappelle que son masque peut être perçu comme un hommage à Arcam, avec tout le cortège punitif qu'on peut imaginer... et qu'il imagine aisément.

- Super, j'ai parlé à deux femmes de pouvoir dans ma vie dans un cadre autre qu'une commande. Au bout d'une heure, la première voulait me torturer dans ses geôles et la seconde est en train de réfléchir, je présume, à un bûcher.

Il lève les yeux au ciel, pour le silence on repassera. Le discours sur la tolérance et les bons mariages ne le rassure pas. Il vide son verre d'un trait, ressentant un besoin pressant de partir. Quoi que ses qualités comme ferronnier pourraient lui offrir une chance de survie, parce que c'est sa façon à lui de rendre hommage à la Damedieu. Bizarrement, la Mère relance la conversation.

- Nous venons de loin, une forte délégation ralentit lourdement la vitesse de déplacement. Notre délégation est réduite, à la différence d'autres.

Et oui, la dame a pris ses meilleurs éléments et on ne les met pas au bûcher comme ça... Quoi qu'elles ont l'air de s'entendre, alors elles seraient fichues de le brûler sur un bûcher après l'avoir torturé dans les geôles. Une fin originale... quoi que pas tellement. Mais elle serait assez conforme à sa vie, douloureuse et absurde. Quant à la question de savoir quand ils partent, il hausse les épaules. Cette décision ne lui appartient pas, sinon il serait déjà parti.

- Désolé, ma Dame, je suis trop casanier sans doute, surtout pour vous.

Faut dire que l'envie de rentrer et de vivre caché est forte. Il renonce à répondre à la question concernant depuis quand ils se connaissent. Parce que la Mère y a déjà répondu, ensuite parce que cette question est dénuée de bon sens. Il n'est jamais venu à la capitale, il n'a fait qu'un voyage, il est asocial, donc il n'a pu rencontrer cette Mère que le jour même. La preuve, il en a déjà marre, d'elle, de la Dame, de la Capitale, du futur Roi, du serveur, de l'aubergiste si bien payé. Il rêve juste qu'on lui fiche la paix. Il est parti de Scylla pour ça.

Louise a un subtil regard pour l’épaisse tranche de paix garnie de viande juste après les propos de la prêtresse indiquant se contenter de peu. Elle ne relève pas, bien sûr, mais note avec un léger sourire que Lucia saura sans doute apprécier la convivialité de Fernel qui n’est plus à démontrer.

La châtelaine se contente de les écouter tous les deux, tout en acceptant volontiers un verre d’eau claire. Les entendre lui fait un peu de bien. Cela lui permet de se focaliser, au moins un bref moment, sur tout autre chose que ce à quoi son esprit s’attelle depuis des jours : songer à l’avenir de sa seigneurie. Il est plaisant, en réalité, de les voir tous les deux discuter sans devoir penser à ce courrier qu’elle a reçu un peu plus tôt, en provenance du palais royal, un courrier qui ne fait que confirmer toute la gravité d’une situation qui était jusque là totalement hypothétique et sujette à caution. Qui sera présent ? Pour faire quoi ? A quel titre pourra-t-elle s’exprimer ? Son regard se trouble, perdu de nouveau dans de sombres pensées, la fermant à toute compréhension des paroles prononcées juste devant elle, du moins jusqu’à ce que Lucia l’apostrophe directement. Hein ? Quoi ? ha Oui, habile dans la gestion de sa seigneurie, vient-elle de dire…

- Je n’ai pas crainte de le dire, en effet. Fernel se porte bien et a suscité des convoitises. On a tenté de m’en dépouiller il n’y a pas si longtemps, le coupable s’en est allé danser au bout d’une corde et a servi de repas aux rapaces des Monts-d’Or durant des ennéades entières.

Elle trempe ses lèvres dans l’eau en ajoutant ensuite, le plus tranquillement du monde :

- J’apprécie moyennement qu’on essaye d’attenter à ma vie et qu’on s’en prenne à ce qui m’appartient. Si Fernel se porte bien, c’est parce que je veille. Sur tout. Tout le temps.

Elle dépose son gobelet sur la table, tout sourire.

- Quant à ma délégation, elle se limite à mon escorte personnelle, mon maître d’armes et Monsieur Adkin ici présent qui se porte fort bien, ainsi que vous le constaterez, malgré le fait qu’il a bien failli finir dans mes geôles, en effet.

Louise lève les yeux au ciel avant de sourire.

- Nous repartirons pour le Nord sitôt que le sacre du Roy aura eu lieu. Si tant est que cela soit possible, évidemment.

Louise reste volontiers évasive. L’avenir étant incertain et les événements passés étant des plus catastrophiques, il est bien possible que son séjour en la capitale s’allonge quelque peu. Peut-être bien. Peut-être pas. Et c’est bien toute cette incertitude qui met sa concentration à rude épreuve. Elle donnerait cher pour que son seul ami et confident soit présent ici, à Diantra, ne serait-ce que pour poser sa tête sur son épaule sans rien dire, quelques minutes. Savoir qu’il y a quelque part à Miradelphia un roc sur lequel elle peut s’appuyer de loin en loin est en soi un réconfort, c’est certain, mais cela ne change pas le fait qu’elle est irrémédiablement seule tout le temps. Et c’est très dur à vivre, pour Louise, qui ne s’en plaint pourtant jamais.

Demain, elle sera conviée au palais royal, en réponse à sa lettre. Une situation qui provoquerait une anxiété chez n’importe quel homme normalement constitué. Imaginez alors ce que ressent Louise, toute petite châtelaine du Nord, inconnue de presque tout le monde, une femme…Elle regarde son gobelet, plongée à nouveau dans cette perspective qui lui noue l’estomac. Impossible de songer à autre chose que tout cela. Et elle s’en aperçoit, Louise, elle s’en excuse même, d’une voix douce.

- Pardonnez-moi, je ne suis pas d’une compagnie des plus agréables ce soir. Je ne suis guère attentive à ce que vous dites et cela n’est pas très respectueux.

Enguerrand ne la quitte pas des yeux, tout autant qu’Aymeric.

- Peut-être devrais-je rejoindre ma résidence pour ce soir et vous laisser profiter agréablement de la soirée.

Une petite délégation pour aller plus vite sur le chemin, voilà qui pousse Lucia à songer que soit le domaine compte peu d'âmes, soit il est dirigé par une femme réellement pragmatique, éventuellement bien conseillée. Quoiqu'il en soit, elle constate que s'ils sont peu nombreux, les quelques fernelois présents pour l'événement ont été triés sur le volet... et suffisent probablement à maintenir la réputation de Fernel. Par conséquent, le ferronnier, bien qu'un peu bougon sur les bords, est nécessairement l'un des petits trésors que la Dame a tenu à embarquer avec elle. La remarque de Gendry ne manque pas de la faire sourire. À la différence d'autres. Il n'a pas tort, plusieurs seigneurs n'ont pas manqué l'occasion de faire étalage de leurs forces en arrivant à Diantra avec une escorte que l'on dit quelque peu démesurée. Mais qui est-elle pour les juger, après tout? La politique et ses subtilités sont des choses qui, souvent, la dépassent.

Lucia sourit discrètement. Il est toujours bon d'entendre quelqu'un dire qu'il est casanier, surtout après qu'il ait recherché un nouvel endroit où vivre. Elle-même ne le sera jamais, -du moins en elle-t-elle convaincue, même si le cloître de Sainte-Deina reste un havre de paix qu'elle retrouve avec une certaine joie, lorsque ses pas l'y mènent. C'est d'ailleurs à cet endroit qu'elle pense toujours lorsqu'elle a besoin de trouver un semblant de réconfort dans une journée tourmentée. Mais sitôt à Diantra, elle n'a qu'une hâte, c'est de repartir sur les routes.

Lucia ne peut s'empêcher de fermer les yeux, une seconde à peine, lorsque Louise évoque le sort de celui qui a tenté de s'emparer de son domaine et de sa vie. Elle n'aime pas les condamnations à mort, encore moins les exécutions qui s'accompagnent de sanctions au-delà de la mort. Elle craint toujours qu'un innocent ne subissent les foudres de l'injustice et meurt inutilement. Mais alors, que faire de ceux dont la culpabilité est avérée? Quelle poids cela doit être d'avoir à prendre la décision de mettre fin à la vie d'une personne. Le regard de la prêtresse se pose gravement sur la Damoiselle de Fernel, qui dit veiller sur tout, tout le temps. Une tâche qui ne doit connaître aucun répit, tout en éveillant chez celle qui la porte une méfiance quasi permanente envers tout et tout le monde. Une vie de solitude, malgré les gens qui doivent l'entourer au quotidien. C'est du moins l'idée qu'elle se fait des gens au pouvoir, elle qui les fréquente d'ordinaire bien peu.

- Ne vous excusez pas. C'est un bien lourd sacerdoce qui pèse sur vos épaules. Je vous souhaite de pouvoir profiter un peu du temps présent durant les festivités, même si la politique n'est jamais bien loin. Spontanément, Lucia lui aurait sans doute conseillé l'une ou l'autre échappatoire pour se vider la tête des pensées, peut-être en brodant ou en jardinant, mais la prêtresse retient pour elle un conseil non sollicité. Vous aussi, monsieur Adkin. Échappez-vous dans les rues moins fréquentées, allez jeter un oeil aux échoppes de vos confrères. Ça serait dommage de ne pas tirer profit de ce voyage dans lequel vous avez été traîné de force.

C'est à ce moment très précis qu'une troupe de cinq musiciens entre dans l'établissement, avec la ferme intention de se faire remarquer grâce à une musique au rythme entraînant, pour le plus grand plaisir de la plupart des clients. Ces derniers marquent le tempo en frappant des mains, en cognant du poing sur les tables ou en battant bruyamment du pied sur le plancher. Quelques uns laissent échapper des sifflements et des cris joyeux, pendant que d'autres entonnent le refrain avec des voix qui pourraient heurter les oreilles des vrais amateurs de musique. Lucia fronce légèrement le nez. Si jusqu'ici le bruit ambiant permettait tout de même d'échanger quelques mots, voilà qu'entendre son interlocuteur devient un véritable défi.

- Y a-t-il un endroit qui soit aussi bruyant que celui-ci, à Fernel? Lucia a haussé le ton et se met à rire. La chanson se révèle être clairement à double sens, et les paroles grivoises n'échappent à personne. Si vous avez besoin de prendre un moment à l'écart de tout, faites-moi demander à la cathédrale. J'essayerai d'obtenir une dérogation pour vous mener à l'atrium des Néerites. Mission quasi impossible, puisqu'en réalité le cloître est réservé exclusivement aux membres du culte, mais peut-être pourra-t-elle plaider l'exception pour une noble qui s'apprête, à son tour, à l'accueillir sur son domaine. Mais ne tente rien n'a rien.

- Où pourrais-je vous retrouver, monsieur Adkin? Non pas qu'elle veuille mettre fin à la rencontre, mais la Damoiselle semble préoccupée, et le ferronnier affiche un air renfrogné. Pour la lotion se sent-elle obligée de préciser avant de prendre une autre bouchée de cette tartine qui, lentement mais sûrement, disparait de la table. Elle est toujours convaincue qu'une huile serait bien plus bénéfique, mais elle ne lui forcera pas la main. Après tout, Gendry a bien souligné le caractère méfiant des gens de Fernel, qui peut s'appliquer à bien des gens du nord de la Péninsule. Elle gagnera tranquillement sa confiance, jusqu'à ce qu'il lui demande lui-même s'il peut essayer le soin qu'elle lui propose.

Tiens, avec tout ça, il en a presqu'oublié une troisième femme de pouvoir, à savoir la grande prêtresse drow qui l'a planté, au sens premier du terme. Enfin, si on peut considérer cette chose comme une "femme". Pas qu'il faille douter de son charme, Gendry était subjugué. Mais elle n'avait rien qui se rapproche de l'humain. Femelle serait plus juste, même si le terme semble plus insultant, car les drows sont supérieurs aux humains, en terme de solidité ou de durée de vie.

- Si tant est que cela est possible ?

Euh, lui ne compte pas s'installer ici. Couronnement, grande prêtresse ou rumeurs de guerre, ça ne l'empêchera pas de retrouver sa forge. Et pour ça, il compte bien se servir de la prêtresse, si besoin.

- J'ignore totalement ce qui vous préoccupe et je suis très loin de comprendre les préoccupations des grands de ce monde, voire les attentes de nos dieux ou même les implications d'une décision sur notre société. Je ne suis qu'un ferronnier, un gars du peuple, mais ça n'est pas pour autant que je ne peux pas, parfois, émettre un avis qui pourrait être intéressant. Car pour gérer un commerce, il faut aussi du bon sens, du savoir faire et de la réflexion. Et, sauf si ce qu'on m'a expliqué est un mensonge, les prêtres sont régulièrement des conseillers pour des seigneurs. Alors, même si vous avez un sens inné de votre boulot de seigneure et qu'au final vous êtes seule à prendre les décisions, peut-être que l'avis d'un idiot masqué et d'une prêtresse qui veut découvrir vos chevaux pourra vous aider à y voir plus clair ou vous conforter dans vos positions ?

Forcément, la prêtresse a une autre idée. Gendry, il était pour partager le fardeau, Lucia pour qu'elle oublie ses soucis en profitant de la fête. Et puis quoi encore ? Se saouler ? Mouais, mieux vaut ne pas faire cette proposition à voix haute, c'est le genre d'idées que d'aucun serait prêt à suivre. Louise aussi ? Il n'a pas particulièrement envie de le savoir.

- Là, j'ai surtout envie d'un bon lit et de silence, si ma p...

Mais c'est quoi ce souk ? Une chanson paillarde en prime ? Dans d'autres circonstances, cela aurait pu amuser Gendry mais depuis qu'une migraine pointe le bout de son nez, surtout qu'il est coincé entre deux femmes de pouvoir et qu'il ne se sent pas à sa place, enfin encore moins que d'habitude, là, c'est trop. Il tend son bras pour prendre son marteau et massacrer soit les instruments soit les musiciens, avant de réaliser que forcément, son marteau, il ne l'a pas !

- B... (censuré) (parce que la musique fait trop de bruit)

La litanie d'insultes, couverte par le bruit des musiciens et du public, n'est pas de Fernel mais plus de Scylla, difficile de renier ses racines. En effet, notre ferronnier a suggéré d'utiliser ce qui fait la richesse de sa région d'origine, le sel, pour enduire les fissures nées d'un violent coït anal, avec l'espoir que les musiciens profitent de cette action durant sept générations au moins. A la question de Lucia, il hausse les épaules. Gendry évite les endroits peuplés et bruyants, difficile de dire s'il y en a à Fernel. Quant à la dérogation pour visiter l'atrium, il se doute qu'elle ne lui est pas destinée. Déjà, il n'est personne, mais en prime, on lui en interdirait l'accès avec son masque.

- Hein ?

Non mais... d'abord, ça se voit qu'il va fuir le lieu ? Douée la Mère. Mais en prime elle lui propose un rendez-vous ? Ce n'est pas à l'homme à entreprendre la démarche ? Cette tradition l'arrange, vu que les démarches amoureuses doivent venir de lui, il a une paix royale. Une femme qui ne voudrait pas se caser aura beaucoup plus de mal. Ceci étant, il subirait une pression aussi s'il avait encore ses parents. Quoi qu'au courant de son "passif", il doute qu'ils auraient insisté beaucoup. Ah, elle précise que c'est pour la lotion.

- Je suis logé au poney fringuant. Le PONEY FRINGUANT !

Voilà qui fait sens avec son statut de fernelois. Venant du pays des chevaux, il est logé au poney. Cela le ferait rire s'il n'avait pas mal au crâne. Il sort quelques pièces pour payer les boissons, assez pour qu'elles boivent une bonne bouteille de vin chacune et s'apprête à partir.

- Si ma Dame le permet, je vais me retirer. Ce tintamarre me brise les oreilles, pour rester poli...

Rester au delà du couronnement sera au delà de ses forces. Il est tellement énervé qu'il ne dormira pas, il le sait déjà. Bon sang que ce séjour va être long...

Les quelques Fernelois présents à l’événement sont les hommes en lesquels la châtelaine a confiance. Ils l’ont accompagnées sur pratiquement toutes les routes qu’elle a sillonnées depuis des mois et elle n’a confiance qu’en ces hommes-là pour la suivre et la protéger en cas de besoin. Enguerrand et Aymeric sont sa garde rapprochée en déplacement ou en représentation. Les autres sont présents pour leurs compétences en maniement des armes, en soin des chevaux et représentent sa seigneurie. Et ils la représentent bien, ces grands hommes du Nord aux yeux de glace et à l’attitude toujours pleine de fierté et de dignité.

Le fait que Gendry fasse partie de cette expédition n’est pas un hasard. Il est remarquablement utile à Louise comme à l’ensemble de l’escorte par ses compétences uniques. Bon certes il n’est guère un cavalier comme le reste des Fernelois mais il a fait preuve de courage, assez en tout cas pour grimper sur un cheval qu’il ne maîtrisait pas totalement en plus d’être encore en convalescence de cette terrible blessure infligée dans les Monts d’Or par la Haute Prêtresse de Kiel. Et pour cela il a tout le respect de Louise qui s’est assez inquiétée de son bien-être en demandant à l’aubergiste de le traiter avec le plus grand soin, comme le reste de son escorte.

Le courage est bien l’une des qualités les plus nobles qui soit aux yeux de la châtelaine et elle le récompense toujours d’une façon ou d’une autre.

Quant à profiter des festivités…Un sourire quelque peu lointain s’affiche sur le joli visage de Louise.

- La politique, ma Mère, est probablement le seul et unique amusement auquel je pourrai m’adonner ces quelques prochains jours. Cela étant, il y a bien des façons de s’amuser à Fernel. Nous y recevons des voyageurs, ils transitent souvent par la seule auberge de la cité. J’aime la musique et les danses, les chants, les nouvelles racontées par les bardes qui se déplacent de château en château…Quand je ne suis pas sur les routes, je m’applique à faire vivre ma seigneurie dans la joie. Et je pense que, de manière générale, on y vit bien.

Elle lisse la jupe de sa petite robe simple et sourit à Lucia en entendant sa proposition.

- Je saurai m’en souvenir et vous en remercie c’est très aimable à vous.

Louise a ensuite un regard pour Gendry. Il a parfaitement relevé la possibilité d’un retour à une date plus éloignée. La châtelaine hoche la tête pour confirmer ses propos en ajoutant, d’une voix tranquille :

- Les choses étant incertaines je ne préfère pas vous alarmer par des propos non fondés pour l’instant. Je suis conviée au palais royal demain pour participer au Conseil. Quand j’aurai de vraies informations basées sur des faits établis et non des rumeurs, je vous en ferai part, ainsi qu’à mes hommes. En attendant…

La châtelaine esquisse un ravissant sourire. C’est est même un peu surprenant quand on sait que cet art lui est devenu presque étranger ces derniers temps.

-…il semble que la capitale offre son lot de divertissements et d’insouciances. Je ne peux que vous encourager tous les deux à en profiter autant qu’il vous est possible de le faire. Et si vous en avez envie, bien entendu. Saviez-vous que…

Impossible de continuer la conversation de manière tout à fait sereine. Une troupe de musiciens vient de faire son entrée en l’auberge, amenant son flot de rires, de battements de mains, de pieds et d’éclats de voix. Les chants s’élèvent, les chaises sont poussées, tout autant que les tables, la bonne humeur s’installe sous le regard amusé de Louise qui jette un œil malicieux à Gendry. Elle le sait casanier, voilà qui le forcera peut-être à sortir de sa zone de confort. Les serveuses rient tout autant que clients et Louise, qui ne se sent guère à sa place ici, préfère se lever, refuse les pièces déposées par le ferronnier et s’éloigne, non sans avoir au préalable discuté avec le tavernier et montré la table de Lucia et Gendry d’un mouvement de son petit menton. L’homme s’incline quelque peu, récupère les pièces qu’elle lui tend et file en cuisine beugler quelque chose que personne ne comprendra compte tenu du bruit.

Quelques instants plus tard, une farandole se met en branle dans l’auberge, entraînant toutes les personnes qui sont debout, Une main attrape Gendry, une jeune serveuse aux grands yeux rieurs, tandis qu’un autre le prend par la taille pour l’entraîner dans la danse collective. C’est la dernière chose que verra Louise depuis le pas de la porte, posant une main sur sa bouche pour dissimuler son amusement puis s’éclipse enfin.

- Parrrrdon ! Poussez-vous, bande de crétins ! Vous allez rouiner mon chef-d’œuvre ! PARRRRDOOOON !

La voix qui se fait entendre derrière Lucia est teintée de ce vibrant et chaleureux accent du Sud. Peut-être bien de Soltariel, sans aucune certitude.

- Mèèère Loucia !?! Ha mais oui c’est vous !

Un homme grand, au teint de bronze et au regard de velours, s’arrête devant elle, une large planche de bois chargée de nourriture indistincte à la main droite, un torchon sur l’avant-bras gauche.

- C’est pour ici le plateau des merveilles ! Voualàààààà !, dit-il en plongeant en une révérence exagérée et en déposant dans le même mouvement une planche de bois garnie de pain, de viandes froides et de charcuteries diverses, de fruits secs et de sauces. Tout est savamment disposé, de manière à former des arabesques, ce qui le remplit de fierté, le grand cuistot qui est en train d’effiler sa moustache d’ébène entre son pouce et son index.

- Je vous souhaite un bon appétit, ma Mèrrre ! C’est la Dame de Férnel qui vous l’offre !

Il sourit plus encore, charmeur, avant de plonger ses longs doigts dans un petit sac accroché  à sa ceinture :

- Un peu de sel ?

Il n'y a qu'une seule auberge à Fernel, mais Lucia l'imagine comme un lieu où il fait bon s'arrêter, échanger les nouvelles, écouter de temps en temps un musicien itinérant parfois accompagné d'un danseur maladroit qui fait rire l'assistance. Mais c'est la politique qui semble retenir toute l'attention de la dame de Fernel, du moins pour les prochains jours. La prêtresse ne voit pas ce qu'il peut y avoir d'amusant dans cet art si délicat, où un seul mot dit de travers peut déclencher une guerre. S'il y a un événement particulier en dehors du couronnement, elle n'en a aucune idée. Depuis plusieurs jours maintenant, Lucia passe le plus clair de son temps auprès des petites gens de Diantra et n'a guère l'occasion de discuter de la politique avec l'un ou l'autre prêtre bien informé. Elle ne peut néanmoins s'empêcher de relever que des rumeurs retiennent suffisamment l'attention de la noblesse pour organiser un Conseil afin d'en discuter et de démêler le vrai du faux. Faut-il s'en inquiéter? Habilement, la dame change de sujet -elle est douée, d'ailleurs!- pour repartir vers les divertissements avant d'être interrompue par des musiciens, qui ont le don de faire bougonner le ferronnier.

Si le chapelet de jurons ne s'élève pas jusqu'aux oreilles de la foule, il parvient pourtant à celles de la prêtresse, installée trop proche de Gendry que pour ne pas l'entendre. Elle ne peut s'empêcher de sourire. Des jurons, tout comme des chansons paillardes, elle en a entendus beaucoup sur les routes. Elle leur trouve un certain charme, sans doute parce qu'ils sont souvent très imagés et qu'ils trahissent les origines de la personne qui les prononce... un peu à l'image du ferronnier qui souhaite bien du mal à ces honnêtes musiciens venus divertir le peuple.

Le Poney fringuant. Alors là, tout Diantra l'a sans aucun doute entendu. C'est amusant, un fernelois logé au Poney fringuant, même si ledit fernelois ne semble pas vraiment apprécier les occasions de monter les chevaux qui font la réputation de sa région d'adoption.

- J'aurais dû m'en douter... murmure-t-elle pour elle-même avant de se lever : la dame de Fernel semble sur le point de partir, et la moindre des choses est de la saluer... mais c'est déjà trop tard. Alors que les clients s'empressent de faire de la place dans la salle, et que Lucia tourne la tête qu'une seconde pour s'excuser d'avoir involontairement bousculé la personne qui lui faisait dos, Louise s'éclipse discrètement sans les saluer. Tout à coup, l'humeur est à la fête et il devient évident que les débordements seront nombreux dans les prochaines heures. La prêtresse regarde autour d'elle pour finalement apercevoir la dame prête à passer la porte de l'auberge. Elle lui lance un hochement de tête en guise de salut.

Il ne faut que quelques secondes à la farandole pour démarrer... farandole à laquelle la prêtresse se dérobe en retrouvant une position assise et un air plutôt grave, parfait pour dissuader quiconque de l'embarquer dans la danse. Non pas qu'elle n'aime pas danser, mais elle a tout de même une certaine attitude à garder, surtout lorsqu'elle porte les robes bleues de son rang. Dans son dos, quelqu'un semble prononcer son nom avec un accent à couper au couteau. Le grand gaillard à qui appartient la voix s'incline pour lui présenter une planche.

- Mais je n'ai rien... Nusret?! Le grand gaillard au teint hâlé et aux cheveux d'ébène la gratifie d'une révérence bien trop exagérée avant de déposer sa planche, particulièrement bien garnie, sous le nez de la prêtresse qui ne peut s'empêcher de rire. Mais voyons c'est... Nusret ne l'écoute pas, bien trop emporté par son enthousiasme et lui annonce que c'est Louise de Fernel qu'il faudra remercier. Lucia en est presque gênée. Un peu de sel? La prêtresse ne peut s'empêcher de grimacer en songeant à l'utilisation particulière du sel évoquée par Gendry, quelques minutes plus tôt.

- Non, merci mon fils, vraiment. Je suis sincèrement désolée de vous décevoir, mais la Dame de Fernel ne savait pas que j'étais attendue... Auriez-vous la délicatesse de placer ce magnifique festin dans un petit quelque chose qui me permettrait de l'emporter?

La mine du fameux cuisinier se décompose. Lucia déglutit, consciente de briser l'élan créatif de Nusret, personnage haut en couleurs qui s'est taillé une réputation à Diantra, notamment par son amour des viandes saisies et son sens du spectacle.

- Je suis réellement navrée, Nurset. Je vous promets de revenir avant mon départ et de prendre le temps de savourer votre cuisine. Lucia lui sert une mine désolée, mais son regard, lui, brille d'une lueur d'espoir.

- D'accorrrrd ma Mèrrre, mais est bien parcé qué vos yeux sont lé plou beaux de l'auberrrrge!

La prêtresse roule des yeux, bien consciente qu'il doit faire ce compliment à pratiquement toutes les femmes qui croisent sa route, c'est-à-dire une belle tripotée chaque jour. Quelques minutes plus tard, Lucia adresse un dernier signe à Gendry, emporté par une farandole dont il peine à se sortir sans casser des mâchoires. Il ne peut décemment pas le faire, sous peine de porter atteinte à la réputation de Fernel en plus de s'exposer à des sanctions peut-être exagérées à cause de son masque. Son précieux paquet dans les bras, elle quitte l'auberge pour s'éloigner de la fête. Elle gagnera sans doute un quartier plus pauvre pour déposer le repas à une famille dans le besoin, avant de rentrer à la Cathédrale où elle parlera de son projet de voyage avant de mettre la main sur une lotion. Et certainement une petite fiole d'huile.