Une goutte à l'antidote : Rencontre (Mornàndur)

8ème jour de la 2ème ennéade de Favriüs – 1er mois d'automne.
19ème année du XIème cycle.
Ardamir.

La pluie ne s’arrêterait-elle donc jamais ? Lynn et sa jument pataugeaient dans la forêt dense d’Ardamir. Elle était partie six jours auparavant d’Alëandir, et après avoir fait son petit détour, elle avait retrouvé le fleuve et l’avait longé pendant plusieurs journées. La pluie avait commencé dès le début de son voyage, peu après son départ, et s’il y avait eu, parfois, plusieurs heures de répit consécutives, Lynn restait toujours trempée. L’eau ne la dérangeait pas, au début, mais au bout de six jours, elle n’en pouvait plus. Elle n’avait pas vu le soleil depuis sa sortie de la ville, et priait silencieusement qu’une éclaircie mette enfin terme à ce déluge. Certes, ce n’étaient pas des averses qui tombaient, mais des gouttes fines, désagréables.

Elle était descendue de cheval en s’enfonçant dans la Sylve, quelques heures auparavant, et guidait sa jument par la bride. Elle ne savait pas très bien où aller, mais elle n’avait pas envie de se réfugier dans la cité. Ce début de solitude lui faisait beaucoup de bien, et l’elfe n’avait pas envie de voir du monde. Elle errait donc, sans destination certaine, scrutant la forêt sombre à la recherche de quelqu’un qui pourrait l’observer. Elle finit par trouver un abri et choisit de s’y arrêter un moment. Un arbre bas aux grandes feuilles offrait une protection à la pluie, et elle put s’installer à moindre confort contre son tronc, après s’être assurée que la jument soit repue. Là, elle commença à méditer.

Assise en tailleur, les poignets sur les genoux, les yeux fermés et l’oreille tendue, elle écoutait le bruit de la pluie qui tombait doucement. Par moments, un animal courait dans la forêt, et elle essayait de deviner son espèce au son de sa course. Elle reconnut ainsi lapins, biches et autres renards, qui vivaient dans leur élément, en parfaite harmonie. Ses pensées dérivèrent, vers sa dernière visite en Ardamir. Est-ce que les Noss qu’elle avait déjà pu rencontrer la reconnaîtrait ? Comment allait-elle les approcher, sachant qu’elle n’avait aucune idée où les trouver ? Peut-être pourrait-elle trouver des informations dans la cité. Rien ne pressait, toutefois. Elle n’était qu’au début de son voyage, et puis, elle doutait que les Taledhels commencent bien vite leur migration vers l’Annon. Le temps ne manquait pas, comme toujours, chez les elfes.

Le flot de ses pensées s’interrompit lorsqu’elle entendit des pas. Pas un animal, cette fois. Quelqu’un approchait.

Lynn ne répondit pas tout de suite. L’elfe qui s’approchait d’elle ne semblait pas du tout gêné par la pluie, et avançait d’un pas lent et assuré, malgré le sol glissant. Si elle ne le reconnut pas tout de suite, son accoutrement et ses tatouages ne laissaient aucun doute possible : un Ornedhel s’avançait vers elle. Lorsque son visage lui revint finalement, elle finit par lui faire un petit sourire.

« Tiens donc, quelle coïncidence ! »

Elle avait appuyé ce mot d’une touche comique. Les druides d’Anaëh faisaient tous partie de ces elfes qui s’exprimaient par métaphores et énigmes, et leur vie était mêlée étroitement aux mystères d’Anaëh. À vrai dire, elle savait très bien qu’avec un druide, et d’ailleurs, les magiciens en général, les coïncidences étaient très peu probables. Il savait qu’il la trouverait ici, et elle était sûre qu’il avait déjà la réponse à sa question. Lynn finit tout de même par lui répondre d’une voix douce, ne révélant que ce qu’elle jugeait nécessaire. Inutile de l’embêter tout de suite avec les détails.

« J’avais envie de voir du pays, et de vous revoir, toi et les tiens. » Elle marqua une pause, avant de se reprendre. « Ou plutôt, toi, et les différents clans Ornedhels d’Ardamir. La façon dont on s’est séparer la dernière fois me titille depuis pas mal de temps. »

La distinction n’était peut-être pas nécessaire, mais elle y tenait. Le druide pouvait très bien appartenir à l’un des clans, travailler avec tous ceux d’Ardamir, ou bien être un elfe seul vagabondant dans la Sylve à la recherche de réponses. Après tout, elle n’avait aucune idée de l’identité du vieil elfe, qui ne s’était finalement jamais présenté. D’ailleurs, Lynn n’était pas sûre non plus de lui avoir elle-même donné son nom. Peut-être serait-il judicieux de le partager rapidement, c’était une bonne première étape pour tisser un nouveau lien.

« Et toi, pourquoi t’infliger de marcher sous cette bruine incessante ? »

Lynn leva sa main et observa l’eau qui s’obstinait à les éviter. Elle était dans une bulle, un peu comme la dernière fois, où le druide s’était enfermé avec un Linwë pour parler seul à seul. Elle se demandait si c’était là toute l’étendue de sa magie, et rit intérieurement de cette idée saugrenue.

« Impressionnant... Merci. »

Elle lui adressa un nouveau sourire. Lynn était sèche pour la première fois depuis des jours, et lui en était très reconnaissante. L’elfe leva les yeux vers sa jument qui semblait aussi ravie qu’elle. Elle lui gratta le museau et, en sentant son souffle chaud sur ses doigts, émit un petit rire. Du coin de l’œil, elle remarqua que le druide lui indiquait de la suivre, ce qu’elle fit en entraînant son cheval derrière elle.

N’ayant aucune idée de la direction qu’ils prenaient, ni de la distance à parcourir, elle commença à se perdre dans ses pensées, pour être interrompue très rapidement par la voix de son compagnon. Sa sollicitude la toucha. Elle savait très bien de quoi il parlait exactement. L’expérience avait été pour le moins troublante. Les Lam’Nir avait très mal pris la présence des Taledhels sur leur territoire. Leur arrogance, leur fierté et leur colère les avaient poussés à se retirer, sans même pouvoir comprendre le Mal qui s’était emparé de la Sylve à cette époque. En se concentrant, elle ne ressentait pas de trouble dans la Symphonie.

Lynn avait gardé un souvenir fort de cette rencontre. Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas interagi avec des Noss aussi agressifs, et elle ne s’était pas attendue à autant de rancœur de leur part. Aegden et elle étaient repartis penauds. S’ils n’en avaient pas vraiment reparlé depuis, elle était certaine qu’il avait été tout aussi touché qu’elle, et pas dans le bon sens. Elle remarqua qu’elle n’avait pas encore répondu au druide, et que ses yeux étaient fixés au sol, suivant inconsciemment le chemin où il l’entraînait. Elle brisa cette minute de silence d’un long soupir, avant de lever ses iris au ciel.

« S’ils ont déjà oublié, la situation est plus grave que je ne le pensais. Les Taledhels d’Ardamir ne me semblaient pas si loin d’Anaëh que ça. Mais toutes les Noss ne sont peut-être pas comme la Lam’Nir… J’aurais peut-être dû me renseigner un peu plus avant de partir, moi. » Elle lui lança un regard amusé. « Il n’empêche que j’aimerais m’expliquer avec eux, mais cela peut attendre. Où m’entraînes-tu donc, Tercáno ? »