Ou comment allier le devoir au plaisir...

Troisième ennéade
Printemps, Bàrkios 20:XI

Si l'annonce de son mariage était synonyme de joie et de célébration, Solange d'Escault connaissait ses obligations.

Ainsi, elle avait une conscience aiguë de ses devoirs. Auprès de sa fille, en tant que mère ; bientôt, en tant qu'épouse, après du seigneur Aurel, à qui elle prêterait bientôt serment devant les Dieux, et, bien entendu, auprès de sa terre. Cette terre, Odélian, qu'elle aimait, dont elle se souciait de l'avenir - et dont elle était responsable.
C'est ainsi que malgré l'organisation de la cérémonie, du banquet et de ces milles petits petits détails d'intendance, la jeune femme avait pris du temps pour rencontrer chacun des vassaux de sa fille. Elle les avait écouté, ripaillé avec eux, et s'était occupée de ces invités.

La veille du grand jour, elle avait ainsi accueillie un de ses hôtes d'honneur, le nouveau baron de Missède. Bien que cela fasse de longues années qu'Isgaard avait changé de mains, et appartenaient désormais au territoire d'Odélian, la jeune femme était consciente que ce territoire représentait toujours un enjeu politique. Il constituait une place stratégique et commerciale de choix, et entretenir de bonnes relations avec la baronnie l'aiderait à garder son comté sûr.

Sa terre devrait être intacte lorsqu'elle la confierait à son enfant chérie.

Ainsi, Solange avait fait préparer une large collation sous un dais, dans le jardin du manoir de Prademont, dont elle avait hérité ; des servantes avaient disposés fauteuils confortables et coussins, tandis que pour tromper l'anxiété de sa maitresse, Coline lui lisait un livre.

Enfin, un valet s'inclina près d'elles, les informant que le baron était arrivé. Il fut immédiatement introduit, tandis que la Comtesse douairière se redressait pour le saluer avec courtoisie.

- "Salutation, cher Baron."

Elle lui offrit un sourire radieux, bien qu'elle se sentit tout à coup emplie de nervosité.

-"Je suis bien aise de vous rencontrer. Avez-vous fait bon voyage ?"

Archibald était accompagné d’une dizaine d’hommes d’armes et quelques nobles de haut rang pour son trajet vers Diantra. Il y a avait bien entendu Dankrad de Montmuraille, son chancelier, qui lui servirait de conseiller ou d’intermédiaire envers la noblesse présente. Mais le personnage qui détonnait le plus était sans nul doute Honoré Pommereu, le nouveau doyen de l’université de Misséde. Ce dernier était présent afin de recruter quelques savants en la ville de Diantra.

Le trajet depuis Misséde c’était bien passé. Les Missédois connaissaient bien cette route, et de nombreux membres de l’escorte d’Archibald l’avait emprunté avant de prendre Diantra. L’installation dans la capitale ne fut pas des plus compliqués puisque les baron de Missèdé y possédaient un hôtel particulier. Cependant ce dernier commençait tout juste a été mis aux couleurs de la nouvelle maison dirigeant Missède.

Le nouveau baron était déjà surpris d’avoir été invité au mariage de la régente de l’Odélian, il l’était encore plus d’avoir été invité à prendre le thé la veille du mariage. Cela présageait il de nouvel relation entre cette terre du nord et la baronnie ? Isgaard était resté suffisamment de temps Missédoise pour qu’une certaine rancœur persiste face à cette perte.

Mais Archibald n’était pas homme à se morfondre dans le passé et souhaitait profiter de l’occasion pour lancer un nouveau pont entre le nord et le langecin. Et qui sait, d’un simple thé cette discussion pourrait peut-être aboutir à des relations plus apaisés et plus solides. De longues discussions eurent lieu dans l’hôtel particulier. Les quelques nobles présents avaient chacun un avi sur la question, des plus belliqueux au plus pacifiste comme le chancelier. Une décision finit par émerger tard dans la soirée quant au ton à donner à cette rencontre.

Le baron comptait faire bonne impression à la comtesse douairière et prit donc le temps de se préparer. Un page lui rasa le visage de près, et mit des vêtements de en velours aux couleurs de sa maison, azur et argent. Il se fit accompagner de quatre de ses hommes d’armes ainsi que de son page jusqu’au manoir ou il était invité. Il laissa les serviteurs de la comtesse s’occuper des chevaux et de fournir une collation aux gardes. Il fut rapidement conduit jusqu’à Solange , Archibald ne pût remarquer que la bonne disposition des lieux et la chance que la comtesse avait d'avoir un aussi beau jardin en ville. Cette dernière se leva à son arrivé, Archibald lui répondit en s’inclinant légèrement.

Je voyage fût des plus agréables. Je vous remercie de cette invitation votre grandeur. J’ose espérer que cela présage d’excellente relation entre nos deux personnes ainsi que nos terres. Bien que ce dernier point ne s’annonce guère facile… Mais si je suis ici, c’est pour repartir en ami de votre maison.

Le parfum printanier des fleurs l'étourdissait un peu.

La comtesse douairière d'Odélian aimait beaucoup cet endroit. Elle s'y sentait paisible, et en sécurité, car elle savait ses gardes disséminés un peu partout pour la protéger elle, la comtesse et le reste de sa famille. Son fiancé n'était pas loin ; et surtout, elle sentait le cœur léger du devoir accompli. C'est ainsi qu'elle répondit à la légère révérence de son interlocuteur par une gracieuse inclinaison de sa tête, avant de lui indiquer, d'un geste de la main, un des confortables sièges disposés sous le dais.

Un délicieux souffle d'air frais vint agiter une boucle de ses cheveux noirs, tandis qu'une servante leur servait des verres de vin épicé sur un plateau d'argent. Plus loin, un artiste jouait de la vielle, tandis qu'elle avala une goulée du liquide rubis de sa main gantée de dentelle blanche opaque.

Elle prit le temps de s'asseoir elle-même, avant de couler un doux sourire aimable à son interlocuteur. Cela la soulageait de savoir qu'il venait avec le désir de trouver un terrain d'entente - cela serait d'autant plus simple de chercher à s'entendre.

- "Votre Honneur, je suis bien aise alors que nous soyons dans le même état d'esprit. J'ai conscience qu'il a dû vous sembler étrange que je vous invite à mes épousailles, mais j'ai trouvé qu'il était normal de tenter de trouver une voie diplomatique à l'occasion d'un évènement aussi festif, bien qu'évidemment, vous devez vous trouver encore en deuil. Bien qu'il semble évident que ni vous, ni moi, n'avons eu aucune part aux évènements passés, nous portons tous les deux une responsabilité importante vis à vis de notre population, et nous devons obéir à notre serment envers sa Majesté. C'est pour quoi j'aimerai mieux vous connaitre..."

Coline vint proposer des assiettes de charcuterie sur des petits pains minuscules au fromage, où la noble péninsulaire se servit paisiblement.

- "J'aimerai établir des relations privilégiés avec Missède. Nous avons chacun à offrir, et ce serait peut-être un premier pas pour aider à cicatriser le passé. De plus, le présent nous offre notre lots d'épreuves, auxquels les Dieux nous soumettent. Ainsi, un allié, ou du moins, ami, vaut mieux qu'un ennemi en cette période troublée. Voilà pourquoi je vous propose de parler commerce aujourd'hui. Nous avons cela en commun, me semble t-il ?"

Dame Solange se sentait terriblement gauche et stressée. Elle avait peur de commettre un terrible impair qui conduirait son comté à la guerre ; mais elle avait confiance sa propre volonté à aplanir les difficultés. Aurel, après tout, était à ses côtés - alors tout irait bien dans le futur.

Du moins... l'espérait-elle véritablement.

Archibald écouta attentivement la régente de l’Odélian. Bien qu’elle semblait quelque peu anxieuse, son discours ne manquait pas d’intérêt lorsque la comtesse évoquait le serment au roi. Lui-même n’avait pas à lui prêter serment, mais à sa marquise. Chose qu’il s’empresserait de faire sitôt rentré. Bien entendu, la régente évoqua le problème d’Isgaard, mais sans jamais le nommer. Lui n’aurait pas cette patience.

Oui, notre baronnie a perdu un baron si jeune… Mais des obsèques dignes de son rang lui ont été accordés et nous devons aller de l’avant.

Archibald s’arrêta de parler quelques instants le temps de prendre une gorgée de vin épicée. Le plus important allait suivre. Il entendit aussi l’instrument à cordes qui s’exprimait non loin dans les jardins. Décidément, la comtesse Douairière savait recevoir.

Isgaard était importante pour plusieurs raisons. C’était un moyen pour Misséde de s’assurer un approvisionnement en blé ainsi que d’avoir un accès au nord. Et je pense que si nous nous pouvons trouver un accord pouvant remplir ses deux points, je pense que les revendications de Missède pourront être écartées le temps de l’accord.

Nos puissances peuvent être complémentaires, la frontière qu’est le golfe pourrait devenir une route entre nos deux territoires. Après tout, nous pouvons être complémentaires. Les langecins sont de bons commerçants, et nous avons une flotte importante. De votre côté vous faites partie du grenier à blé du royaume et vos troupes sont nombreuses.

Ainsi, je pense que si vous accordiez des privilèges à l’installation de marchand Missédois sur vos terres, nous pourrons en tirer tous les deux de grands bénéfices en voyant le commerce prospérer.

Mais le commerce n’est pas tout, pourquoi ne pas envisager des accords défensifs ? Si vous autorisiez les navires de Missède à faire halte pendant leurs patrouilles dans vos ports, nos navires pourraient en profiter pour surveiller vos rivages. Mais surtout, nous pourrions convenir de l’aide militaire que chacun d’entre nous est prêt à consentir pour aider l’autre. Que ce soit par une aide direct ou du moins une neutralité bienveillante.

Archibald termina sa phrase en se servant parmi les délicieux mets qui lui avaient été proposés.

Solange d'Escault écoutait attentivement son invité.

Ce faisant, elle savourait les notes de musique apaisantes qui résonnaient sous le dais de velours qui avait été apprêté, et grignota lentement le petit en-cas raffiné préparé par sa cuisinière.
Bien qu'elle fut intéressée par la plupart des idées de son interlocuteur, il y en avait également d'autres qu'elle ne pouvait accepter ; cependant, elle avait conscience que cela faisait partie du jeu.
La jeune comtesse douairière regretta la présence de son fiancé. Sa seule présence suffisait à la rassurer ; mais aujourd'hui, elle était capable de prendre de bonnes décisions.

Pour se donner contenance, elle reprit une gorgée de vin, et reprit la parole.

- "Mon cher, je connais bien l'importance d'Isgaard. Cependant, étant une zone très humide, elle n'est pas propice à la culture du blé, comme vous devez déjà le savoir. Mais si vous parliez de commerce, nos frontières ne sont pas fermées. Odélian accueille beaucoup de marchands qui transitent par nos terres. Ainsi, si vous désirez vous rendre au port pour y commercer, vous y êtes les bienvenus, à condition, bien sûr, d'y payer les taxes demandées. Je pourrais consentir à un rabais pour vos marchands s'ils donnent la preuve qu'ils proviennent de Missède, ainsi que vous accorder un bâtiment pour les besoins de stockage notamment, mais j'aimerai être claire sur un point."

Elle ne désirait pas se montrer hostile ; mais il semblait qu'il faille se montrer ferme malgré tout.

- "Vos revendications n'ont pas lieu d'être. Il a été fait justice par le Roy Bohémond, en raison des forfaitures de Missède, qu'Isgaard revienne au Comté d'Odélian. De par ce fait, je ne tenterai point de vous apaiser en cédant à vos demandes, Votre Honneur. Je ne désire pas la guerre, mais, vous avez raison sur un point : j'ai une forteresse, des hommes entrainés, du matériel et des vivres, et je me défendrais si cela est nécessaire. Pour l'instant, je pense qu'il est préférable de se concentrer sur le commerce."

Elle inspira, et expira aussi calmement que possible. La Régente d'Odélian n'était guère habituée à la confrontation, et son cœur battait si vite qu'il lui donnait l'impression d'exploser.

- "Pour en revenir à un sujet plus agréable, Isgaard ne saurait refuser son accès à vos marchands. Quant à vos bateaux, je vous remercie de votre proposition, mais je me dois de refuser. Je ne tolèrerai pas de présence armée étrangère à Odélian ou au Duché de Serramire le long de mes côtes. Si vos bateaux ont besoin d'assistance, nous leur porterons évidemment secours, mais les frais seront vôtres. La question, de mon avis, se porte maintenant sur ce que vous me proposeriez, en échange de taxes privilégiées et d'une ambassade commerciale. Quant à moi, je vous fournirai avec plaisir du blé, et, très bientôt, de l'alcool de premier choix."

Isgaard avait été prise lors d’un moment de faiblesse de Missède, isolé sur la scène diplomatique, la chose inverse pouvait tout aussi bien arriver.  Mais Archibald ne se laissa pas impressionner pour autant, même lorsque le mot forfaiture fut prononcé. Il s’agit bien là d’un discours de Nordiste. Mais bon n’avais t’il pas été les grands vainqueurs de cette guerre civile ? Si le vainqueur avait été le median, nul doute que le bon droit aurait changé. Mais pour l'instant les puissances du nord dominaient et il fallait bien vivre avec.  Le droit du régent avait été le droit du roi et le monde était maintenant ainsi fait.

Personne ne désire la guerre, mais elle finit toujours par arriver. Fort heureusement, c’est pour cela que nous sommes ici non ? Pour ne pas y avoir recours, et calmer les sujets les plus belliqueux qui n’acceptent pas cette perte. Et ne vous inquiétez pas, je sais que vous avez des troupes et une forteresse, tout grand noble n’en a-t-il pas ?

La régente semblait plutôt concernée par le commerce et ignora les propositions d’alliance entre les deux territoires. Archibald en prit acte, et accentua donc son argumentaire sur les questions économiques.

Les marchands de Misséde sont en train de s’organiser en une vaste compagnie commerciale. L'impact des marchands missédois sera donc plus important qu'avant et notre port de Chiard nous permet un accès rapide à de nombreux marchés. Nous pouvons faire de vous un partenaire privilégié avec tous le langecin, une des terres les plus riches du royaume. Ensuite, il ne s’agit pas là que de vendre de la nourriture ou de l’alcool, mais de permettre le développement de ce territoire, d’en faire une place incontournable d’échange. Ne voyez pas que l’Odelian, mais imaginez tous les produits importés ou exportés du nord qui pourront y transiter avec notre expertise.  

La jeune femme écoutait attentivement le baron missédois. Ses propos lénifiants étaient agréables à entendre, et elle le gratifia d'un sourire poli et amical.

Sans l'interrompre, la Comtesse douairière laissa son interlocuteur aller jusqu'au bout ; observa un silence de plusieurs secondes, qu'elle s'accorda pour réfléchir.
Il était bien naturel qu'il cherchât à développer son réseau commercial, afin d'augmenter les revenus de sa baronnie et en augmenter l'importance au sein de son comté. Odélian était elle-même traversée par de nombreux marchands, en raison de la route royale et du port d'Isgaard ; aussi la proposition du missédois se trouvait intéressante.

Faire partie d'un plus vaste réseau commercial était une excellente idée - mais il ne fallait pas qu'Odélian devienne dépendant de Langehack quant à ses revenus : la question serait donc d'équilibrer les forces afin de ne pas mettre Odélian en position de faiblesse.

Enfin, Solange d'Escault reprit la parole, les mains posées nonchalamment sur ses genoux.

- "Je ne désire pas la guerre non plus, messire. Il est cependant bon de connaitre les intentions et les positions d'autrui, afin que nul malentendu ne subsiste, vous en conviendrez. Concernant votre idée de compagnie commerciale, je puis envisager de participer, mais sachez qu'Odélian a déjà une très forte activité commerciale. Par l'accès à la route royale, par notre port ainsi que par notre fleuve, nous avons déjà un bon accès aux différentes ressources... cependant, il me parait bon que nous puissions exporter un peu plus. Mais quelles seraient vos conditions ? Et que proposez-vous, en terme de retour ? Voyez-vous, il me parait important qu'un accord soit équilibré. Faites-moi une proposition acceptable, qui avantagera nos deux contrées, et je pourrais y réfléchir."

A dire vrai, la Régente d'Odélian avait déjà sa petite idée. Sans doute un comptoir commercial serait une bonne idée à Missède, ce qui leur permettrait d'avoir une façade visible, et éviterait de se trouver inféodé à un autre duché.

- "Messire, je vous demande là du concret. Je ne peux donner un quelconque accord de principe sans savoir précisément où je m'engagerai."

Elle doutait un peu du résultat de l'échange avec le baron missédois. Elle n'avait guère besoin qu'un autre commerçant fasse le travail de ses propres marchands ; et développer une plaque tournante de commerce qui concurrencerait Odélian sur le plan des affaires la laissait plus que sceptique.

Le baron se retint de sourire lorsque la baronne lui parla de l’activité commerciale de l’Odelian. Il est vrai que cette période de paix était propice au commerce, mais les terres du sud restaient dominantes dans les échanges à l’échelle du royaume. La richesse et les principaux marchands venaient du Langecin et surtout du Soltaar et non du nord. Archibald comprenait fort bien la volonté de la comtesse douairière de mettre son comté en position de force dans cette négociation, mais en tant que Langecin, il savait que les marchands du sud étaient déjà présents à l’échelle du royaume et au-delà.

De plus, Isgaard avait été colonisé par des Missédois, ainsi le baron pouvait compter sur d’anciens compatriotes pour s’introduire dans le commerce nordiste. Des marchands, des artisans qui avait encore de nombreux contacts avec leurs territoires d’origine et qui se mariait encore entre Missédois. En somme, Misséde avait déjà plusieurs atouts dans sa manche, avec ses marchands, sa flotte ainsi que sa position géographique.

Un accord commercial peut se suffire à lui-même si nous arrivons à provoquer un dynamisme économique suffisant. Le revenu des taxes serait des plus profitables à chacun. Cela est chose simple et équilibrée. Et puis nous pouvons bien sûr accueillir nous aussi des marchands d'Odelian sur nos terres.

Une fois encore la régente ne fît aucune proposition, mais voulue que ce soit le baron qui s’expose. Archibald avait l’impression de tourner en rond en cherchant à convaincre une Nordiste du bienfait du commerce. Il était temps que la conversation prenne une nouvelle tournure.

Mais vous, que proposez vous ? Je parle beaucoup, mais je ne vous ai pas encore entendu parler de vos projets que nos deux contrés pourraient mener de front. Vous ne m’avez sûrement pas invité pour que je sois le seul à faire des propositions. Je vous demande moi aussi du concret, que souhaitez vous de Misséde ?

La jeune femme s'ennuyait. La musique joyeuse lui semblait en désaccord avec le ton de la conversation, mais l'homme ne semblait pas malhonnête, bien qu'il n'y eut rien d'assez concret à son goût. Ils se tournaient autour comme deux chiens reniflant un os - et l'image ne lui plaisait guère.  

Elle émit un petit soupir tandis qu'elle reprenait une gorgée de vin, et qu'elle se tapotait la bouche avec un mouchoir brodé, les yeux pensifs.

- "Messire, tous les marchands sont les bienvenus sur mes terres tant qu'ils s'acquittent de leurs taxes. Quant aux miens, ils acheminent déjà de la nourriture et quelques produits dont ils font commerce sur d'autres terres, y compris le Langecin. Cela n'est pas une nouveauté, car je ne suis pas en guerre contre vous, ni contre votre Marquise. Si nous sommes ici, c'est pour se tendre la main de l'amitié, et si possible, en retirer un quelconque profit pour nos deux terres. Le revenu des taxes est déjà un profit dont nous bénéficions tous les deux, de fait, cela ne me parait guère une proposition concrète."

Elle esquissa un sourire doux et poli. Elle aurait dû confier cette rencontre à son intendant ou à son Argentier - cela lui aurait épargné bien des tracas, même si la Régente était consciente que nul autre ne pouvait négocier ce qu'elle désirait réellement.

- "Je vous propose donc la présence d'un comptoir odélianais à Missède. Vous en retirerez plus de taxes, et je ferai transiter plus de marchandises. Quant à vous, vous développerez un peu plus votre région, comme vous le désiriez. De plus, nous pouvons songer à un allègement des taxes de vos marchands sur mes terres. Cela me semble équitable, et nous pourrons ainsi nous considérer bons amis. La confiance se développera petit à petit ensuite, et nous apprendrons à nous connaitre, j'en suis sûre.

La jeune comtesse douairière eut brièvement le regard attiré par les cris joyeux de sa fillette, au loin dans le parc. Elle avait envie de la retrouver, d'assister à son enthousiaste enfantin, loin des difficultés masculines qu'elle rencontrait.
Mais c'était au moins pour la bonne cause ; qu'est-ce qui se trouvait plus précieux qu'une longue ère de paix et de prospérité ?

Bien qu’Isgaard possédait un potentiel non-négligeable pour le commerce Missédois. Mais la réaction des royaumes du nord avait empêché ce potentiel de s’épanouir. En réalité la défense d’Isgaard face à la pression de ces voisins coûtait beaucoup trop sur le plan économique et diplomatique. Et l’annexion par l’Odélian du territoire avait coupé court à ce rêve d’extension vers le nord. Cependant rien n’emperchait un retournement de situation dans les années suivantes mais en attendant cet accord était assez satisfaisant, faisant d’Isgaard la porte d’entrée des marchands Missédois vers le nord.

La présence d’un comptoir de l’Odélian sur ses terres, à Chiard surement, n’était pas à négliger même si les marchands nordistes ne comptaient guère en la péninsule. Du moins cela lui permettrait peut-être d’accroître l’importance de Chiard, faisant de ce dernier un port incontournable en ce qui concernait l’approvisionnement en blé d’une partie du Sud et des terres royales. La baisse des taxes pour ces marchands lui paraissait plus profitable, leur offrant un avantage face aux autres concurrents sudistes. Cela devrait calmer un temps les ardeurs des sujets les belliqueux. C’était là un traité sympathique, mais qui ne présageait pas réellement d’une future amitié. Mais comme le disait la régente, laissons le temps faire son effet.

Manifestement, la comtesse semblait s’ennuyer, peut être était habitué aux conversations plus légères ? Pour Archibald, ce genre de discussion était monnaie courante. Habitué qu’il était à négocier avec les bonnes villes de la baronnie. En tant que Langecin, il avait aussi les questions de commerce dans le sang et pour lui les choses étaient simple : plus il y avait de commerce plus les taxes rentraient, on ne pouvait toujours se contenter d’un statu quo.

Un comptoir pour vos marchands et des taxes reduites pour les miens? Cet accord me semble correct. Nous n’aurons plus qu’à fixer cela par écrit. Peut-être sur mes terres ? Avant votre retour dans votre comté.

Mais le plus compliqué étant passé, il était temps d’évoquer aussi les festivités du lendemain.

Par ailleurs comment se déroulent les préparatifs de votre mariage ?

Ainsi, il acceptait le marché !

Solange se sentit tout à coup plus légère. Elle était grandement soulagée d'avoir pu mener cette négociation à bien, et se détendit un peu, consciente qu'elle offrait le tableau de son inexpérience. Il fallait s'y résigner, elle n'était qu'une femme, bien qu'elle gagnait en autonomie et en pouvoir de décisions ; de fait, elle était encore plus satisfaite d'elle-même.

Elle adressa un radieux sourire à son interlocuteur, hocha doucement la tête, avec politesse.
Il fallait bien saluer l'effort d'un homme qui se prêtait au jeu des mondanités, ce qui était la clé des rapports humains et de leur bonne entente.

- "Mon cher ami, j'espère bien que tout est organisé. Sinon cela serait compliqué devant sa Majesté notre bon Roy Bohémond. Je dois dire que je suis heureuse de vous voir aujourd'hui, parce qu'il est très important à mes yeux que nous puissions trouver un terrain d'entente. Cela vous semblera naïf, mais nous vivons une époque où nous aurons besoin des uns et des autres pour nous épauler, et c'est mon souhait que de chercher des solutions à cette fin. Cela me fait penser que je ne vous connais pas assez, et je trouve cela dommage. Voudriez-vous me parler de votre famille ? Sans doute avez-vous une épouse ? J'aurai grandement aimé la rencontrer !"

Elle-même aurait volontiers présenté son fiancé, bien qu'elle le sache fort occupé. Mais elle ne se sentait plus véritablement menacé par cet homme en face d'elle, ce qui était, finalement, le plus important.

- "D'ailleurs, elle sera la bienvenue à Odélian. Nous recevons présentement la nièce de sa Grâce Magnus, le comte d'Arétria, et il me semble que l'idée d'un ambassadeur serait appropriée. Il ferait le lien entre Missède et vous ?"