Prémices du renouveau [Adriano]

Adriano détaillait les moulures, peintures, sculptures et autres œuvres d’arts qui décoraient le palais d’Ydril. Comme tous les Suderons, le Duc de Soltariel possédait un attrait certain pour les belles choses, notamment les œuvres d’arts qui pouvaient notamment servir à démontrer un statut, une fortune… De quoi impressionner quiconque se baladerait dans les couloirs d’un tel endroit. La dernière fois, toutefois, il n’avait pu y prêter tant d’attention que cela… La guerre lui demandait de faire vite. Très vite.

Entrant à la suite du régent, Adriano scruta à nouveau son environnement. Se sentant en position de supériorité et protégé autant par ses soldats que par ceux d’Ydril, fidèles à la fois à leur cité et leur chef, qu’au Duc qui dirigeait toutes ces terres avec la bénédiction de Néera, Adriano prit place. L’assise était confortable, il fallait bien l’avouer. Il avait néanmoins dû se départir de son épée d’apparat, qu’il déposa sur un édredon non lointain.

Retrouver ainsi la lignée d’Ydril était un tour de force pour Antioche. Et il devait sans aucun doute le mesurer, le savoir. Sans doute l’utiliserait-il un jour ? Après tout, peu de nobliaux sont dénués d’un sens aigu de l’ambition en ce monde… Sieur ou Dame, tous veulent atteindre la branche la plus haute de l’arbre de la noblesse, et en récolter les fruits murs, juteux, et interdits au commun des mortels. Adriano y veillerait assurément… Mais, pour l’heure, il désirait établir une relation avec son futur vassal… Qui était-il ? Comment pensait-il ? Réagissait-il ? Etait-il un soldat ? Un planificateur ? Ou un politicien véreux en devenir ? Et surtout… Représenterait-il une menace quelconque, un jour ou l’autre ?

Lorsqu’entra enfin Norbert d’Ydril, présenté par Antioche, Adriano se releva et offrit un sourire de circonstance qu’il voulait sincère. A la révérence protocolaire, Adriano en rendit une autre, s’inclinant bien moins bas que son supposé vassal, bien en-dessous de lui dans la position nobiliaire. Il semblait avoir de la prestance, mais surtout, du répondant ! La confiance affichée semblait maîtrisée, et donc, quelque peu sincère… Mais le Duc savait que tout cela était relativement nouveau pour Norbert, et donc, qu’aujourd’hui, il devait surtout faire preuve d’un certain courage pour apparaître aussi confiance… Un courage utilisé en masque, en quelque sorte. Mais sans doute demeurait-il de bonne volonté.

La nouvelle du départ d’Antioche semblait quelque peu désarçonnant pour Norbert. Formé en vitesse accélérée durant quelques ennéades seulement, le voici jeté dans la fosse au lion, face à un Adriano aux dents longues, rompu aux dialogues de sourds et aux exigeances politiques.

« Enchanté de faire votre connaissance, Norbert. » Dit alors Adriano, reprenant sa place dans le fauteuil qui serait le sien aujourd’hui. « Antioche a fait un merveilleux travail en me présentant vos qualités et vos efforts d’apprentissage. J’ose espérer que cette discussion, et cette journée, seront un prélude intéressant et constructif à un avenir grandissant. »

Adriano ouvrit donc le bal de la discussion… Sans pour autant donner trop de grain à moudre au futur Comte d’Ydril.

L’attitude de Norbert avait quelque chose de satisfaisant pour Adriano. La jeunesse de l’individu face à lui se retrouvait dans tous les aspects : il était jeune d’âge, d’expérience et de noblesse. L’apprentissage d’Antioche avait toutefois porté certains fruits, mais Adriano pourrait, s’il le voulait, ne faire qu’une seule bouchée de celui qui faisait ses premiers pas dans le monde de la noblesse Péninsulaire. La chose était donc… Intéressante.

L’anxiété et l’impatience de Norbert transparaissaient aisément, mais le voilà qui l’avouer sans détour : la nuit avait été courte, et son esprit, tourmenté de pensées et de craintes. Un sourire se dessina au coin de ses lèvres, mais Adriano désirait en savoir plus sur le jeune noble, et sur ses futurs projets. Aussi s’interdit-il de ne dominer, de par sa prestance, son âge ou son statut.

« Et vos attentions quant à ma venue, vous honorent vous et les vôtres. » Dit-il, rendant donc la pareille dans les plus pures traditions nobiliaires. « Je suis heureux de savoir que le commerce recommence à fleurir en Ydril. J’ai pu apercevoir les cadavres des flibustiers sur les poteaux et potences, le long des côtes. Je suis heureux de voir que mes ordres ont été exécutés à la lettre… Je vous en remercie. Il ne faut point laisser un quelconque espace à ces individus… J’espère que l’aide substantielle accordée à votre Comté vous aidera à vous développer : j’ai ordonné à mon Grand Argentier de diviser les 15 000 souverains de ma fortune personnelle et ducale pour recouvrer la Baronne, de sorte à aider les cités du Duché. Si vous n’avez pas encore reçus les coffres, ces derniers ne devraient point tarder. » Dit-il, rappelant ainsi l’immense générosité dont il avait fait preuve, et la stratégie de ses décisions. « Quid des Nains ? Nous avons dû financer l’installation de ces êtres abjectes partout dans le Sud, le long de la Route d’Or… Vous causent-ils le moindre problème ? Paient-ils leurs taxes à temps ? » Demandait-il. Si ceux installés à Soltariel ne faisaient point parler d’eux, ce n’était peut-être pas le cas ailleurs. « Mes projets ? » Répétait-il. « Je veux que ce Duché soit le plus puissant et le plus riche de toute la Péninsule. Et pour ce faire, je compte investir et faire preuve d’inventivité et d’esprit d’initiative. Je compte ainsi sur tous mes vassaux pour participer à cet effort. »

« En tant que futur Comte, j’ose espérer que vous serez rapidement informés de a réception de cet or, et de ses dépenses. » Dit le Duc, davantage dans un conseil que comme une brimade, ou un essaie de s’interposer dans la vie de la cité. « Je serais fort aise de savoir que ce qui aurait dû tomber entre les mains d’un vulgaire forban pour recouvrer la liberté de ma promise, sera au final utilisé pour défendre nos terres contre ces mêmes brigands. »

Adriano était peu capable d’empathie et de gestes d’humanité, lorsque cela n’était point intéressé, ou intéressant pour lui. Calculateur et manipulateur, il voyait bien souvent les choses comme une succession de décisions positives ou négatives, et comme un échiquier sur lequel déplacer des pions pouvait vous rendre riche et puissant, ou pauvre et misérable. Mais lorsqu’il s’agissait de ses terres, alors là, le Duc changeait du tout au tout ! Il était capable d’aider, de promouvoir, d’offrir et de faire en sorte que les territoires et les individus le composant, soient mieux lotis, mieux équipés, mieux protégés… Bref, qu’ils puissent bénéficier de bien des choses, au contraire d’autres habitants de la Péninsule.

« Bien. Tant mieux. Ces maudits Nains ne devraient même pas demeurer sur nos terres… C’est une insulte… Mais nous n’avons pas le choix… » Partageait-il, maussade. « Toutefois, je suis bien heureux de vous savoir à mes côtés. Car je pense avoir d’ores-et-déjà besoin de vous ! Le culte de Néera ne doit plus être mit en danger par des cultistes enragés ! Vous devez avoir entendue parler de la guerre sainte que je leur ai déclarée avec le soutien du Roy ? Grâce à son Honneur Adélina, nous avons pu détruire tout un campement de ces cultistes et avons remonté la piste d’une famille de noble qui tire les ficelles… A Merval. » Dit-il, confiant alors des informations jusqu’ici gardée dans un cercle restreint. « Mes preuves sont irréfutables… Et des pistes mèneraient même jusqu’au cœur de la cour de la Marquise de Langehack. »

Nul doute que le futur et encore très jeune Comte avait été bien préparé et bien formé par le talentueux Antioche. Toutefois, plusieurs petites choses trahissaient une jeunesse, tant d’âge que d’expérience ; tant de stature que de mœurs. Bien-sûr, on reconnaissait la patte Suderone dans la manière de recevoir. Evidemment, le jeune homme usait de petites touches nobiliaires utilisées effectivement pour réfléchir, mais surtout pour temporiser. Une discussion, une réflexion, une décision… De petits tics et habitus, qui permettaient à qui savait l’utiliser de garder une audience captivée, en haleine, sinon tout simplement silencieuse et dans l’expectative d’une suite.

« Votre parole me suffit amplement. » Dit-il, prenant à parti le futur Comte, le liant d’ores-et-déjà à lui par une phrase innocente, mais une promesse solennelle. « Lorsqu’un rôle adéquat dans ce projet politico-religieux fera son apparition, il sera pour vous. Et je serais alors le premier à vous en faire part. Soyez-en assurés. » Dit-il, s’engageant à son tour. « Je n’ai aucune raison de me méfier de vous à l’heure actuelle. Qu’importe votre passé, seul votre avenir m’intéresse. Toutefois, je ne suis pas dupe : les vicissitudes d’une vie Péninsulaire vont sont connues, sinon toutes, du moins en partie. Je n’y suis pas étranger non plus. Je mets un point d’honneur à remercier et valoriser ceux qui me servent et ceux qui s’engagent, d’autant plus lorsque ceux-ci sont mes vassaux. Mais peux redoubler d’ardeur à la tâche, lorsqu’il s’agit de punir une injustice, ou venger un affront. Si la guerre de Merval vous est inconnue, cherchez dont dans vos archives. Si elle fut gagnée, c’est en très grande partie grâce à mes prouesses martiales sur les eaux lorsque je n’étais encore qu’Amiral. » Dit-il, introduisant plus ou moins subtilement un propos, une information, une promesse… Lumineuse et sombre. « Vous et moi, nous sommes du même côté. Voilà tout ce qui importe aujourd’hui. »

Puis, après avoir planté un regard d’acier dans les yeux du jeune et futur Comte et vassal, Adriano frappa de ses avant-bras sur les accoudoirs de l’assise, et, semblant profiter de l’élan d’un tel acte, se releva d’un bond. Il fit quelques pas en avant, craquant quelques phalanges avant de reporter ses mains dans son dos, dans une position d’attente. Puis, il se retourna vers le Comte.

« Bien ! » Dit-il, un haussement dans la voix symbolisant autant une exclamation qu’une question. « Qu’avez-vous donc prévu pour la suite de cette journée ? »