L'ombre du passé

Une à une, les pièces tombent dans la cassette sous le regard vif de cet homme qui semble avoir l’habitude de l’or et de l’argent. D’une autre main, il manie la plume avec expertise, griffonnant rapidement sur un épais livre déjà bien rempli. Il note les sommes sur lesquels s’accordent les acheteurs et le maître priseur.

Les hommes et femmes, dont l’identité reste nimbée de mystère grâce ces masques à la richesse obscène et ses tenues extravagantes, sont pendus aux lèvres de cette voix sans visage. Les articles qui leur sont présentés en cette divine soirée sont autant des pièces de collections qu’un appel à l’interdit et au danger. Des vases, des sculptures morcelées, de l’orfèvrerie venus tout droit d’une époque révolue et oubliée. Des artefacts d’un passé que les drows de l’Elda ont détruit bien des siècles auparavant. Et ils tiennent à ce que ces souvenirs restent sous les sables brûlants des paysages vaanis. Ys la Calcinée en est la preuve. Plus que cela, un rappel, mais ne semble pas avoir de prise sur tout le monde.
C'est tout du moins ce qu'on leur dit, ce qu'on leur vend. Car en vérité, il n'y a bien que ces simples mortels pour accorder autant de valeurs à ce qui étaient déjà de vulgaires babioles ridicules en leur temps.

Au fond de la pièce, il est là. Derrière son masque, il observe. Il étudie ces riches thaaris, eux qui ne se rendent comptent de rien, trop obnubilés par ce plaisir exquis faisant battre leurs cœurs plus qu’à l’accoutumée. Mais lui, il a fini par apprendre à les reconnaître, ces battements. Assez pour assoir son influence en dehors de ces soirées. Des marchands ayant des contacts par-delà la région, des haut placés du Guet, des politiciens ayant leurs entrées au Joyau, des hommes et des femmes côtoyant les Princes et les Princesses faisant la pluie comme le beau temps du ciel thaari.
L’homme sourit derrière son masque. Un sourire carnassier. Il profite, s’amuse, jubile. Il se rit de ces mortels courant après la moindre occasion leur permettant d’oublier leur condition. Cette ville tentaculaire n’est même pas l’ombre de ce qui fut et tous ces êtres qui pullulent sont d’un pathétique affligeant, mais il y trouve un amusement certain. Ce nouveau monde le passionne. Et ses règles bien trop simples sont tout à son avantage. L’argent coule à flot, son influence grandit, sa poigne se renforce. Lentement, mais sûrement. Peu importe lui le temps.