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 Le gouffre a toujours soif, et le cœur se vide

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Ameanor Sindënellë
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MessageSujet: Le gouffre a toujours soif, et le cœur se vide   Le gouffre a toujours soif, et le cœur se vide I_icon_minitimeJeu 28 Déc 2023 - 16:58



De Vermios à Favrius
dans la maison familiale d'Alëandir

Que reste-t-il de ton cœur
S’il ne sait que le malheur ?

Le jour succédait à la nuit, et la nuit, au jour. Le quotidien revenait, peu à peu. L’aube venait avec la jeunesse qui se formait lentement aux beaux arts mystiques. Le jour brillait sur les couleurs nouvelles d’un couple qui se voulait s’épanouir. Le soir plongeait l’ancien maître dans les étoiles immuables et insensibles au temps. Mais, la nuit… La nuit était le terrain d’un autre être. La nuit portait en elle la vérité qui brillait du lustre de la plus pure obsidienne. C’était dans les ténèbres du rêve, dans les tréfonds de l’esprit, que se révélait ce que le vénérable mage refusait de voir aux rayons purs du soleil.

Oh, oui, bien sûr, ces dernières énnéades avaient été parées d’aventure, de mouvement, de vie. Bien sûr, avec ces derniers jours, l’espoir essayait de se faire une place. Bien sûr, chaque nouveau soleil venait chasser les ténèbres de l’obscure vérité. Mais la vérité n’en restait pas moins vraie. Et, si mille subterfuges du quotidien étaient utilisés pour la cacher, elle était toujours là, ouvrant de nouvelles plaies dans un cœur fébrile comme des centaines de fourmis plongeant leurs mandibules dans une chaire viciée. Les mois s’écoulaient lentement, mais rien ne cachait cette triste vérité. Rien ne pouvait véritablement la cacher, à vrai dire.

Car Ameanor n’avait de place, en son cœur, que pour le malheur. Et le temps brisait, effritait les sensations nouvelles qu’il avait retrouvées en même temps que sa famille. Chaque nuit, la peine était plus forte. Et, chaque jour où se répétait un quotidien pourtant nouveau, la lumière était plus sombre. Tout ce que le mage avait fait, tout ce temps, n’était que de cacher ce mal-être. Imposer un simple bandage sur ses plaies viciées et détourner le regard en espérant qu’elles disparaîtraient. Mais, en réalité, ces plaies étaient lui désormais.

D’où viennent ces braises ardentes
Sur ta poitrine agonisante ?

Pourquoi ? Pourquoi tout cet amour, si lointain, désormais, se dérobait de la sorte ? Pourquoi le poids de sa poitrine se faisait de plus en plus lourd alors que le bonheur lui tendait les bras ? Pourquoi sa solitude s’avançait avec les jours alors qu’il sombrait dans le mutisme ? Où étaient passés ces doux visages qu’il avait tant recherchés et tant aimé ? Du plus profond de sa poitrine, Ameanor ressentait un feu s’élever plus fort chaque jour. Ce n’était pas un feu joyeux, ce n’était pas un feu qui réchauffe et redonne espoir aux vivants. Non, c’était une brûlure lente, qui détruisait tout sur son passage. Un feu dont la douleur fait rêver la possibilité d’arracher son cœur de la poitrine pour le jeter dans un abysse ténébreux, où seul règne le silence et l’oubli. De la douleur de ces flammes, la respiration même s’arrêtait. Devant la chaire racornie, même le quotidien s’arrêtait. Alors, l’aube nouvelle n’appartenait plus à l’apprenant. Alors, seul le noir et le rouge des flammes habitaient le midi. Alors, le soir n’appartenait plus aux étoiles.
Alors, il ne restait plus que douleur et haine.

Une haine viscérale. La haine de soi-même. Celle dont l’intensité paralyse. Celle qui s’envole au-dessus de la raison pour nourrir la douleur flamboyante du cœur meurtri. Lentement, le monde s’effaçait. Lentement, tout ce qui était cher à Ameanor brûlait. Et il se haïssait de ne rien réussir à faire pour endiguer ce brasier, levé de sa propre peine.

Quelle est donc cette brume, ô combien diffuse.
Qui noie ton esprit, mais que tu refuses ?

De la peine. De la souffrance. Un nouveau jour. Une nouvelle leçon. Une nouvelle peinture. Des nouvelles étoiles. Mais, lui, restait aveugle et sourd. Jamais, non, jamais le voile ne se levait. Diffuse et lente. Brulante et persistante. Toujours, la pulsion du vide était présente. Et, de nouveau, un jour s’écoulait. Et, de nouveau, le sourire s’effaçait. Et, de nouveau, la fenêtre se fermait. Les couleurs étaient moins vives. Le cœur ne battait plus. Le monde se recouvrait d’un voile, un voile de brume sans fin, un voile qui effaçait tout. L’amour, la joie, la vie, même la perception du temps.

Était-ce une main qui venait de quitter son épaule alors qu’il contemplait le soleil de midi par la fenêtre, briller d’une lueur aussi froide que son cœur ? Était-ce un souffle qu’il entendait alors que se refermait une porte dans un cliquetis feutré ? Était-ce des lèvres qu’il sentait contre sa joue, alors que des étoiles fades prenaient la relève du soleil glacé ? Plus rien n’avait de sens. Plus rien n’avait d’importance. Car, au final, il n’était qu’une poussière infime qui s’envolerait dans un infini froid et indifférent. Que pesait son âme meurtrie devant tant d’autre qui faisait bien mieux que lui ? Que méritait son cœur noirci là où la vie pulsait des autres ? Pourquoi femme et fille s’échinaient encore autour de lui, alors que seules les ténèbres de sa propre insignifiance l’entouraient ? Sa vie lui paraissait si vide, si détestable…

Le monde était vide. Il était vide.

Alors, des profondeurs obscures de ce néant informe, une pensée vint. Une image, une silhouette aussi sombre que floue. La vérité, la vrai, cette fois. Et un frisson d’effroi parcouru l’échine d'Ameanor tandis qu’il s’éveillait de son brouillard grisâtre et que se formait, dans son esprit, une tête aux crocs dégoulinant d’ombre et au regard de braise.

La bête était toujours là. La bête serait toujours là. Car il était la bête.

Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide
Mais si l’heure fuie, ton cœur, lui, s’évide et se ride.
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