Une erreur qui pourrait coûter cher | Adélina.

2ème jour de la 1ère ennéade de Bàrkios | Second mois de l’Automne.
Année XXI | XI Cycle.
Île de Méca | Ancienne boutique d’Holden.

Comme d’ordinaire, le retour jusqu’à Méca avait été un voyage à la fois plein d’anxiété, et plein d’envie. L’envie de revoir l’île, de dépenser les écus et les souverains gagnés après les pillages en mer, en plus de ceux gagnés ensuite par la revente d’objets volés. L’anxiété, aussi, de passer le long des côtes Sud de la Péninsule, où l’armada du Soltaar était omniprésente et très puissante. Fort heureusement, L’Abyssale, bien qu’impressionnante, passait facilement pour un de ces navires de commerces d’Estrevan. En manœuvrant correctement, en arborant les bons pavillons, traverser restait anxiogène, mais faisable. Et puis, tous les capitaines de navires de la flotte Péninsulaire cherchaient le Rokvenha… Et uniquement le Rokvenha.

L’arrivée à Méca se fit dans de grands éclats de voix. Toutes et tous étaient heureux, car Eylohr, en capitaine magnanime, laissait constamment plusieurs jours de quartiers libres à ses marins pour qu’ils puissent rejoindre leurs familles, aller à leurs affaires personnelles, profiter de leur or et de leur liberté. Pour ravitailler un tel navire et un tel équipage, il fallait bien plusieurs jours de négociations, de chargement et déchargement dans les cales. Les deux premiers jours étaient donc dédiés au déchargement du navire, et à la recherche des meilleurs accords et des meilleures ventes. Et d’ailleurs… Eylohr devait retrouver Holden, à sa boutique, pour se faire justice !

Voilà plusieurs mois maintenant qu’Holden avait vendu à prix d’or une série de parchemins et autres vélins à Eylohr, qui devaient, prétendument, dévoiler des routes sécurisées en plein océan, au Sud de l’île de Nelen, et permettre d’éviter la présence du Dragon Bleu. Dans ce projet, Eylohr désirait voguer là où personne n’allait plus depuis l’arrivée de ce dragon, afin de mettre la main sur des trésors facilement récupérables. Nul doute que des navires auront été coulés par le dragon ; que de frêles esquifs seraient venues s’échouer, et que les trésors seraient faciles à récupérer. Il n’y aurait eu qu’à se baisser.

Seulement, voilà : en suivant ces parchemins, non seulement Eylohr manqua de faire échouer son navire sur des récifs non présents sur ces cartes hors de prix ; mais en plus, le dragon bleu avait vue sur l’entièreté de son territoire, y compris le Sud de l’île… Ce ne fut que grâce à la chance, l’habileté, et la dévotion de tout un équipage décidé à survivre, qu’ils purent s’en sortir.

Le temps faisant – et les conditions de navigation pour les pirates se dégradant du côté de la Péninsule – Eylohr avait diminuer la fréquence des retours à Méca, et ne le faisait plus que pour revendre ses bibelots et ses marchandises. Mais aujourd’hui, il allait se faire justice, car enfin il en aurait le temps.

Devant la boutique d’Holden, Eylohr, Ariana, Christophe et Ulysse attendaient, armés jusqu’aux dents. Quelques passants regardaient le groupe avec des regards médusés, mais la réputation d’Holden ne les inquiétait point outre mesure : le fourbe était connu de bien des gens, à Méca.

« Aller, on est pô là pour être ici ! J’entre, vous m’suivez et on lui fait sa fête à c’t’enfoiré ! »

« Heu… Cap’tain, j’crois qu’y’a d’trucs pas normaux… »

« Pô normaux ou quoi, j’m’en carre les reins ! On y va, et j’veux du sang ! »

Ulysse et Ariana, silencieux, n’attendaient que l’ordre d’assaut. Les deux adoraient se battre, et l’idée de se venger était délicieuse. Mais Christophe, nettement plus observateur, avait remarqué effectivement quelques changements. Des changements qui trahissaient sans doute une réutilisation de cette boutique, des travaux… Des choses qui devaient sans doute faire revoir le plan dans les plus brefs délais… Mais personne ne lui avait laissé le temps de s’exprimer… Alors, Christophe demeura silencieux et entra le dernier.

Eylohr poussa la porte avec violence, et s’engouffra dans la boutique. Ses yeux brillaient d’une férocité violente, bestiale, presque incontrôlable. Derrière lui s’engouffra la bête Ulysse et sa très longue tresse épaisse. Regardant autour de lui, il s’attendait presque à devoir tuer n’importe qui qui oserait se présenter face à lui. Mais personne ne vint. Et surtout, pas Holden…

La férocité disparut soudainement lorsqu’ils virent une jeune femme aux traits doux et à la beauté incroyable. Serait-ce… L’épouse d’Holden ? Ou alors, il aurait revendu ? Mais… Qu’est-ce donc que tout ceci ?

« Merde ! T’es qui toi ?! Où qu’il est Holden ?! J’ai deux trois trucs à lui foutre sur la gueule et j’pas l’temps d’niaiser ! »

Cela faisait à peine deux jours qu’Adélina était de retour à Meca, et il fallait dire qu’ils furent particulièrement occupés. La nouvelle de son retour - cette fois de plein gré et non en tant que prisonnière - avait rapidement fait son chemin dans Meca. En une journée, on aurait dit que l'entièreté de l’île était au courant, ce qui sembla plaire au Rokvenha. Adélina, elle, n’aimait pas réellement toute cette attention - sachant pertinemment ce qui l’attendait une fois que cette nouvelle s’ébruiterait. Néanmoins, elle continua l’inventaire de l’échoppe d’Holden, mettant son plan en exécution. Sa présence attira quelques curieux qui entrèrent dans l’échoppe pour voir si la nouvelle était vraie, ou même pour apercevoir l’ancienne duchesse. Mais personne n’osa faire un quelconque commentaire, ni même lui donner un autre avertissement que celui qu’elle avait déjà eu la veille. Ce matin-là, le Rokvenha était parti rejoindre sa seconde et laissa les deux nobles dans l’échoppe, ce qui ne dérangeait guère Adélina qui voyait cette échoppe comme une étape fondamentale pour cette nouvelle vie qu’elle désirait si ardemment. Elle et Aubry étaient occupés à faire l’inventaire des biens d’Holden. En réalité, ce dernier n’avait pas grand choses de valeur. Que quelques épices, vêtements et étoffes en tout genre, mais qui serait toujours utile pour la prochaine étape. Adélina pliait une étoffe de soie estréventine alors qu’elle entendit la porte s’ouvrir à la volée et des pas dans la pièce à côté. Aubry mit rapidement la main sur son arme, prêt à intervenir, mais Adélina lui fit un rapide mouvement de tête, l’intimant de ne pas intervenir. Sans attendre, elle déposa l’étoffe sur un coffre avant de rejoindre la pièce adjacente. Là, elle trouva quatre personnes, armées jusqu’aux dents. Ces derniers s’arrêtèrent net lorsqu’ils virent Adélina arriver dans la pièce. L’un deux - le plus grand - reprit rapidement la parole d’un ton agressif.



« Il est mort. » Répondit-elle simplement. Aucune once d’agressivité ne transparaissait chez la jeune femme au contraire, elle semblait même lasse. On aurait presque dit qu’elle était habituée ou pire qu’elle attendait ce genre de réaction de la part des autres Mécan. Il fallait dire qu’Holden était un sacré escroc et s’il avait tenté de s’attaquer à une duchesse, il ne se serait probablement pas gêné pour le faire avec les siens. D’ailleurs, la rose se demandait comment ce dernier avait fait pour s’en sortir en un seul morceau aussi longtemps… À croire qu’il était un beau parleur. Haussant les épaules, Adélina reprit la parole ; « Et vu ce qu’il me devait, il m’a donné les clés de son affaire avant de se faire embrocher. » Si au départ sa nouvelle vie l’avait enthousiasmé, Adélina se demanda un instant si elle n’avait pas fait une erreur. Combien d’autres gens entreraient dans cette échoppe pour se venger de cet escroc ? Néanmoins, elle ne se laissa guère impressionner, la jeune femme se mit derrière le comptoir, s’assurant qu’il aille quelque chose entre elle et les colériques Mécan, et repris la parole, cette fois d’un air un peu plus doux, non sans être ferme : « Alors messieurs et dame si vous voulez faire des affaires, je serais ouverte à faire quelques marchés avec vous. Mais malheureusement, la dette qu’avait Holden ne s’est pas transférée. Je crains que vous ne puissiez avoir la vengeance que vous cherchez. » Son regard se posa sur le géant qui venait de parler. Il avait l’air féroce, certes, mais Adélina n’avait curieusement pas peur. Il fallait dire que toutes ces années à gérer la noblesse péninsulaire lui avait appris à ne pas se laisser impressionner par les apparences. Ce n’était pas ça qui était le plus dangereux. Pendant ce temps, Aubry, toujours derrière la porte, écoutait avec attention la discussion, prêt à intervenir si tout cela tournait mal.

Ainsi, le traître Holden était mort… Par les tumultes des eaux et la malédiction de la Noyée… Quelqu’un d’autre avait eu le plaisir de tuer cet être ignoble ! Et ce quelqu’un ne pouvait qu’être relié directement ou indirectement à celle qui se tenait aujourd’hui face à Eylohr, car autrement, comment aurait-elle eu droit à cet héritage ? Holden était un menteur, un faux, un traître, mais il n’aurait jamais abandonné sa boutique comme cela… Alors… Quelque chose s’était produit, et cette jeune femme semblait en être sortie gagnante.

« Bordel de merde… » Dit-il, s’exclamant et frappant l’air, manquant presque de faire choir un présentoir qui se trouvait non loin. « C’t’enfant d’catin est passé trop d’fois proche d’la mort, et j’comptais bin’ m’venger. Fiat chier ! »

S’énervant encore dans son coin, Eylohr fit toutefois le signe à ses acolytes de ranger leurs armes. Déçus eux-aussi, ils se trouvaient néanmoins soudainement de trop pour une visite de vengeance se transformant en une visite de courtoisie. Se regardant l’espace d’un instant, Eylohr leur fit signe de se détendre… Ce qu’ils firent.

« T’es qui toi ? T’peux pas débarquer comme une foutue princesse et t’dire qu’tu r’prends tout l’bonus et l’fric sans t’faire chier avec les conneries. J’vais pas t’fumer, parce qu’j’voulais fumer Holden… Mais j’vais pas m’barrer comme ça. S’tu r’prends c’bouiboui, tu d’vais bin’ t’attendre à voir d’gens pas content de cet enfoiré d’Holden. Alors on va parler affaires, ouaip, parce qu’j’ai plein d’trucs à r’fourguer après presque deux mois en mer. Mais j’veux un peu d’justice bordel. »

Adélina fronça les sourcils, avant de se redresser. Voir l’homme aussi en colère ne la surprenait aucunement. Holden n’était qu’un vaurien de la pire espèce et elle s’attendait déjà à voir certain de ses detteurs ou pire… Les gens qu’ils avaient entubé revenir réclamer “justice”. C’était le prix de reprendre ce genre de business, il fallait dire. Malheureusement pour le mécan, il était tombé sur une jeune femme pas réellement impressionnable. Adélina avait rencontré bien des gens, et elle savaient que ceux qui jappaient le plus fort n'étaient jamais de très grandes menaces. Oh, il pourrait lever la main sur elle à tout le moment, elle le savait… Mais ce n’était pas réellement dans son intérêt. Néanmoins, l’alonnaise le laissa faire, alors qu’il éclatait de colère avant de se retourner vers elle. Les mots qui lui dit la firent tiquer… Puis, ses mains se posèrent sur le comptoir alors qu’elle se penchait légèrement vers l’avant. « C’est bon ? Tu as fini ? Maintenant, c’est toi qui va m’écouter. » Son regard azuré se planta dans le sien avant que sa voix ne brise le silence. « Si tu crois que je ne me fais pas chier avec les conneries d’Holden, tu te fous le doigt dans l’œil ! Crois-moi ce type-là m'as pris beaucoup plus que tu pourrais jamais imaginer. Je me doute que je ne sois pas la seule à qui c’est arrivé. »



Après tout, passer de duchesse à prisonnière avait été un sacré coup… Tombé encore plus bas que zéro. Si Holden s’en était prise à elle qui était pratiquement intouchable, elle ne voulait même pas savoir ce qu’il avait pu faire aux autres mécans. La colère du géant avait raison d’être, malheureusement, il l’avait lâché sur la mauvaise personne et Adélina n’avait guère l’intention de se laisser marcher sur les pieds par le premier venu - aussi agressif qu’il soit. « Donc tu vas me faire plaisir et te calmer. Parce que crois moi, si tu me la mets à l’envers, je vais te donner le même traitement voir deux fois pire. C’est clair ? » Son regard se déplaça sur les autres membres du groupe qui avaient maintenant rangé leurs armes. Puis, la jeune femme se redressa, semblant se calmer. Elle releva le menton, plantant son regard dans celui du capitaine avant d’enlever ses mains du comptoir pour ensuite reprendre ; « Je vais être honnête avec toi. Je vais te donner exactement le même traitement que tu vas me donner. Tu veux faire des affaires ? Aucun problème. On peut trouver un arrangement. Contrairement à Holden, je n’ai qu’une parole, et en ce moment, j’ai à faire mes preuves. » La jeune femme croisa à nouveau ses bras, une expression passablement neutre au visage avant de reprendre ; « Quant à qui je suis, je crois que tu es la seule personne sur cette île à ne pas le savoir… Je suis Adélina… Ou la Rose comme les gens semblent se plaire à m'appeler ici. »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que n’importe qui – et sans doute encore plus une femme apparemment seule – aurait eu peur et se serait écrasé face à un individu aussi impressionnant, coléreux et violent qu’Eylohr. L’homme toisait souvent le monde de quelques têtes supplémentaires, et possédait un corps taillé dans le roc, bardé de tatouages et une force de bœuf. Affublé de ses acolytes, nul doute que n’importe qui ferait profil bas… Mais pas cette jeune femme.

Et la voilà qui parle. Elle se défend, fait montre d’un certain stoïcisme et d’une capacité surprenante à faire face à quelqu’un qu’elle ne connaît point et qui, pourtant, arrive avec la force d’un ouragan dans cette échoppe qui tient à peine debout. Elle le menace, même… Mais cela ne tient pas. Eylohr à même un hoquet de rire, alors que ce petit bout de femme menace de faire deux fois pire à Eylohr que ce qu’elle aurait pu faire à Holden, qui avait été assassiné. Que serait donc deux fois pire que de mourir assassiner ? Allez-savoir, à nouveau…

Mais elle termine en disant qu’elle était ouverte aux affaires et qu’elle devait faire ses preuves. A cela, Eylohr acquiesce… Après tout, le fait qu’elle en parle lui montre qu’elle avait déjà réfléchit à pas mal de choses pour faire sa place, et notamment aux contrecoups dont elle allait souffrir, ne serait-ce qu’à cause de la reprise de l’échoppe d’Holden, ce rat de bas étages…

« J’t’ai pas encore menacé, qu’toi tu l’fais déjà ? » Lui dit-il, repensant donc à la menace de tout à l’heure. « J’vais rien t’faire, parce qu’t’as c’t’échoppe et qu’j’ai pas qu’ça à foutre qu’de détruire un truc d’chez nous. Mais s’t’as qu’une parole, c’mon cas. Tout c’que j’demande, c’t’un peu d’justice : j’veux d’bons prix, et une place d’choix dans t’clients. Holden m’a entourloupé d’une fortune, et en plus d’ça, ses infos bidons ont failli m’coûter mon navire et ma vie. M’a fallut deux mois d’mer pour pouvoir m’remettre et m’refaire une santé financière, j’compte pas m’faire avoir une s’conde fois. »

Quant à son identité… L’information tomba comme un couperet. Adélina… La nobliaude, enlevée puis relâchée puis revenue d’entre les Péninsulaires pour une soit disant histoire d’amour… Yeurk… Tout cela le débectait. D’autant qu’à cause de ses conneries, Caleb avait attiré l’attention du Duc de Soltariel et de ses vassaux, et l’armada toute entière fouillait les eaux côtières à la recherche du moindre pirate à se mettre sous la dent. Cela provoqua des situations bien difficiles et dangereuses… Tout cela, à cause de l’avidité du Rokvenha, visiblement trop arqué sur ses propres envies pour penser aux dangers qu’il a pu faire peser sur tout Méca.

« Ah. C’toi. » Dit-il, la voix neutre, le regard froid. « T’es bin’ couillue d’revenir ici après tout c’foutu merdier. L’Rok doit vraiment être amoureux d’toi pour avoir risquer la vie d’tous les pirates d’cette île dans sa gueguerre contre c’t’enfoiré de Duc du Sud. Mais j’m’en branle : j’cherche pas une Rose, j’veux du commerce. »

La conversation avait définitivement pris un tournant à laquelle elle ne s’entendait guère. Ne pouvant cacher sa surprise, la jeune femme haussa un sourcil. Ne sachant pas réellement quoi dire. Puis un sourire vint orner ses lèvres avant qu’elle ne reprenne la parole ; « Une menace ? » Adélina ne put s’empêcher de rire. Un rire cristallin, qui semblait presque innocent. « Ce n’est pas une menace, mais un avertissement. Tu entres dans mon échoppe en gueulant, en exigeant… Maintenant, tu sais sur quel pied danser. Je ne me laisserai pas impressionner parce que tu exiges justice. » Adélina se demanda un moment si ce dernier comprenait réellement le sens de ce mot, de cette idée philosophique, mais la jeune femme se dit qu’il n’avait probablement pas eu un tuteur qui s’était efforcé à développer ce concept comme le sien. Après tout, comme baronne, c'était à elle de faire justice, et parfois, ce n’était pas aussi facile que l’on voulait. Ce n’était pas noir ni blanc. Adélina décroisa ses bras avant de faire un léger mouvement de sa main, puis reprit ; « Alors si tu es prêt à négocier un partenariat, je suis ouverte à entendre l’idée… » Elle s’apprêta un pas, avant de s’arrêter net, claquant sa langue sur son palais. « Déjà, ce qui se passe entre le Rok et moi, c’est de nos affaires, et personne d’autres. » Elle n’allait sûrement pas débattre des sentiments de ce dernier. Mais une chose était sûre : il ne cherchait pas de rose.  Tant mieux pour lui, car il n’aurait jamais pu l’avoir. La jeune femme se mit à marcher, contournant le comptoir, ce qui ne sembla guère rassurer son cousin, avant de s’arrêter devant. Elle se hissa sur ce dernier pour s’asseoir avant de reprendre la parole ; « Peut-être devrions-nous commencer par quelques questions…Ton nom, celui de ton navire d’abord…» Elle pencha légèrement la tête sur le côté, clairement intéressé, avant de reprendre ; « Ce que tu désires vendre comme marchandise… » Valait mieux rester clair dans ses propos… Après tout, son rustre compagnon semblait avoir du mal à comprendre sa finesse.

Les choses semblaient se mettre en ordre. Celle qui se prénommait Adélina – et que tous ici connaissaient sous le nom de la « Rose » - avait du caractère. Cela était désormais acquis, prouvé, et demeurait plutôt impressionnant bien que dans l’esprit d’Eylohr, elle ressemblait surtout à un loup abandonné des siens qui tente de se refaire une place dans une nouvelle meute. Amusant… Pathétique aussi… Mais à sa place, il ne ferait sans doute point mieux.

Sa réaction quant à la notion de menace et d’avertissement fit glousser le géant. Amusant, oui, amusant… Mais Eylohr reprit bien vite contenance et, au lieu de continuer le combat pour garder la tête haute et faire preuve de fierté, il saisit la perche tendue par la jeune femme pour ne parler que d’affaires, et non plus de points de vus.

« J’suis Eylohr, l’capitaine d’l’Abyssale. Mon équipage s’nomme les requins. Toi qu’vient d’l’Alonna, t’as p’t’être dû entendre parler d’nous puisqu’on pillait pas mal d’côté d’Missède et d’Naélis. » Lui dit-il, répondant à sa question tout en faisant montre d’un peu de fierté. « C’que j’vends, c’la routine : des bijoux, des armes, des armures, d’bibelots d’or et d’argent qu’je chope sur les riches commerçants… Parfois, d’denrées qui s’conserve, genre l’vin d’Estrevent… Pô d’esclaves, ou très peu : ç’coûte cher en bouffe, ça râle, et m’caraque m’permet d’rester très longtemps en mer. En plus, j’me suis spécialisé dans l’pillages d’localités d’pêcheurs et d’petits villages côtiers. J’prends, j’bute… Et j’me casse. »

Il ne dirait pas qu’il pouvait violer qui il voulait. Après tout, cela était aussi une arme, notamment de terreur et de violence, qui massacre autant les corps que les esprits. Il ne le faisait point, mais pas par valeur… Parce qu’Ariana, derrière, lui couperait sans aucun doute les attributs s’il touchait à une autre femme. D’ailleurs, cette dernière n’était point loin du capitaine… Point loin, et elle dardait un regard de braise sur Adélina, la jalousie l’envahissant soudainement.

Adélina écouta le pirate sans l’arrêter une seule fois, observant avec attention le moindre de ses faits et gestes. Elle ne manqua guère la fierté lorsqu’il se présenta, de ses exploits à Missède et à Naélis. Mais la jeune femme ne répondit rien à sa rhétorique, sachant pertinemment que lui rappeller qu’elle venait du nord de la péninsule et non du sud. Alonna avait déjà ses problèmes sur la Sirilya la dernière chose qu’elle avait eue à se préoccuper était de ce qui se passait chez son horrible belle-sœur ou chez les estréventins. Néanmoins, lorsqu’il eut terminé, elle reprit d’un air calme, sans plus de cérémonie. « Enchanté Eylohr. » Elle haussa vaguement les épaules avant de continuer ; « Je vais être honnête. Je ne veux pas d’esclave. Je ne m’abaisserais jamais à acheter le souffle d’un être. Le reste, oui, je suis évidemment intéressé. Donnez-moi un inventaire de ce que vous avez, et je vous ferai une offre juste. » Elle insista sur le dernier mot, sachant à quel point le pirate devant elle semblait y tenir. « Si vous l’acceptez, amenez-moi vos marchandises, et nous ferons la transaction à ce moment-là. » Le comment du pourquoi il ramassait sa marchandise n’intéressait pas la baronne, ou plutôt, elle préférait ne pas le savoir. C’était déjà assez difficile de penser que ce qu’elle s’apprêtait à acheter venait d’attaque alors savoir que cela venait d’attaques sur des gens qui avaient peine à joindre les deux bouts étaient encore pire. Mais, elle se devait de survivre, de se concentrer sur elle-même pour une fois.



Le regard de la jeune femme se retourna finalement vers les autres personnes qui se trouvaient dans la pièce. Se promenant sur les deux hommes avant de s’arrêter devant la femme qui s’était approchée de son capitaine. Cette dernière semblait plus vieille que la nordienne, bien que cette dernière était toujours très attirante. Adélina ne manqua guère son regard… C’était la même expression que Sarah avait eue lorsqu’elle avait tenté de “protéger” sa relation avec le Rokvenha. Ce genre de femmes était dangereuse, obnubilée par une chimère, un rêve qui n’existait pas ou pire, était jalouse de la situation des autres. « Et tu es sa seconde ? » Lui demanda-t-elle. D’ailleurs avec ce genre de personne, valait toujours mieux leur laisser la chance de mettre cartes sur table, réclamer ce qu’ils voulaient. Qui plus est, ce genre d’information serait importante si elle ne voulait pas finir avec un nouveau couteau dans le bras à cause d’une amourette.  

Ainsi, un accord commençait à naître. Et celui-ci demeurait suffisamment large pour pouvoir permettre à Eylohr d’apporter ce qu’il désire, et suffisamment détaillé pour savoir quelles étaient les zones à ne point dépasser ni franchir, les choses à ne point dire, les éléments contradictoires. Holden n’était point regardant sur la nature des marchandises, ni leurs origines. Il n’était même pas regardant sur son mode de paiements, donnant des paroles à droite et à gauche, s’acoquinant avec qui l’accepterait-bien, pour pouvoir remplir ses poches et payer plus tard… Ou payer par de fausses informations. Comme cette fausse carte dangereuse, qui manqua de faire tuer Eylohr.

« J’acceptes. »

La réponse d’Eylohr était ferme et définitive. Pas d’esclaves : cela lui allait bien, il aimait trop partir en mer durant des ennéades et des ennéades pour s’embêter à avoir d’autres bouches à nourrir. La suite, en revanche, attisa la curiosité malsaine d’Ariana qui, toujours la main posée sur l’épaule de son capitaine et amant, eu un large sourire carnassier en écoutant et voyant Adélina se tourner vers elle. A la question de cette dernière, son sourire s’agrandit… Et elle tapote l’épaule d’Eylohr, comme pour affirmer un peu plus les choses.

« Non, c’pas moi l’Second, c’est l’grand malabar derrière avec ses ch’veux en guise d’fouet. Moi, j’suis l’quartier maître d’équipage. C’moi qu’fait régner l’loi sur l’navire et qu’m’assure qu’tous ces forbans sont prêts à s’foutre sur la gueule avec l’première menace venue. » Dit-elle, indiquant donc son rôle, qu’Adélina devait déjà connaître vu son expérience passée sur le navire du Rok. Le quartier maître d’équipage était souvent quelqu’un d’autoritaire, violent, cruel même, mais extrêmement organisé. Un danger, en somme. « Et j’suis sa Rose à lui. Enfin, même si j’clairement moins l’air d’être une belle rose qu’toi, l’nobliaude. »

Eylohr eut un petit sourire, comprenant facilement où Ariana voulait en venir et où elle voulait emmener Adélina. Bien-sûr, elle ne faisait absolument pas confiance à cette jeune femme que d’aucun qualifiait de profiteuse. Jamais avait-on vu une noble être enlevée par un pirate sans pitié, et on avait encore moins vu revenir telle personne dans les bras de son ravisseur, quand le temps virait au maussade du côté de sa vie officielle. Profiteuse, menteuse… Et d’autres mots encore qualifiaient cette jeune femme, elle l’avait dit elle-même, devait faire ses preuves.

« Ici, t’es pô l’duchesse. Mais j’crois qu’tu l’as d’jà compris en disant qu’tu devais faire tes preuves, alors c’est d’jà pas mal. Mais attention : s’faire sauter par l’Rok t’donneras pas tout c’que tu veux. T’es une pirate maintenant : t’as intérêt à l’assumer. Parce qu’tu viennes d’une famille au cul bordé d’nouilles et qu’t’ai élevé avec une foutue cuillère d’or dans la gueule, ça n’change’ra rien au fait qu’si tu v’nais à te faire choper par l’armada d’ton enfoiré d’mari, t’finiras au bout d’une corde. Comme nous aut’. »

Puis, une fois son venin distillé, elle s’éloigna, sortant de l’échoppe sans demander son reste ni laisser le temps à Adélina de se défendre. Elle fut immédiatement suivie par Christophe et Ulysse, qui souriaient et gloussaient. Eylohr, lui, gloussa aussi un peu… Avant de se relever, et de toiser Adélina.

« T’n’auras affaire qu’à moi. Mais c’qu’elle dit est pô forcément dénué d’bonnes infos. F’gaffe : en plus d’soucis d’Holden, t’as l’moitié d’la Péninsule au cul, et une partie d’nos gens qui s’demandent bin’ c’qu’une nobliaude comme toi qu’avais jamais foutu un peton sur un navire avant d’te faire enlever par l’Rok, peut bien trouver à c’te vie d’misère. Mais eh… T’as t’preuves à faire, t’là d’jà dis. Aller… J’reviendrais vite avec d’quoi remplir ta foutue cave ! »

Puis, à son tour, il quitta l’établissement, laissant Adélina à son cousin.

Adélina ne répondit rien au pirates, se contentant de les regarder d'un air neutre, presque las. Si les répliques de la jeune femme l'avait atteint - voir mit particulièrement en colère - elle ne lui laissa pas le plaisir de le voir.  La comparaison qu'elle avait fait était bancale. Elle était loin d'être une rose, et loin de comprendre les fines lignes d'un pareil titre. Malgré tout cela, la jeune femme ne dit rien, restant immobiles, écoutant tout sans interrompre. Au moins, la quartier-maître eut au moins l'intelligence de partir sans lui laisser le temps de répondre. Eylohr rajouta quelques paroles qui n'affectèrent pas plus la nordienne avant de sortir de l’échoppe. Pas une fois elle avait bronché, encaissant le venin de ses vipères qui étaient arrivés dans son antre. Oh elle avait envie de l'empaler à l’extérieur, mais cela aurait été vu comme une agression. La quartier-maître pouvait japper autant qu’elle voulait, à un moment ou à un autre elle trouverait une plus grosse bestiole qui la mangerait tout cru et la nordienne pensait que cela ne serait probablement pas elle. Mais cela serait toujours interessant à observer.



« Spécial ces gens… »
Adélina se permit un sourire avant de souffler du nez. Fixant un point devant elle.
« En effet, pas la fine fleur mécane. »



Elle descendit du comptoir, pour aller refermer la porte de la boutique. La nordienne resta un moment à la fenêtre, observant les passants pendant quelques secondes alors qu’Aubry reprit la parole, remettant son épée dans son fourreau.



« Tu vas acheter leurs marchandises? »



« Bien sûr… Avec un prix juste. » Dit-elle avant de se retourner vers son cousin. « Une femme jalouse de plus ou de moins… Le seul problème c’est qu’elle ne comprend pas que je ne suis pas une menace. J’ai d’autres choses à faire que m’embêter avec un pirate qui ne sait pas tenir sa langue… » Adélina haussa les épaules; « Ou d'une femme qui a aussi peu en confiance en elle. » Aubry haussa un sourcil, se demandant si la nordienne conserverait une quelconque rancoeur, mais il fut rapidement rappellé à l'ordre par cette dernière. « Nous avons du travail, Aubry et on dirait que nous allons recevoir notre premier client bientôt. Ce qui est déjà un pas dans la bonne direction. » Ce dernier hocha la tête avant de retourner dans la pièce, suivi par sa cousine. Cette altercation n’était qu’une motivation supplémentaire. Éventuellement, plus personne n’oserait lui parler de la sorte sur Meca, non pas due à son affiliation au Rokvenha… Mais de son propre chef.