Herbes, nectar & ambroisie

A l'ombre fragmentée d'arbres séculaires, penchés sur lui comme de vieux sages ruminant un parchemin, le ruisseau suivait paisiblement son méandre, caressant les quelques rochers morcelant son cours. Ses berges inégales, parfois terreuses, s'ourlaient généreusement de mousse, de fougères, de roseaux, d'iris et de fleurs, dont certaines pourvues d'aigrettes épaisses qui, en se détachant sous la brise, venaient se reposer sur l'eau tels des nénuphars éphémères. L'air était chaud, riche du parfum d'une de ces journées printanières, mais les quelques rayons du soleil qui perçaient la frondaison arboraient la couleur du miel de cerisier, de l'ocre et du safran, qui signifiaint la fin de l'après-midi et la venue du crépuscule.

Siégeant à son aise sur une pierre plate encore tiède, une grenouille profitait paresseusement des derniers moment du jour. Sa langue élastique venait d'attraper une libellule, et une fois celui-ci déglutit, son coassement de pacha satisfait se perdit entre les trilles et les pépiements d'oiseaux qui se disputaient tardivement leurs territoires, cachés entre branches et rameaux. A quelques pas, un tronc d'arbre en décomposition  faisait le festin d'une variété de lézard, satisfaisant son appétit de larves de xylophages et de coléoptères aventureux. Non loin encore, le bruissement de broussailles précéda la venue d'un cerf dépourvu de bois et qui, à pas prudents, s'approcha du cours d'eau pour s'y abreuver. Ses oreilles alertes, mais son oeil impavide, il fut le premier à apercevoir la silhouette réfugiée sous un arbre.

Lui tournant le dos, la peau sous son habit en lambeaux était une étude de violet, de vert et de noir, avec des tâches jaunâtres, témoignant d'un affrontement sauvage. Trois plaies suppurantes lacéraient son flanc exposé, tandis qu'une mâchoire acérée avait imprimé la trace de ses dents dans son trapèze supérieur et sous sa clavicule. Ses bras croisés sous sa poitrine, en proie à une fièvre infectieuse, l'elfe s'était ainsi roulée en une boule frissonnante, et avait fermé les yeux avec un soulagement tout relatif. Les prémisses d'une prière protectrice s'immisçant dans ses pensées, sa conscience s'était étiolée puis éteinte longtemps avant qu'elle n'ait pu la mener à son terme.

A l'aube, lorsque l'astre solaire pointa à l'orient ses premiers rayons timorés, elle s'était éveillée avec une paresse maladive, dotée d'une langueur pesante. La rosée du matin l'embaumait entièrement : tel un voile tombé sur son corps, elle scintillait comme si l'on avait tressé des milliers de perles de nacre sur une toile d'araignée irisée. Son corps aussi fourbu que son repos n'avait été inégal, le vénérable l'ayant accueillie en son sein n'avait offert à son dos et son épaule et sa tête qu'un soutien peu confortable, et sa nuque n'était pas moins raide que l'écorce de celui-ci.

La nature, asujettie pour quelques instants encore au royaume nocturne, retenait son souffle et se faisait témoin de la scène sur le point de se dérouler. Une créature étrange se penchait sur la blessée, et celle-ci – à moitié délirante – ne réagit pas outre mesure en la découvrant au-dessus d'elle. Ses sourcils s'ornant de perplexité face à une vision inattendue, sa main vint, ou du moins moins tenta de venir caresser les écailles, et l'une des cornes surgissant du crâne. Puis, un faible sourire vint étirer ses lèvres. « Emël », souffla-t-elle.