Jouer sans rien attendre en retour[Anabelle]

Cela doit faire près de deux jours que j’ai quitté mon père, repartant sur les routes pour mener ma vie de ménestrel. Comme à chacune de mes visites, mon père est heureux de me voir, comme s’il revoyait le soleil après avoir connu la cécité. D’ailleurs, c’est ainsi qu’il me surnomme, son soleil, qualifiant mon capacité à apporter joie et gaieté dans son cœur par ma simple présence. Il est aussi content de voir que j’ai remonté la pente, après avoir passé plusieurs mois de dépressions totale. Si j’en suis là, c’est grâce à lui et à grand-mère. Elle m’a forcée à me battre plutôt qu’à m’apitoyer sur mon sort, à devenir meilleure qu’avant. Et j’ai réussie. Moi qui avais toujours cru qu’elle me détestait, je me rends compte que ce n’est pas entièrement vrai. Je ne suis peut-être pas la petite-fille dont elle rêvait, mais elle m’aime quand même.

Souriante, j’arrive à un village, au nord de la baronnie de Merra. Alors que je pénètre en son sein, j’aperçois des enfants qui s’amusent jouent ensemble, courant le plus rapidement possible. D’un geste souple, je m’écarte pour les laisser passer, tandis que mon sourire se fait plus chaleureux. La jeunesse. J’avance au milieu du village, apercevant une auberge non loin. Au moins, je pourrais dormir ici cette nuit. Après avoir inspectée les environs, j’aperçois un petit rondin de bois laissé à l’abandon. M’avançant vers lui, je l’inspecte et le juge satisfaisant pour servir de siège. Heureusement que je ne porte pas de robe aujourd’hui. Je n’en porte jamais quand je voyage, je risque de les salir, comme en m’asseyant sur des rondins de bois. C’est pour cela que je porte un pantalon marron et une chemise blanche. Cela ne fait pas très féminin, j’en conviens, mais c’est plus pour voyager. Et puis, je n’ai pas très envie de me retrouver avec des tâches marrons sur les fesses.

J’enlève mon rebec de mon dos, ce dernier étant attaché à une bandoulière de cuir pour me permettre de le transporter sans gêne. De ma besace je sors l’archet, rangé dans un petit coffret de bois pour qu’il ne se casse pas. Puis je dépose ma besace et m’assois, calant mon rebec contre me bras et me mets à jouer. Je n’ai rien demandé en échange, rien négocié. Je joue parce que cela me fait plaisir. Les hommes et les femmes s’arrêtent de parler, intrigués par cette musique apparue ils ne savent d’où. Les enfants cessent de courir pour venir s’approcher de moi. Un silence religieux se fait autour de moi tandis que je joue. Certaines personnes s’assoient, d’autres restent debout derrière elles. Je ferme les yeux, laissant la musique m’envahir, ainsi que le village tout entier. C’est une musique joyeuse, féérique, faisant rêver. Qui sait ce à quoi les gens pensent en m’entendant ? A une forêt ? Des papillons ? Une danse ?

La musique s’arrête sur une note plus enjouée que les autres. Tandis que j’ouvre les yeux, mon public reste un moment muet avant de m’applaudir. Certains même me jettent des pièces alors que je n’ai rien demandé. Je n’ai pas fait ça pour l’argent, mais s’ils me payent c’est que cela leur a plu. Alors j’accepte l’argent, pour ne pas les offenser. Bien sûr, tous ne sont pas heureux dans le village. Certains me regardent avec méfiance, d’autres avec dédain. Après tout, je ne suis qu’une vagabonde, une va-nues-pieds, pire, une demi-humaine. Ces regards je les connais bien, mais ne m’en offense pas. Ramassant les pièces, je pose mon rebec et ouvre ma bourse pour y ranger l’argent gagné. Certains enfants me demandent une autre chanson, aussi je sors mon chamélie, met le tuyau au bout et me prépare à jouer. Quel plaisir de voir ce sourire sur leurs visages…

Je me prépare à jouer un autre morceau pour le plaisir des enfants, lorsqu’un bruit de tonnerre apparait soudainement. Levant les yeux au ciel, j’aperçois le ciel qui fait grise mine. Il va pleuvoir je crois bien. Ca ne manque pas. Quelques gouttes commencent à me parvenir tandis que je me lève et prend mes instruments avant de me précipiter à l’abri à coté d’une jeune femme qui me fait signe. L’auberge est un peu loin pour que je puisse m’y rendre sans que mes instruments n’en pâtissent aussi je rejoints l’auvent de bois qui nous protègera le temps que la pluie tombe. Je ne pense pas que cela devrait être très long, mais qui savait ? La terre a besoin d’eau en été, les dieux auront sans doute décidé de la noyer pour qu’elle ne souffre pas de sécheresse.

Je vérifie que mes instruments n’ont rien quand la jeune femme me complimente sur mon talent. Je me tourne vers elle, souriante.

« Merci. »

Ma voix est un murmure rauque, conséquence de la blessure qui orne ma gorge, une cicatrice blanche dissimulée sous les plis de ma chemise. J’observe un peu la jeune femme, intriguée. La lumière est moindre mais mon sang elfe me permet de très bien la distinguer. Son teint est cireux, comme si elle était malade. Chose qui parait étrange étant de la part d’une elfe. Quoi que, peut-être est-elle une sang-mêlé comme moi, une demi-humaine. Au vu des formes qu’elle offre je dirais oui. J’ai rarement vue une elfe ayant autant à présenter. Mes ses traits sont si fins et doux que j’en viens à soupçonner une prédominance elfe sur son visage. L’inverse de moi en sommes. J’ai le corps d’une elfe et le visage d’une humaine, elle le corps d’une humaine et le visage d’une elfe.

« Je me nomme Elëa. »

En la regardant plus attentivement je me rends compte que sa tenue est semblable à la mienne. Pas que nous ayons les mêmes vêtements, mais elle est faite pour parcourir les routes. Une voyageuse comme moi. Combien d’être comme nous ai-je vu faire pareil ? Il semble que ce soit un trait commun à nous tous, comme si nous cherchions à trouver un endroit où serait notre place. Ni humain, ni elfe, nous ne sommes chez nous nulle part. Enfin moi si j’ai un chez moi, mais j’aime voyager. Je suis curieuse. Ce qui amusant c’est de voir en vingt ans combien les choses ont changées surtout dans les terres humaines.

« Voyageuse ? »

Je ne parle pas beaucoup, limitant mes paroles au strict minimum. Cela peut me faire paraitre hautaine pour certains, mais c’est un confort pour moi. Cela me permet de soutenir une conversation plus longtemps en fait. Je range mon chamélie dans ma besace et mets mon rebec en bandoulière. Je chasse une mèche trempée qui me cache la vue pour regarder mon interlocutrice.

« Merci pour l’abri. »