Le temps presse ! {PV-Shawn & Dragan} ~ Cours du palais

Révérie était avec les jumeaux en cette belle journée d'hiver, leur chantant quelques balades de sa voix claire et cristalline. Une voix que Dragan ne se lassait pas d'entendre. Il se trouvait dans la pièce d'à côté, mais le chant envoutant perçait les murs fins et enchantait ses oreilles délicates. Pourtant, depuis son retour de Kirgan, quelque chose s'était fêlé en lui. Et il ne ressentait plus les émotions comme auparavant. Il vivait un peu à la manière d'un automate, continuant à accomplir les gestes de la vie quotidienne sans y faire attention. Et révérie avait beau redoubler d'amour et de prévenance, elle ne parvenait plus à entrer dans l'âme de son compagnon qui s'était renfermé sur lui-même comme au temps de la mort de sa soeur.

Extérieurement, il avait l'air d'aller bien. Il agissait comme tous les jours, sans rien négliger. Vraiment? Si, il négligeait sa femme et ses enfants. il négligeait l'amour pour ne pas sombrer dans la douleur. Il était un elfe, il était capable de dissimuler ses sentiments. Et dissimuler sa peine le forçait aussi à se couper de l'amour des siens.

Il avait perdu Anàrion et Illydril. Il avait perdu son frère de coeur et sa petite soeur d'adoption. Il venait de passer brutalement à l'âge adulte en perdant tout ce qui avait fait son enfance.

Une domestique entra alors dans le bureau et rapporta à Dragan que sa soeur Lalaith était rentrée, mais avec un homme blessé. Il se leva aussitôt, et se dirigea vers le cou où il put voir de ses propres yeux l'étrange spectacle : sa soeur, un tigre blanc immense et un homme blessé. Lalaith l'interpella alors, apparemment soulagée de le voir.

- "Lalaith, qu'est-ce qu'il s'est passé?"

Il vit les serviteurs s'agiter autour de lui et reprit un peu plus fermement :

- "Allons, emmenez-le dans une chambre et faites venir les guérisseurs."

Ce que les domestiques firent, alors que Dragan suivait le petit convoi, Lalaith sur ses talons, attendant sa réponse.

Ni Lalaith, ni Dragan, n'avaient de compétences de guérisseurs. Aussi, s'éloignèrent-ils de la chambre pour laisser les spécialistes faire leur office, sans les gêner. Inévitablement, le frère demanda ce qu'il s'était passé à la soeur. Quoi de plus légitime? Il ne l'avait pas vu depuis un moment et voilà qu'elle déboulait au palais avec un homme blessé et un énorme tigre blanc. Heureusement, elle, elle n'avait rien!

Elle lui révéla alors qu'ils avaient été attaqués par des bandits. La mâchoire du marquis se contracta. Il allait falloir renforcer les patrouilles en Anaëh. C'étaient peut-être des bandits, mais cela pouvait aussi être autre chose, de plus dangereux et malfaisant encore! Et la forêt n'avait plus sa capacité de jadis à se protéger et à protéger ses habitants qui s'étaient lentement détournés d'elle.

- "Safiir?"

Ah... Oui, ça devait être le superbe tigre blanc qui les accompagnait. Il soupira quand elle reprit son récit en parlant d'une petite balade.

- "Les routes sont de moins en moins sures et toi tu pars à l'aventure toute seule..."

Il se massa l'arête du nez, reprenant avec un sourire un peu faible :

- "Serindë va faire une attaque."

Elle termina son récit rapidement, le regarda et cette fois, ce fut à lui de répondre aux questions inquisitrices de sa soeur bien aimée. Comment il allait? Mal. Très mal. Comme lorsqu'ils avaient perdu leur soeur. Et comme à l'époque, il se renfermait sur lui-même sans rien dire à personne. Sauf qu'à l'époque, il n'avait pas une femme et deux enfants et qu'à l'époque son attitude ne faisait pas autant de mal à ceux qui tenaient à lui et qui avaient besoin de lui. La perte d'Anàrion et d'Illydril était une déchirure terrible. Ils étaient morts. Il ne se faisait aucune illusion là dessus. Sans doute avaient-ils connus les mêmes atrocités que les filles de l'ancien roi Ultuant. Et cette pensée le révulsait.

- "Ca va."

Sa réponse était un peu trop brusque et indiquait tout le contraire.

- "Rév et les enfants vont bien, merci."

Oh oui, côté santé tout allait pour le mieux. Mais l'absence de Dragan commençait à peser pour Révérie qui ne savait plus quoi faire pour récupérer son époux, devenu inaccessible...

De toutes ses soeurs, c'est de lalaith dont il avait toujours été le plus proche. Serindë avait fait office de mère pour lui, autoritaire et strictye, Laurelin de grande soeur un peu effacée mais douce... Mais Lalaith était un peu sa petite soeur, malgré le fait qu'elle soit plus âgée. elle était le feu follet, la petite rebelle, rieuse, vive, enjouée, si proche de leur père et de lui, sa petite compagne de jeu quand il n'était pas avec Anàrion et Illydril à Alëandir.

C'était elle qui avait accepté à bras ouverts Révérie, qui l'avait aidé à s'intégrer à Ardamir, faisant abstraction de ses origines drows. C'était à elle qu'il se confiait... la plupart du temps. Mais aujourd'hui, il ne pouvait pas. Pas plus qu'il ne se confiait à Révérie... Signe qu'il allait mal.

Pourtant, Lalaith n'était pas dupe. impossible de la tromper, elle le connaissait trop. Et après le silence, pesant, elle s'arrêta et le regarda, avec ce regard qui signifiait qu'il allait devoir parler et qu'elle ne souffrirait aucune dérobade. Elle redevenait la grande soeur. Il se passa une main sur le visage, soudain las et répondit d'une voix éteinte :

- "Ce qu'il s'est passé? Anàrion et Illydril, mon frère de coeur et ma petite soeur d'adoption ont disparu, enlevés par les drows et sans doute morts après avoir été torturés... Alors excuse-moi de ne pas être très joyeux en ce moment, mais il me faut faire le deuil de dizaines d'années d'amitié et d'insouciance..."

La dernière fois, c'étaient sa jumelle et son père qui étaient morts. Il avait mis un an à se remettre... non, des années en fait, jusqu'à ce que Rév entre dans sa vie. lalaith ne devait que trop savoir ce que cela lui rappelait.

Et il n'y parvenait pas. Il n'était pas certain d'y arriver. Quelque chose s'était brisé en lui et il ne montrait à sa soeur que la partie émergée de l'iceberg. Il ne pouvait pas lui laisser voir toute l'étendue de son désarroi...

- "Je suis désolé, mais j'ai du mal à accepter cette nouvelle... j'évolue dans un cauchemar Lalaith... C'est trop semblable à la dernière fois."

Il vit, à la façon dont lalaith le regardait, qu'elle n'était pas au courant. Comment l'aurait-elle été, elle qui passait sa vie sur les routes, bravant l'autorité de leur ainée? Elle était surement en pleine forêt lorsque cela était arrivé... Il venait donc de lui apprendre la nouvelle de la disparition des héritiers royaux et de la reine de la plus abrupte des façons.

- "Orelindë est morte... Elle a été violée puis tuée."

Autant qu'elle sache toute l'ampleur du drame maintenant. Un drame qui n'en rappelait qu'un autre. Des disparitions trop pénibles pour être supportées. c'était un cauchemar, un cauchemar affreux... Toute son enfance s'envolait ainsi avec la perfidie des drows. Et encore, s'il avait l'assurance qu'Anàrion et Illydril étaient morts sans douleur, cela le consolerait un peu, mais l'idée qu'ils fussent peut-être encore en vie, mais torturés et avillis le rendait malade.

Il n'y avait rien à faire, personne à envoyer. Aller au Puy serait du suicide. Il n'y avait aucun moyen de récupérer ses amis. Lancer l'armée? Oui et? Cela ne changerait rien, les drows avaient toutes les cartes en main pour les écraser...

C'était affreux.

Le prince et la princesses avaient été abandonnés par leur peuple...

Lalaith restait silencieuse. mais sa main vint serrer la sienne et bientôt ce fut lui qu'elle serra contre elle. il se détendit dans la douce étreinte fraternelle. Mais il s'interdit les pleurs. Il resta serré contre sa soeur quelques minutes, muet, avant de se redresser et de passer une main sur sa joue.

- "Ce qui me détruit, c'est de les abandonner à leur sort, parce qu'il n'y a rien d'autre à faire... Je ne peux pas me ruer au Puy pour aller les chercher... personne ne le peut. Et c'est bien là toute l'horreur. Ils ont été abandonnés par les leurs Lalaith... Ils n'ont nul espoir si tant est qu'ils soient encore en vie..."

Il détourna le regard.