Mélodie sous les arbres | Anima

Il faisait chaud, bien trop chaud même à l’ombre rafraichissante de la forêt d’Aduram. Ses longs cheveux se balançant tranquillement au rythme de ses pas, Myrhyarmen semblait ailleurs. Le visage inexpressif, elle ne semblait pas se préoccuper de sa destination, se contentant de suivre le jeune Thyräel sans se poser de questions. Le gamin, de seize ans d’apparence environ, savait à peu près où il allait, mais s’il n’avait aucun moyen d’en être sur, il n’allait pas s’arrêter pour poser des questions à la Gardienne. Après un peu plus d’un demi-siècle de vie commune, il avait fini par comprendre qu’on ne la dérangeait pas pour des questions aussi inintéressantes que la direction à suivre. Et, de toute façon, comment aurait-elle pu les aider ? Elle était aveugle, désormais, il était donc peu probable qu’elle puisse se repérer efficacement dans une forêt aussi dense… Il allait lui falloir trouver la sortie tout seul, mais il avait l’habitude et ne se faisait pas trop de soucis.

Voilà deux semaines que le soleil s’était définitivement couché pour Myr’, et c’était la première fois qu’ils quittaient la petite cabane dans laquelle ils habitaient jusque là. Pour une raison inconnue, elle s’était réveillée le matin, et sans même prendre la peine de poser sa main sur son épaule comme elle le faisait d’habitude, elle lui avait donné ses instructions par l’intermédiaire des signes. « Prépares toi, et vite, nous partons. » Comme toujours, il n’avait pas pris la peine de poser les questions qui lui étaient venues, de toute façon il y avait peu de chance qu’elle réponde. Déjà, avant, elle n’était pas très communicative, mais depuis le changement qui s’était effectué en elle, c’était pire.

« Nous nous arrêterons ici, j’ai faim et toi aussi, j’imagine. »

Thyräel hocha simplement de la tête, alors qu’il sentait la main de la gardienne quitter son épaule. Comme à chaque fois, il se sentit légèrement soulagé : quand Myr le touchait, il avait l’impression que ses pensées ne lui appartenaient plus, et qu’elle pouvait lire en lui comme en un livre ouvert. Marchant à petit pas, l’ancienne elfe finit par trouver un arbre et s’y adossa, s’asseyant souplement avec un soupir fatigué. Sans un mot, le jeune elfe la laissa seul, sans vraiment s’inquiéter de son sort - n'avait-elle pas la protection de Kÿria elle-même ? – et entreprit de collecter leur repas. Quand ils se furent restaurés, elle lui demande sa flûte, et avec une excitation anticipée il l’a lui donna. Au fond, il aimait bien l’elfe au caractère difficile qui l’avait pris sous son aile, mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était la voir jouer de son instrument. Parfois, elle se laissait assez entraîner pour danser au rythme de sa propre musique, et le spectacle qui en résultait était toujours à couper le souffle. Or c’était la première fois qu’elle allait s’adonner à l’exercice depuis que la cécité l’avait frappée…

S’éloignant le plus possible des arbres afin d’avoir le champ libre, elle commença doucement. Les notes claires s’élevèrent dans les airs et furent emprisonnées par la forêt elle-même. S’asseyant en tailleur contre un arbre, Thyräel ne bougea plus, retenant même légèrement son souffle. Petit à petit, elle augmenta le rythme, son corps commençant à s’agiter au rythme de sa mélodie, et ce qu’espérait son suivant arriva. Totalement envoutée par sa propre musique, elle se mit à danser. Charmé, il se rendit compte qu’il ne respirait plus du tout uniquement quand un lierre s’enroula autour de son poignet. Il ne put retenir un cri, ce qui déconcentra Myrhyarmen. La pauvre elfe, sortant subitement de son état de transe, manqua de se tordre la cheville en assurant mal un appui, mais ne put éviter une chute tout à fait silencieuse. Se levant pour l’aider, la jeune tête blonde plus ou moins chargée de son bien être se rendit compte d’un détail étrange : des lierres venaient de toutes les directions et semblaient converger vers la Gardienne. Dans la tête de la dernière, alors qu’elle se remettait lentement en position assise, une voix moqueuse se fit entendre.

« Il va falloir apprendre à te contrôler, si tu veux mon avis. Mais ça viendra avec le temps, j’imagine. »

On raconte que dans la forêt, là où les humains et même les elfes ne vont plus, se trouve une tour abritant une puissante sorcière nourrissant ses créatures de la chair des inconscients qui auraient l’impudence de pénétrer sa demeure empli de trésors multiples. Belle, mais mortelle, sa rencontre ne peut nous mener qu’au dernier repos. C’est ce qu’on raconte. On raconte aussi qu’à tout les centenaires, elle quitte sa tour, accompagnée de ses fidèles créatures -horreurs sans nom- pour trouver victimes et hommes suffisamment fous pour partager sa couche.

C’est ce qui se dit parmi les peuples voisins humains et elfes.

Les parents racontent l’histoire sans vraiment y croire afin d’inciter les désobéissants à écouter. « Si tu n’es pas sage, la sorcière de la tour de la pénombre viendra te prendre et te donnera à manger à ses monstres. » Un mythe propre aux habitants des environs. Cependant, même si la tour existerait belle et bien et que des hommes s’y seraient rendu pour les trésors qu’elle abriterait, aucun n’est revenu et la location est incertaine. Quoiqu’il en soit, si une sorcière habite réellement la tour, on la laisse tranquille et on se contente de raconter des histoires. Les paysans ont mieux à faire que de vérifier la véracité de ce vieux conte.

Et pourtant, tout à une part de vérité. Depuis plus de cinq cent ans, une magicienne habite la tour de la pénombre, réapparaissant environs tout les cent ans sans que le temps n’est affecté ses traits. Protégé par le flot du constant du temps, elle vit recluse, étudiant en paix son art. Cependant, si son apparence est à jamais celui d’une jeune elfe, il y a des choses qui se doivent d’être renouvelé pour lui permettre de subsister.

Cette journée-là, Anima se rendit compte que son manque de vigilance lui apposait toujours d’embêtant dilemmes. La tour de la pénombre comptait plusieurs étages, dont un souterrain permettant le stockage de la nourriture nécessaire à sa survie. Viandes, légumes et fruits séchées, grains de toutes sortes et vins diverses étaient stockés afin de lui éviter un maximum de déplacement. Pour le reste, No. 6 se chargeait de ramener de la nourriture fraîche de temps en temps. Des pièges magiques étaient installés sur un certain périmètre autour afin de prendre les possibles voleurs et bandits, mais cela n’empêche pas des animaux de s’y prendre et mourir. Mieux vaut en faire bonne usage. Question légumes et fruits, champignons et baies sauvages diverses poussaient dans la forêt.

Il y a cependant un moment où cela ne suffit plus.

- ... Oh...

Les réserves écoulés forment habituellement un bien pauvre moyen de subsistance.

- Et mes ressources financières sont au plus bas... Il semblerait que je doive retourner dans les contrées habitées...

_______

Anima était donc partie. No. 6 garderait la tour des pilleurs en son absence. Commençait donc le long voyage à travers la forêt, quoiqu’elle ne craignit aucunement les bêtes et encore moins les races humanoïdes. Par la suite, elle devrait trouver un seigneur qui accepterait de la prendre à son service, ce qui devrait être la phase la plus simple. Après tout, n’était-elle pas parmi les mages les plus puissants? Rares étaient ceux qui pouvaient accumuler six siècles d’expérience en la matière.

De constitution faible de naissance, un tel trajet en milieu sauvage avait toutefois son lot de problèmes quotidien. Si la mage était immunisé à la maladie grâce à son sang elfique, elle ne pouvait rien contre les blessures. Ce qui est très désavantageux lorsque l’on possède un corps aussi fragile. Donc, la sang-mêlée marcha pendant quelques jours, son état de santé l’obligent à se reposer souvent et longtemps. Comme bagage, elle n’avait qu’un peu de nourriture. Ses seules armes étaient ses sorts. Les lames étaient, de toute façon, un désavantage, car elles nécessitaient un contact physique avec l’assaillant. Lorsque l’on est comme Anima, on apprend rapidement à éviter ce genre de scénario le plus souvent désastreux. Elle tenait à la vie et ne risquerait pas une telle folie. Pour d’autres!

Ce fut le cinquième jour de marche que le danger se présenta.

À l’aube, alors que le soleil perçait à peine l’épais feuillage de la forêt, il arriva. À peine l’avait-il touché qu’Anima s’était tiré du sommeil, prête à réagir. C’était un drow, visiblement assez jeune, qui souriait de toutes ses dents. Une dague la menaçait au niveau de la gorge. Toutefois, elle n’avait pas peur. Ce n’était qu’un jeune sans expérience ne se doutant pas que ce sont les gens désarmés les plus dangereux.

- Soit sage et tu t’en tireras la vie sauve. avait-il dit, visiblement excité par les pensées qui lui traversaient l’esprit.

En d’autres circonstance, elle aurait presque été tenté de lui donner son accord. Cependant, qu’un homme la touche sans sa permission l’énerva, et ne resta à la mage que le choix de le tuer. Lentement de préférence.

Chez Anima, la race ne fait pas l’individu. Pas plus que le sexe ou le rang social. En marge de tout cela, elle préférait regardé chacun individu avant de porter un jugement. Néanmoins, alors que son agresseur se permettait une intimité trop... Intime à son goût, la sang-mêlé se dit que les préjugés sur les drows étaient fondés. Dommage que certains de ses ancêtres en soit. Cela ternissait le nom de la première Anima. La mort ne pouvait qu’être trop belle pour lui.

Peut-être lu-t-il l’absence de peur et la lueur meurtrière dans son regard, ou son instinct lui criait de réagir, car le sombre lui ordonna de se tenir tranquille, de ne pas bouger si elle tenait à la vie. Quel idiot. Il est dommage de voir que les combattants soient si stupides...

Le sort qui le projeta violemment sur un arbre quelques mètres plus loin lui coupa le souffle et Anima se redressa, lui envoyant une seconde vague pour le déstabiliser.

- Puisse Tari être clémente avec toi.

Une incantation, brève, fit naître une flèche d’acide qui atteignit le visage de l’elfe noir. Un grand cri de douleur résonna dans la forêt auparavant calme et sereine. La mage ne s’arrête pas là. Une autre incantation et ce fut une boule de feu qui s’attaqua à la victime d’Anima, intransigeante, ses traits fins n‘étaient nullement troublé par le dégoût, le plaisir ou la haine. Il ne régnait sur son visage qu’une froide impassibilité. Celle que l’on acquiert avec le nombre de victime qui s’accumulent. Le sombre mourut aux pieds de l’arbre et, sans un regard, la femme reprit son chemin. Le cadavre serait laissé aux charognards.

Les prochains êtres humanoïdes que croisa Anima dans son long voyage furent deux elfes. Au début, elle n’avait que capter la mélodie lointaine, puis entraperçu de loin les deux personnes. Aucunement curieuse ou désireuse d’en connaître plus, elle s’en allait passer son chemin lorsque un phénomène unique en son genre se produisit : le lierre commençait à converger vers un unique point. Un coup d’oeil fut suffisant pour savoir que, si la musicienne était ou non l’instigatrice de tout cela, les plantes se dirigeaient bel et bien vers cette dernière.

Sa fascination pour toute forme d’art occulte attisant son désir d’en connaître plus la mena à, inconsciemment, se diriger vers les deux individus, faisant en sorte, à l’aide d’un sort, de ne pas se faire entendre. Observer était toujours plus plaisant. Cependant, le garçon poussa un cri lorsqu’il réalisa ce qui était entrain de se produire, coupant court à la mélodie et, par la même occasion, la progression du lierre. Anima en fut choquée. À la place du jeune elfe, elle aurait accueillit avec joie l’étrangeté présente et n’aurait certainement pas eut peur.

Qu’à cela ne tienne, il lui faudrait maintenant poser des questions pour en apprendre un maximum sur le sujet. Cela fit naître un soupir de déception chez Anima, mais elle reprit rapidement sa marche, surgissant en silence d’entre les arbres comme une ombre.

Son regard d’acier se porta d’abord sur le garçon, l’inspectant rapidement. Décevant. Puis il alla sur la femme, une lueur de curiosité brillant à l’intérieur. Maintenant, il fallait engager la conversation. Ah... Si seulement ses talents en social étaient meilleurs...

- Mes excuses de me présenter sans prévenir. commença-t-elle sur un ton neutre, mais poli. J’ai entendu la musique et, surtout, ait vu la réaction qu’elle a entraîné. Curieuse d’en connaître la source et les détails, je me suis donc permis de vous déranger. Est-ce le cas?

Sa question n’était là que par pur automatisme. Que ce soit les humains, les elfes, les nains ou les drows, les représentant de chaque race semblait toujours accorder une grande importance à ce concept. Anima, quant à elle, se contentait de l’y accorder uniquement quand cela la concernait. Le reste, c’était superficiel, mais afin d’obtenir les réponses qu’elle désirait, c’était un mal nécessaire...

- C’était très impressionnant. La façon dont vous attiriez le lierre. commenta-t-elle à l’égard de la musicienne.

Se massant doucement la cheville, Myrhyarmen fulminait. Quelle mouche avait donc piqué Thyräel pour qu’il crit de la sorte ? Et qu’entendait donc Kÿria par « Il va falloir apprendre à te contrôler » ?. La Gardienne avait l’impression de passer à côté de quelque chose d’important, et cela l’énervait au plus haut point. Alors qu’elle se relevait péniblement, elle crut entendre son jeune ami s’approcher et se placer devant elle, mais elle n’était pas encore habituée à sa cécité et ne savait pas vraiment s’il s’agissait de son imagination où d’autre chose. Alors qu’elle s’apprêtait à répondre à la Déesse, une voix sobre s’éleva et Myr ne put que tourner approximativement la tête vers sa provenance, l'interrogeant de son regard laiteux, fronçant les sourcils. Mais que se passait-il donc à la fin ? Bien sur, la réponse a la question de l’inconnue - car il s’agissait sans aucun doute d’une femme, vu le timbre de voix - ne vint pas d’elle mais de Thyräel.

« Nous sommes… surpris, plus qu’importunés… »

La voix était hésitante, il ne voulait pas quitter du regard la demi-elfe, ne sachant pas encore à quoi s’en tenir. Il recula doucement jusqu’à l’aveugle et lui pris doucement les mains. Dès que le contact se créa, la voix irritée de l’elfe résonna dans sa tête.

« Que se passe-t-il, à la fin ? Pourquoi as-tu crié, et qui est cette femme ?
- Je vous expliquerai ce qui s’est passé plus tard… »

Il s’était permis de chuchoter, se montrant impoli mais prudent. Il aurait été bien en peine d’expliquer l’étrange phénomène auquel il avait eu le privilège d’assister, et même de le décrire. C’était la première fois qu’il la voyait faire ça, et pourtant il en avait vu, des choses, à ses côtés. La demi-elfe passa son regard sur lui sans s’y attarder, comme s’il n’était pas assez intéressant pour capter durablement son attention. De ça aussi, il avait l’habitude : on s’étonnait de sa présence mais on ne s’y attardait pas.

« Pour ce qui est de la femme, c’est une… »

Elle ne lui laissa pas le temps de finir, coupant sa phrase sans même s’en rendre compte pour complimenter Myr sur la façon dont elle avait attiré à elle les plantes grimpantes, ce qui provoqua la surprise de la concernée.

« De quoi parle-t-elle ?
Mais de toi, Myrhyarmen, de toi. »

Captant lui aussi la question même si elle ne lui était pas destinée, Thyräel gémit intérieurement, déçu. Il aurait voulu en parler à sa mentor pour la questionner, et voilà qu’on le prenait de court. D’un autre côté, ce n’était pas étonnant que la demi-elfe en parle, il s’agissait d’un phénomène peu commun, après tout. Très peu commun, même. Même si c’était à raison, il n’aimait pas vraiment l’idée d’attirer autant l’attention, pas si vite.

« Demande-lui qui elle est, Thyräel.
- Qui êtes-vous, dame ? »

Mettant de côté ses interrogations, Myr semblait de nouveau maitriser la situation. Droite et fière malgré sa récente chute et une légère douleur à la cheville droite, elle tourna sa tête vers la direction supposée de la curieuse, abordant un air légèrement irrité que son suivant lui connaissait bien. Lâchant la main du jeune elfe, elle posa une main autoritaire sur son épaule et attendit qu’on lui réponde.

La mage, en attendant la réponse de la femme elfe, examina le duo en silence.

Le jeune garçon, sans être un totalement un enfant, n’était pas non plus un adulte. Il dégageait une aura de méfiance à son égard, chose tout à fait compréhensible. Après tout, n’avait-elle pas émergée de la forêt sans prévenir? À sa place, son comportement aurait été le même. Intérieurement, elle sourit. C’était un bonne réflexe de préservation, même si cela était inutile pour le moment.

Puis, Anima porta sa réflexion sur celle qui était à la source de sa curiosité : la jeune femme. À première vue, elle semblait normale, quoique légèrement irritée pour une raison obscure à la mage. Puis, l’étrangère se tourna vers Anima et cette dernière pu voir ses yeux : le blanc laiteux de son regard lui indiquas immédiatement la cécité. Au cours de sa longue vie, il lui avait été donné de voir ce phénomène à quelque fois. Le plus souvent, c’était les vieux humains qui finissaient par perdre la vue, parfois, les plus jeunes étaient touchés. Pour quel raison cette elfe, immunisé à la maladie, était-elle maintenant dans cet état? Qu’à cela ne tienne, la sang-mêlé se ferait un devoir de lui demander plus tard.

Puis, d’une voix hésitante, le garçon prit la parole alors qu‘il allait rejoindre sa compagne, lui assurant qu’il y avait plus de surprise que de mal. Tant mieux, elle ne voulait pas les effrayer ou faire quoique ce soit d’autre les gardant muet.

Un léger froncement de sourcils se dessina sur le visage auparavant impassible de la demi-elfe. À quoi bon chuchoter? Et puis... C’était offensant, dans un sens. Après tout, elle n’allait pas leur sauter dessus ou les attaquer, alors à quoi bon tant d’inutiles précautions? Les gens sont pleins de curiosité paraît-il, et c’était ce que se disait Anima en cet instant. Cependant, ses traits redevinrent neutre, signe qu’après tout, elle s’en fichait. Son comportement aussi paraissait absurde aux yeux de certains, alors pourquoi pas celui des autres aux siens?

Il n’y avait qu’une chose qui lui chipotait : pourquoi la femme elfe ne lui parlait-elle pas? Le jeune garçon semblait être l’unique porteur de paroles, ce qui n’intéressait pas vraiment notre mage. Les mots transmit d’une personne à une autre, puis à une autre, ont tendance à être déformé, même si le message général reste sensiblement le même. Si le garçon savait quoi répondre à la place de la femme, cela n’était pas un gage de l’exactitude. Quoique pour le moment, il n’y avait pas grand chose d’échangée.

Anima avait tout de même de la difficulté à croire que ce garçon, à peine sorti de l’enfance, soit le porte-parole du duo. Même aveugle, la musicienne à l’origine du comportement, quoique le terme fut... Étrangement utilisé, des plantes était son aînée et la figure d’autorité. Bah! Les nouvelles générations... À son époque, on était plus respectueux des plus vieux. Les choses changent en cinq cent ans...

- Qui suis-je? répéta-t-elle en affichant un mince sourire. Mon nom, jeune damoiseau, est Anima, simple mage à la recherche de connaissances. D’où le fait que je m’intéresse grandement au phénomène venant de se dérouler sous nos yeux.

Lentement, elle commença à marcher, décrivant un arc sans cesser de les examiner, comme on examine une bête au marché.

- De quelle sorte de magie s’agit-il? Druidique? Habituellement, il s’agit bien d’eux qui possèdent un contrôle sur les plantes, non? À moins qu’il s’agisse de pouvoirs octroyé par Kÿria?

Au sujet de l’une ou l’autre, ses connaisses en ces types de magie n’étaient pas les meilleurs. Préférant, et de loin, celle profane, son domaine de prédilection. Cependant, comme on dit, il n’est jamais trop tard pour apprendre et, d’avenir, ce pourrait être un terrain à explorer. Mieux valait cueillir les informations alors qu’elles sont à porté de mains.

Qu’à cela ne tienne, Anima continua son étude des deux personnages devant elle, plus spécialement la femme aveugle qui n’avait encore rien dit. Il suffisait de la regarder pour comprendre tout de suite qu’elle ne devait pas être un modèle de bon caractère. Le menton haut, l’allure fière, droite malgré l’humiliation connue quelques minutes plus tôt... Elle l’aimait bien. C’était une femme avec du tempérament et dans ce monde dirigé par le sexe masculin, il était impératif de savoir ce que l’on veut, comme dans son cas. Quoiqu’elle avait plutôt opté pour un retrait social, mais c’était une autre histoire.

- À moins qu’elle ne soit muette, j’aimerais parler avec votre compagne directement. elle s’était arrêtée, les mains jointes, mais cachée dans ses longues manches. C’est possible?

Myrhyarmen sentait son jeune disciple se tortiller sous sa main, semble-t-il mal à l’aise. Pour sa part, sereine, elle se contentait d’écouter avec attention son environnement, à l’affut du moindre détail. La cécité n’était vraiment pas quelque chose qu’elle supportait facilement, il était lassant de toujours chercher à déterminer la position de son interlocuteur ou de tâtonner à la recherche d’éventuels obstacles. Si Thyräel n’avait pas été là, elle serait devenue folle, bien qu’être aussi dépendante de son aide ne l’enchantait guère. Ainsi, leur nouvelle amie se nommait Anima. Un nom qui ne lui disait rien, mais ce n’était pas étonnant, au fond, il y avait trop de mages pour retenir tous leurs noms. La nouvelle allusion qui fut faite à propos de l’étrange phénomène dont elle avait été l’instigatrice ne fit que la renfrogner un peu plus et ses sourcils s’arquèrent un peu plus.

« De quoi parle-t-elle.. ?
Tu n’as toujours pas compris ? »

Kÿria semblait légèrement irritée, comme si elle avait l’impression d’expliquer une évidence à un enfant un peu lent… Et pour ce que la concernée en savait, c’était peut être le cas.

« Depuis toujours, tu utilises la musique comme substituts aux incantations… Pas étonnant donc qu’il arrive des imprévus quand tu te laisses totalement aller. Tu n’es plus une simple prêtresse, Myrhyarmen, ne l’oublie pas.
Je vois… »

Comme à chaque fois qu’elle dialoguait avec la Déesse, son visage s’était fait pensif et légèrement distant. Même si ce qu’elle apprenait ne l’enchantait guère, tout devenait enfin clair. La mage avait surpris les égarements de la Gardienne et sa curiosité en avait été piquée. C’était en soit embêtant, le moment de se révéler n’était pas encore venu, et il lui faudrait trouver de quoi satisfaire Anima sans pour autant trop en dire. En aucun cas elle n’irait jusqu’à lui mentir, mais les demi-vérités étaient ses plus fidèles amies depuis longtemps déjà. De nouveau, la voix se fit entendre, mais pas là où elle l’attendait. Se faire surprendre était dérangeant, mais elle se força à rester impassible - ce qui équivalait, dans son cas, à afficher une légère moue irritée. Malheureusement, ses paroles l’étaient encore plus car c’était exactement ce à quoi elle s’attendait.

« Ne dis rien, laisse la parler. »

Thyräel n’hocha même pas la tête, il n’en avait nul besoin. Il observa donc la mage décrire son arc de cercle, se détendant légèrement. A priori, elle n’était pas venue pour leur faire des misères, et c’était en soit rassurant. De plus, le calme apparent de Myrhyarmen aidait à l’apaiser, comme la plus part du temps. Comme paniquer quand sa mentor reste impassible ? Ses lèvres s’étirèrent en un mince sourire quand Anima demanda à ce qu’elle prenne la parole. Doutait-elle de son mutisme, ou bien s’agissait-il d’une petite provocation glissée dans la conversation avec l’espoir de la faire réagir ? L’un dans l’autre, ça n’avait pas vraiment d’importante, elle allait devoir le supporter comme intermédiaire.

« Dis lui juste que les servants de Kÿria jouissent de certains privilèges, rien de plus.
- Les servants de Kÿria jouissent de certains privilèges, dame Anima.
Tu en dis trop, Thyräel. Arrête de jouer et concentre-toi. »

Surpris, le concerné ne releva cependant pas. Parfois, Myrhyarmen pouvait se montrer inutilement blessante, et il avait appris à passer outre. Et, surtout, il avait accès à des informations qu’elle ne pouvait plus appréhender, comme le léger froncement de sourcils qu’avait eu la mage quand il lui avait parlé. Autant éviter de l’offenser encore un peu plus, en se montrant un minimum poli. Et puis, au fond, cela lui faisait plaisir de parler à quelqu’un d’autre que la Gardienne. Il se demanda pourquoi elle ne révélait tout simplement pas elle ne pouvait pas répondre elle-même, il n’avait pas souvenir qu’elle en tire une quelconque honte... Décidément, elle avait des raisons que la Raison ignorait ! Eh bien, il était temps de la surprendre un peu.

« Il nous reste quelques provisions, si cela vous intéresse…
THYRÄEL ! »

C’était la première fois qu’il ressentait quelque chose de semblable… Ce n’était pas douloureux, loin de là, mais c’était ce qui ressemblait le plus à un cri de la part de l’elfe rousse, qui abordait un visage fermé et presque menaçant. D’habitude, les phrases qui résonnaient dans sa tête étaient monocorde, là les trois syllabes avaient été fortement appuyées, comme pour marquer son désaccord. Se tournant vers elle, il parla d’une voix qu’il voulut calme et assurée.

« Ne vous inquiétez pas, dame Anima ne nous fera pas de mal… Et puis, vous aurez l’occasion de lui parler de Kÿria, comme vous aimez tant le faire. »

Depuis qu’elle était Gardienne, Myrhyarmen ne remplissait plus son rôle de prêtresse, elle était restée recluse afin de se faire à sa nouvelle situation. Mais le jeune elfe n’avait pas oublié avec quelle passion elle « parlait » de la Déesse, et quel était son talent pour captiver les foules. Être aveugle la rendait méfiante au possible, et il trouvait ça dommage. Elle se détendit légèrement, et lui lança une dernière remarque avant de lui lâcher son épaule.

« Ne me refais jamais ça, c’est compris ? »

La mage penchant légèrement la tête sur le côté, signe qu’elle se posait des questions. L’étrange duo n’était pas intéressant en tant que tel. Seul le sort utilisé l’était. Ce contrôle sur les plantes, l’énorme potentiel défensif que cela avait... Ça piquait son intérêt plus que toute autre chose. La nature peut être une force dévastatrice vraiment impressionnante.

À sa question, ce fut le garçon qui y répondit, une fois encore. Irritant. Se moquaient-ils d’elle? Cet état d’esprit se traduit par un léger froncement de sourcils qui ne dura toutefois pas longtemps. Au moins, elle connaissait désormais l’origine du pouvoir de la femme elfe. De toute sa vie, elle n’avait que rarement rencontrer de prêtres, son isolement volontaire y jouant pour beaucoup, et encore moins capable de telles prouesses. Sur ce point, Anima ne put qu’être impressionné. Ses connaissances en prêtrise n’était pas très développé à cause du manque d’intérêt et la sang-mêlé pouvait donc difficilement évaluer le niveau de l’aveugle devant elle, mais cela resta du registre de ses pensées. Ce n’était pas le temps de les offusquer outre mesure.

- Privilèges impressionnant, je dois l’admettre. Les prêtres de Kÿria possède une force enviable.

Commentaire poli, sur un ton neutre, mais d’où une pointe d’admiration n’était pas à négliger. Comme elle aimerait en faire de même. Sa tour n’aurait plus aucun problème et, même sans No. 6, ses trésors seraient en sûreté. Des ronces seraient intéressants. Des ronces rampants sur le sol jusqu’aux pieds des intrus avant de les prendre dans leur anneau, tel des serpents constrictors. Il n’y aurait moyen de défense plus efficace. Avec la peau épaisse de sa créature, les deux pourraient oeuvrer admirablement bien de concert.

Vint ensuite la proposition, plus étrange qu’autre chose aux yeux de la mage, concernant leurs provisions. Avoir été plus expressive, une profonde surprise se serait dessiné sur ses traits. Anima laissa les deux compagnons à leur « discussion » et ce fut lorsque leur attention fut de nouveau sur elle que la sang-mêlé répondit à l’invitation :

- Je ne crois pas que je vais accepter. De toute façon, je ne manges pas beaucoup à la base, alors... Et puis, je ne crois pas être si bienvenue que cela.

La prêtresse abordait depuis le début un air mécontent. Si son départ lui permettait d’éviter de supporter la mauvaise humeur de l’elfe. Cela ne la dérangeait pas spécialement. Anima était d’ailleurs habituée à être détesté ou isolé du reste du monde, alors pas deux de plus ou de moins, ça ne changeait pas grand chose...

- Et puis, je ne voudrais pas vous priver de vos réserves. Cependant, comme je l’ai dis plus tôt, j’aime parlé de magie, quelle soit profane, ecclésiastique ou druidique, si je peux en apprendre plus, cela m’intéresse.

Les froncements de sourcils et autres mimiques énervées, Myrhyarmen n’y avait pas accès et c’était tant mieux. Il y avait peu de chance, de toute façon, qu’elle adapte son humeur à celle de son interlocutrice surprise, l’inverse étant bien plus fréquent. Mais il y avait plus grave que l’impatience qui perçait dans la voix de leur invitée. Thyräel n’avait jamais pris ainsi d’initiatives, et il aurait été agréable que cela ne change pas. Elle avait cru bien l’éduquer, et voilà qu’à la première occasion, il lui démontrait le contraire. Elle allait devoir y remédier, surtout maintenant qu’elle était Gardienne. Elle ne voulait même pas imaginer le désastre qu’il pourrait provoquer en en faisant qu’à sa tête alors qu’elle aurait besoin de lui.

Le commentaire qu’elle saisit au vol lui arracha une petite grimace sceptique qu’elle ne chercha de toute façon pas à réprimer. De toute façon, elle tournait le dos à ses interlocuteurs, elle ne voyait donc pas pourquoi elle aurait du faire un effort. Formulé comme ça l’avait été, il y avait quelque chose de dérangeant… Comme si on décidait de vouer sa vie à Kÿria dans l’unique but d’obtenir des « privilèges impressionnants ». C’était insultant, même, de remettre la foi et la dévotion des prêtres en cause de la sorte. Elle allait devoir lui expliquer les choses, les remettre dans leur contexte.

Mais déjà, elle parlait de s’éclipser. Fronçant les sourcils, elle se retourna et tapa dans ses mains, histoire de s’assurer l’attention de Thyräel. Elle laissa ensuite ses bras décrire courbes et arabesques dans l’air, « parlant » par signes puisque la voix lui avait été refusée. C’était une autre sorte de danse, silencieuse, n’utilisant que les mains et les bras. Un langage qu’elle avait lentement construit avec ses parents, palliant ainsi à son handicap. D’abord surpris, le jeune elfe hocha sa tête et la tourna vers Anima. Bien conscient qu’une nouvelle transgression serait mal vue de la part de l’elfe, il s’appliqua à restituer au mieux son message.

« Myrhyarmen vous invite à venir vous assoir avec nous, elle affirme que j’ai ramené bien trop de nourritures pour deux, de toute façon. »

Il reporta ensuite son regard vers la Gardienne, qui déjà entamait une nouvelle « phrase ». Suivre ses gestes amples et fluides était parfois difficile, elle avait tendance avec l’énervement à « mâcher » certains gestes, histoire de gagner du temps, mais il s’en sortait plutôt bien. Quand elle eut terminé, il reporta de nouveau son attention vers Anima et réfléchit quelques instants à la meilleure traduction. Il ne comprenait pas ce qui poussait sa mentor à agir de la sorte.

« Elle vous promet de… combler vos lacunes en matière de Foi et de Magie, ainsi que de vous aider à vous débarrasser de préjugés malheureux. »

Débarrasser Anima de préjugés malheureux ? Où voulait-elle en venir ? Thyräel n’en avait aucune idée. Surement cela se rapportait-il à une réplique de la mage, mais laquelle au juste ? Ah… Si l’ancienne prêtresse avait pu être plus simple à cerner, par moment, il ne se serait pas plaint. Esquissant un doux sourire, il attendit la réponse de la concernée. Elle était belle, l’étrangeté de ses cheveux ne faisait que renforcer le charme mystique de sa fonction. Mage… Il se demandait ce qu’elle pouvait faire au juste. Une question qu’il poserait surement, si elle acceptait leur proposition.

« Cela vous intéresse-t-il, dame Anima ? »

Alors qu’Anima croyait l’heure du départ venu, la femme tapa dans ses mains et se mit à décrire une série de gestes avec ces dernières, ce qui capta son attention et l’alerta. L’utilisation de la magie pouvait se faire de multiples façons, par geste en autre. C’est pour, de manière presque inconsciente, la mage commença à concentrer ses pouvoirs en vu de se défendre. Toutefois, cette préparation ne se fit que mentalement et, physiquement, tout cela ne parut aucunement. Seul son regard s’était quelque peu durci. Puis, elle attendit de voir la suite des évènements.

Cependant, le garçon hocha la tête, comme s’ils étaient entrain de parler ensemble. Ce fut à ce moment qu’Anima fit un lien entre le fait que ce soit l’enfant et non la prêtresse qui parle. Même si elle ignorait comment ils pouvaient communiquer de cette façon, mais le duo en face d’elle devait y parvenir par ces étrangers signes. Intéressant. C’était une forme de langage... Originale.

Puis, le garçon s’adressa à elle, probablement porteur du message de sa maîtresse. Ce qui fut effectivement le cas alors qu’il lui transmit le message de l’aveugle et fort probablement muette. La sang-mêlé ne pipa mot, notant que la prêtresse recommençait déjà à gesticuler afin de communiquer avec le jeune elfe. Étrange vision que celle-ci. Les « paroles » de cette dernière lui furent une fois de plus transmise. Malgré qu’un autre ait pu interpréter les « paroles » comme offensante, Anima, au contraire, hocha la tête en signe de compréhension et attendit la suite. À vrai dire, sa manière de pensée faisait en sorte que, là où il y avait une insulte pour d’autres, Anima n’y voyait que bénin commentaire.

- Ce pourrait être, effectivement, intéressant. sourit-elle avec un intérêt certain. J’ai effectivement des lacunes en matière de prêtrise. Ça ne m’avait jamais réellement intéressé dans la passé, mais maintenant désormais, me pencher un peu plus sur le sujet me semble approprié... Jeune elfe.

La métis aurait bien voulu l’appeler par son nom, mais c’était malheureusement une information qui lui manquait. La femme, quant à elle, s’appelait Myrhyarmen. Bien. Elle ne l’oublierait pas.

- J’imagines que vous avez un prénom. Quel est-il? Ça facilitera la discussion.

Et puisqu’elle resterait tout de même un moment, Anima décida de s’installer confortablement. Rester debout n’était pas un problème pour elle. La mage pouvait facilement prendre cette pose pendant plusieurs heures sans se sentir gênée ou fatiguée par cela, mais en vu des longues heures et nombreux jours qu’il lui restait à marcher, mieux fallait économiser ses forces. Surtout avec un corps comme le sien.

- Donc, vous êtes un prêtresse de Kÿria. commença Anima sans plus de préambule en s‘adressant directement à Myrhyarmen. Je n’ai que peu de fois eu affaire à des prêtres. Comment usez-vous de vos pouvoirs? Quels énergies devez-vous puiser?

Tout en posant ces quelques questions de base, la mage plusieurs fois centenaire se dirigea vers un arbre dont une précédente tempête devoir avec coucher à terre et y prit place. L’endroit qu’elle avait choisi pour s’asseoir n’était pas très loin, à peine deux ou trois mètres, alors la communication se ferait sans difficulté.

- Hum... De plus, afin de m’en assurer. Êtes-vous muette pour communiquer de cette façon avec votre suivant? Un simple signe de tête fera l’affaire. Cela facilitera la compréhension mutuelle de notre échange. Si cela n’est pas le cas... Et bien, c’est du pareil au même. Que ce soit une impossibilité ou un refus, la différence est minime et le résultat reste le même. Ah, mais je m’égares. Il est beaucoup plus intéressant de parler magie.

Une fois encore, elle cacha ses mains dans ses longues manches, un petit sourire satisfait et content sur les lèvres. S’il restait peu expressif, son regard d’acier démontrait tout de même la soif de savoir qui l’habitait et l’intérêt sincère pour ce que la prêtresse avait à lui « dire ».

« Je m’appelle Thyräel » s’empressa-t-il de la renseigner.

Le doux sourire dont il la gratifia témoigna de toute l’étendue de son innocence adolescente. Il n’avait pas de passé, du moins pas avant sa rencontre avec Myrhyarmen. Il n’avait pas d’avenir non plus, sinon de la suivre et de toujours retranscrire le plus fidèlement possible ses paroles. En ce sens, il était plutôt chanceux, car il pouvait sans arrière pensée vivre dans l’instant présent, sans se soucier de demain ou d’après demain. Sa mentor le faisait pour lui. Il n’avait aucune indépendance, parfois quelques simulacres de rebellions comme ce qu’a mentor le faisait pour lui. Il n’avait aucune indépendance, parfois des simulacres de rebellions comme ce qu’il avait pu montrer quelques instants plus tôt, mais jamais rien de bien conséquent. En ce sens, il avait bien été éduqué, parfait outil dont l’unique but était de pallier à l’handicap d’une prêtresse devenue Gardienne. Cette dernière ne put retenir une énième grimace agacée quand elle découvrit qu’Anima avait encore bougé. Elle hocha un peu sèchement la tête pour lui répondre, avant de faire les gestes adéquats et Thyräel sourit malgré lui, seul signe révélateur - et heureusement silencieux - de son amusement.

« Myrhyarmen vous demande d’arrêter de bouger sans arrêt. »

Les deux s’assirent ensuite, puis elle commença son discours. Les gestes étaient amples, mais parfois un peu rapide, pas toujours très précis, ce qui compliquait légèrement la tâche de son interprète.

« Ce que vous appelez vulgairement Magie, nous le voyons comme un présent des Dieux... Ce que vous venez de voir n’était pas de la Magie, c’était la manifestation d’une Foi profonde envers Kÿria. Quand nous formons des novices, nous ne leur apprenons pas des formules, des gestes précis ou même des rituels compliqués. Non, nous nous contentons de les guider vers la Déesse Mère, nous les aidons à trouver en eux la Foi, avant de lui enseigner les façons de le montrer aux autres. Il… »

Thyräel se tut, esquissant une grimace désolée. Il lança un regard d’excuse à la mage avant de regarder Myrhyarmen, qui avait cessé ses gestes et attendait une explication à son mutisme. Depuis qu’elle s’était lancée dans son discours, il avait pris peu à peu de plus en plus de retard, et il était arrivé un moment où il n’avait pas pu suivre d’avantage.

« Vous allez trop vite… Je n’arrive plus à suivre. »

Soupirant peut-être injustement, car il était vrai que l’exercice qu’elle lui imposait n’était pas des plus simple. Elle lui fit signe d’approcher.

« Tu es dure avec lui, pauvre enfant.
Il doit apprendre, c’est tout. »

Obéissant, il se leva et vint s’assoir à ses côtés. Dès qu’elle le put, elle lui posa la main sur l’épaule.

« Il nous faudra plus pratiquer, tu perds l’habitude. Bien, concentres toi maintenant, tu n’as plus d’excuses.
- Le plus important chez un prêtre, ce n’est pas la puissance de ce que vous appelez sa magie mais la façon dont il s’en sert pour transmettre sa Foi. »

Il attendit, mais rien ne vint en plus. Dommage, il avait presque réussi à tout retranscrire sans avoir a passer par leur étrange connexion. Ils auraient pu continuer sans, d’ailleurs, mais il semblait que tout les deux préféraient faire simple.

Thyräel. Bien, cela faciliterait l’échange. S’adresser à des gens dont on ne connaît pas le nom n’est que rarement un problème pour Anima. Cependant alors que le jeune elfe devenait son interlocuteur, et probablement pour un certain moment, elle tenait à pouvoir l’interpeller par autre chose que « hey. », « toi. » ou « le garçon ». Et puis, ça mettait les gens en confiance, qu’on les appelle par leur prénom.

Plus que les deux jeunes gens en face d’elle, ce qui fascinait la curiosité et la soif de savoir d’Anima était sans conteste les « paroles » silencieuses qu’ils s’échangeaient. C’était un spectacle drôle, mais aussi hautement estimable. On ne pouvait s’improviser détenteur d’un langage composé uniquement de signes aussi facilement. Ils devaient avoir passé nombres d’années à parfaire ce moyen de communication. Pour cela, elle les admira grandement. Si leur rencontre n’était pas destinée à ne durer que très peu de temps, la mage aurait demander à la suivante de Kÿrya son enseignement, mais, malheureusement, ils n’auraient pas ce temps, malgré qu’ils soient tout trois immortels.

- Je ne bougerai plus d’ici. Promis. sourit-elle comme si elle parlait à un enfant, sans toutefois vouloir être méchante.

Puis, elle recommença son étude des amples arabesques que décrivaient avec agilité la jeune femme, tout à fait sérieuse. Sans vraiment le vouloir, Anima hochait la tête, malgré qu’elle ne comprenne pas. Vint ensuite la traduction tant attendue. Cette dernière fit naître un sourire réellement amusé sur les lèvres de la sang-mêlé qui se força à se composer un visage neutre.

L’explication, dans son ensemble, ne lui donna toutefois pas vraiment les réponses qu’elle attendait. Toutefois, elles étaient bel et bien là. Un présent des dieux... Anima ne réfutait pas leur existence, mais ne perdait pas non plus son temps à les vénérer. Arcamenel n’en valait pas la peine à son avis, Calimehtar était le dieu de la guerre, trop secondaire à son goût, Tari, respectable, certes, mais la mort ne pouvait qu’être repoussante à ses yeux, la vie donnée par Elenwë, enlevée facilement et, Kyrÿa, protectrice de la forêt, donc inutile pour ses propres intérêts. En sommes, peu importait leur puissance, les dieux n’avaient rien pour charmer Anima. Aux autres le soins de les vénérer.

Malgré tout, elle venait d’en découvrir un côté attirant. Et c’est en cela qu’Anima désirait en savoir plus.

Le garçon se plaint au bout d’un moment qu’il ne pouvait plus suivre le discours gestuels de sa maîtresse. La mage ne put qu’admettre que plus le temps avançait et plus la suivante de Kyrÿa allait vite. Pauvre enfant... Le jour où il serait temps d’apprendre à sa fille comment user de sorts, Anima se montrerait plus patiente et compréhensive à son égard. Thyräel alla s’asseoir près de Myrharmen qui posa une main sur son épaule. Et, comme au début, il s’adressa à Anima comme s’il pouvait lire les pensées de sa compagne.

- Je vois. finit-elle par dire alors que tous redevenaient silencieux. C’était très intéressant. Et comme je m’en doutais, il y a un grande différence entre la façon de penser d’un mage et d’un prêtre. Entre Foi et pouvoir, le fossé est énorme. Je vous remercies tout de même de votre enseignement, il m’est très profitable.

Devenir prêtresse, jamais, mais qui sait? Elle pourrait se trouver un allier, prêtre de Kyrÿa, pour garder la tour. Ça devait se faire, non?

- Et vous? Vous êtes quoi, par rapport aux autres fidèles? J’imagines que l’on n’acquiert pas dès le départ ce genre de pouvoir relier à la foi. Vous devez être placé assez haut, hiérarchiquement parlant. Ou est-ce que tous sont égaux en frais de dons?

Contrairement à ce que l’on pourrait s’attendre de sa part, Anima n’avait que peu de connaissances dans ce domaine. Pour elle, ils étaient tous prêtres, certains moines. Ils officiaient les mariages et autres cérémonies du genre, mais leur organisation et leurs pouvoirs lui étaient encore inconnus, même à ce jour. Ce n’est pas comme si cela l’avait intéressée auparavant de toute façon...

Elle allait rester immobile, avait-elle dit. C’était une bonne chose. Myrhyarmen avait fait le choix de ne pas relever le petit ton ironique employé, se contentant d’un énième froncement de sourcils. Elle n’était plus à cela près, de toute façon, et il lui revenait alors les habitudes de la prêtresse habituée à instruire les novices. D’ailleurs, elle aurait fait une instructrice de génie sans son mutisme. Tout du moins, elle aurait pu l’être si on mettait de côté son impatience et son mauvais caractère. Finalement, Kÿria avait peut-être voulu éviter à ses futurs prêtres un calvaire avec sa Gardienne tyrannique.

Et puis vint la question qu’elle redoutait. « Qu’était-elle ? ». Une interrogation à laquelle elle ne voulait absolument pas répondre. Non pas qu’elle en ressente une quelconque honte, loin de là. C’était même tout le contraire, un mélange de fierté et de joie. Elle était la Gardienne, l’elfe chargée de faire le lien entre Kÿria et son peuple. Elle était l’Elue de l’Ainée, sa Voix. Du moins, aurait du l’être. Au lieu de cela, elle devait passer elle-même par un intermédiaire. Thyräel… Elle était certaine qu’elle aurait pu être plus patiente avec lui s’il ne lui rappelait pas en permanence son handicap et sa dépendance à son sujet. Elle était une Voix muette, et à cause de cela, elle ne comprenait pas le choix de sa Déesse.

« Ne te torture donc pas. Je sais ce que je fais, fais moi confiance. »

Sa main se resserra sur l’épaule de son jeune disciple, qui leva instinctivement la tête vers elle, interrogateur. Secouant légèrement la sienne en signe de négation. Myrhyarmen semblait totalement ailleurs, alors qu’elle parlait pour la première fois de son statut avec Kÿria.

« Pourquoi moi ?
Les Gardiens se suivent, mais ce sont toujours les mêmes questions qui les hantent.
Mais…
Patience, Myrhyarmen. Tu comprendras le moment venu. »

Pas vraiment satisfaite de cette réponse on ne peut plus mystérieuse, la concernée se força à revenir à la situation présente. Elle ne pouvait pas le savoir, mais Thyräel la fixait, légèrement inquiet. Il avait déjà vu sa mentor devenir légèrement distraite, mais voilà bien dix secondes qu’elle n’avait pas bougé. Il fut donc on ne peut plus soulager quand il la vit secouer légèrement la tête et esquisser une légère grimace agacée.

« Vous allez bien ? »

Il n’eut pour unique réponse qu’un lécher hochement de tête. Alors qu’il retournait la tête vers Anima, prêt à jouer son rôle, il sentit la main qui tenait son épaule la lâcher et un rapide coup d’œil lui apprit que Myrhyarmen se levait. Une fois sur ses jambes, elle entama une nouvelle série de geste, plus lent que les derniers. Sans chercher à comprendre le pourquoi du comment, il entreprit de traduire.

« Vous ne semblez pas vraiment comprendre... Le pouvoir n’est pas important en tant que tel. S’il est vrai qu’un Haut Prêtre sera généralement plus puissant qu’un Prêtre, c’est tout simplement parce que son pouvoir sera la preuve de sa Foi. »

Dès qu’elle eut terminé ses gestes, elle porta la flûte à sa bouche, et entama une douce et légère mélodie. Après une petite dizaine de secondes, un oiseau perça le feuillage des arbres et vint se poser sur sa tête. Elle termina sa série de note puis abaissa sa flûte et esquissa un léger sourire en coin. Très doucement, elle recommença alors à « parler ».

« S’il est venu, ce n’est pas parce que mon pouvoir est grand, mais parce que je lui ai promis qu’il ne lui arriverait rien, et qu’il m’a fait confiance. »

Pendant un moment, il sembla à Anima que la femme elfe était... Ailleurs. Cependant, cet impression s’était produit quelque fois depuis le début de la conversation, même si cela avait été moins long. C’était probablement pour réfléchir, comme il lui arrivait souvent à elle. Après tout, même avec une grande intelligence, il faut parfois prendre le temps de classé les informations que l’on veut afin de ne pas embrouiller l’autre de termes et des concepts qu’il ne pourrait comprendre.

Là était le plus grand problèmes de gens de sa catégorie : devoir conjuguer leur Art et la compréhension relative du commun des mortels. Difficile, difficile... Il était encore plus simple d’apprendre à un vieux singe des tours. Si seulement tous pouvait être en mesure de comprendre... Le monde s’en porterait bien mieux...

Néanmoins, même le jeune compagnon de la prêtresse de Kÿria s’inquiéta. Pauvre enfant. À voir les multiples grimaces agacées et sa façon de «　communiquer　», il devait avoir la vie dure. L’avantage de vivre seule : On n’a pas à supporter les autres. Et dire qu’elle allait devoir retourner à la civilisation... Ce serait une véritable plaie...

Vint ensuite une autre série de geste. Trouvant le spectacle intéressant, Anima s’y attarda, portant ensuite sur regard d’acier sur le jeune garçon afin d’entendre ce que la suivante avait à «　dire.　» Puis, elle médita sur les «　paroles　» de la prêtresse, n’étant pas sûre de saisir les raisons poussant un homme, ou un femme, à vénérer un dieu autrement qu’à cause du pouvoir. Le manque de logique dans tout cela la resta muette d’étonnement.

À la suite de cela, Myrhyarmen porta une flûte à ses lèvres. La mage écouta, respectant un silence poli, la douce mélodie qui résonna dans la forêt. L’oiseau qui s’aventura jusqu’à l’épaule de la musicienne n’impressionna pas beaucoup Anima. Après tout, cela faisait parti de ses pouvoirs, et les animaux ne l’intéressaient pas vraiment. Le contrôle des plantes, comme lors de son arrivé, était beaucoup plus intéressant.

- Je vois. La différence entre les mages et les prêtres est énorme, c’est un fait incontestable. (Elle se leva.) Maintenant, il est temps pour moi de repartir. Je vous remercie toutefois pour votre enseignement et votre patience.

C’était fascinant, mais pour le moment, Anima devait continuer son voyage si elle voulait arriver un jour.

- Je n’oublierai pas vos paroles et méditerai à ce sujet.

Elle salua d’un signe de tête le jeune garçon et reprit sa marcha, s’enfonçant dans les bois de ne la même manière qu’elle en était surgit.

» Le roi sous la montagne (ou le Gormrik sous le Kazaz)
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