C'était une lance de cavaliers légers qui avançaient. Ils devaient être une demi-douzaine, couverts d'une bure à capuche, à la manière des moines, mais sous ces vêtures tompreuses, on trouvait des jaques et des épées. Un aspect bien guerrier pour des hommes se parant des atours monacaux. Comble de l'ambiguïté, l'un des porte-lame portait haut le blason de la chouette d'argent sur fond sinople, emblème du baron d'Ancenis comme du haut prêtre de Néera de la dite cité. Les ladres étaient partis d'Ancenis au triple galop. Ils étaient tous cavaliers émérites, ce qui trahissaient de nouveau leur métier d'armes. Cinglant sans cesse les chevaux qu'ils échangeaient à chaque auberge ou caravansérail, ils ne s'accordaient que peu de répit.
Bientôt, la petite troupe fut aux portes de Sybrondil. Les armées déjà se mobilisaient, et on pouvait voir aux pieds de la dernière muraille des tentes de toutes les maisons du Sud répondre à l'appel de leur seigneur le baron Erestor. Une fois passé les murs et introduits dans le palais, le chef de la bande démonta, puis, une fois à l'abri des regards indiscrets, se défit de sa bure de moinillon. C'était un jeune homme à la peau brune et aux cheveux noirs. D'une certaine jeunesse, il avait la mine moqueuse et le visage délicat. Son physique musclé et sa jaque imposante trahissait cependant son faciès de courtisan. Au niveau du coeur, l'emblème du Prisonnier, Arcam, était cousu sur le surcot qui enrobait l'armure.
Il était le neveu du baron borgne, cadet de l'un des frères d'Aemon. On l'avait d'abord orienté vers le sacerdoce, mais sa vie dissolue et son caractère retors le conduisirent vers Arcam. Autant dire que cet étrange moine, à la fois chevalier et homme de foi, était un mélange à la fois bizarre et efficace. Lorsque le chambellan le reçut, Bède d'Ancenis se présenta de sa voix grave et envoûtante. Il était là pour parler de toute urgence au baron Erestor. Le sujet : la guerre. Bientôt, on le fit entrer dans une pièce où trônait le baron. Le jeune homme s'inclina puis, après les salutations officielles, il déclara d'une voix assurée.
"Messire, je suis ici au nom du baron d'Ancenis, qui me fait ici l'honneur grand et dangereux d'être sa voix. Puissiez-vous écoutez le messager et ne pas prendre ombrage de ce qui l'amène. Vous savez que la guerre se profile, doux sire. Les armées de mon oncle vont renverser le roi sorcier et m'a demandé de venir ici anonymement, pour que je vous déclare sa demande. Il vous propose de rejoindre sa cause en anéantissant les alliés du roi, en échange de quoi, une fois la Péninsule rendue à sa gloire d'antan, vous disposerez de nombreuses terres en Soltarie et sur les domaines royaux."