Une odeur peu alléchante [Adélina & Entité]

La visite auprès de la médée ne s’était pas déroulée comme le Rokvenha l’avait souhaité. La vieille n’avait pas été tendre avec lui et l’avait sèchement remis à sa place en lui rappelant qu’il n’était rien aux yeux du Wagyl, Prince des mers. Le Capitaine l’avait difficilement encaissé, non pas parce qu’il estimait qu’elle avait raison, mais uniquement par respect pour cette vieille personne qui, pour lui, était une réelle proche de la Mère des Eaux. Néanmoins, le capitaine gardait un goût amer quant à cette entrevue. Quelque chose l’avait marqué plus que le fait d’avoir été rabaissé, c’était bien plus grave encore, pour lui. Sa véritable identité avait été dévoilée.

Comment cette vieille femme perdue au milieu du bayou aurait-elle pu le savoir ? Était-ce là une preuve d’une quelconque magie ? Ou lui avait-elle jouait un tour, avec un de ses proches comme complices ? Quoi qu’il en soit, Caleb, avait du mal à oublier ça. Lui qui avait tant fait pour cacher son véritable nom, pour des raisons qui lui appartenaient, savait maintenant que même sa prisonnière était au courant de son plus grand secret. Il avait songé à la tuer, oui, comme il avait hésité à tuer la médée sur un coup de colère habituel. Cependant, il ne l’avait pas fait car Adélina avait une certaine valeur à ses yeux et pour qu’elle puisse la garde, il fallait qu’elle reste intacte… comme sa progéniture.

Adélina avait elle aussi décidé de rencontrer la voyante pour des questions qui lui étaient personnelles et Caleb n’avait rien entendu de tout ça. Tout ce qu’il comprit c’est que la jeune femme avait elle aussi été bouleversée par la rencontre car c’est une toute autre qui était ressortie de la cabane. Le capitaine n’avait pas posé de question car il jugeait cela inintéressant et surtout s’était déjà tourné vers sa prochaine destination : L’île aux pins.

C’est sur cette île que la médée l’a envoyé chercher un objet inconnu. Tout ce qu’il avait comme indication pour le trouver était une odeur désagréable qui lui resterait dans le nez pendant quelques temps encore. Trouver la source de cette odeur était devenu son principal objectif car c’était là une sorte de mise à l’épreuve afin d’obtenir ce qu’il désirait. Le mécan ne reculerait devant rien ni personne pour mener à bien ses projets et même après le simulacre de conseil offert par la médée sur sa mortalité et sa force.

Une fois alors sortis des marécages, la petite troupe avait retrouvé ensuite le reste de l’équipage qui les avait accueillis chaleureusement. Le Capitaine n’avait perdu aucun instant et ordonna alors de reprendre aussitôt la mer pour se rendre à leur destination. L’île n’était pas loin, ils avaient choisit la Malvoie comme lieu d’accostage et l’île aux pins était juste au nord à quelques encablures de là.

Poussé par son envie débordante de finir rapidement ce qu’il avait à faire. Le Capitaine avait réuni les siens sur le pont afin de les tenir informés de la situation. Il avait expliqué la mise à l’épreuve donnée par la voyante et les raisons, qui n’étaient pas inconnus de certains. Tous prirent alors leurs postes, désireux de mener à bien leurs tâches et de voir leur capitaine accomplir ses volontés. Le Wagyl Noir reprit alors la mer en direction du nord de Méca.

Après un court instant à naviguer, le boutre arriva aux abords de l’île aux Pins. Le Capitaine décida de manœuvrer pour en faire le tour en partie et l’observer d’assez loin. L’île en question était de petite taille, comparée à Méca, mais une imposante montagne y trônait en son centre. Caleb ordonna alors que l’on accoste sur la cote sud, sur une plage assez dégagée de tout afin de s’y poster.

Le Wagyl Noir arriva alors aux abords de la plage, l’ancre jetée à la mer et les premières barques commencèrent à faire les aller-retours pour déposer les marins sur la terre ferme, bien décidés à trouver la source demandée.

Balayées par les vents venus du Nord, l’Isle aux Pins est peu visitée. Entourées d’eaux froides et tumultueuses, ses rivages sont tristes et mornes, il n’y règne que le chant de la brise marine, car même les volatiles iliens semblent ne pas l'approcher.
L’atmosphère est à la fois calme et inquiétante. La forêt de conifères est dense et sombre, source d’une obscurité oppressante. Les murmures et les chuchotements des vents tordant les cimes des pins donnent l’impression d’une présence invisible, d'un observateur constamment dissimulé dans l’angle mort. Ce manteau de verdure est percé d’un unique et imposant pic montagneux. Une rocaille escarpée, dangereuse et inhospitalière.

C’est au cœur de ces lieux lugubres qu’ils doivent s’aventurer, affronter une végétation seule maîtresse de ces paysages sauvages. À la recherche d’un parfum de mer et de mort.

Les bottes de la baronne s’enfoncèrent dans le sable mouillé alors qu’elle avançait sur la plage. Des marins étaient déjà sur la plage observant les alentours, en attendant que tous aient les pieds sur la terre ferme. La totalité d’entre eux étaient armés jusqu’aux dents, prêt à toute éventualité. On pouvait sentir la nervosité, la fébrilité dans l’air nauséabond. Un anxieux mélange qui ne rassurait guère la nordienne alors qu’elle s’arrêta près de Rocaille. Sa poigne se referma sur l’arc que le Rokvenha lui avait aimablement donné. Une arme qu’elle savait magnée et qu’elle avait déjà utilisée à de nombreuses reprises. Pour une fois, la nordienne avait un semblant de confiance. Elle ne serait pas impuissante aujourd’hui. Une vague s’écrasa de nouveau sur la plage, semblant avaler cette dernière, alors que les derniers marins sautaient de la barque pour rejoindre le capitaine.



Adélina se tourna vers le navire une dernière fois, comme si elle espérait apercevoir quelque chose - ou plus précisément quelqu’un. Au bout de quelques secondes, son air se referma et elle alla rejoindre le Rokvenha, ne voulant pas tester sa patience plus que limité. La jeune femme savait que ce dernier aurait besoin d’elle, vu qu’elle avait elle aussi l’odeur âcre qui s’était échappé des bocaux de la médée. Laissant les marins s’agglutiner autour de leur capitaine, la jeune femme resta derrière eux. Adélina n’était pas dupe. Elle savait pertinemment qu’elle était sur une corde sensible. La moindre erreur pouvait lui être fatale, surtout que maintenant, elle savait ce que le Rokvenha considérait comme sa plus grande faiblesse. Pour être honnête, cette dernière ne comprenait définitivement pas son acharnement, mais Caleb n’était guère un homme logique et sensible d’esprit et résonner avec ce dernier était définitivement une tâche monumentale. Elle s’était contenté d’acquiescer à sa menace silencieuse, et de ne pas mentionner une seule fois ce qu’elle avait entendu dans la cabane de la vieille femme. Pour le moment, cela semblait avoir suffi au capitaine, qui la laissait tranquille, alors qu’elle avait passé la majorité de son temps perdu dans ses pensées. Ce fut finalement un des marins qui rompit l’étrange silence qui s’était imposé sur le groupe. Sa voix semblant résonner sur la plage.


« Ca’ptain, v’ordres? »

Caleb avança sur la plage, râlant comme à son habitude à cause du sable qui s’engouffrait dans les chaussures et le gênait en séchant. Il s’arrêta alors un instant, ramené à la raison par Croqueuse et les autres marins qui le fixèrent attendant les ordres.

Le mécan renifla l’air ambiant, se disant que peut-être un léger effluve pourrait être sentie d’ici, mais rien, ça aurait été trop simple. L’homme grimaça, passa une main dans sa chevelure mi-longue pour se recoiffer et sembla hésiter quelques instants. Seuls Adélia et lui avaient pu sentir cette horrible odeur et seuls eux deux seraient en mesure de la reconnaître. La décrire aux autres ne serait surement pas suffisant pour la retrouver ou pire encore, pourrait les mener dans un piège mortel. Le Rokvenha se retourna alors, les bras ballants, ses deux lames courbées vers le bas dont les pointes chatouillaient le sable fin.

« M’foi… Y’a qu’la Rose et m’même qu’avons r’nifler c’tte odeur d’mort, va f’lloir voir si on s’coupe en deux avec elle et moi en tant qu’limier à r’nifler l’air comme deux clebs ou si on reste tous ‘semble car ça pourrait êt’ dang’reux. »

Il haussa les épaules, se tournant vers les autres comme pour sonder leurs avis aussi. La majorité des marins capables de se battre étaient descendus sur la plage, quelques-uns étaient restés à bord du boutre pour le surveiller. Parmi les explorateurs on retrouvait Rocaille, Noirâtre, Croqueuse et Morveux ainsi que d’autres recrues tout aussi armés et prêt à en découdre.

« Bon… ça va êt’ pas facile, mais j’suis d’avis d’se r’pprocher d’la montagne là-bas » Il la pointa d’une de ses lames. « J’sais pas c’qu’on r’cherche, j’sais pas c’qu’on trouv’ra mais… Y’a mon p’tit doigt qui m’dit qu’le seul cailloux d’cette île a quelque chose à cacher. »

Il moulina dans l’air comme pour ordonner qu’on se mette en marche. « M’Rose, laisse ton museau en l’air, vu qu’le tiens est plus r’finné tu d’vrais sentir l’odeur d’la merde plus ais’ment… Moi c’est dev’nu une ‘deur banale. » Il lui envoya un coup du plat de la lame sur son derrière pour la faire passer devant en riant.

Les marins s’avancèrent alors en direction de la forêt sombre et inhospitalière. Caleb regardait autour de lui et bien qu’il parût sûr de lui, en se détournant pour ne pas être vu des siens, il ne pu réprimer une grimace d’inquiétude avant de s’enfoncer sur cette île.

La baronne écouta silencieusement Caleb alors que ce dernier prenait la parole. Demandant pour une fois les avis de ses hommes. Chose qui sembla assez particulière pour la jeune femme. Cette dernière haussa un sourcil, avant d’observer la réaction des autres hommes et femmes qui suivaient le capitaine dans toutes ses mésaventures. C’était curieux. Peut-être que les dires de la médée l’avait dérangé plus qu’il ne le laissait paraître. Puis, semblant se raviser alors que personne n’osa prendre la parole, il décida finalement de traverser la forêt pour monter vers la montagne. Sans attendre, les pirates se mirent en marche. Adélina jeta un dernier regard vers le navire, essayant de voir une dernière fois son fils. Au bout de quelques secondes, elle se retourna pour avancer à son tour, laissant le mauvais sentiment qu'elle avait derrière elle. À peine eut elle passer le capitaine ce dernier lui envoya un coup du plat de son épée sur son postérieur. Sans attendre, la jeune femme se crispa, avant de s’arrêter. Elle lui lança un regard noir, ce qui sembla amusé quelques pirates avant de prendre la parole, murmurant pour que seuls Caleb ne puissent l’entendre. « Ne refais pas ça… » Puis, Adélina se retourna rapidement, se mettant à marcher. La dernière chose à laquelle elle avait envie était de se faire traiter comme une fille de joie. Adélina savait très bien que cela pouvait attirer la colère du Rokvenha, lui qui pouvait changer d’humeur pour un oui et un non, mais elle se sentait relativement en sécurité à ce moment présent. La raison était simple, il avait besoin d’elle.



Étonnamment, elle se retrouva rapidement devant la majorité des marins, s’avançant vers la forêt macabre qui s’imposait devant eux. Les prunelles balayèrent rapidement les alentours, alors que ses pieds semblèrent finalement trouver une certaine stabilité. D’un bond, la jeune femme monta sur un tronc, tentant de voir – ou plutôt sentir – l’odeur si particulière que la médée leur avait partager. La nordienne eut un léger soupir, se disant que trouver quelque chose ainsi auraient été trop facile. Tout ce qui les entourait était une odeur de feuilles mortes, de pluie et de vent salins. La jeune femme laissa passer quelques marins avant de descendre rapidement du tronc d’arbre, s’avançant silencieusement en suivant les pirates. Ils marchèrent ainsi pendant un bon moment. Étonnamment, la troupe était étrangement silencieuse. Tous semblaient être aux aguets alors qu’ils traversaient l’accueillante forêt. Soudainement, venant de nulle part, un rugissement lointain émana entre les arbres. Adélina se figea, sa main sembla se resserrer sur l’arc que lui avait donné le capitaine. Elle put sentir sa respiration s’accélérer alors qu’elle balaya de nouveau la forêt. Si la créature qui avait fait ce son ne semblait pas être près d’eux, le seul fait de l’entendre ainsi eut pour effet de glacer le sang de la jeune femme. Tournant la tête, elle chercha du regard Caleb, tentant tant bien que mal de se rassurer.

Le groupe de marins continuaient d’avancer dans cette forêt hostile. Tous avaient tiré leurs armes, parés à toute éventualité, regardant à droite et à gauche à la recherche du moindre mouvement et du moindre signe de danger. Caleb était à l’avant de son groupe, comme à son habitude, ses deux lames courbées tournées vers le bas et lui aussi semblait être sur ses gardes. Le mécan avait pourtant connu de nombreux combats et dangers, mais cette fois-ci, il s’attendait à quelque chose d’étrange, inhumain voir magique, tout ce qu’il détestait au plus haut point.

Soudain, quand le rugissement résonna dans l’épaisseur de l’île aux pins. Le capitaine se crispa et arrêta d’avancer, faisant signe aux autres de s’arrêter à leur tour. Scrutant les alentours à la recherche de l’origine du cri, il grimaça à l’idée de réellement la trouver et la rencontrer. Caleb se tourna vers les siens et Adélina et baissa le ton de sa voix. « Quoi qu’c’soit… Ca doit sur’ment s’caner. » Il s’efforça de paraître calme et rassurant pour tous, même si certains n’en avaient pas besoin comme Rocaille et Noirâtre, qui eux, n’attendaient qu’une chose : Se battre.

Croqueuse fronça les sourcils à son tour et en rattrapant le capitaine l’interpella. « La Médée t’as demandé de retrouver la source d’une odeur… Soit… Mais elle t’as pas dit c’que c’était concrètement ? » La question piqua au vif le capitaine qui sans la regarder secoua la tête. « Naye, C’queuse, j’crois qu’j’ai d’jà bien d’la chance d’voir ‘tait mit à l’preuve… Alors trop d’dices… »

La sang-mêlée opina et regarda Adélina par la suite. « Toi aussi t’as senti ? Ça sent quoi exactement ? » La Seconde chercha à se rendre utile à sa manière, pensant probablement que ses atouts de sang-mêlé pourraient servir au groupe d’expédition.

Ainsi tous continuèrent d’avancer dans la forêt, cherchant à se rapprocher encore de la montagne et probablement de la source de ce rugissement terrifiant.

La jeune femme eut l’impression que son sang se glaça alors qu’elle entendit la réplique du forban. Comment pouvait-il être aussi calme dans pareille situation ? On aurait dit qu’il savait déjà qu’es qui l’attendait, qu’il était prêt à conquérir tout, et ce, malgré la fatigue, malgré la peur. La nordienne replaça rapidement son manteau, profitant de la courte pause que leur avait ordonné le capitaine. Puis écouta vaguement la conversation entre la seconde et ce dernier. Elle avança vers le duo, et se fit interpeller par la sang-mêlée qui lui posa une question sur ladite odeur. La jeune femme haussa les épaules à la question de la seconde. Adélina se mordilla la lèvre inférieure, ayant un air pensif pendant une seconde, cherchant quoi répondre à cette question. Puis, au bout de quelques secondes, elle reprit finalement la parole ; « Je ne sais pas ce que c’était. » Commença-t-elle, « C’était un mélange étrange… Salin… Révulsant… » Difficile de décrire ce que cela était, surtout lorsque l’on n’en connaissait pas la source. Juste y repenser fit faire une grimace à la baronne. Elle avait presque l’impression de pouvoir sentir de nouveau l’odeur… Le vent souffla une nouvelle fois, faisant virevolter ses longues boucles brunes qui encadraient son visage. La jeune femme fit une grimace, se souvenant de la répugnante odeur.



Puis, ses yeux s’agrandirent alors qu’elle s’arrêta net. « Hey, Rokvenha… » Dit-elle assez fort pour qu’il l’entende, attirant son attention de nouveau. C’était bien la première fois qu’elle l’appelait par son surnom. Surnom qu’elle n’affectionnait pas particulièrement d’ailleurs, mais l’heure n’était pas aux analyses. Là, en ce moment, elle avait besoin du pirate sanguinaire. De celui qui n’avait pas froid aux yeux. La nordienne tourna la tête vers la direction du vent, avant de s’avancer à l’avant du groupe, passant les innombrables odeurs corporelles qui émanaient du groupe de pirates. Puis, lorsqu’elle fut à l’avant, Adélina leva légèrement la tête, attendant une nouvelle bourrasque qui ne tarda guère à venir lui fouetter le visage. Elle était là. Elle la sentait… Adélina tourna rapidement la tête vers Caleb, avant de lui faire signe de venir dans cette direction. L’effluve était lointain, mais la jeune femme en capta les traces. Une odeur aussi peu alléchante ne s’oubliait pas aussi facilement.

« Rokvenha » ce simple nom, qui est pourtant le sien depuis de nombreuses années, le fit s’arrêter net. Ce n’était pas le nom en lui-même qui provoqua cet arrêt soudain, mais bel et bien le ton et la personne qui le prononça. Adélina n’avait que très peu utilisé le surnom du capitaine. Peut-être par crainte de ne pas en avoir le droit d’usage, ou peut-être parce qu’il lui évoquait quelque chose qu’elle n’appréciait guère ? Quoi qu’il en soit, cette fois-ci, pour une raison qu’il ignorait sur l’instant, la jeune nordienne l’avait appelé « Rokvenha ».

Le mécan tourna alors la tête dans la direction d’Adélina et la fixa, un sourcil haussé en signe d’interrogation. En posant son regard sur elle, il ressentit ce frisson, cette douce sensation qui lui arracha un tressaillement presque de plaisir et qui couru le long de son échine ; La peur. Voilà bien longtemps qu’il n’avait plus ressenti pareil sentiment dans le regard de quelqu’un qui lui faisait face. Lui qui pourtant aimait, jusqu’à en jouer, lire la peur sur le visage de ceux qui croisaient sa route, n’avait plus était en mesure de le faire depuis quelques temps. Non pas qu’il n’en avait pas eu l’occasion, non, mais parce qu’il avait était bien trop occupé ces derniers temps sur ses affaires et sur des sujets bien plus sérieux que la simple piraterie et sauvagerie habituelle.
Cependant, cette fois-ci, il n’était pas à l’origine de cette peur. Peur qui d’ailleurs l’avait lui aussi saisit quand il avait entendu le cri lourd émanant des entrailles de la forêt. Cette même peur qu’il s’efforçait de cacher au plus profond de son être, comme à son habitude. Caleb avait peur, il avait toujours eu peur depuis sa tendre enfance, mais il avait compris que dans son monde, avoir peur était signe de faiblesse et par conséquent, d’être une proie. Le Rokvenha, lui, n’était pas une proie, ni un faible, il se sentait prédateur et pour se faire, avait dû maîtriser cette émotion en la cachant de tous. Courageux, il l’était, d’ailleurs ne dit-on pas que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité à la vaincre ? Et le mécan était bien souvent le vainqueur dans cet affrontement personnel, pour son bien, pour sa survie.

Quand Adélina indiqua la direction au Capitaine ce dernier renifla l’air à son tour, essayant de chercher la raison de pareille décision. Rien. Il ne sentit pas l’odeur infâme qu’il avait pu sentir dans la cabane de la Médée. Il sentait bien quelque chose, mais ce n’était que du bois, l’odeur du seul et de la végétation balayée par le vent. Il reporta son attention sur la jeune femme et fit signe aux autres pirates de s’arrêter. « T’sûre d’toi ? » s’assura-t-il en la fixant. La détermination de la jeune femme ne lui laissa aucun doute et finalement, il décida de prendre la direction indiquée.
De la pointe de sa lame courbée il désigna le sens de la marche et s’avança. A mesure qu’il marchait, Caleb reniflait l’air pour tenter de capter les effluves désirés, mais son odorat n’était pas assez fin et l’origine de l’odeur bien trop éloignée. Il avança alors encore, lentement, continuant d’observer autour de lui. Il le savait, si la baronne l’avait senti, la source ne devrait plus être bien loin, mais la créature qui avait glacé son sang aussi.

La forêt tremble. Des battements d’ailes précipités suivent le terrible cri coupé net d’une créature inconnue. Et le calme retombe, s’insinue entre les branches et les troncs, pèse sur les épaules des intrus.

Elle est ici.
Invisible. Implacable.
Elle observe.
Elle attend.
La Mort.

Son âpre parfum est charrié par une brise douce et légère, il s’infiltre par le nez et colle à la peau. Il s’agit là d’un espoir terrible pour ceux qui le cherchent en ces lieux. Qu’il s’agisse de courage ou de folie, leurs pas les mènent aux abords d’une petite clairière au sol boueux, témoignant d’une mort rapide et sans lutte. Des empreintes animales, une flaque de sang, la trace d’une carcasse trainée jusqu’à ce trou d’eau dont on ne distingue pas le fond.

Et à bien y regarder, dans la boue se dessinerait presque la marque d’un pied abords de la trouée. L’eau qui s’y trouve sent le sel et le pourri. Une odeur reconnaissable de ceux-là qui furent reçus par la Médée.
Et malgré l’odeur, cette eau ne semble pas stagner, non. Car cette eau, c’est la mer.

Elle n’avait pas eu besoin de répondre à la question du capitaine. Il n’avait suffi que d’un regard entre les deux êtres pour qu’il comprenne. Après tout, il lui faisait confiance, lui avait même dit qu’elle avait gagné son honneur sur ce boutre, chose qui, l’avait étrangement réconforté. Adélina se savait privilégiée, mais elle avait toujours cru que cela était du a la valeur que lui attribuait le capitaine comme marchandise. Mais la dernière conversation qu’ils avaient eue, avait totalement bousculé cette idée. Le Rokvenha lui faisait confiance, et Adélina n’aurait guère rompu ce lien, surtout lorsqu’il était la seule personne qui pouvait réellement la ramener chez elle en sécurité. Même dans ces moments de colère, il n’avait jamais levé la main sur elle, pas que l’envie semblait lui avoir manqué à quelques occasions, mais il ne l’avait jamais violenté physiquement.


Ainsi donc, la nordienne suivit son ravisseur sans dire un mot, alors qu’il conduit le groupe dans la direction que leur avait indiqué la baronne. Plus, ils avançaient, et plus l’odeur devenait rance. Adélina alla même jusqu’à retenir quelques hauts le cœur, guère habitué à ce genre d’odeur. Cela lui rappelait des événements qu’elle avait étouffés depuis bien des années. D’affreux souvenirs qu’elle ne voulait pas revivre. Elle pouvait sentir le sang, mais surtout cette odeur de mort… Au bout d’une marche qui lui sembla bien longue, le groupe arriva finalement à un espace dégagé, là où un gigantesque trou d’eau se trouvait.


Étonnement, la jeune femme s’approcha de la marque sanglante, la suivant prudemment avant de ne s’arrêter devant l’eau salée. Le vent poussait cette dernière contre la grève, alors que la mer semblait vouloir s’accrocher aux bottes de la baronne. Le regard de la nordienne se posa sur le trou, avant de se mettre à longer cette dernière, semblant vouloir apercevoir qu’est-ce qu’il pouvait se trouver au fond. Quelques pirates la suivirent, non pas par curiosité, mais probablement plus pour garder un œil sur le trésor du Capitaine. Après tout, tous connaissaient la valeur de la jeune femme, surtout après les quelques démonstrations qu’avait donné le Rokvenha. Au bout de quelques mètres, Adélina s’arrêta net, alors qu’elle aperçut une masse un peu plus foncée qui s’était déplacé au fond du trou. L’alonnaise eut un air quelque peu surprit, avant de froncer les sourcils, intrigués. Rapidement, la jeune femme leva le regard vers le capitaine, voulant s’assurer non seulement qu’il avait repéré ce qu’elle avait vu ou du moins cru apercevoir, mais aussi pour se rassurer. Elle fit un pas de reculons, mettant volontairement une certaine distance entre elle et la mer, puis attendit les instructions du Rokvenha.

A mesure qu’ils s’avançaient dans la direction donnée par la baronne, l’air se remplissait de cette odeur nauséabonde et reconnaissable. Les marins à l’odorat fin toussèrent lorsque les premières inspirations arrivèrent à leurs narines. « Bordel l’Rok’… Tu nous emmènes où ? » Grogna quelque peu la sang-mêlé qui était à ses côtés en recouvrant son nez dans son coude.

Le capitaine quant à lui était silencieux. Le visage légèrement relevé et reniflait l’air ambiant comme pour s’assurer que cette odeur était celle recherchée. La mort, le sang et la mer, voilà ce qu’était ce mélange mal odorant qui ne semblait pourtant pas déranger le mécan. Des odeurs qui lui étaient familières ou du moins, qu’il avait déjà connu à quelques reprises.
Il continuait d’avancer jusqu’à arriver à un trou, creusé au centre d’une plaine. Un bassin presque artificiel aux vues de sa position centrale dans l’île et duquel les relents parvenaient en effluves à mesure que les remous agitaient la surface.

Il posa son regard sur Adélina qui lui confirma à son tour que l’odeur provenait de ce bassin et lui-même fit signe aux marins que leur destination était atteinte. Chacun d’entre eux rajusta sa prise sur leurs armes, parés à toute éventualité. A la vue des traces, des carcasses et du sang, cet endroit semblait être un repaire pour une quelconque créature ou même « chose ».

Le Rokvenha se rapprocha encore et il se laisse surprendre par l’odeur d’eau salée qui remonta à son nez. L’eau qui remplissait ces abysses provenait surement des mers aux alentours et son visage se referma devant pareil cas de la nature. Ses lames courbées alors pointées vers le sol, il approcha encore. A voix basse, à mesure que ses pas le rapprochèrent il laissa échapper quelques paroles que peu des siens l’avaient entendu prononcer.

« Mère vénérée, Guide des océans profonds…
Sois avec moi aux creux d’mes tourments. »

Il avança, encore, le regard braqué s’attendant alors à n’importe quoi qui pourrait surgir de cet instant. Sa main se releva en direction des siens pour leur intimer la patience et la mise en garde. Il continua de psalmodier à voix basse, les présents pouvaient l’entendre grâce au silence qui s’était lourdement installé dans la plaine.

« J’ai plusieurs fois entendu la froideur de tes appels aux abîmes…
Et, dans tes bras, je n’ai aucune crainte d’affronter l’heure ultime. »

Il s’arrêta à quelques mètres du précipice marin, continuant de garder son regard par-dessus. Ses iris scrutant les moindres mouvements qui pourraient se voir à la surface de l’eau ou même dans ses profondeurs.

« En ton nom, je marche avec hardiesse et résolu…
Car à tes côtés plus rien ne m’effraie plus. »

Il se figea alors quand il lui sembla voir une ombre passer en dessous de lui. Inspirant profondément. Sa peur n’était pas palpable des autres, du moins, en apparence, car aucun être ne pourrait être sans peur à cet instant face à pareil inconnu. Il tourna légèrement la tête d’un quart, pour ne pas quitter les flots des yeux et s’adressa aux restes de l’équipage.

« T’nez vous prêts… »

De ce trou d’eau de mer au milieu des terres émanent la froide colère des flots enlaçant ces îlots maudits pour les uns, bénit pour les autres. Bientôt ces curieux cabochards découvrent les épreuves des puissances régissant le bleu infini, de ses insondables profondeurs à ses houles les moins accueillantes. Elles ou ils sortent de l’eau. Autrefois humains, sans l’ombre d’un doute, leur peau bleuie et parsemée par endroit de mollusques bien accrochés ne laisse aucun doute sur ce qu’ils ne sont plus. Certains sont très effrayants et ont en lieu et place des membres des appendices tentaculaires semblables à ceux d’un poulpe. Et quand bien même leur regard est vitreux, il ne présage d’aucune bonne intention envers les vivants.

Ainsi se manifeste le chaos. Le vrai. Les pirates vocifèrent, les noyés hurlent. Ces créatures envoyées par les mers sont aussi féroces que lestes, puissantes que solides. Des coups effrayants et des morsures profondes répondent à la coupe des épées. La bataille est engagée et elle s'annonce difficile. Tant et si bien que certains hésitent, cherchent le regard de leur compagnon pour savoir que faire. Quant à celle à qui la vie n'avait jamais promis telle épopée, elle est prestement tirée vers l'arrière par l'un des pirates.

Tout était calme dans cette clairière au centre de laquelle se trouvait ce trou point d’eau salée. L’odeur alertaient les sens du capitaine et de ses hommes qui les incitait à croire que ce qu’ils cherchaient se trouvait en ces lieux. Le Rokvenha ordonna alors que l’équipage se mette à rechercher dans ce coin, quittant des yeux les profondeurs sombres. Le silence était lourd aux environs du du fossé et les marins se mirent alors à enquêter se séparant de plusieurs mètres. Personne ne savait quoi chercher et tous reniflaient l’air ou le moindre objet quelque peu suspect en espérant y trouver l’origine de cette odeur désagréable.

Subitement tout bascula. Alors qu’un des marins s’approcha à son tour du bord pour s’y pencher et y jeter un coup d’œil, quelque chose attira son attention. Dans son propre reflet qui dansait à la surface de l’eau il cru apercevoir une étincelle, une lueur. Le marin se pencha alors davantage comme pour s’assurer qu’il n’avait pas était la proie d’une quelconque hallucination et posa le genou à terre. A mesure qu’il rapprocha son visage, son reflet se étrangement distordu lui apparu en réalité bien étrange. Il cru apercevoir son propre visage boursoufflé et aux couleurs violacées, comme ceux les marins retrouvaient sur les berges après avoir disparus en mer pendant un temps. Il cru se retourner pour alerter les siens, mais le reflet prit alors vie et de la surface ondulante sorti une créature étrange.

Le bruit des vagues brisa le silence et tous se retournèrent en direction du marin. Tous le virent alors se faire saisir par d’étrange tentacules au niveau de la tête et disparaître subitement dans un cri étouffé. « Aux armes ! » s’écria alors Croqueuse quand elle s’aperçu que plusieurs autres vagues apparurent des abords de l'eau. Les marins campèrent sur leurs appuis et n’eurent alors pas le temps de se regrouper que déjà plusieurs autres créatures sortirent de l’eau avec une agilité effroyable.

« C’est quoi c’bordel l’Rok ! » cria alors un des marins en voyant ces êtres aux allures cauchemardesque. Des hommes et des femmes à la peau bleutée et gonflée par l’eau et le sel, s’avancèrent vers eux à pas rapide. Leurs corps étaient recouverts d’algues et de coquillages comme les roches des mers et au bout de leurs mains se trouvaient de longs tentacules qui pendaient sur près d’un mètre.

Les créatures s’avancèrent dans leur direction, les chargeant sans hésiter. Elles étaient moins nombreuses que l’équipage, mais suffisamment pour que tous soient pris à parti dans un assaut, et d’autres viendraient bientôt les rejoindre aux vues de l’agitation sous la surface. « Par l’Mère d’Mer ! Pas d’quartiers ! » S’écria alors Caleb en relevant ses lames jumelles dans une posture de mise en garde en s’avançant à son tour à la rencontre de son assaillant.

Les marins se jetèrent alors eux aussi dans la mêlée en poussant des cris pour se donner du courage et en espérant probablement intimider ces choses, sans succès. Les premiers coups de lames transpercèrent les corps et rapidement un sang d’une couleur violette imbiba le fer des armes. Les créatures encaissèrent d’abords les premiers coups sans réellement tomber et chargèrent alors de nouveau, comme si leurs blessures n’étaient que de simples éraflures.

Rapidement le nombre de d’étranges créature dépassa celui des marins. On entendit des cris de douleurs et d’agonie ci et là au tour du point d'eau. Un des marins avait été saisit par les tentacules qui l’avaient fait chuter. Il se faisait maintenant dévorer vivant par celles qui le recouvraient et le cachaient de leurs corps imposants. Un autre inattentif se rapprocha du bord et se fit saisir par la cheville. Il chuta lourdement à terre avant d’être tiré dans l’eau en un éclair.

Devant cette vision d’horreur, Rocaille qui avait saisit Adélina pour la placer derrière lui, chassa d’abord une créature à l’aide de sa lourde masse à deux mains et se tourna vers elle. « Va sur le navire, La Rose. » Le colosse parlait peu et ses ordres en général ne laissaient que peu de place à la discussion. La baronne qui sembla hésiter un instant prit alors la fuite en direction de la forêt.

Il ne resta alors que les marins, prit à parti par ces étranges bêtes inconnus. Croqueuse, bien plus rapide, taillada les chairs et les membres de celle qui l’approcha de trop près et découpa alors les extrémités. La créature poussa un cri de douleur en gesticulant, elle fut rapidement achevée par la Seconde quand cette dernière lui trancha la gorge. « L’têtes !! Visez l’têtes !! » Cria-t-elle alors aux autres membres de l’équipage.

L’ordre paraissait simple, trancher la tête, ou même l’exploser comme l’avait remarqué Rocaille en abattant sa lourde masse à pointe sur l’une d’elle, mais c’était bien plus compliqué à réaliser. Les boursoufflé étaient bien plus grand que la moyenne et avant de pouvoir atteindre leurs têtes, il fallait d’abord prendre garde à leurs tentacules et crocs.

Le combat acharné dura de longues minutes, une éternité pour les mécans. Bon nombre d’entre eux étaient tombés au combat ou avait disparu dans les flots. Le nombres de créatures descendait aussi, mais bien moins rapidement que le souhaitait le Rokvenha. Le capitaine emporté par sa folie du combat s’écharnait sur une des bêtes qu’il avait fait chuter et venait alors lui porter le coup finale en plantant une de ses lames courbées entre les deux yeux. Il poussa alors un cri de rage victorieux en se retournant et contempla alors la triste situation des siens.

Il le savait pourtant, il le répétait bien souvent. Ne jamais baisser sa garde en combat ou c’était la mort assurée. Alors qu’il cherchait du regard Adélina pour savoir si elle était en sécurité, il ne vit pas sortir du lac le tentacule violet qui l’agrippa au mollet avant de le tirer vers l’arrière. Il chuta lourdement au sol et se débattit du mieux qu’il le pu à cet instant, frappant de sa lame pour tenter de découper la prise. « Bordel d’merde ! » Peu à peu il se rapprochait de l’eau, chercha à s’accrocher à tout ce qu’il pouvait pour ralentir sa course sans succès. Ses pieds commencèrent à toucher la surface de l’eau, quand soudain Croqueuse bondit de nulle part et trancha alors les membres visqueux pour le libérer. « Crève pas l’Rok ! » Lui lança la sang-mêlé en le tirant vers la terre ferme avant de le relever. Il se mit à rire, surement nerveusement et remarqua que les derniers noyés tombèrent sous la sauvagerie des siens.

Puis le calme retomba sur la plaine. Les survivants reprirent leur souffle et comptèrent leurs morts. Impossible de voir tous les cadavres vu qu’une bonne partie d’entre eux avaient fini aux fond des eaux. Caleb regroupa les siens.

« C’était quoi ça ? – Bordel l’Rok tu nous as m’né où ? – On va tous y passer » lancèrent certains qui avaient davantage l’habitude de combattre des humains que des créatures de la sorte. Le capitaine resta un temps silencieux, regardant les conséquences de ses choix avant de se tourner vers les autres.

« … Où est Ma Rose ? » Sa voix se fit sèche et menaçante une seconde. Un silence se posa sur l’équipage et tous cherchèrent du regard parmi eux la jeune baronne. Caleb reprit alors. « J’ai dit… OU EST MA ROSE ! » Il s’avança vers eux, son visage recouvert de sang violet laissa entrevoir ses yeux révulsés par une folie soudaine, il sembla encore sous l’effet de l’adrénaline. Aucun marin ne répondit, ne sachant pas si Adélina ne comptait pas parmi les disparus, puis Rocaille s’avança. « En sécurité. » Les mots du colosse interpellèrent le capitaine qui se tourna vivement vers lui, pointant sa lame en sa direction « Où ? » Il sembla attendre une réponse, même si aucune ne pourrait réellement l’apaiser, car il préférait l’avoir dans son champ de vision qu’ailleurs. « Sur le navire, Cap’taine. » La réponse du Quartier-Maître sembla faire tiquer le Capitaine qui resta alors figé un bref instant avant d’abaisser sa lame et d’entreprendre la marche en direction de la forêt.

Croqueuse remarqua qu’il souhait retourner à son tour au navire, probablement déterminer à retrouver la baronne et trottina derrière lui. « Hey ! Hey l’Rok où tu vas là ?! » Elle le rattrapa et ce dernier ne lui répondit pas. Elle se plaça devant lui et l’arrêta en posant les mains sur ses épaules. « Hey ça va pas ou quoi ? Tu vas pas rentrer maint’nant ?! » La sang-mêlé habituellement aux allures soignées était toute décoiffée et du sang la recouvrait aussi et ses habits étaient déchirés. Le Mécan la fixa sans un mot, mais sembla l’écouter. « T’as des hommes qui sont morts pour ta quête, sans même savoir d’quoi il en r’tourne… Tu vas les abandonner ? Tout ça pour une donzelle ? » Les mots de la Seconde étaient à leur tour secs et impactant. Tous les marins firent semblant de ne pas écouter, mais tous pouvaient entendre le sermon. « L’Rok cette donzelle t’as ramolli… Avant jamais t’aurai fait d’mi tour de la sorte quand t’avais un truc en tête. » Elle releva son regard pour le porter sur les survivants, il était plus qu’une demi-douzaine. « Dis toi qu’là, eux, ils sont prêts à t’suivre et à crever pour toi… On l’a toujours était l’Rok ! Alors tu vas m’faire l’plaisir d’pas nous lâcher maint’nant. »

Caleb fixa la demi-elfe et une lueur sembla traverser son regard. Pour de tels propos il aurait pu la tuer, même si elle était sa Seconde, elle ne pouvait pas lui parler de la sorte. Il n’eut pas le temps de répondre qu’elle le fit pivoter par les épaules pour que son regard puisse alors se porter vers les survivants. Ses yeux se posèrent alors sur eux. Tous étaient encore là, debout, épuisés et couverts de sang. Mais aucun n’avait fuis. Ils semblèrent attendre la suite des directives et même si leurs visages exprimaient une certaine crainte et la peur d’avoir frôlé ainsi la mort, Caleb remarqua aussi une détermination présente. Il inspira alors lourdement et hocha la tête.

« M’gaillards… Trouvons c’te foutu truc qu’pue et rentrons… U’ fois d’retour à Méca, j’vous payerai m’tournée ! » Des cris montèrent alors des pirates et tous se mirent alors en action. Il fallait d’abords honorer ceux qui étaient morts au combat. Et pour ça le Wagyl Noir avait des habitudes. Il serait difficile de faire la cérémonie dans son intégralité au vue des dangers environnants, mais ils rassemblèrent leurs frères et sœurs, alignés côte à côte. Pas de trou, pas de cérémonie, mais leurs anneaux d’or furent placés comme le veut leurs habitudes, dans leur bouche et leurs mains posées sur le ventre, paumes ouvertes en signe d’offrande à Tyra, celle qui les accueillerait pour leur dernier repos.

Peu de temps après les adieux à ceux qui étaient tombés, les survivants reprirent espoir à l’idée de mener à bien cette aventure. Tous avaient pu sentir cette odeur qui émanait de l'eau et chacun savait quoi chercher à partir de maintenant. Caleb avait ordonné de reprendre la marche pour s’éloigner du lac rapidement et de reprendre leur route en direction de la montagne.

A mesure qu’ils traversaient l’île, les pirates voyaient d’autres points d'eau de ce genre. Certains pensaient même qu’ils tournaient en rond et les premiers grondements se faisaient entendre au sein du groupe. Le Capitaine quant à lui restait silencieux, pensif probablement à l’idée d’avoir Adélina éloignée de lui en ce moment. Croqueuse avait prit soin de servir d’intermédiaire entre le Rokvenha et les hommes, étant la seule à réussir à le faire parler dans ces instants.

Les mécans prenaient soin de s’éloigner des ouvertures sur leur route, bien que l’odeur les menait à chaque fois à s’y rapprocher davantage. La sang-mêlé remonta alors au niveau de son capitaine et l’interpella. « L’Rok, va falloir s’décider là… On marche d’puis un temps, l’gars s’épuisent… On la sent tous ton odeur. Mais on s’rapproche pas. » Caleb haussa un sourcil en écoutant les propos de sa seconde et grimaça quelque peu. « T’veux qu’on s’fasse de nouveau ‘charper ? Mmh ? » L’idée fit trembler la jeune femme. Les souvenirs de l’embuscade monstrueuse lui revinrent en mémoire et elle secoua la tête pour s’en échapper avant de rétorquer. « S’il le faut pour trouver c’qu’on cherche. On sait à quoi s’attend’ maint’nant. » Caleb s’arrêta alors et opina du chef désignant alors une des ouvertures marine, qui semblait se trouver presque aux pieds de la montagne.

Le petit groupe bifurqua alors, les visages relevés à la recherche encore de l’odeur, espérant trouver la source de leur désir. Ils se rapprochèrent d’un trou, plus petit que le premier. Tous laissèrent leurs sens aux aguets s’apprêtant à toute éventualité, tout en poursuivant leurs recherches.

Comme attendu. Après qu’un des hommes s’approcha du bord, des clapotis surgirent de la surface et de nouveaux noyés sortirent de l’eau en poussant des cris terrifiants. Ils n’étaient qu’au nombre de trois pour l’instant et les pirates se jetèrent à l’assaut pour rapidement s’en défaire. Le combat dura peu de temps cette fois-ci, comme ils s’étaient prêts à le livrer, mais d’autres bruits remontèrent des profondeurs et Croqueuse ordonna la fuite en direction de la montagne.

Ils coururent alors en direction du centre de l’île et l’atteignirent sans difficulté. Tous reprirent leur souffle et certains même se mirent à rire nerveusement. Quand tout à coup Rocaille se mit à renifler comme un limier en levant la main. « J’sens encore l’odeur d’là. – Moi aussi » répondit un second pirate. [« Elle est même plus forte. » Tous se mirent alors à longer la paroi rocheuse de la montagne en suivant la piste olfactive.

Après quelques instants ils arrivèrent à l’entrée d’une fissure, assez grande pour y faire passer de travers. Rocaille plongea son nez à l’intérieur et pointa l’ouverture. « Rok ! J’crois qu’on tient un truc là » Dit-il en pointant l’ouverture. Le capitaine s’avança alors et renifla aussi comme pour s’assurer que l’odeur était celle qu’il avait senti chez la médée et acquiesça. « M’sieurs, Dame… On approche. » Et tout en s’engouffrant au cœur de la montagne il se mit à rire d’impatience.

Les pirates longèrent alors les parois rocheuses qui s’ouvrirent sur un boyau plus large et sombre. L’un d’eux alluma alors une torche et la passa devant lui à son capitaine qui ouvrit la marche. Ils descendirent alors dans les entrailles de l’île éclairés par la faible lueur d’une torche de fortune.

***

Ils étaient incapables de dire combien de temps ils avaient mis pour descendre dans ses boyaux souterrains. L’odeur se faisant toujours de plus en plus dominante à mesure qu’ils avançaient. La faim et l’angoisse de ne jamais revoir le jour faisaient monter quelques grondements parmi les survivants, mais tous suivaient ne sachant pas comment retourner sur leur pas sans l’aide de Croqueuse qui avait répertorié chacun des boyaux dont elle seule en avait le secret.

Caleb avait lui aussi faim et soif, mais il s’efforçait de ne rien laisser paraître pour garder la confiance de ses hommes. Après tout, il ne pouvait pas ordonner le demi-tour maintenant, pas après avoir enfin découvert une piste plus intéressante sur ce qu’il convoitait tant. Caleb tourna sur la gauche car la pierre ne lui laissait guère le choix et déboula sur une sorte de pièce assez large ou tous pouvaient enfin se tenir côte à côte.

« On va s’poser là. » Finit-il par conclure en s’asseyant. « On s’repose les jambes un temps et on r’part. » Les marins se posèrent à leur tour et chacun ouvrit son sac pour y trouver leurs rations de voyage. Les vivres commençaient à manquer et tous savaient qu’il faudrait se rationner durement les prochains repas, car aucun ne savaient pour combien de temps encore ils en auraient.

Parmi les derniers survivants, un duo s’était légèrement mit à l’écart des autres ruminant dans leur coin. Ceux-là n’avaient plus d’eau, ni de nourriture, n’ayant pas voulu se rationner. Ils regardèrent alors leurs frères de mésaventures espérant peut-être les amadouer mais aucun ne prit soin de leur proposer quoi que ce soit. Caleb s’allongea après son maigre repas, le temps d’un instant, et emporté par la fatigue ferma les yeux.

Des cris le réveillèrent alors en sursaut. Il bondit sur ses coudes et vit l’impensable pour lui. Les membres du Wagyl étaient en train de s’entretuer. Déjà quelques-uns étaient allongés, ou blessés et hors d’état de nuire. Il remarqua que Rocaille, Croqueuse et Noirâtre semblaient ensemble avec quelques autres contre le reste de l’équipage. Il se leva aussitôt et prit ses lames. « C’quoi c’bordel ! » S’écria-t-il alors comme pour faire cesser tout le monde, ce qu’il réussit à faire.

La Seconde se retourna vivement et reprit la parole. « Ces chiens ont essayé d’nous voler les dernières rations ! L’un d’eux à même tenté d’te tuer ! » Elle désigna un cadavre dont la tête avait vraisemblablement heurté la roche d’une manière assez violente. « C’est Rocalle qu’a vu l’fer dans ses mains. »

Caleb tressaillit à cette idée et s’avança alors en regardant les accusés. Ces derniers avaient les regards noirs et meurtriers de ceux qui ne craignaient plus rien. L’un d’eux cracha même aux pieds du capitaine. « Tu nous a m’né à la mort l’Rok ! Tout ça par ta folie on va tous y passer ! » S’époumona le pirate. Le second des mutins reprit alors. « T’as perdu t’couilles dans l’cul d’ta nobliaude ! Elle t’as ravagé l’crâne ! » Toutes ces revendications ne firent qu’arracher une expiration nasale au nez de Caleb qui continua de les regarder, semblant attendre quelques argumentaires plus audibles visiblement. « C’tout ? » Lâcha-t-il finalement en levant ses lames jumelles vers eux. « T’as l’morts des aut’ sur la conscience l’Rok ! Et j’espère d’tout cœur qu’ta catin d’… » Le mutin n’eut pas le temps de finir que la lame courbée du capitaine vint lui trancher la gorge vivement. L’homme s’étouffa alors dans son propre sang, ne pouvant plus pousser le moindre son. Quant au second il défia encore du regard son ancien capitaine. S’il savait qu’il aurait pu souffrir mille et une douleur à une époque, ce n’était ni le lieu ni le moment de le faire. Il savait alors qu’une mort rapide comme une exécution serait sa seule issue. « T’crèveras comme un chien l’Rok ! Qu’Tyra t’refuse une place ! » Ponctua t’il avant de se faire transpercer le cœur par le Rokvenha.

Une fois la mutinerie désamorcée, Caleb regarda les derniers hommes qui lui restait. Peu à dire vrai par rapport à ceux qui l’avaient accompagné depuis le début sur cette île. Soudain, il sortie de sa torpeur quant Noiraître s’effondra à son tour, se tenant le ventre. « Bordel L’Noirâtre » lâcha Croqueuse en essayant de le maintenir, mais le Drow était déjà parti, ses blessures étaient bien trop profondes pour être soignées. Elle l’allongea alors et le même rituel lui fut offert, ainsi qu’a ceux qui n’avait pas suivit les mutins, en ce qui concerne l’anneau. Pour les autres, Caleb leur arracha l’anneau en question et le flanqua dans ses poches sans même un dernier regard pour les morts. « On cont’nue. » Puis il se saisit de la torche et reprit son avancée dans les boyaux sombres.

***

Ils avançaient encore sans un bruit, toujours portés par cette odeur de sel, de souffre et de mort. Leur nombre était bien réduit depuis, mais Caleb ne semblait pas vouloir s’arrêter là. Il continua d’avancer quand soudain devant lui, une lueur apparue. Comme prit d’un espoir nouveau il accéléra le pas et finit par déboucher sur une salle immense creusée à même le cœur de la terre.

Devant eux se tenait un paysage extraordinaire. Un lac immense dont ils ne pouvaient apercevoir l’autre rivage trônait au centre d’une caverne tout aussi colossale. Les pirates restèrent ainsi conquis quelques secondes quand la réalité les rattrapa. Croqueuse se pencha alors vers une lueur qui luisait faiblement, quand elle avança son nez de cette dernière elle ne put réprimer un relent et toussa. « Putain, l’Rok… J’crois qu’on a trouvé. »

Le Capitaine mécan s’avança alors en poussant ceux qui le gênaient et s’approcha de la plante. Il la renifla à plein poumon et toussa à son tour, mais y retourna plusieurs fois pour s’assurer qu’il venait enfin de trouver ce qu’il cherchait. « C’est bien ça ! » Dit-il alors ce qui arracha un cri victorieux à tous les autres. « Ramassez en une bonne quantité, tous c’que vous trouverez et foutez les dans l’sacs ! » Ordonna alors le capitaine en arrachant la plante qu’il mit dans son sac.

Les pirates s’exécutèrent et remplirent leurs sacs. Deux des pirates essayèrent de ne pas en avoir sur eux, ne pouvant supporter l’odeur au risque de recracher le peu de nourriture qu’ils avaient pu prendre. Caleb bien trop heureux sur l’instant ne leur en tint pas rigueur et préféra même les porter en main directement.

Après quelques minutes passaient à cueillir les plantes dans l’obscurité. Croqueuse qui s’éloigna légèrement du groupe pour tenter d’en retrouver une dernière. Elle se pencha alors en avant en pensant en avoir trouvé une et retint sa main au dernier moment, s’apercevant qu’il s’agissait d’un pied muni de griffes acérés. Elle releva alors la tête et remarqua alors une des créatures croisées. Etrangement cette fois-ci, la créature ne lui fit rien et continua de rester neutre à sa présence. Croqueuse recula lentement, essayant de ne pas se faire remarquer et une fois à distance se rapprocha du groupe.

« l’Rok, l’Rok ! Viens voir y’a une d’ces créatures-là, mais cette fois… Elle a l’air étrange. » Caleb haussa un sourcil, peu intéressé à l’idée de recroiser les créatures, mais aux vues de la panique de Seconde, il ne put que suivre ainsi que le reste du groupe. Ils arrivèrent alors à quelques mètres de la créature et cette dernière était encore figée, regardant devant elle. Caleb continua d’avancer lentement, sa lame sortie, sans obtenir la moindre réaction.

Peu de temps après, ce fut autour des deux derniers pirates de retrouver le groupe et quand ils s’approchèrent, la créature tourna la tête dans leur direction, poussa un cri et se rua vers eux pensant totalement à côté du Capitaine qui n’avait même pas eu le temps de réagir. Les autres marins se firent attaquer par le noyé ainsi que d’autres sortie des eaux. Rocaille, Croqueuse et Caleb, alors seuls survivants reculèrent lentement en cherchant la sortie.

Etrangement les bêtes ne les attaquèrent pas, préférant se battre pour le peu de viande restant sur les deux corps plutôt que de s’en prendre à d’autres. Le trio restant ne chercha pas à en savoir davantage et se rua vers la sortie, en reprenant le boyau par lequel ils étaient entrés.

Croqueuse en tête guida les hommes en direction de la sortie, cherchant sur la roche les traces qu’elle avait laissé. Pour se souvenir de l’endroit, elle avait un trait à l’aide de son poignard significatif à chaque entrée et sortie de boyaux. Ils purent alors retrouver leur route ainsi, repassant alors devant les cadavres des mutins et retrouvèrent après un certain temps l’air pur de l’extérieur.

Dehors il faisait nuit noire et il pleuvait, mais les trois rescapés des souterrains étaient tout aussi heureux de cette situation. Croqueuse en pleura même de joie et sauta au cou de Caleb qui la réceptionna en souriant. « On a réussi… » lui souffla-t-il alors. « Allez on rentre. » finit-il par dire, avant de la relâcher. Les trois pirates reprirent alors leur route en direction du sud de l’île pour retrouver leur navire, bien content d’avoir enfin trouvé cette plante étrange malgré son odeur de laquelle ils ne pourraient se débarrasser qu’après de nombreux bains.

Le retour s’était fait dans une certaine joie contenue. Les derniers survivants de cette expédition cauchemardesque ne pouvaient complètement se réjouir de leur réussite. Ils étaient en vie et ramenaient ces plantes mystérieuses tant convoitées, mais à quel prix ? Plus d’une dizaine des membres de l’équipage avait péri lors de ces recherches et pas n’importe lesquels, les meilleurs combattants du Wagyl Noir. Certains avaient même sombré dans la folie, se retournant contre leurs frères au péril de leurs vies en pensant survivre de la sorte.
Caleb et Rocaille avaient même franchi une limite qui leur paraissait inimaginable quelques jours plutôt, dans les tréfonds de l’île. Les deux hommes s’étaient livrés à un sordide repas, accompagnés de Croqueuse qui elle en avait souvent fait preuve. Par manque de vivre et au plus bas moralement, ils ont consommé la chair humaine. Par décence pour les morts, Caleb avait choisi ceux qui avaient tenté de se mutiner. Pensant que ces derniers ne méritaient pas les honneurs de ceux qui lui avaient été loyaux jusqu’au bout.Dire qu’ils avaient apprécié serait mentir, mais grâce à ça, ils avaient survécu et étaient maintenant sortis de ces tunnels pour retrouver l’air pur de l’extérieur.
Ils étaient heureux de sentir sur leur visage le vent frais de la soirée et d’entendre au loin les vagues qui venaient s’écraser contre les rivages.Ils étaient dans un état lamentable. Couvert de sang séché à la fois rouge et violet, rappelant les nombreux affrontements vécus ces derniers jours. Leurs vêtements étaient en lambeaux et leurs corps continuaient de se déplacer uniquement porté par l’espoir d’un bain chaud, d’un lit bien confortable et d’un repas bien mérité.

A mesure qu’ils traversaient l’épaisse forêt, de nombreuses pensées traversaient l’esprit de Caleb. Il était silencieux, comme les autres, mais ses pensées n'avaient de cesse de s’agiter. Il n’avait jamais vu pareille créature que ces immondes créatures humanoïdes semblable à des hommes et femmes noyés dont les membres s’étaient transformés en d'étranges tentacules meurtriers. Un bref instant il se remémora le moment où il se fit attraper par le mollet et tirer vers les profondeurs salées. Il serait probablement mort à l’heure qu’il est si Croqueuse n’était pas intervenue pour le secourir. Il chassa cette idée-là de la tête en se massant le visage et tenta de reporter son attention sur quelque chose de plus joyeux.
Il avait trouvé ce que lui avait demandé la Médée. Ces plantes à l’odeur immonde, qui après tout ne lui semblait guère désagréable après s’y être habitué - peut-être qu’il ne savait plus différencier sa propre odeur corporelle de celle de la plante ? - Il avait réussi à mener à bien l’expédition et pire encore avait trouvé par chance, les effets que pouvaient contenir cette mystérieuse herbe. L’odeur semblait rendre les créatures de l’île inoffensives envers son porteur. Les bêtes avaient complètement ignoré ceux qui en détenaient pour se ruer sur ceux qui n’en avaient pas. Étaient-ce là des plantes aux propriétés magiques ou même divine ? Il n’en savait rien et se posait la question que pour s’occuper l’esprit, à dire vrai, il n’en avait rien à faire, cela avait été le cas et pourquoi ne faisait pas partie des sujets qu’il souhaiterait explorer plus encore.
Enfin, tout juste avant d’arriver sur la plage, il se surprit à se demander si Adélina avait bien atteint le navire. Si elle ne s’était pas perdue dans l’épaisse forêt de l’île et si elle était bien en sécurité comme lui avait annoncé Rocaille. Il l’avait perdu de vue pendant un temps et s’en voulait, mais la Seconde avait raison, il n’aurait pas pu rentrer au boutre juste pour elle, pas après la perte des siens.
Les siens… Tous ceux qui étaient tombés au combat, de la main des immondices ou des siennes… Il ne pouvait pas ne pas avoir une pensée pour eux. C’étaient tous des hommes et des femmes qui l’avaient suivi durant une bonne période. Tous avaient connu des abordages et des batailles auxquels ils avaient survécu, continuant de le suivre dans chacun de ses coups de folie. Ils avaient péri et ils l’avaient accepté en se joignant au Wagyl Noir. Ils étaient tous porteurs de l’anneau et l’avaient tous mérité. Caleb soupira en passant la main sur son visage. Si ce soir ils n’étaient pas avec lui et les autres restaient sur le navire pour trinquer, les souvenirs qu’ils avaient laissés à chacun seraient éternels.

Ils approchaient enfin de la plage, dans leur silence ils ne prêtaient pas attention aux environs. Aucun son n’était là pour leur signaler qu’ils arrivaient au bout du chemin. Pas de cris, pas de chants qui pourtant d’habitude étaient courant sur le pont du boutre. Ce soir-là, rien. Pas même les lueurs des torches éclairées pour la sombre soirée qui s’annonçait. Et malgré tous ces signes, les aventuriers ne semblaient pas se douter de ce qu’ils allaient découvrir.

Au détour d’un bosquet, que Rocaille poussa de sa main, ils arrivèrent sur la plage d’où avait tout débuté. Les trois marins s’avancèrent alors et brusquement se figèrent dans leur progression. Ils restèrent ainsi immobiles quelques secondes, leurs visages coincés dans une expression de surprise horrifié. Ce fut Croqueuse la première qui bougea, courant alors à vive allure sur la plage.

« NON NON NON NON NON !!! » Elle dévala les quelques mètres de sables en direction des flots, suivit de près par Rocaille, qui lui aussi avançait d’un pas franc et déterminé. Seul le Capitaine était en retrait, les bras balans et le regard perdu dans le vague de ce qu’il semblait observer. Devant lui, pire encore que toutes les créatures qui pouvaient exister en ce monde, c’était là sa vision de l’horreur.

Il marchait d’un pas tremblant à son tour sur le sable fin, devant lui se trouvait une scène de chaos. Des morceaux de bois arrachés étaient rejetés par les vagues. La coque de son boutre complètement éventré était venue s’échouer elle aussi sur des roches plus loin et au milieu de tout ça, des corps, de très nombreux corps.

La vision ainsi que son ouïe se brouillèrent et au loin, il entendit les appels de détresse de la sang-mêlé comme des échos bien trop éloignés pour croire à leur réelle existence. « Rok… Rok… ». Au milieu de cet enfer fait de bois, de chair et de sang, le mécan tomba sur ses genoux laissant son regard aller de droite et de gauche comme pour tenter de se convaincre que tout était faux, mais rien ne l’était. Il resta alors ainsi quelques instants, quand Croqueuse vint se jeter à son cou en pleurant. « Dis moi qu’c’est qu’un cauchemar… que j’vais m’réveiller ! DIS MOI CA ROK ! C’est pas possible qu’ce soit vrai… Pas possible… » La Seconde ne pouvait retenir ses larmes et son capitaine, lui, n’était pas en mesure de la consoler tant il semblait inerte.
Au loin, Rocaille avait déjà commencé le dur labeur que de partir à la recherche des survivants ou au minimum, s’il n’y en avait pas, de rassembler les corps. Il soulevait de lourdes planches de bois, cherchait ci et là et se penchait vers des cadavres pour tenter de voir s’il y trouvait un peu d’espoir, en vain.
Après quelques secondes, durant lesquelles Croqueuse été toujours accrochée à lui, Caleb se releva et délicatement se détacha d’elle. Dans un souffle il lui dit « je reviens » tout en s’éloignant en direction du champ de bataille.

A mesure qu’il parcourait les décombres, ses découvertes s’accumulèrent lourdement. Tous avaient péri de la main d’un autre. Il reconnu des blessures causées par des armes et des non des créatures. C’était donc une attaque organisée d’un autre équipage conclu-t-il dans ses pensées. Il retrouva le cadavre de son prêtre, Cul-Béni la face contre le sable, il le retourna lentement et se redressa ensuite pour se diriger quelques mètres plus loin. Aidait alors de Rocaille et Croqueuses les trois marins décidèrent de rassembler les morts sur la plage.

Après de longues minutes de recherches, Caleb qui continuait de fouiller, en allant même se mettre jusque les hanches dans l’eau – il avait ramené d’autres défunt qui s’étaient noyés à quelques mètres des berges – Croqueuse le regardait faire au loin, elle ne pleurait plus, car elle ne pouvait plus le faire, elle l’avait déjà trop fait. La Seconde savait ce que son Capitaine était en train de faire. Il était à la recherche d’Adélina. En silence la sang-mêlé s’approcha alors et restant au sec l’interpella. « Rok… Reviens. Elle n’est pas là. » Ses paroles n’eurent pas d’impact sur l’homme qui continua de chercher en soulevant d’autres planches de bois, plongeant sous l’eau pour tenter de voir si elle n’était pas restée coincée dessous. « Elle n’est plus là ! Tu l’sais bien ! C’est la raison d’tout ça ! » Cria alors la Seconde en perdant quelque peu patience. Ces mots eurent pour effet de faire stopper net le mécan qui se retourna vers elle en silence, il l’observa et retourna sur la plage penaud, l’air d’un enfant qui venait de faire une bêtise.

Sur la plage les trois survivant repassèrent devant les cadavres à tour de rôle, chacun leur tour. Tous n’étaient pas là, certains avaient été emporté par les vagues vers le large et rejoindre les abysses directement. Néanmoins ils étaient assez nombreux, bien trop nombreux aux goûts des trois officiers. Un par un, Caleb se pencha et retira l’anneau. Il le plaça comme à chaque fois dans la bouche et plaça les mains ouvertes. Si tant est que c’était encore possible, au vue des blessures et de la rigidité causée par l’eau et le froid. Il s’arrêta alors au niveau du membre le plus jeune de son équipage, Morveux. Caleb ne pu s’empêcher en se baissant de le prendre contre lui, il l’avait aimé à sa manière, mais il l’avait amé comme un grand-frère ou même un père d’après ses dires et il n’avait pas pu le défendre cette fois ci. Caleb reposa la tête du jeune homme au sol et termina de préparer chacun des défunts.
Rocaille quant à lui avait préparé plusieurs grands bûchers avec les planches du boutre. Tout un symbole, pensèrent probablement les marins en voyant ça, mais aucun ne dit le moindre mot. Ils leur étaient impossible de creuser des tombes pour tous, ou des barques pour les envoyer en mer, alors ils décidèrent de les faire reposer sur des bûcher et d’y mettre le feu.

Dans la nuit noire s’éleva alors au nord de l’île mécane de nombreux feux qui dépassèrent les arbres de l’île aux pins. Caleb, Rocaille et Croqueuse restèrent debout un long moment, donnant les derniers adieux à leurs frères et sœurs. Quand les flammes avaient dévoré une bonne partie des corps, Le Rokvenha s’écarta et se dirigea de nouveau vers la mer. Tout en marchant il porta les mains à sa tête et sembla décrocher l’anneau d’or qu’il avait à son cartilage. Il le regarda longuement, pensif et hésitant. Il fut rapidement suivi par Rocaille et Croqueuse qui eux aussi avait retiré leurs anneaux finement gravés de leurs noms – comme le voulait leur coutume – et ils opinèrent ensemble avant de lancer les boucles le plus loin possible dans la mer. « Ainsi nous s’rons toujours avec d’eux… D’âme et d’esprits » souffla la demi-elfe dans un sourire se voulant réconfortant avant de s’écarter et d’accompagner le colosse pour laisser le capitaine seul.

Le soleil s’était levé, Caleb n’avait pas dormi de la nuit, il était assis au bord de l’eau, la tête dans ses bras. Il avait laissé ses démons prendre leurs aises dans son cœur et son esprit pendant qu’ils se remémorait de nombreux souvenirs. Il était détruit, c’était indéniable, mort même si son cœur battait encore dans sa poitrine. Il n’entendrait plus jamais les rires et les chants des siens sur le boutre en voguant au plein cœur des mers. Il ne les verrait plus se battre en ayant bien trop bu et se réconcilier avec un autre verre dit de l’amitié. Plus jamais il ne les verrait. Il se pinça l’arête du nez et tourna la tête en direction des bûchers, certains brûlaient encore d’autres s’étaient éteint. On y voyait que des cendres et des semblant de corps calcinés et entassés. Il préféra reporter son attention sur l’horizon et le soleil qui commençait à éclairer la mer. Qu’allait-il faire, qu’allait-il devenir ? Il n’en savait rien, mais il se devait de rapidement réagir.
Il avait tant souffert en si peu de temps, tout perdu après avoi eu l’espoir d’avoir tout gagné. il s’appuierait sur ça pour tenter de remonter la pente et redevenir quelqu’un. Quelqu’un que les autres apprendraient davantage à craindre, pour ne plus risquer de se faire surprendre de la sorte. Dans ses dernières pensées qui semblèrent faire surgir sa colère violente il s’interrompit subitement en sentent la main fragile de Croqueuse qui s’installa à ses côtés.

« L’Rok… Laisse les partir… Ils ne t’oublieront pas » Dit-elle en posant sa tête contre son épaule pour l’apaiser. Elle le savait, elle le connaissait bien et son interminable silence devant la situation n’annonçait rien de bon pour lui, alors elle s’essaya tout de même à le calmer du mieux qu’elle le pouvait en cet instant.

Le Wagyl Noir n’était plus, il avait sombré et ils avaient rejoint la Mère des Mers, du moins c’est ce qu’espéraient ceux qui étaient restés en vie. Peut-être étaient-ils déjà dans son palais sous les flots accompagnés des plus belles sirènes et autres créatures méconnues. Caleb l’espérait du plus profond de son cœur, pour eux. Le Rokvenha, lui attendrait encore un peu son tour pour retourner à la surface et agir en prédateur qu’il était autrefois.