Une odeur peu alléchante [Adélina & Entité]

La visite auprès de la médée ne s’était pas déroulée comme le Rokvenha l’avait souhaité. La vieille n’avait pas été tendre avec lui et l’avait sèchement remis à sa place en lui rappelant qu’il n’était rien aux yeux du Wagyl, Prince des mers. Le Capitaine l’avait difficilement encaissé, non pas parce qu’il estimait qu’elle avait raison, mais uniquement par respect pour cette vieille personne qui, pour lui, était une réelle proche de la Mère des Eaux. Néanmoins, le capitaine gardait un goût amer quant à cette entrevue. Quelque chose l’avait marqué plus que le fait d’avoir été rabaissé, c’était bien plus grave encore, pour lui. Sa véritable identité avait été dévoilée.

Comment cette vieille femme perdue au milieu du bayou aurait-elle pu le savoir ? Était-ce là une preuve d’une quelconque magie ? Ou lui avait-elle jouait un tour, avec un de ses proches comme complices ? Quoi qu’il en soit, Caleb, avait du mal à oublier ça. Lui qui avait tant fait pour cacher son véritable nom, pour des raisons qui lui appartenaient, savait maintenant que même sa prisonnière était au courant de son plus grand secret. Il avait songé à la tuer, oui, comme il avait hésité à tuer la médée sur un coup de colère habituel. Cependant, il ne l’avait pas fait car Adélina avait une certaine valeur à ses yeux et pour qu’elle puisse la garde, il fallait qu’elle reste intacte… comme sa progéniture.

Adélina avait elle aussi décidé de rencontrer la voyante pour des questions qui lui étaient personnelles et Caleb n’avait rien entendu de tout ça. Tout ce qu’il comprit c’est que la jeune femme avait elle aussi été bouleversée par la rencontre car c’est une toute autre qui était ressortie de la cabane. Le capitaine n’avait pas posé de question car il jugeait cela inintéressant et surtout s’était déjà tourné vers sa prochaine destination : L’île aux pins.

C’est sur cette île que la médée l’a envoyé chercher un objet inconnu. Tout ce qu’il avait comme indication pour le trouver était une odeur désagréable qui lui resterait dans le nez pendant quelques temps encore. Trouver la source de cette odeur était devenu son principal objectif car c’était là une sorte de mise à l’épreuve afin d’obtenir ce qu’il désirait. Le mécan ne reculerait devant rien ni personne pour mener à bien ses projets et même après le simulacre de conseil offert par la médée sur sa mortalité et sa force.

Une fois alors sortis des marécages, la petite troupe avait retrouvé ensuite le reste de l’équipage qui les avait accueillis chaleureusement. Le Capitaine n’avait perdu aucun instant et ordonna alors de reprendre aussitôt la mer pour se rendre à leur destination. L’île n’était pas loin, ils avaient choisit la Malvoie comme lieu d’accostage et l’île aux pins était juste au nord à quelques encablures de là.

Poussé par son envie débordante de finir rapidement ce qu’il avait à faire. Le Capitaine avait réuni les siens sur le pont afin de les tenir informés de la situation. Il avait expliqué la mise à l’épreuve donnée par la voyante et les raisons, qui n’étaient pas inconnus de certains. Tous prirent alors leurs postes, désireux de mener à bien leurs tâches et de voir leur capitaine accomplir ses volontés. Le Wagyl Noir reprit alors la mer en direction du nord de Méca.

Après un court instant à naviguer, le boutre arriva aux abords de l’île aux Pins. Le Capitaine décida de manœuvrer pour en faire le tour en partie et l’observer d’assez loin. L’île en question était de petite taille, comparée à Méca, mais une imposante montagne y trônait en son centre. Caleb ordonna alors que l’on accoste sur la cote sud, sur une plage assez dégagée de tout afin de s’y poster.

Le Wagyl Noir arriva alors aux abords de la plage, l’ancre jetée à la mer et les premières barques commencèrent à faire les aller-retours pour déposer les marins sur la terre ferme, bien décidés à trouver la source demandée.

Balayées par les vents venus du Nord, l’Isle aux Pins est peu visitée. Entourées d’eaux froides et tumultueuses, ses rivages sont tristes et mornes, il n’y règne que le chant de la brise marine, car même les volatiles iliens semblent ne pas l'approcher.
L’atmosphère est à la fois calme et inquiétante. La forêt de conifères est dense et sombre, source d’une obscurité oppressante. Les murmures et les chuchotements des vents tordant les cimes des pins donnent l’impression d’une présence invisible, d'un observateur constamment dissimulé dans l’angle mort. Ce manteau de verdure est percé d’un unique et imposant pic montagneux. Une rocaille escarpée, dangereuse et inhospitalière.

C’est au cœur de ces lieux lugubres qu’ils doivent s’aventurer, affronter une végétation seule maîtresse de ces paysages sauvages. À la recherche d’un parfum de mer et de mort.

Les bottes de la baronne s’enfoncèrent dans le sable mouillé alors qu’elle avançait sur la plage. Des marins étaient déjà sur la plage observant les alentours, en attendant que tous aient les pieds sur la terre ferme. La totalité d’entre eux étaient armés jusqu’aux dents, prêt à toute éventualité. On pouvait sentir la nervosité, la fébrilité dans l’air nauséabond. Un anxieux mélange qui ne rassurait guère la nordienne alors qu’elle s’arrêta près de Rocaille. Sa poigne se referma sur l’arc que le Rokvenha lui avait aimablement donné. Une arme qu’elle savait magnée et qu’elle avait déjà utilisée à de nombreuses reprises. Pour une fois, la nordienne avait un semblant de confiance. Elle ne serait pas impuissante aujourd’hui. Une vague s’écrasa de nouveau sur la plage, semblant avaler cette dernière, alors que les derniers marins sautaient de la barque pour rejoindre le capitaine.



Adélina se tourna vers le navire une dernière fois, comme si elle espérait apercevoir quelque chose - ou plus précisément quelqu’un. Au bout de quelques secondes, son air se referma et elle alla rejoindre le Rokvenha, ne voulant pas tester sa patience plus que limité. La jeune femme savait que ce dernier aurait besoin d’elle, vu qu’elle avait elle aussi l’odeur âcre qui s’était échappé des bocaux de la médée. Laissant les marins s’agglutiner autour de leur capitaine, la jeune femme resta derrière eux. Adélina n’était pas dupe. Elle savait pertinemment qu’elle était sur une corde sensible. La moindre erreur pouvait lui être fatale, surtout que maintenant, elle savait ce que le Rokvenha considérait comme sa plus grande faiblesse. Pour être honnête, cette dernière ne comprenait définitivement pas son acharnement, mais Caleb n’était guère un homme logique et sensible d’esprit et résonner avec ce dernier était définitivement une tâche monumentale. Elle s’était contenté d’acquiescer à sa menace silencieuse, et de ne pas mentionner une seule fois ce qu’elle avait entendu dans la cabane de la vieille femme. Pour le moment, cela semblait avoir suffi au capitaine, qui la laissait tranquille, alors qu’elle avait passé la majorité de son temps perdu dans ses pensées. Ce fut finalement un des marins qui rompit l’étrange silence qui s’était imposé sur le groupe. Sa voix semblant résonner sur la plage.


« Ca’ptain, v’ordres? »

Caleb avança sur la plage, râlant comme à son habitude à cause du sable qui s’engouffrait dans les chaussures et le gênait en séchant. Il s’arrêta alors un instant, ramené à la raison par Croqueuse et les autres marins qui le fixèrent attendant les ordres.

Le mécan renifla l’air ambiant, se disant que peut-être un léger effluve pourrait être sentie d’ici, mais rien, ça aurait été trop simple. L’homme grimaça, passa une main dans sa chevelure mi-longue pour se recoiffer et sembla hésiter quelques instants. Seuls Adélia et lui avaient pu sentir cette horrible odeur et seuls eux deux seraient en mesure de la reconnaître. La décrire aux autres ne serait surement pas suffisant pour la retrouver ou pire encore, pourrait les mener dans un piège mortel. Le Rokvenha se retourna alors, les bras ballants, ses deux lames courbées vers le bas dont les pointes chatouillaient le sable fin.

« M’foi… Y’a qu’la Rose et m’même qu’avons r’nifler c’tte odeur d’mort, va f’lloir voir si on s’coupe en deux avec elle et moi en tant qu’limier à r’nifler l’air comme deux clebs ou si on reste tous ‘semble car ça pourrait êt’ dang’reux. »

Il haussa les épaules, se tournant vers les autres comme pour sonder leurs avis aussi. La majorité des marins capables de se battre étaient descendus sur la plage, quelques-uns étaient restés à bord du boutre pour le surveiller. Parmi les explorateurs on retrouvait Rocaille, Noirâtre, Croqueuse et Morveux ainsi que d’autres recrues tout aussi armés et prêt à en découdre.

« Bon… ça va êt’ pas facile, mais j’suis d’avis d’se r’pprocher d’la montagne là-bas » Il la pointa d’une de ses lames. « J’sais pas c’qu’on r’cherche, j’sais pas c’qu’on trouv’ra mais… Y’a mon p’tit doigt qui m’dit qu’le seul cailloux d’cette île a quelque chose à cacher. »

Il moulina dans l’air comme pour ordonner qu’on se mette en marche. « M’Rose, laisse ton museau en l’air, vu qu’le tiens est plus r’finné tu d’vrais sentir l’odeur d’la merde plus ais’ment… Moi c’est dev’nu une ‘deur banale. » Il lui envoya un coup du plat de la lame sur son derrière pour la faire passer devant en riant.

Les marins s’avancèrent alors en direction de la forêt sombre et inhospitalière. Caleb regardait autour de lui et bien qu’il parût sûr de lui, en se détournant pour ne pas être vu des siens, il ne pu réprimer une grimace d’inquiétude avant de s’enfoncer sur cette île.

La baronne écouta silencieusement Caleb alors que ce dernier prenait la parole. Demandant pour une fois les avis de ses hommes. Chose qui sembla assez particulière pour la jeune femme. Cette dernière haussa un sourcil, avant d’observer la réaction des autres hommes et femmes qui suivaient le capitaine dans toutes ses mésaventures. C’était curieux. Peut-être que les dires de la médée l’avait dérangé plus qu’il ne le laissait paraître. Puis, semblant se raviser alors que personne n’osa prendre la parole, il décida finalement de traverser la forêt pour monter vers la montagne. Sans attendre, les pirates se mirent en marche. Adélina jeta un dernier regard vers le navire, essayant de voir une dernière fois son fils. Au bout de quelques secondes, elle se retourna pour avancer à son tour, laissant le mauvais sentiment qu'elle avait derrière elle. À peine eut elle passer le capitaine ce dernier lui envoya un coup du plat de son épée sur son postérieur. Sans attendre, la jeune femme se crispa, avant de s’arrêter. Elle lui lança un regard noir, ce qui sembla amusé quelques pirates avant de prendre la parole, murmurant pour que seuls Caleb ne puissent l’entendre. « Ne refais pas ça… » Puis, Adélina se retourna rapidement, se mettant à marcher. La dernière chose à laquelle elle avait envie était de se faire traiter comme une fille de joie. Adélina savait très bien que cela pouvait attirer la colère du Rokvenha, lui qui pouvait changer d’humeur pour un oui et un non, mais elle se sentait relativement en sécurité à ce moment présent. La raison était simple, il avait besoin d’elle.



Étonnamment, elle se retrouva rapidement devant la majorité des marins, s’avançant vers la forêt macabre qui s’imposait devant eux. Les prunelles balayèrent rapidement les alentours, alors que ses pieds semblèrent finalement trouver une certaine stabilité. D’un bond, la jeune femme monta sur un tronc, tentant de voir – ou plutôt sentir – l’odeur si particulière que la médée leur avait partager. La nordienne eut un léger soupir, se disant que trouver quelque chose ainsi auraient été trop facile. Tout ce qui les entourait était une odeur de feuilles mortes, de pluie et de vent salins. La jeune femme laissa passer quelques marins avant de descendre rapidement du tronc d’arbre, s’avançant silencieusement en suivant les pirates. Ils marchèrent ainsi pendant un bon moment. Étonnamment, la troupe était étrangement silencieuse. Tous semblaient être aux aguets alors qu’ils traversaient l’accueillante forêt. Soudainement, venant de nulle part, un rugissement lointain émana entre les arbres. Adélina se figea, sa main sembla se resserrer sur l’arc que lui avait donné le capitaine. Elle put sentir sa respiration s’accélérer alors qu’elle balaya de nouveau la forêt. Si la créature qui avait fait ce son ne semblait pas être près d’eux, le seul fait de l’entendre ainsi eut pour effet de glacer le sang de la jeune femme. Tournant la tête, elle chercha du regard Caleb, tentant tant bien que mal de se rassurer.

Le groupe de marins continuaient d’avancer dans cette forêt hostile. Tous avaient tiré leurs armes, parés à toute éventualité, regardant à droite et à gauche à la recherche du moindre mouvement et du moindre signe de danger. Caleb était à l’avant de son groupe, comme à son habitude, ses deux lames courbées tournées vers le bas et lui aussi semblait être sur ses gardes. Le mécan avait pourtant connu de nombreux combats et dangers, mais cette fois-ci, il s’attendait à quelque chose d’étrange, inhumain voir magique, tout ce qu’il détestait au plus haut point.

Soudain, quand le rugissement résonna dans l’épaisseur de l’île aux pins. Le capitaine se crispa et arrêta d’avancer, faisant signe aux autres de s’arrêter à leur tour. Scrutant les alentours à la recherche de l’origine du cri, il grimaça à l’idée de réellement la trouver et la rencontrer. Caleb se tourna vers les siens et Adélina et baissa le ton de sa voix. « Quoi qu’c’soit… Ca doit sur’ment s’caner. » Il s’efforça de paraître calme et rassurant pour tous, même si certains n’en avaient pas besoin comme Rocaille et Noirâtre, qui eux, n’attendaient qu’une chose : Se battre.

Croqueuse fronça les sourcils à son tour et en rattrapant le capitaine l’interpella. « La Médée t’as demandé de retrouver la source d’une odeur… Soit… Mais elle t’as pas dit c’que c’était concrètement ? » La question piqua au vif le capitaine qui sans la regarder secoua la tête. « Naye, C’queuse, j’crois qu’j’ai d’jà bien d’la chance d’voir ‘tait mit à l’preuve… Alors trop d’dices… »

La sang-mêlée opina et regarda Adélina par la suite. « Toi aussi t’as senti ? Ça sent quoi exactement ? » La Seconde chercha à se rendre utile à sa manière, pensant probablement que ses atouts de sang-mêlé pourraient servir au groupe d’expédition.

Ainsi tous continuèrent d’avancer dans la forêt, cherchant à se rapprocher encore de la montagne et probablement de la source de ce rugissement terrifiant.

La jeune femme eut l’impression que son sang se glaça alors qu’elle entendit la réplique du forban. Comment pouvait-il être aussi calme dans pareille situation ? On aurait dit qu’il savait déjà qu’es qui l’attendait, qu’il était prêt à conquérir tout, et ce, malgré la fatigue, malgré la peur. La nordienne replaça rapidement son manteau, profitant de la courte pause que leur avait ordonné le capitaine. Puis écouta vaguement la conversation entre la seconde et ce dernier. Elle avança vers le duo, et se fit interpeller par la sang-mêlée qui lui posa une question sur ladite odeur. La jeune femme haussa les épaules à la question de la seconde. Adélina se mordilla la lèvre inférieure, ayant un air pensif pendant une seconde, cherchant quoi répondre à cette question. Puis, au bout de quelques secondes, elle reprit finalement la parole ; « Je ne sais pas ce que c’était. » Commença-t-elle, « C’était un mélange étrange… Salin… Révulsant… » Difficile de décrire ce que cela était, surtout lorsque l’on n’en connaissait pas la source. Juste y repenser fit faire une grimace à la baronne. Elle avait presque l’impression de pouvoir sentir de nouveau l’odeur… Le vent souffla une nouvelle fois, faisant virevolter ses longues boucles brunes qui encadraient son visage. La jeune femme fit une grimace, se souvenant de la répugnante odeur.



Puis, ses yeux s’agrandirent alors qu’elle s’arrêta net. « Hey, Rokvenha… » Dit-elle assez fort pour qu’il l’entende, attirant son attention de nouveau. C’était bien la première fois qu’elle l’appelait par son surnom. Surnom qu’elle n’affectionnait pas particulièrement d’ailleurs, mais l’heure n’était pas aux analyses. Là, en ce moment, elle avait besoin du pirate sanguinaire. De celui qui n’avait pas froid aux yeux. La nordienne tourna la tête vers la direction du vent, avant de s’avancer à l’avant du groupe, passant les innombrables odeurs corporelles qui émanaient du groupe de pirates. Puis, lorsqu’elle fut à l’avant, Adélina leva légèrement la tête, attendant une nouvelle bourrasque qui ne tarda guère à venir lui fouetter le visage. Elle était là. Elle la sentait… Adélina tourna rapidement la tête vers Caleb, avant de lui faire signe de venir dans cette direction. L’effluve était lointain, mais la jeune femme en capta les traces. Une odeur aussi peu alléchante ne s’oubliait pas aussi facilement.

« Rokvenha » ce simple nom, qui est pourtant le sien depuis de nombreuses années, le fit s’arrêter net. Ce n’était pas le nom en lui-même qui provoqua cet arrêt soudain, mais bel et bien le ton et la personne qui le prononça. Adélina n’avait que très peu utilisé le surnom du capitaine. Peut-être par crainte de ne pas en avoir le droit d’usage, ou peut-être parce qu’il lui évoquait quelque chose qu’elle n’appréciait guère ? Quoi qu’il en soit, cette fois-ci, pour une raison qu’il ignorait sur l’instant, la jeune nordienne l’avait appelé « Rokvenha ».

Le mécan tourna alors la tête dans la direction d’Adélina et la fixa, un sourcil haussé en signe d’interrogation. En posant son regard sur elle, il ressentit ce frisson, cette douce sensation qui lui arracha un tressaillement presque de plaisir et qui couru le long de son échine ; La peur. Voilà bien longtemps qu’il n’avait plus ressenti pareil sentiment dans le regard de quelqu’un qui lui faisait face. Lui qui pourtant aimait, jusqu’à en jouer, lire la peur sur le visage de ceux qui croisaient sa route, n’avait plus était en mesure de le faire depuis quelques temps. Non pas qu’il n’en avait pas eu l’occasion, non, mais parce qu’il avait était bien trop occupé ces derniers temps sur ses affaires et sur des sujets bien plus sérieux que la simple piraterie et sauvagerie habituelle.
Cependant, cette fois-ci, il n’était pas à l’origine de cette peur. Peur qui d’ailleurs l’avait lui aussi saisit quand il avait entendu le cri lourd émanant des entrailles de la forêt. Cette même peur qu’il s’efforçait de cacher au plus profond de son être, comme à son habitude. Caleb avait peur, il avait toujours eu peur depuis sa tendre enfance, mais il avait compris que dans son monde, avoir peur était signe de faiblesse et par conséquent, d’être une proie. Le Rokvenha, lui, n’était pas une proie, ni un faible, il se sentait prédateur et pour se faire, avait dû maîtriser cette émotion en la cachant de tous. Courageux, il l’était, d’ailleurs ne dit-on pas que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité à la vaincre ? Et le mécan était bien souvent le vainqueur dans cet affrontement personnel, pour son bien, pour sa survie.

Quand Adélina indiqua la direction au Capitaine ce dernier renifla l’air à son tour, essayant de chercher la raison de pareille décision. Rien. Il ne sentit pas l’odeur infâme qu’il avait pu sentir dans la cabane de la Médée. Il sentait bien quelque chose, mais ce n’était que du bois, l’odeur du seul et de la végétation balayée par le vent. Il reporta son attention sur la jeune femme et fit signe aux autres pirates de s’arrêter. « T’sûre d’toi ? » s’assura-t-il en la fixant. La détermination de la jeune femme ne lui laissa aucun doute et finalement, il décida de prendre la direction indiquée.
De la pointe de sa lame courbée il désigna le sens de la marche et s’avança. A mesure qu’il marchait, Caleb reniflait l’air pour tenter de capter les effluves désirés, mais son odorat n’était pas assez fin et l’origine de l’odeur bien trop éloignée. Il avança alors encore, lentement, continuant d’observer autour de lui. Il le savait, si la baronne l’avait senti, la source ne devrait plus être bien loin, mais la créature qui avait glacé son sang aussi.

La forêt tremble. Des battements d’ailes précipités suivent le terrible cri coupé net d’une créature inconnue. Et le calme retombe, s’insinue entre les branches et les troncs, pèse sur les épaules des intrus.

Elle est ici.
Invisible. Implacable.
Elle observe.
Elle attend.
La Mort.

Son âpre parfum est charrié par une brise douce et légère, il s’infiltre par le nez et colle à la peau. Il s’agit là d’un espoir terrible pour ceux qui le cherchent en ces lieux. Qu’il s’agisse de courage ou de folie, leurs pas les mènent aux abords d’une petite clairière au sol boueux, témoignant d’une mort rapide et sans lutte. Des empreintes animales, une flaque de sang, la trace d’une carcasse trainée jusqu’à ce trou d’eau dont on ne distingue pas le fond.

Et à bien y regarder, dans la boue se dessinerait presque la marque d’un pied abords de la trouée. L’eau qui s’y trouve sent le sel et le pourri. Une odeur reconnaissable de ceux-là qui furent reçus par la Médée.
Et malgré l’odeur, cette eau ne semble pas stagner, non. Car cette eau, c’est la mer.

Elle n’avait pas eu besoin de répondre à la question du capitaine. Il n’avait suffi que d’un regard entre les deux êtres pour qu’il comprenne. Après tout, il lui faisait confiance, lui avait même dit qu’elle avait gagné son honneur sur ce boutre, chose qui, l’avait étrangement réconforté. Adélina se savait privilégiée, mais elle avait toujours cru que cela était du a la valeur que lui attribuait le capitaine comme marchandise. Mais la dernière conversation qu’ils avaient eue, avait totalement bousculé cette idée. Le Rokvenha lui faisait confiance, et Adélina n’aurait guère rompu ce lien, surtout lorsqu’il était la seule personne qui pouvait réellement la ramener chez elle en sécurité. Même dans ces moments de colère, il n’avait jamais levé la main sur elle, pas que l’envie semblait lui avoir manqué à quelques occasions, mais il ne l’avait jamais violenté physiquement.


Ainsi donc, la nordienne suivit son ravisseur sans dire un mot, alors qu’il conduit le groupe dans la direction que leur avait indiqué la baronne. Plus, ils avançaient, et plus l’odeur devenait rance. Adélina alla même jusqu’à retenir quelques hauts le cœur, guère habitué à ce genre d’odeur. Cela lui rappelait des événements qu’elle avait étouffés depuis bien des années. D’affreux souvenirs qu’elle ne voulait pas revivre. Elle pouvait sentir le sang, mais surtout cette odeur de mort… Au bout d’une marche qui lui sembla bien longue, le groupe arriva finalement à un espace dégagé, là où un gigantesque trou d’eau se trouvait.


Étonnement, la jeune femme s’approcha de la marque sanglante, la suivant prudemment avant de ne s’arrêter devant l’eau salée. Le vent poussait cette dernière contre la grève, alors que la mer semblait vouloir s’accrocher aux bottes de la baronne. Le regard de la nordienne se posa sur le trou, avant de se mettre à longer cette dernière, semblant vouloir apercevoir qu’est-ce qu’il pouvait se trouver au fond. Quelques pirates la suivirent, non pas par curiosité, mais probablement plus pour garder un œil sur le trésor du Capitaine. Après tout, tous connaissaient la valeur de la jeune femme, surtout après les quelques démonstrations qu’avait donné le Rokvenha. Au bout de quelques mètres, Adélina s’arrêta net, alors qu’elle aperçut une masse un peu plus foncée qui s’était déplacé au fond du trou. L’alonnaise eut un air quelque peu surprit, avant de froncer les sourcils, intrigués. Rapidement, la jeune femme leva le regard vers le capitaine, voulant s’assurer non seulement qu’il avait repéré ce qu’elle avait vu ou du moins cru apercevoir, mais aussi pour se rassurer. Elle fit un pas de reculons, mettant volontairement une certaine distance entre elle et la mer, puis attendit les instructions du Rokvenha.

A mesure qu’ils s’avançaient dans la direction donnée par la baronne, l’air se remplissait de cette odeur nauséabonde et reconnaissable. Les marins à l’odorat fin toussèrent lorsque les premières inspirations arrivèrent à leurs narines. « Bordel l’Rok’… Tu nous emmènes où ? » Grogna quelque peu la sang-mêlé qui était à ses côtés en recouvrant son nez dans son coude.

Le capitaine quant à lui était silencieux. Le visage légèrement relevé et reniflait l’air ambiant comme pour s’assurer que cette odeur était celle recherchée. La mort, le sang et la mer, voilà ce qu’était ce mélange mal odorant qui ne semblait pourtant pas déranger le mécan. Des odeurs qui lui étaient familières ou du moins, qu’il avait déjà connu à quelques reprises.
Il continuait d’avancer jusqu’à arriver à un trou, creusé au centre d’une plaine. Un bassin presque artificiel aux vues de sa position centrale dans l’île et duquel les relents parvenaient en effluves à mesure que les remous agitaient la surface.

Il posa son regard sur Adélina qui lui confirma à son tour que l’odeur provenait de ce bassin et lui-même fit signe aux marins que leur destination était atteinte. Chacun d’entre eux rajusta sa prise sur leurs armes, parés à toute éventualité. A la vue des traces, des carcasses et du sang, cet endroit semblait être un repaire pour une quelconque créature ou même « chose ».

Le Rokvenha se rapprocha encore et il se laisse surprendre par l’odeur d’eau salée qui remonta à son nez. L’eau qui remplissait ces abysses provenait surement des mers aux alentours et son visage se referma devant pareil cas de la nature. Ses lames courbées alors pointées vers le sol, il approcha encore. A voix basse, à mesure que ses pas le rapprochèrent il laissa échapper quelques paroles que peu des siens l’avaient entendu prononcer.

« Mère vénérée, Guide des océans profonds…
Sois avec moi aux creux d’mes tourments. »

Il avança, encore, le regard braqué s’attendant alors à n’importe quoi qui pourrait surgir de cet instant. Sa main se releva en direction des siens pour leur intimer la patience et la mise en garde. Il continua de psalmodier à voix basse, les présents pouvaient l’entendre grâce au silence qui s’était lourdement installé dans la plaine.

« J’ai plusieurs fois entendu la froideur de tes appels aux abîmes…
Et, dans tes bras, je n’ai aucune crainte d’affronter l’heure ultime. »

Il s’arrêta à quelques mètres du précipice marin, continuant de garder son regard par-dessus. Ses iris scrutant les moindres mouvements qui pourraient se voir à la surface de l’eau ou même dans ses profondeurs.

« En ton nom, je marche avec hardiesse et résolu…
Car à tes côtés plus rien ne m’effraie plus. »

Il se figea alors quand il lui sembla voir une ombre passer en dessous de lui. Inspirant profondément. Sa peur n’était pas palpable des autres, du moins, en apparence, car aucun être ne pourrait être sans peur à cet instant face à pareil inconnu. Il tourna légèrement la tête d’un quart, pour ne pas quitter les flots des yeux et s’adressa aux restes de l’équipage.

« T’nez vous prêts… »