Dans mon sac, j'ai... [Le Fossoyeur - Malicia]

Seïzaar avait déjà fait, depuis le début de la journée, trois allers-retours au Fossoyeur. Un en se levant pour aller réveiller Teoh’dor, un autre pour aller lui chercher à boire, puis celui-ci pour aller remplir son sac avec les effets médicaux qui lui manquaient. Il avait enfin terminé ses courses après avoir croisé à nouveau son Maître remontait à présent sur le pont du navire… Un matelot étendu devant la porte de la cabine de Syria vomissait tout son saoul après une nuit probablement très arrosée… Son sac de cuir a la main, le soigneur se dirigea vers celui-ci et lui tendit un morceau de gingembre confit avec un sourire rassurant.

- Tiens l’ami. Avale çsssa.
- …C’est quoi c’machin ?
- Css’est très bon contre les nauzées. Parole de Ssssoigneur.

Fit-il en l’encourageant d’un petit signe de tête à avaler l’étrange morceau de racine séché… Évidement Seïzaar savait ce qu’il disait et les maux d’estomac du matelot ne pouvaient pas être pires qu’ils ne l’étaient. Si ça ne passait pas, il continuerait d’être malade jusqu’à ce qu’il n’aie plus rien à évacuer et si ça fonctionnait, il aurait bientôt une simple migraine plutôt que tout ce qui accompagne normalement un lendemain de saoulerie. Le pauvre matelot hésita un moment puis avala d’un coup le morceau de gingembre. Dans un silence troublé par les marchandises du port et les vagues d’Eris, ils attendirent tous les deux de voir ce qui adviendrait de la racine… Par un coup de chance inouïe, il ne ressortit pas. Un sourire satisfait aux lèvres, Seïzaar aida le malade à se lever et lui tapota le dos.

- Merde, c’est efficace ton truc. Tu m’en donnes un peu pour la prochaine fois ?
- Bien sssûr !

Sifflota le soigneur en lui donnant quatre bouchées de gingembre.

- Prends garde à ne pas le croquer ou tu le regretterais !

Le prévint Seïzaar en le saluant une dernière fois. Le matelot descendit du navire et se dirigea vers la plage en bas du quai pour aller se baigner un peu histoire de se réveiller. Le laquais quant à lui resta sur le pont à faire l’inventaire de ses achats. Assis dans l’escalier qui menait a la barre, il sortait un peu tout ce qui occupait son sac de cuir noir… Se croyant entièrement seul, il se mit à chanter un petit air bien innocent, une comptine de sa tendre enfance sur laquelle il mettait des mots sifflants du à l’état de sa langue… Mais Seïzaar s’en fichait. Il avait la naïveté d’un enfant et ne s’imaginait pas qu’on puisse se moquer de quelqu’un qui chantonne. Dans sa tête, ça n’avait pas de sens.

- Oh ! C’est quoi ca ? La couleur est jolie !

Sursautant, Seïzaar chercha un instant ce qui venait d'élever la voix et ses yeux tombèrent sur une toute frêle jeune fille qui s'était assise près de lui. Les mains plongées dans son sac, elle en sortait divers flacons, pots, flasques et sachets... Le flacon rempli de liquide bleu qu'elle reposa par terre après l'avoir observé était rempli d'un puissant élixir contre les problèmes de digestion. Mais il n'eut pas le temps de lui répondre avant qu'elle ne sorte un nouvel objet, une racine fraîche de la plante précédemment utilisée pour aider le matelot nauséeux.

- Oh ! Et ça ? Qu’est-ce donc ? On dirait de la racine de gingembre ? Est-ce exact ?
- Css'est exactement çssa !

Siffla le soigneur avec un sourire calme et rassurant comme devrait toujours l'être le sourire d'un docteur. Malicia était encore une gamine, mais Seïzaar s'entendait avec elle comme larrons en foire. Ils avaient à peu près le même âge mental bien que le corps, lui, commençait à prendre lentement de l'âge. Seïzaar n'avait jamais mentalement vieilli et l'adolescente avait pu s'en rendre compte parce qu'il avait tendance à rigoler des mêmes choses qu'elle...

- Tu as quelque choze d'important à faire ? Qu'est-csse que tu dirais sssi je t'emmenais avec moi faire le tour du port ? J'ai quelques passsients temporaires qui attendent des pressscripssions.

Lui dit-il en remettant dans son sac ce qui en était sorti... Puis en jetant un coup d'oeil aux flaques de vomissures qui parsemaient le pont, il eut une infime grimace.

- Ensssuite je t'aiderai à nettoyer tout çssa.

Dit-il gentiment en pointant le dégât qu'avait fait le matelot en partant puis en se redressant, attendant la décision de la jeune fille.

- Oh ! Je ne l’avais pas vu celui la...

Seïzaar plissa les nez avec un sourire compréhensif. Il devrait l'aider à leur retour et il devait avouer que malgré qu'il joue régulièrement dans les blessures des pirates régulièrement, et plusieurs étaient infectées, ouvertes, plus graves qu'il ne le croyait, la vomissure le rebutait particulièrement. Puis elle reprit.

- Bien sur ! J’irais avec toi comme ça on pourra rigoler un peu avant que je ramasse tout…
- Je t'aiderai, promis.

Lui répond t-il en lui tapotant l'épaule. La différence de taille entre les deux est flagrante, Seïzaar fait un bon pied et demi de plus qu'elle et la surplombe comme un arbre fait de l'ombre à un arbrisseau. Sans lui nuire pourtant. Marchant le long du port, le soigneur s'arrête assez souvent... Ça a l'air de rien comme ça, Seïzaar est peut-être traité comme une sous-merde par Teoh'dor, mais il est d'une efficacité sans faille et sa réputation sur Meca va en grandissant. Malgré tout, il continue de s'accrocher au Drow comme s'il s'agissait d'un proche parent... ou d'un amant duquel il est amoureux. On ne peut pas savoir quel type de relation il entretient avec son Maître, mais très franchement, on préfère éviter de se poser la question.

Malicia lui posait beaucoup de questions, précisant aux patients qu'il s'agissait là d'une assistante, la plupart d'entre eux ne furent pas trop réticents à agir comme si rien était. Au bout d'un moment, ils commencèrent à avoir fait le tour du port et c'est à ce moment qu'ils tombèrent sur une adresse qu'il avait reçue d'un messager plus tôt dans la semaine... On lui avait dit de passer déposer le paquet dans le bureau principal de le dernier entrepôt du port, a l'extrême Est du port... L'endroit était immense, l'entrée poussiéreuse et inutilisée semblait avoir été ouverte depuis peu d'après les traces laissées récemment dans la poussière et le sable...

- Bon... J'ai quelque choze à aller porter là dedans...

Fait-il à voix haute en s'immobilisant devant la porte, à quelque pas, comme s'il hésitait lui-même à y mettre les pieds. Qui pourrait bien se trouver là-dedans et insister pour qu'on aille lui porter ses paquets dans un endroit pareil ? Agitant les doigts nerveusement sur la poignée de son sac, échangeant un regard avec Malicia, comme s'il la suppliait d'un oeil de ne pas le forcer à entrer là, il se botta le train mentalement et bomba le torse. Ah non, il avait un travail à faire, il n'allait pas se dégonfler parce que l'endroit était glauque ! Repoussant la planche qui barricadait la porte, il poussa le pan de bois qui grinça de manière fort sinistre avant de laisser passer le soigneur et la jeune fille dans une pièce noire qui sentait toutes sortes de parfums mélangés...

De la marchandise devait encore pourrir quelque part, une odeur de moisissure, de pain rassi, d'eau corrompue et de poussière embaumait l'endroit... Faisant quelques pas à l'intérieur, tenant d'une main son sac et de l'autre la main de la jeune fille qu'il força à le suivre... parce que on peut dire ce qu'on voudra, entrer quelque part avec quelqu'un est moitié moins effrayant que seul...

- Excuzez moi...!

Lança Seïzaar une fois qu'ils eurent atteint le milieu de la salle... Levant les yeux derrière ses lunettes, le soigneur tenta de distinguer des mouvements…Mais il n’y avait rien…

- Bon… Il faut trouver le bureau. Je n’y vois rien… Comment on va faire pour trouver la porte ou l’essscalier qui y mène sssi on n’y voit rien ?

Fit-il en plissant les yeux dans la noirceur complète… Enfin, il y avait bien un rai de lumière par la porte entrouverte mais ils en étaient au milieu de la pièce et il faisait si noir et l’atmosphère était aussi épaisse que du velours… Impossible d’y voir a deux pieds devant sans retirer les barricades des fenêtres…

- Faudrait ouvrir les fenêtres…

Proposa Seïzaar en tirant mollement Malicia par la main vers ce qu’il croyait être un mur avec une fenêtre vu la poussière qui voulait dans ce qui semblait être un tout petit peu de lumière derrière une planche.

À peine il ouvrait la bouche a propos d’ouvrir une fenêtre que déjà Malicia s’affairait sur l’une d’elles, détruisant la planche qui la barricadait à coups de poings, de pieds et de rapière… Et le tout dans un minimum de raffut. Tournant les talons alors que la lumière envahissait la pièce, Seïzaar se mit en frais de trouver une porte ou un escalier qui les mènerait à un bureau… On lui avait dit de déposer le paquet sur un bureau alors pour ce faire, il fallait bien d’abord le trouver. Mais il sentit une pression sur son bras qui ramena son attention.

- Oh toi, je t’interdis de me laissé seule ici ou alors…
- Bien sssûr que non, je ne te laisssserai pas toute ssseule, j’veux pas être tout ssseul non plus, alors…

Fit le soigneur en se raidissant. Un sifflement lui parvint, un coup de vent dans les ouvertures de la vieille fenêtre supposa t-il pour se rassurer. Le cœur dans les talons, le laquais avala sa salive et détailla la salle avec une petite grimace écœurée. Tout était pourrit, rassis, corrompu, rance… Et la plupart d’entre elles étaient ouvertes. Fronçant les sourcils, il fit quelques pas pour s’en approcher puis remarqua un petit escalier branlant en bois pourrit qui se tenait là, appuyé contre l’étage supérieur, presque invisible dans la poussière des murs et les toiles d’araignées.

- Seïzaar sommes nous dans un entrepôt ou les gens serraient autrefois les réserves pour les tempêtes ?
- Sssûrement.

Dit le laquais en regardant autour de lui une dernière fois… Puis il s’avança vers l’escalier et entreprit de le gravir.

- Je vais monter d’abord et sssi je ne tombe pas, c’est que la voie est libre pour me sssuivre, çsssa va comme çsssa ?

Demande t-il alors à la jeune fille. Puis sans attendre sa réponse, il mordit dans la poignée de son sac de cuir, pour pouvoir utiliser ses deux mains, puis grimpa l’escalier étroit à quatre pattes. Seïzaar était terriblement entêté. Quand il avait une idée derrière la tête ou des ordres précis, il les respectait à la lettre, voire à la virgule près, et il était assez déterminé pour se lancer dans une meute de loup pour accomplir sa tâche…Atteignant l’étage supérieur après avoir failli tomber de près de trois mètres environ quatre fois, il finit par arriver devant deux portes, l’une a moitié fermée, l’autre grande ouverte… Cependant, il ne s’y dirigea pas tout de suite, faisant signe à Malicia de monter le rejoindre.

- Sssi tu fais attensssion, tu ne tomberas pas.

Lui lança t-il sur un ton rassurant alors qu’elle s’élança adroitement sur les petites marches… l’adolescente était d’une efficacité étonnante sur de petites surfaces et en peu de temps, elle était déjà en haut…

- Deux portes…, fit Seïzaar en se mordant la lèvre, le bureau…

Entrant dans la pièce dont la porte était ouverte, il s’en retourna aussitôt vers Malicia et la percuta avant d’essayer de redescendre les marches vivement… La porte qui était entre-ouverte juste à côté s’ouvrit à la volée sur une femme au buste plus que généreux, à la peau blanche comme la porcelaine, de longues oreilles en pointes, les yeux rouges comme deux cerises sur fond blanc et les lèvres tout aussi écarlates… Seïzaar s’immobilisa soudainement.

- Oh, vous êtes le Soigneur du port ?

Fit-elle avec un sourire étrange. Le soigneur en question resta paralysé de frayeur…

- Il semble figé. Qu’a-t-il donc vu ?

Fit l’étrange elfe en tournant son regard manifestement malade vers la jeune fille qui accompagnait Seïzaar…

- Je crois qu’il a simplement été surpris par votre arrivé particulière. Je me prénomme Malicia et vous ?
- Mon nom est Karh’men.

Fit-elle sur un ton lugubre tandis que Seïzaar tentait de se remettre de ses émotions. Inutile de dire que ce qu’il avait vu dans la pièce dont la porte était ouverte avait du le choquer au plus haut point… Sa pâleur et son expression d’horreur figée transcendait toutes les langues.

- C’est pour vous voir que nous sommes ici ?
- Non, non, c’est pour mon frère. Il semble un peu amorphe ces derniers temps et j’ai demandé à votre ami de m’apporter un peu de liniment pour lui délier les muscles. J’ai beau le masser et essayer de lui délier les muscles, il refuse de se lever.

Dit-elle sur un ton trainant, l’air un peu distrait. Seïzaar quant à lui ne semblait pas tenir à rester dans cet endroit plus longtemps. Les mains tremblantes, il ouvrit son sac dont la fermeture de fer cliqueta longuement avant de finalement lui laisser le droit de fouiller dans ses effets. Les doigts moites et glacés, il sortit un petit pot plus large que haut, fermé par un bouchon de liège, rempli d’une visqueuse mixture de couleur jaunâtre. Il la posa sur le sol et resta figé lorsque ce qui semblait être une drow se pencha, dévoilant un vertigineux décolleté d’une profondeur effrayante.

- Je suis certaine qu’il serait très heureux de vous remercier en personne. Si vous voulez bien me suivre…
- J-Je n’y t-t-tiens pas, mersssi ! Siffla le soigneur en agitant exagérément les mains devant lui.
- J’INSISTE.

Fit Karh’men en lui lançant un regard presque douloureux tant il était insistant. Souriant doucement à Malicia, elle les invita d’un geste à pénétrer dans la pièce suivante, la porte ouverte par laquelle Seïzaar était entré précédemment et ressorti si vite que Malicia n’avait peut-être même pas remarqué son existence. Entrant dans cette petite pièce sombre, éclairée par une lampe à l’huile, rendant le décor orangé clair, c’était l’ancien bureau, transformé en chambre à coucher. Sur le lit était étendu quelqu’un. Enfin, une silhouette bien banale, couchée, de longs cheveux noirs et soyeux tombant sur l’oreiller, coulant comme une rivière de goudron jusqu’au plancher. Dans le noir et de si loin, la silhouette semblait dormir. Se rendant au lit du fond en trottinant, la drow s’étendit avec un sourire serein sur la personne alitée.

- Ô mon frère…, fit-elle délicatement en passant une main sur sa joue, Be’hort… mon tendre, le soigneur est là…

Lui susurra t-elle tandis que le sentiment de malaise dans l’atmosphère s’épaississait… Le soigneur dont il était question grimaçait nerveusement, retenant une envie flagrante de s’enfuir en hurlant…

- Il n’est pas très bavard depuis quelques mois, il faut l’excuser.

Dit-elle en retirant quelques mèches rebelles du front de l’homme au teint très très pâle qui semblait… très peu animé. Seïzaar donna un petit coup de coude à Malicia, lui jetant un coup d’œil angoissé, il poussa un gémissement implorant…

- …Y faut partir…, Siffla t-il alors que Karh’men murmurait des choses à son … frère.