Une bougie pour y aller, est-ce que tu crois que c'est assez?

En provenance de...

Pourquoi la petite s’était-elle drapée dans sa cape? Pourquoi? Un geste incongru, impossible à vraiment expliquer… Le lit avait des draps… De bon drap blanc… Pourquoi s’était-elle drapée dans sa cape et couchée sur le dessus de la couverture? Hein? Hein? Muelle se doutait de quelque chose mais son esprit était curieusement englué, amortie, ralentit… Elle était affaiblie et fatiguée mais le sommeil n’aurait pas du la submerger si facilement alors qu’elle soupçonnait quelque chose.

L’appel de Lufotu s’était tue, lui laissant quelques repos… Parce que Lufotu obtient toujours ce qu’il souhaite et qu’il l’a obtenu…

Le froid lui mordit les reins et la nuque…Un long frisson la fit s’éveiller dans une quinte de toux incontrôlable. Le froid est un puissant irritant pour quelqu’un dans sa condition. Elle se plaqua les deux mains sur l’abdomen et chercha quelque part le souffle nécessaire pour incanter… « ingul… ingularis lux… ingularis lux… ingularis lux… » Elle inspira profondément et regarda autour d’elle.

Elles se trouvaient en plein bois. La gamine roulée dans sa cape… Leurs affaires disposées exactement comme dans la chambre… À quatre pattes, Muelle endossa son manteau, le boutonna fébrilement et nouant son écharpe. De sa poche elle sortit une poignée de brindille et les lança en l’air… « On est au sud… probablement dans la région de Christabel… Saleté de bouquin… » Il allait falloir expliquer à la gamine la science des oracles… mais pour l’instant, désireuse d’économiser son souffle, Samuelle se mit plutôt à la recherche d’un buisson. « Zoïle? Réveille-toi, c’est l’heure de faire de la botanique… » fit-elle, sa voix voilée.

Elle abandonna sur place tout le bagage et se faufila entre les arbres, serpentant entre eux, les yeux rivé sur le sol… Il lui fallu pas mal de temps pour trouver ce qu'elle cherchait... Nullement inquiète de se perdre ou encore de se faire voler: aucun sentier ne menait là où elles s'était trouvées. Aucun sentier et aucune piste...

Finalement, elle arracha d’un arbre une bonne longueur d’écorce qu’elle planta dans les mains de Zoïle et désigna d’un doigt ganté : « sureau noir… ». Les baies étaient givrées de gel, dégradée mais les oiseaux ne les avaient pas découverte sous le couvert végétal dense. Samuelle s’appuya à un arbre et laissa la gamine déduire ce qu’elle attendait d’elle.

Avec atterrement, la métisse constata : Elle allait la tuer… Enfin, Lufotu allait la tuer… Eze le savait, salaud…

Au moins avait-il préparé le feu… Muelle ne prit pas la peine de répondre à la gamine… Économiser son souffle!! Le temps lui était compté… L’effort d’avoir eut à marcher dans les bois avait épuisé ses dernière ressources. Avec des gestes économes, elle tira une tambouille du paquetage, y jeta quelques poignées de neige et la posa sur la braise. Elle se laissa ensuite tomber près de la gamine et les mains tremblantes, égrena les baies dans la casserole…

Tout y passa, les grappes entières, peau et noyau avec les tiges.

La neige fondue jeta son l’eau et dilua les sucs des fruits, composant un vilain jus noir qui bouillit bientôt… Il fallu longtemps à la réduction pour se transformer en sirop.

Tout le temps nécessaire pour méditer sur sa situation en s’efforçant d’inhaler les vapeurs autant qu’elle pu, respirant à petit coup… Muelle n’avait jamais prit d’apprentie. Elle n’était pas une égocentrique dans l’âme mais la fièvre des marais, l’acharnement de ses aînés et l’abandon de Zoile l’avait rendu ainsi. Elle était une sorcière solitaire parce qu’elle était occupée toute entière par sa propre survie. Le manque d’oxygène lui martelait les temples sous la forme d’une puissante migraine. Avoir une apprentie signifiait qu’elle devait se préoccuper de quelqu’un d’autre. Ça allait demander du travail. Lufotu allait devoir coopérer et respecter ses limites à elles. Parce que les limites de Samuelle Daee n’avait jamais été magique ou morale. Elles étaient physiques.

Elle retira le sirop du feu et l’enfonça dans la neige pour le faire rapidement refroidir. À contrecœur, elle enleva un gant et effleura la surface du sirop du bout de ses doigts noirs. Noirs? Noir! Comme si on en avait trempé les deux premières phalanges dans la teinture. Elle fit signe à Zoile d’approcher et d’observer. « Regarde… » Sous ses doigts, la surface du liquide se plissa légèrement, comme une petite brise sur l’eau calme d’un lac. Elle y trempa ensuite un doigt et se tournant vers le peu de soleil qui filtrait au travers des branches, laissa gouter le liquide dans la lumière pour lui en faire apprécier la couleur. Le sirop noir avait à la lumière une teinte rougeâtre…

Avec une petite mesure de métal qu’elle portait autour du cou en pendentif, elle s’octroya 2 bonnes lampées de la mixture. Les tanins trop concentré lui tordirent d’abord les traits, puis le soulagement vint finalement. Muelle l’apprécia à sa juste valeur quelques instant, les yeux clos, puis elle tendit la main vers Zoile. « Zoile, donnes-moi Lufotu… » croassa-t-elle.

Lorsqu’elle eut le livre entre les mains, elle l’ouvrit presque au hasard, feuilletant les dernières pages de l’ouvrage, et lu pour elle-même pendant de longues minutes. Elle cherchait ce que la gamine ne pouvait expliquer : les motivations du bouquin. Elle les trouva en lisant un passage la décrivant, elle, et son influence. « T’as faillit me tuer, gros malin… J’ai presque dix ans de plus! J’ai vieillit et j’ai changé! » fit-elle soudainement en colère comme si elle s’adressait à une personne physique. Puis dans un claquement sec, elle referma Lufotu et le rendit à Zoile. « Le sud ça me convient très bien… Eze, ranime le feu, je ne vois pas l’intérêt de me fatiguer d’avantage quand on peut être porté. » Elle reporta son attention sur la gamine. « Ne crois pas tout ce qu’il te dira à mon sujet. Je suis malade. J’ai la fièvre des marais. Ce que je t’ai montré à concocter est une petite recette d’herboriste qui a tout à voir avec la magie des haies. À l’occasion, que tu saches le faire peut me sauver la vie… Normalement, on dilue 2 mesures de sirop dans une tasse d’eau chaude ou de tisane…Alors… » fit-elle platement en s’assoyant dans la neige, les pans de son long manteau noir soigneusement rassemblé. « Tirons des leçons de cet intermède… qu’est-ce que tu as appris? »

« Ça vire en sucre en moins de 2 jours… » Muelle croisa ses longues jambes sur son baluchon, parfaitement détendue… « Ça ne se conserve pas… Mais on peut racler ce qui reste dans le fond...» admit-elle...

Puis elle attendit quelque seconde pour voir si la gamine allait tenter une autre réponse. Déçue, elle ajouta : « Non ce que je veux que tu retiennes de cette ‘magie’ des haies, c’est que ça n’a rien de magique… Enfin, la plupart du temps. » Et elle ajouta intérieurement : Pas comme ce que j’ai fait à la Reine Lilianna et à la princesse… « La magie des haies, c’est de l’herboristerie et de la botanique. Des connaissances. Ça n’en reste pas moins magique pour le commun des mortels… Parce qu’ils ignorent ce que nous savons. Le corollaire, c’est que l’ignorance est une sorte d’anti magie… » Et la métisse eut un vilain sourire. « Presque aussi nuisible! » Son ton avait quelque chose d’ironiquement réjoui. « Et Lufotu consigne entre ses pages une somme considérable de connaissance… Des connaissances qui sont exclusivement à son propriétaire, à toi. Ainsi apprendre et garder cette magie pour toi te rend malfaisante, d’une certaine manière… » Et voilà qu’elle parlait de don de soi et de générosité à une gamine de 7ans qui avait encore tout son innocence. C'est la marmite qui traite le chaudron de cul noir...

Le reste de la journée passa lentement... Puis le crépuscule vint...

Muelle se leva et s’épousseta. « Viens, la nuit est douce, on peut marcher… Plus rapidement nous atteindrons le sud, mieux je me porterai… »

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