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 L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik

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Godfroy de Saint-Aimé
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MessageSujet: L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik   L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik I_icon_minitimeMar 31 Mai 2016 - 19:16



C'était le soir du troisième jour. Les journées commençaient à se ressembler. Voilà quatre crépuscules qu'ils étaient à Serramire, pour être présents au tournoi. Pourtant, Godfroy ne semblait pas très heureux d'être présent. Il n'estimait pas que l'heure était aux festins et aux jeux, mais aux discussions et aux traités. Les Drows vaincus, l'ennemi de l'intérieur était de nouveau l'objet de tous les regards, et pour le Nord, leur distraction noirelfique n'était plus là pour limiter leurs actions. Pourtant, c'était une soirée calme. Le soleil se couchait, bien qu'il était déjà tard, et de son balcon, Godfroy avait les yeux posés sur la ville, pensif. Ses lèvres s'ouvraient et se refermaient, telle une pompe, tirant sur le manche de sa pipe, appréciant la légère brise et l'humble chaleur prodiguée par les bougies adjacentes.

Une soirée paisible, du tabac, un verre de liqueur, et de quoi grignoter, voilà ce qu'étaient les soirées qu'aimait Godfroy. Posé sur la table, un petit cadre de bois, si petit que l'ébéniste lui avait conçu un couvercle, comme un livre. A l'intérieur, on y avait gravé le portrait du fils décédé du marquis, Jean, mort deux ans et demi plus tôt. Cela avait beau remonter à de longs mois, Godfroy ressentait la douleur de sa perte comme si elle n'était survenue que l'avant-veille. Par grandes inspirations, le colosse ressentait le calme et la sérénité qu'il recherchait depuis deux ans et demi. En ces rares moments, son visage se perdait dans la contemplation, et sous ses allures de brutale fermeté, les failles de son âme laissaient s'échapper les fins volutes de la peine et de la mélancolie.

Si profondément ancré dans la torpeur de ses pensées, seulement perturbé par l'inlassable fumée de sa pipe allumée, il n'avait même pas remarqué que son épouse s'était assise de l'autre côté de la table, où quelques victuailles sobres, mais suffisantes pour trois, trônaient, au côté de quelques bougies, de chopes, et d'une bouteille de liqueur. Il la regarda, elle toujours si digne, toujours si calme et sereine, qui avait été son amie avant d'être son épouse, puis la mère de ses enfants. Il gardait ses yeux sur elle, content, sinon heureux, de l'avoir à ses côtés.

« La dernière fois que je suis venu ici, c'était sous le règne d'Aegar. Nous menions la campagne contre le Baudrier, Baudouin d'Oësgard, qui s'était rebellé contre Trystan, avec ses comparses d'Olyssea, de Hautval, et d'Ancenis. C'est en Oësgard que mon frère, Sébaste, est mort. Alors que nous combattions, Gaucelm d'Odélian s'empara d'Etherna, prétextant sa félonie. Et après la défaite des rebelles, Merwyn et Aegar s'unirent, rejetant Trystan de Diantra, ce qui causa leur perte. Sainte Berthilde avait perdu son marquis, une baronnie, et la seconde était en cendres. Alors Trystan, pour remercier ceux qui lui étaient restés fidèles, au tournoi, distribua les biens. Il me promit le marquisat, en tête à tête. »

Godfroy baissa les yeux un instant, puis soupira. « Puis il le donna à Emma. Ma cousine. Une folle. Encore. Et à sa mort, celle que personne n'avait vu depuis des années revint pour prétendre au marquisat. Des nobles me proposèrent de me porter candidat. De revendiquer le trône. De m'allier à la Rochepont. Peut-être que si je l'avais fais... » Il ne termina pas sa phrase, son menton retombant, ses yeux se fermant, sa mâchoire se crispant. « Quelle imbécile...Quel héritage laisse-t-elle, elle et son enfant, à nourrir les vers, à présent. Trois ans en Péninsule, et deux guerres. Voilà ce qu'elle laisse. » Judith savait que Godfroy n'aimait pas Arsinoé. Il la haïssait, la tenant autant responsable pour la mort de leur aîné que les félons d'Arétria et d'Olyssea. Et même dans la mort, Arsinoé d'Olyssea continuait de marquer le monde de sa dégoûtante empreinte.

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Roderik de Wenden
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MessageSujet: Re: L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik   L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik I_icon_minitimeMer 8 Juin 2016 - 14:23


Le visage de Roderik se découpait dans l'entrelacement opaque des ombres de la nuit et de la fumée de pipe ; dans cette pénombre relative, l'éclat tremblotant des bougies dispensait une espèce de clair-obscur. Calme et silencieux, le comte d'Arétria partageait le repas du marquis et de la marquise, alors que sa propre épouse brillait par son absence. Si elle était bien présente à Serramire pour les festivités, elle évitait autant que possible de se trouver en présence de Godfroy de Saint-Aimé ; l'homme lui déplaisait, et Roderik croyait deviner qu'elle en avait également un peu peur. Il pouvait comprendre cela ; quoiqu'il ne se l'avouât jamais, Roderik partageait ce sentiment. Mais si les deux hommes étaient partis du mauvais pied, le voyage qu'ils avaient accompli ensemble pour se rendre jusqu'en Serramire avait, d'une certaine manière, atténué cette hostilité sourde et froide qu'il y avait entre eux. Le marquis lui avait fait part de certains revirements politiques, et Roderik se sentait désormais assez en phase avec ce que son suzerain souhaitait pour le royaume. Il l'avait assuré, à nouveau, de sa fidélité et de son soutien.

Désormais, les deux hommes, s'ils n'étaient pas les meilleurs amis du monde, pouvaient s'asseoir à une même table, et le seul malaise que pouvait encore éprouver le comte était celui, assez commun, du vassal face à son suzerain, du plus faible face au plus fort. Heureusement, l'alcool savait désinhiber les réticences de celui qui ne se sent pas à sa place ; et Roderik était, en vérité, d'humeur à bavarder ce soir-là. Aussi, après avoir écouté sagement Godfroy remuer le passé, il ne put s'empêcher d'y aller de son petit commentaire.

- C'est étrange, et... presque amusant... mais plutôt triste, en vérité, murmurait Roderik, pensif. L'un des seuls points qui semble encore emporter l'unanimité dans tout le royaume, c'est cette rancune tenace que chacun tient à l'encontre d'Arsinoé d'Olyssea. Pour les uns, elle était une usurpatrice, pour les autres, une régente malavisée dont les décisions ont coûté fort cher à tout le monde. Chacun a ses propres raisons, mais chacun lui voue la même inimitié. C'est comme si, d'une certaine manière, Arsinoé représentait cette unité que nous avons perdue.

Il esquissa un rictus sans joie tout en haussant les épaules.

- Et nous voilà, marquis Godfroy, après toutes ces années noires, à racler la merde laissée par nos prédécesseurs. A reconstruire un royaume millénaire dont les fondations-mêmes sont sur le point de s'écrouler. Puisse la lignée royale être préservée du fléau de la bâtardise pour toute la durée de ce onzième putain de cycle. Nous savons maintenant ce qu'il advient lorsqu'un homme qui n'y était pas destiné s'accapare le trône. Ce que fit le roi Trystan à votre égard, marquis... Roderik renifla bruyamment, d'un air mauvais. La manière éhontée dont il revint sur sa promesse, à vous qui lui étiez pourtant fidèle... cela montre bien qu'un bâtard n'a pas le même sens de l'honneur qu'un héritier légitime.

Il se gratta la nuque, le front plissé. La réflexion et l'alcool ne faisaient pas toujours bon ménage.

- C'est sans doute de par sa nature d'enfant né dans le stupre que Trystan faisait un si mauvais roi. C'est sa nature honteuse qui le poussait à se laisser guider par ses sentiments, à distribuer terres et titres à des damoiselles sans envergure, et à laisser le royaume en perdition sans même s'en apercevoir, comme le ferait... comme le ferait un roi aveugle, conclut-il, amusé par son propre trait d'esprit. Puis, se tournant vers la marquise, il ajouta d'un ton aussi poli qu'innocent : désirez-vous une saucisse, Dame Judith ?
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MessageSujet: Re: L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik   L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik I_icon_minitimeJeu 23 Juin 2016 - 16:27

Il était reposant et apaisant de pouvoir jouir d'une soirée de calme, sous la lueur de la lune, à profiter des choses simples à leur disposition. Ses pensées n'étaient pas tournées vers la guerre, vers la politique, ni vers toute autre chose qui aurait assombrit son esprit et envenimé son humeur. Judith était silencieuse, calme, comme à son habitude. Aussi Godfroy reprit la parole.

« Beaucoup de gens s'imaginent que le règne de Trystan était bon, car cela leur rappelle une certaine stabilité aujourd'hui perdue. Mais en réalité, il n'y a que les jeunes et les ignorants qui ont le souvenir d'un bon règne. Son temps sur le trône a été marqué par l'échec de Meca, par le début du délitement de la Communauté de la Lumière, et par une immense guerre civile. Les idiots se souviennent des idiots comme s'ils étaient des héros, car ils s'imaginent eux-mêmes être des héros. L'exemple de la Fillette du Médian est assez illustratif, me semble-t-il. »

Puis, comme Godfroy était homme à s'amuser de la gêne et du malaise, il se tourna vers Roderik. Du moins, il tourna son visage, car, confortable comme il était, pour rien au monde il n'aurait bougé son buste ou ses jambes. Quant à ses bras, ils étaient solidement ancrés, la main gauche à portée de la nourriture, la droite, tenant la pipe.

« Comment se passe votre mariage, Roderik ? Je suis sûr qu'un héritier mâle pointera bientôt le bout de son nez. Vous donnerez à Arétria un futur comte, et un fils à votre épouse ! Ce sera l'objet de réjouissances dans tout le marquisat. Et puis, espérons-le, il ne sera que le premier d'une grande fratrie. »

Tenant la pipe entre ses lèvres plissées, le marquis s'amusait, un léger sourire gravé sur son faciès. « Vous devez faire cela fermement, comme un homme. Vous devez œuvrer comme on oeuvre à la chasse. Les proies les plus dangereuses doivent être cernées, et maîtrisées avec vigueur, force, et témérité. C'est là qu'on reconnaît la marque des vrais hommes. Il vous faudra être exemplaire en cela. C'est l'un de vos devoirs les plus fondamentaux, en tant que mari, comte, et futur père. »


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MessageSujet: Re: L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik   L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik I_icon_minitimeJeu 23 Juin 2016 - 18:22

La vie, avait un jour dit mon père, faisait partie de la mort.

Il aimait le dire de cette façon, mais je me demande encore aujourd’hui s’il aimait le dire de cette manière pour paraître original, ou bien qu’il y croyait vraiment. La vie, une fraction de la mort ? La mort, une fraction de la vie ? Peu importe, au fond. Il y a des morts, et des vivants.

Et les vivants vivent pour ceux qui sont morts.  Je vis pour ceux qui sont morts. Chaque respiration, chaque réflexion, chaque pensée, vont vers les morts de cette Péninsule qui se gorge du sang de chacun de ses enfants. Je vis pour mon fils, qui a payé le prix de l’hybris des grands. Pour Bohémond, dont le cadavre gorgé d’eau a abandonné jusqu’à son propre nom, emprunté par quelque soltarii à l’ambition abjecte. Jamais n’ai-je décrit le moindre sentiment sur un journal depuis la mort de Jean, car de sentiments...il ne m’en reste qu’un seul.

« Permettez-moi de décliner. Je ne me sens pas en état d'en manger plus d'une cejourd'hui. Merci, monseigneur. »

Roderik de Wenden, ancien sénéchal. Un marchand de mort comme tant d’autres sur la Péninsule, récompensée par son habileté à tuer. Et aussi parce que, de tout les partis possibles pour prendre la tête d’Arétria, il semblait être de loin le plus raisonnable, donc le plus malléable. Le voici imbibé à se moquer d’un roi, le voilà sobre demain à lui jurer allégeance. Plus que l’aveuglement de Trystan – littéral et figuré-, c’est la traîtrise qui a causé la chute du royaume. Un meurtre, commis par les plus nobles de sa suite. De même, ici, c’est la trahison d’Aegar qui a également causé la chute du marquisat. Etherna, la Sgardie. Vous qui fûtes sénéchal, vous avez vu la conséquence des trahisons sous vos yeux. La Gardienne de Néera vient et va dire à qui veut que les maladies de nos enfants et de nos récoltes, ainsi que le Voile à la durée anormale sont un témoignage de la déception et de la haine que la Damedieu nous porte. Et nous devrions-nous tirer comme seule leçon qu’un roi aveugle est un mauvais roi ? Que mon fils est mort parce que les arétans étaient des traîtres ?

Mais je me perds dans mes pensées. Tiens, déjà parlons-nous d’Iselda ? Allons. Ma nausée est déjà bien assez pesante pour devoir de surcroît supporter les mensonges graveleux d’une sexualité inexistante au sein d’un mariage entièrement arrangé. Ventrenéera, mais qu’est-ce que ce fou de mari est-il en train d’insinuer à Roderik ?


«  Qu’il est intéressant de vous entendre parler de proies au pluriel, mon cher Godfroy. Voilà un tableau de chasse qu’il m’intéresserait de voir au plus haut point. »

Oh, mais je plaisante. Il ne me trompe pas, et je le sais bien. L’idée m’est aussi inconcevable qu’elle le serait pour lui. Non pas que je sois jalouse. Cette émotion-là également, je l'ai oubliée.

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MessageSujet: Re: L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik   L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik I_icon_minitimeSam 2 Juil 2016 - 17:16


Il ne fallut pas bien longtemps pour que la conversation s'éloigne des bonnes vieilles considérations politiques pour tourner autour du trou de balle. Bon joueur, Roderik ne boudait pas forcément le sujet lorsqu'il était amené à converser avec des chevaliers de son entourage, même quand ceux-ci lui étaient inférieurs de rang - il évitait simplement d'exposer des confidences susceptibles de nuire à son image.
Cela dit, parler de la chose avec son suzerain et devant l'épouse de ce dernier, qui au demeurant était fort belle à regarder, c'était là une situation inédite, et qui n'était pas pour le mettre franchement à l'aise.

Il ne sut pas vraiment ce qu'il pouvait répondre au marquis. Beugler sur un ton gaillard qu'il faisait sa fête à la comtesse en faisant couiner le lit à grands renforts de fessées ? C'est un peu grivois, pensa-t-il. Quant à dire la vérité, à savoir qu'il faisait son devoir et qu'elle y consentait, mais que tous deux n'y mettaient pas une grande volonté, cela n'était pas plus approprié. Roderik était bloqué dans une situation inconfortable : son suzerain voulait de la vulgarité, mais la marquise n'avait probablement pas envie que l'on salisse ses oreilles avec de telles obscénités. Quand bien même l'eut-elle voulu, cela n'était pas convenable. Il allait s'excuser, dire qu'il ne pouvait évoquer ce genre de chose devant une femme aussi respectable, mais elle le prit de vitesse, et lui vint en aide par la même occasion. Elle sermonna gentiment - au moyen de ce que Roderik espérait être de l'ironie - le bon Godfroy, sans pour autant paraître s'offusquer.

- Il y a tout lieu de penser que ma chère épouse me donnera sans tarder un héritier, que les années rendront aussi vigoureux que Louis, dit-il finalement, adressant au couple un aimable sourire.

Le malaise ne s'était pas pour autant atténué. Plus tôt dans la journée, Roderik avait tenté d'obtenir de Maélyne de Lourmel un rendez-vous à la tombée de la nuit dans les jardins. Il avait voulu lui expliquer pourquoi il s'était marié, en dépit de sa promesse de la revoir, en dépit de ce qu'il éprouvait pour elle. Mais le fait qu'il ne soit présentement pas dans les jardins avec Maélyne montrait qu'il lui avait fallu revoir ses plans. Une dame de l'entourage de Maélyne lui avait conseillé de se tenir à l'écart, et il l'avait fait, la mort dans l'âme, croyant que c'était Maélyne elle-même qui désirait garder ses distances. Peu après, il avait accepté l'invitation à dîner du marquis.
Et alors qu'il parlait de sujets intellectuels en compagnie de Godfroy et de Judith, Roderik ignorait que Maélyne l'attendait au point de rendez-vous qu'il avait fixé, qu'elle croyait qu'il viendrait, tandis que lui-même avait renoncé à s'y rendre en croyant qu'elle ne viendrait pas. Ce double-quiproquo sonnerait peut-être le glas de ce qu'il croyait pourtant être de l'amour, sincère et véritable. Il savait que ce qu'il manquait à sa relation avec Iselda, il l'avait eu avec Maélyne. Cette ardeur, cette fougue, cette bestialité même que semblait conseiller Godfroy, il avait su la révéler bien plus facilement avec la dame de Lourmel qu'avec la comtesse d'Arétria...
Il chassa Maélyne de ses pensées. Le souvenir de la belle femme blonde éveillait chez lui des sentiments inavouables, et faisait réagir son corps d'une manière fort inappropriée, surtout à table. Et s'il combinait le désir au vin, il risquait de mal se comporter - voire de choquer Dame Judith.

- J'ose croire que mon fils, une fois qu'il sera en âge, deviendra à son tour un habile chasseur, ajouta-t-il avec plus de légèreté, pour rester dans le ton en même temps que dans les limites de la raison. Du moins jusqu'à cet instant, car une fois la parole libérée, il ne put s'empêcher de nourrir la discussion, quitte à dangereusement s'enfoncer. En espérant, bien sûr, qu'une fois lancé il n'aille pas chasser n'importe quel gibier. Il est des hommes qui ont tendance à ratisser un peu large, voyez-vous, et qui sont parfois fort peu attentifs à la provenance de la viande. Ils jettent leurs chiens sur n'importe quelle proie, ils n'entretiennent pas leur matériel, et parfois même laissent sur place la pauvre bête qu'ils ont chassée sans rien en tirer. J'en connais, remarquez... Il s'interrompit, comme s'il s'était subitement perdu au milieu de son propre raisonnement, et regarda tour à tour Godfroy et Judith, l'air fiévreux et les yeux légèrement brillants. Hem. Moui. De quoi est-ce qu'on était en train de parler, déjà ?
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MessageSujet: Re: L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik   L'aube viendra bien assez tôt | Judith & Roderik I_icon_minitimeSam 2 Juil 2016 - 18:29

Godfroy ne put s'empêcher de rire à la remarque de Judith. C'était de l'ironie, bien sûr. Le marquis n'avait jamais envisagé de tromper son épouse, bien que ce ne soit pas les occasions qui manquèrent. En réalité, il répugnait cette pratique, non pas par convention sociale, mais par respect pour Judith. Avant d'être son épouse, elle fut son amie, et une bague au doigt ne conféra que des avantages à cette amitié, avantages que pour rien au monde il n'aurait renié. Il fallait dire que dans ses jeunes années, la marquise était plus belle qu'elle ne l'était aujourd'hui, malgré le fait que le temps n'ait que peu d'emprise sur elle, et il était toujours plaisant de se dire, que selon son souhait, il pouvait prendre l'une des plus belles femmes du Nord.

Quant au comte, le colosse s'était adonné au malin plaisir de le mettre mal à l'aise, et d'agir envers lui comme s'il était son fils. Après tout, Godfroy avait presque le double de l'âge du comte d'Arétria, et avait fait plus pour lui ces derniers temps qu'aucun suzerain ne l'eut fait tout au long de sa vie. Il l'avait marié, presque de force, à la comtesse Iselda, qui sans être une beauté, était loin d'être laide. Et si, par un malheureux hasard, le cœur de Roderik était ailleurs, l'important était que son chibre soit là, le reste importait peu. Les sentiments n'avaient pas leur place dans les considérations du pouvoir, et être comte demandait des sacrifices.

Alors le marquis posa le regard sur Roderik, et sans pouvoir expliquer pourquoi, ses yeux furent attirés par son entrejambe. Et lorsqu'il y vit la bosse redondante, trahissant une certaine libido émoustillée, le marquis éclata de rire à grands renforts de coups sur la table. D'un ton bien jovial, joignant le geste à la parole, il claqua avec douceur l'entrejambe du comte, en s'exclamant : « Et bien rien que mentionner l'acte vous rend toute chose, bon comte ! » S'emparant de la cruche du vin, il resservit le comte en remplissant sa coupe, en faisant déborder le liquide pourpre sur la table. « Buvez, cher comte ! Célébrons nos femmes, notre amitié, et notre descendance ! Ce soir, je vous le dis : votre épouse vous attend, la chaleur au corps, prête à vous accueillir !»


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