Dans l'armée du nord | Kastelord

Les routes du nord n’étaient plus sûres. Cela était un fait acquis pour tout le royaume. Ce dernier avait subi la folie d’une guerre sanglante, mais le nord plus que tout autre pays avait fait les frais des nouvelles expéditions des seigneurs locaux. Le duc de Serramire lui-même, engageant trop d’or dans l’entretien des ostes, s’était ruiné dans cette entreprise désastreuse, bientôt abandonné par les Noblegriffon. L’importance que Merwyn prenait devenait-elle trop forte ? Ses actions avaient-elles été perçues comme trop libres par la couronne ? Ou peut-être était-ce l’union dangereuse de Sainte-Berthilde et Serramire qui fit peur au monarque en ces temps troublés ? Nul doute que cet enchaînement d’événements avait causé la perte du nord, qui s’écroulait sur lui-même, incapable de résister aux assauts conjugués des raids noirelfiques et des velléités d’absolutisme du roi.

Cette province avait ainsi été frappée de l’anathème royal. Le duc, devenu marquis, avait été chassé, destitué, humilié. C’était à présent des officiers fidèles au pouvoir de Diantra qui tentaient d’établir la paix du Roi dans le chaos nordique. Le commerce avait périclité, les brigands pullulaient sur les routes et dans les forêts. Les petits seigneurs s’étaient retirés de la vie publique, protégeant leurs frontières et attendant la nomination de l’envoyé qui reprendrait ce territoire au nom de Trystan Ier. Bref, c’en était fini de la superbe de Serramire.
Pourtant, c’était là bas qu’Aetius se rendait. Il s’enfonçait chaque jour un peu plus dans le nord, voyageant souvent seul, accompagnant parfois une patrouille ou une caravane. On ne pouvait pas dire que les routes étaient très fréquentées. Le nord avait été laissé à lui-même. Il vivotait tant bien que mal. Les marchands avaient déserté cette destination, et c’était à présent les bandits qui parcouraient les voies récemment dégivrées.

Plus il s’approchait de Serramire, plus les patrouilles se multipliaient. Les routes étaient relativement sûres, ici. L’ordre était appliqué par une main de fer recouverte d’un gant d’acier. La sécurité que tous les Serramirois désiraient se répandait peu à peu en partant de la capitale. Elle était tenue par un barbare des montagnes, disait-on, du nom de Kastelord, le vainqueur des armées drows, triomphateur de Beremas. On disait qu’il pesait deux cent kilos, qu’il était grand comme un géant et que d’une main il pouvait broyer le crâne d’un elfe noir. Les rumeurs couraient sur le sujet de ce commandeur redouté, et Aetius était décidé à séparer le bon grain de l’ivraie, distinguer le vrai du faux.
Une fois arrivé dans la capitale, il se dirigea directement vers la ville de toile qui faisait face à la cité pour s’engager dans l’armée du nord et, peut-être, faire parler de lui. Une fois aux limites, il expliqua à la garde qu’il venait s’engager. Un silence consterné lui fit face, puis l’un des hommes, une fois remis, se dirigea d’un pas traînant vers le cœur du campement.

Les gardes ne semblaient pas être sereins. Et cela ne tranquillisait pas Aetius. Ce dernier pouvait être accusé de nombreuses choses, et il craignait qu’une ancienne connaissance n’eût trahi son identité. Enfin, cela risquerait d’être difficile. La plupart des gens qui l’avaient connu et qu’il avait un tant soit peu apprécié étaient morts et enterrés. Il toisa les gardes qui attendaient avec lui le retour de leur congénère parti à la recherche d’un sergent recruteur, de moins en moins calme. Tentant tout de même de garder un peu de dignité, il ne pouvait, cependant, retenir son angoisse, qui se trahissait dans ses rapides coups d’œil à chacun des soldats et vers la tente dans laquelle le premier reître était rentré.

Bientôt, il en sortit avec homme de grande taille et d’imposante complexion. Son visage était assiégé par un poil sombre qui renforçait l’aura de dangerosité qui envahissait l’espace autour de l’ours. Une fois arrivé à hauteur du cheval d’Aetius d’Ivrey, il se mit à le considérer rapidement. Le chevalier se demanda ce que les gardes pouvaient lui trouver de si étonnant. Il passa en revue son apparence. Etait-ce la saleté du voyage ? Ses cheveux hirsutes ? Au final, il conclut que c’était sa blessure à la gorge, cicatrisant peu à peu mais recouverte d’une large croûte ne donnant pas une bonne impression, qui troublait ainsi la soldatesque.

Pour en finir avec ce silence gênant, Aetius se présenta.
« Messer, je suis Aetius d’Isey. J’ai été chevalier et à présent, j’aimerais servir dans les armées du nord, jusqu’à ce que l’ordre soit rétabli ou que la mort me saisisse. »

Lorsque son interlocuteur lui révéla son nom, Aetius tomba des nues. Il aurait dû se douter de l’identité de ce dernier. Si les rumeurs qui couraient à son compte étaient très éloignées de la réalité, si cet homme n’était pas le géant combattant nu qu’on décrivait à l’ombre des tavernes, on pouvait cependant y déceler un peu de vérité : l’allure de cet homme massif et grand concordait avec le physique qu’on donnait de lui le plus fréquemment : une barbe noire et soignée, un air austère digne d’une statue de quelque caserne, un accent de montagnard. C’était bien lui. Pourtant, le jeune homme n’aurait jamais pensé que le commandant des légions du nord l’aurait directement accueilli. Serramire devait manquer de sang neuf, voire de sang tout court. Ou bien le montagnard voulait connaître ses hommes, ce qui paraissait moins probable.
Le capitaine lui ordonna de lui suivre et Aetius démonta, par respect, puis l’accompagna jusqu’à la grande tente qui se concentrait au cœur du campement militaire. Il laissa sa monture à un soldat en faction et hésita à entrer dans la demeure de toiles armé de son épée. Après tout, c’était un étranger, il ne connaissait pas les traditions du pays. S’introduire ici avec de l’acier aurait pu être vu comme une menace et, par les temps qui couraient, la vie d’un homme comptait pour rien. De plus, le capitaine Kastelord avait de nombreux ennemis… Aetius prit pourtant le risque (n’étant plus à cela près) il suivit le commandant sans plus attendre. Ce grand diable, dans tous les cas, n’avaient pas l’air de faire grand cas de la force qu’aurait pu lui opposer son invité, à juste titre, sûrement.
Une fois à l’intérieur, il lui proposa de la nourriture. Aetius se dépêcha d’accepter, tant parce qu’il s’était rationné pendant son périple dans cette terre devenue pauvre que pour montrer, en partageant le pain et le sel avec lui, que ses intentions n’avaient rien d’agressives. Se servant à même la marmite, il ramena sa pitance à la table et persista dans la familiarité en s’asseyant à côté de l’hypothétique futur supérieur. Il commença à savourer le ragoût avec la subtilité de l’homme affamé puis se tourna, la bouche pleine, pour écouter la fin de l’interrogation de Hanegard.

« Je maîtrise bien la lance et l’épée, messer, bien qu’il m’ait arrivé d’utiliser, à la courre, l’arc. La flamberge et l’espadon m’amusent, mais ils m’épuisent trop vite et je ne les contrôle que trop mal, sûrement à cause de ma taille. Je leur préfère l’épée courte, le poignard et, surtout, l’épée de la noblesse, celle des chevaliers. Je sais manier le cheval et faire voler l’oisel, mais j’ignore tout du limier, qu’il soit molosse ou dogue.
J’ai participé à quelques tournois et quelques joutes sans jamais en remporter une. J’ai combattu à Oësgard lors de l’invasion drow de l’an dernier, où le baron de Hautval m’a sauvé de ces chiens. J’y ai passé quelques semaines en reconnaissance et je puis dire que je connais ce pays bien que… On m’a dit que l’Oësgardie n’a plus les mêmes allures, depuis… »

Alors qu’il se montrait guilleret tout au long de sa description de ses diverses expériences dans le domaine de la guerre, il se renfrogna subitement et les mots ne venaient plus avec le même débit.

« J’ai… J’ai également combattu à la guerre de Diantra, il y a de cela quelques mois. Dès lors, j’ai décidé de rejoindre le nord pour des raisons qui miennes. » Hésitant encore un instant, mais d’une hésitation plus saine cette fois-ci, il enchaîna sur un autre sujet.

« J’ai également quelque don… dans l’art de guérison, messer. Les vents m’ont pour ami et mes mains, parfois, peuvent apaiser les blessures superficielles des malheureux. C’est un talent que j’ai un temps cultivé, mais on m’a souvent dit que je pourrais encore plus l’exploiter. »

Le garçon attendait de nouvelles questions, plus approfondies et plus dérangeantes. C’est pourquoi, avant que le capitaine eut pu penser à aucune d’entre elles, il avait déjà rabaissé son visage dans son ragoût, continuant à avaler goulûment le repas que lui avait offert Kastelord contre quelques interrogations. Il aurait été embarrassé de parler de son expérience pendant la guerre de Diantra. Il détestait mentir, mais il aurait tout fait pour empêcher le montagnard de comprendre qu’Aetius avait fui la bataille. Il était un déserteur, et bien que les circonstances l’eurent forcé à une telle extrémité, il avait été éduqué dans la noblesse de la chevalerie. La couardise était parmi les plus grands maux que puissent subir le chevalier, et chaque jour il se rappelait comment un tel acte s’était déroulé, pourquoi il avait eu lieu. A chaque fois qu’il y repensait, pourtant, il revoyait les cadavres et le feu, l’Enfer sur terre. A chaque fois il revoyait la guerre portant son masque le plus atroce et le plus inhumain. A chaque fois, il priait la mort de lui apporter le repos et pour quel but il se préserver de cette pensée.

Quelques secondes de silence (des siècles !) rendaient toujours plus anxieux le jeune noble, mais aux nouvelles questions de Kastelord vint se substituer une estafette arrivant dans un grand fracas. Il souffla quelques mots qui furent accueillis par un « Où ? » laconique de la part du Serramiroire, bientôt suivi par des détails. Aetius tenta de comprendre de quoi il retournait, sans succès. Hanegard lui offrit enfin une explication sur l’affaire et conclut son rapide discours par une question.

Il lui proposait son baptême du feu. Des grottes, des tunnels, de l’obscurité et des passages étroits. Des brigands, cependant. Brûlant déjà de montrer ce qu’il valait à la bataille, Aetius se leva sans attendre, un sourire éclatant sur les lèvres.
« Vous lisez dans mes pensées, messer. »

Lorsque le capitaine se retourna, ses yeux étaient brillants. Etait-ce à cause de la bataille qui se profilait ? Aetius en doutait, mais il ne chercha pas à en comprends plus, de peur de se montrer familier sur des éléments plus privés. Attendant que les préparations de Kastelord se conluent, il continua à observer la tente de commandement et entendit le bruit des sabots claquer sourdement derrière les brocarts. Ils sortirent bientôt et montèrent prestement.

Une fois en selle, le capitaine l’interrogea sur son ressenti par rapport à une bataille de tunnels. Il savait que de source sûre qu’elle était la pire des batailles, un véritable bain de sang où les soldats, dans l’obscurité et l’étroitesse des passages, avançait seul ou derrière le futur sacrifié. Si les brigands qui s’y trouvaient et n’étaient pas trop lâches, ils risquaient de laisser une arrière garde assez conséquente pour enrayer l’avancée des Serramirois et laisser le gros de la troupe s’enfuir grâce à leur connaissance du lieu et les différentes issues que l’armée régulière n’aurait pas découvert à temps. De plus, si les bandits disposaient d’arcs ou d’armes de jet, l’hécatombe coûterait cher en vies. Il hésita à parler de son analyse de la situation à Kastelord, qui devait déjà savoir tout ça. Cependant, ce dernier semblait faire montre d’une grande hâte, comme s’il devait faire payer le plus vite possible les pillards. Aetius n’avait pas de bons a priori sur la noblesse de Serramire, qu’on lui avait souvent décrit comme une noblesse de flagorneurs et de sodomites. Le capitaine avait beau être un barbare et un guerrier redouté, le chevalier n’arrivait pas à s’empêcher de transposer cet a priori sur lui. Il hésita tout au long du chemin, que la troupe fit à marche forcée. Bientôt, lorsqu’ils rencontrèrent le guide qui devait les mener au repère, il se décida finalement à parler.

« Je n’ai jamais combattu dans des souterrains, messer. Cependant, j’ai déjà chassé l’ours dans sa propre caverne. Je crains cependant que nos ours ne soient capables de raison et armés d’arcs. Ils risquent de faire payer cher leur dernière résistance aux légionnaires, voire de s’enfuir. Je connais certains vilains de mon pays qui, pour faire venir à eux une bête trop forte, enfument sa grotte pour qu’il se montre. Peut-être devrions-nous en faire autant de ces pourceaux… messer. »

La tactique de son hypothétique employeur ne convainquait par Aetius, qui se permit uniquement une moue peu engageante. Il avait déjà bien trop parlé au sujet de cette affaire (qu’il ne connaissait que depuis quelques heures, après tout), se permettant déjà beaucoup en tant que simple novice légionnaire. Pourtant, la ruse de Kastelord était peu fiable et grossière. Elle aurait une chance de fonctionner si les bandits étaient assez stupides ou arrogants pour masser le gros de leurs forces en dehors de leur repaire pour éteindre l’incendie de couvertures, malgré le caractère intentionnel de cette déflagration et le piège aisément décelable qui l’accompagnait. De plus, les jets de flèches préviendraient les bandits de l’attaque imminente, et lorsqu’ils feraient retraite vers leur grotte, l’effet de surprise sera déjà consommé. Il suffisait qu’un seul des brigands tienne, protégeant quelque goulet d’étranglement, pour ralentir voire briser l’avancée des légionnaires.

Il aurait pu insister pour qu’on adopte sa tactique, car le jeune chevalier aurait sûrement pu, grâce à ses accointances avec les vents, répandre la fumée délétère beaucoup plus largement et beaucoup plus rapidement que l’aurait fait la nature. Cependant, il n’était pas sûr de pouvoir tenir si longtemps face à cet effort et ne brillerait pas au combat, ce qui persuaderait Kastelord qu’il serait plus utile avec les magiciens et autres scribouillards que dans la légion.

Au lieu de suggérer, Aetius décida de se focaliser sur la mission que lui avait confiée le capitaine du nord. Capturer la tête de ces maroufles. La tâche serait difficile car la cible risquait d’être peu identifiable, voire très bien protégée. Mais qu’importe ? Il avait une mission, périlleuse qui plus est ! A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, disait le poète.

« Bien, messer Kastelord. Je capturerai l’homme qui, selon moi, dirige ces routiers, dussè-je y laisser quelques plumes. »

Ses jambes tremblaient. Etrange sensation de sentir ces deux colonnes vibrer comme des poutres soutenant un point bien trop lourd. Aetius avait souvent combattu à cheval, et la frayeur d’avant le combat n’était pas aussi forte, du moins on ne la ressentait pas aussi intensément lorsqu’un destrier nous portait. Inspirant profondément, l’œil rivé sur la scène qui allait bientôt commencer, le chevalier dégaina avec circonspection et lenteur son épée. L’ombre des bosquets les cachait et leur position leur permettait d’être les premiers spectateurs de l’embuscade qu’avait mis au point le montagnard. Les incultes de la grotte tombèrent rapidement dans le piège, et lorsqu’ils virent les flammes naître sur leur butin, ils se dépêchèrent de réduire les dégâts causés par l’incendie.

Erreur mortelle. Déjà les flèches pleuvaient, surgissant de nulle part, à la façon des oiseaux de trait. Les serres s’enfoncèrent dans le tissu et la chair adverses, clouant au sol beaucoup des soldats du feu improvisés. Il y eut un temps de flottement, les brigands ignoraient que faire, décontenancés. Bientôt, l’hésitation des hommes fut écrasée sous la voix rauque d’un homme qui ne s’en laissait pas conter, un grand diable à l’allure inquiétante, au visage défiguré. Sans plus attendre, Hanegard bondit au milieu de la mêlée, laissant à peine le temps aux bandits de se saisir de leurs armes, accompagné par la colonne de légionnaires et Aetius qui, lame au clair, tentait déjà de repérer celui qui crier l’alarme aux maroufles. L’analyse était grossière, mais le bestiau qui avait rugi les ordres avait tout de la brute qui dirigeait ses pairs. Plus grand, plus réactif, plus laid, il était, en somme, le plus redoutable des hommes qui s’étaient rassemblés dans ce lieu chtonien.

Le premier choc passé, les brigands comprirent qu’ils ne devraient leur salut que dans les boyaux obscurs de l’immense termitière pierreuse qui se trouvaient dans leur dos. Bientôt rejoint par leur hypothétique chef, ils rejoignirent leur repaire ombreux, les légionnaires leur courant après. Aetius était parmi les premiers des assaillants sur la voie des bandits, cherchant à ne pas perdre des yeux le chef de la bande. Les tunnels, jusqu’alors larges, se réduisirent encore un peu, devenaient toujours plus sombre. Continuant pourtant à traquer la proie, il ne se rendit pas compte que le reste des légionnaires se dispersaient dans les nombreux boyaux où s’étaient plongés des brigands jouant sur leur terrain.

Le vérolé, accompagné dans sa course par trois homme, semblait chercher à se rendre à un point précis, suivant un itinéraire soigneusement pensé. Une embuscade ? Un piège ? Aetius n’en avait cure et continua de courir en direction de la cible. Les souterrains étaient grand, et il crut, de nombreuses fois, perdre leur trace à cause de l’obscurité. Il reprit conscience de la possibilité d’un piège lorsque, au détour d’un croisement, le vérolé cria quelque chose dans la zone d’ombre qu’il avait d’abord cru être un souterrain adjacent. Deux arbalétriers en sortir, déjà prêts à embrocher le jeune chevalier. Ce dernier, les dents crispées et après une seconde de doute, se servit des pierres qui jonchaient le sol. D’un geste ample, il provoqua une violente bourrasque. Les arbalétriers, avant de recevoir la caillasse en pleine face, tirèrent, complètement désorientés par ce brusque courant d’air. Continuant sa route, il se jeta sur le premier brigand, encore debout, pour lui enfoncer sa lame en plein cœur. La pointe avait été portée avec une précision diabolique, et les maigres tissus qui recouvraient l’arbalétrier cédèrent sans faire d’histoire. L’autre gredin, tombé à terre à cause d’une pierre qui l’avait cogné en plein front, n’eut pas le temps de profiter du dos que lui offrait Aetius. Son arbalète encore entre les mains, sa dague sous ses fesses, il ne put parer l’estoc qui lui trancha la mâchoire puis le nez avec une sèche vélocité. Sans plus attendre, le chevalier enjamba les deux cadavres pour rattraper le groupe de brigands.
Après une longue course, il se retrouva dans une grande salle où se défendaient quelques brigands contre des légionnaires. Ces derniers, à la chiche lumière des torches, ne virent pas arriver les hommes du chef brigand par l’arrière. Ils moururent promptement, laissant remporter aux pillards leur première victoire. Mais alors que ceux-ci criaient leur rage et leur triomphe, une nouvelle escouade de légionnaires fondit sur eux, prête à en découdre et plus nombreuse. Sans attendre, le vérolé s’éclipsa dans l’un des nombreux boyaux qui étaient reliés à la salle, bientôt suivi par Aetius.

Le bruit des combats commençait à s’éloigner. Les lumières aussi. Les deux hommes continuaient à s’enfoncer dans la roche, toujours plus profondément. Le vérolé avec habileté et vitesse, mais fatiguant, Aetius avec maladresse mais ardemment. La jeunesse faisait, une fois encore, parler d’elle, avantageant Ivrey. Bientôt, les couloirs se firent encore plus étroits, plus bas. Mais alors que le chevalier croyait que cet état de fait allait continuer jusqu’à ce que le boyau ne se referme sur lui-même, il déboucha sur une petite cavité. A l’intérieur, quelques torches fumaient. Au centre, un coffre, rempli d’or, brillait sous la faible et déclinante lumière des différents feux. C’était ici que le vérolé l’attendait. Il avait, semblait-il, repris un peu contenance et son souffle. Attendant Aetius à côté de son plus important butin, l’épée à la main, il voulait en finir avec cette poursuite sur laquelle, malgré son ingéniosité, il n’aurait pas le dessus. Il préférait jouer sur sa force et son habileté à l’épée, se débarrassant ainsi d’un témoin gênant et d’un poursuivant un peu trop efficace.

Cette idée d’un ultime duel n’était pas pour déplaire à Aetius qui, à cet instant, avait complètement oublié la mission que lui avait confiée le capitaine de la légion noire. Il était temps de faire payer à cette proie qui l’avait tant fait courir. Inspirant profondément, le chevalier se saisit de son épée et dégaina une sorte de long couteau, maigre protection devant faire office de bouclier. Son sang bleu bouillait, ainsi que les milliers de chansons de geste qu’il avait entendu. Les deux adversaires s’élancèrent l’un contre l’autre, tout deux sûrs de leur victoire.

L’acier résonna dans la caverne, les étincelles étaient comme des éclairs éclairant, le temps d’une seconde, la tanière obscure d’une lumière violente. Le choc était grand, mais les deux rivaux tenaient bon. Le vérolé, fort de sa taille et sa force, n’était plus d’une grande fraicheur, tandis qu’Aetius, déstabilisé par le style de combat qu’il avait choisi (combattre avec l’épée et le poignard), ne pouvait compter que sur ses réflexes et la fougue que lui donnait sa jeunesse, ne pouvant ici se servir de son éducation militaire pour remporter un avantage concluant sur l’ennemi. La danse s’engageait et se terminait brusquement, les deux hommes tournaient autour du trésor. Ce dernier avait été éparpillé sur le sol après une charge du vérolé sur le chevalier. Peu à peu, le bandit prit le dessus dans le combat, quoique l’avantage était faible. Cependant, il se fatiguait rapidement, devant s’échiner à tenir en haleine le jeune bretteur qui avait choisi une tactique définitivement défensive. Ce n’était pas dans les habitudes d’Aetius, qui aimait combattre plus agressivement, mais le chevalier s’était souvenu de ses ordres au cours de la lutte, et il préférait tenter d’affaiblir le brigand pour ensuite le neutraliser, ce qui serait plus dangereux que de le tuer.

Le bandit s’aperçut rapidement de la feinte et, résolu à en finir prestement avec ce malandrin, s’échina dans des bottes traitresses, des feintes pernicieuses et des mouvements troubles. Se servant avec une rare maîtrise du décor qui les entourait et conditionnait le combat, le chef des voleurs réussit, après un enchaînement d’estoc particulièrement brutal, à faire trébucher Aetius. Ce dernier, trop surpris pour maudire sa naïveté, chut avec lourdeur (sa cotte de maille n’aidant pas à la légèreté, notez). Ayant lâché son poignard dans sa chute, aveuglé par la poussière qu’avait provoqué sa descente, il ne put que se défendre à l’aveuglette, plaçant son épée devant… maigre défense. Mais alors que le chevalier s’était cru mort, rien ne se passa. Un silence total avait fait place à son trébuchement. Lorsqu’il osa ouvrir les yeux, il put voir le vérolé se faire étrangler par un énorme monstre. La bête était immense, une grande ombre dans cette pièce maudite par la lumière. Mais sa masse à elle seule avait de quoi terrifier, et la force qu’elle employait à briser le cou de feu son adversaire était tout bonnement inimaginable. D’abord troublé par cette apparition chtonienne, Aetius prit son courage à deux mains et fit ce qu’on lui avait toujours appris à faire : frapper avec son épée avec le plus d’efficacité possible. Resserrant la garde de son épée avec sa main, il reprit assurance et fonça sur la bête, criant le cri de sa maison. Allant droit au but et profitant que la bête était occupée à en finir avec le chef des brigands, il enfonça avec le plus de force possible son épée dans l’avant-bras de la chose, qui poussa un cri à glacer le sang.

Le chevalier ne se rebiffa pourtant pas et essaya de lui infliger le plus de blessures possibles avant qu’elle ne réplique. Ainsi, il réussit à lui blesser une patte et lui laissa encore quelques éraflures au niveau du visage et du dos. Pourtant, ces quelques coups, s’ils avaient handicapé sa jambe et donc ses mouvements, n’avaient fait qu’exciter la colère du monstre, qui rugit une nouvelle fois avant de fondre sur le chevalier. Ce dernier, téméraire mais pas encore fou, se décida à rebrousser chemin, espérant l’abattre dans l’un des étroits boyaux qu’il avait traversé, où la bête aurait toutes les difficultés à se mouvoir efficacement.

Les passes d’armes d’avec le chef des voleurs avaient vidé de ses forces le jeune chevalier, qui n’en courait pas moins le plus prestement possible. Essayant de mettre le plus de distance entre la bête immonde et lui, ses pieds n’oubliaient cependant pas de trébucher sur les exubérances rocheuses qui semblaient tout tenter pour lui mettre des bâtons dans les roues. Trop épuisé pour se concentrer, il fuyait comme il pouvait, la peur dans les jambes. Derrière lui, les pattes de l’animal résonnait, piétinait la pierre comme si c’eût été du cristal. Mon Dieu, il s’approchait. Aetius perdait du terrain et bientôt, ce dernier put jurer qu’il entendait la respiration rauque du monstre, qu’il sentait l’haleine fétide du prédateur.

Se persuadant qu’il ne servait à rien de courir sinon à s’affaiblir encore plus, il se tourna d’un coup, résolu à en finir dans l’honneur. La bête, qui se servait de toutes ses pattes pour avancer dans les catacombes, était à quelques mètres. Sans même s’arrêter, elle fondit sur lui, déjà prête à déverser sa bave sur la tête nue de notre héros. Ce dernier, dans un ultime réflexe et sans écouter la peur qui maltraitait son cœur, lâcha son poignard, saisit son épée des deux mains et la plaça devant lui comme une pique. La pointe de l’épée s’introduisit dans le torse de Kirkend avec violence, faisant vibrer les bras pourtant musclés du chevalier comme s’ils allaient se casser sous le choc. La bête repartit d’un long cri de surprise et de douleur, un cri horrible, si inhumain que le chevalier en perdit toutes ses couleurs.

Stoppé net, l’assaut n’en continuerait pas moins, et l’épée plantée dans le torse sanglant de l’assaillant, à présent inaccessible, faisait d’Aetius un soldat sans arme, une proie vulnérable. Sans attendre son reste, il se retourna et fonça vers les boyaux les plus étroits, vers les Légionnaires, vers quoi que ce soit qui aurait pu le sauver.

Le capitaine était arrivé juste à temps à la rescousse de la jeune recrue. Aetius aurait pu lui en être reconnaissant s’il n’était pas concentré à ralentir la fréquence de tremblement de tous ses membres. Dans le feu de l’action, il avait fait ce qu’il savait faire le mieux, c’est-à-dire l’insensé. L’insouciance et l’adaptation à l’imprévu étaient deux caractéristiques au bon soldat, celui qui voulait survivre aux guerres tant physiquement que moralement. Une fois la lutte terminée, il pouvait alors laisser les frissons se saisir de lui et ses efforts prendre leur dû d’énergie. Par les dieux, quel monstre ! Cette chose était tout bonnement immense, d’une résistance inouïe. Il se demanda si son père avait déjà chassé une telle créature, puis secoua la tête pour essayer d’oublier cette idée ainsi que l’épée que la panse de son adversaire avait avalé jusqu’à la garde.

Lorsqu’il entendit le capitaine formuler un avis assez pessimiste sur les dégâts qu’avaient causé les carreaux d’arbalètes combinés à l’épée, Aetius ne fut pas de cet avis et se permit, comme si avoir frôlé la mort de façon plus proche que le reste de l’escouade lui donnait un quelconque privilège, un avis contraire.
« Aussi gros peut-il être, je ne donnerai pas cher de sa peau. J’ai vu au moins quatre carreaux le transpercer, dont certains en plein poitrail. De plus, avec mon bon acier enfoncé dans le ventre, il risque de se vider de son sang plus vite qu’on ne le pensera. »
Changeant tout à fait de sujet, il continua en concluant d’une phrase lapidaire.
« Je n’ai pas pu capturer le chef de ces ladres, la bête l’a tué avant même que j’eus pu faire quoi que ce soit. »

Revenant sur ses pas, accompagné des légionnaires, Aetius ramassa à nouveau son long couteau et le repoussa dans son fourreau. Il tenait toujours en main l’épée que lui avait prêté l’un des arbalestriers. Heureux qu’ils aient fait fuir la bête, il se croyait à présent hors de danger, bien que l’envie d’aller en découdre avec le prédateur affaibli lui trottait dans la tête, surtout après ce que venait de dire son capitaine. Il avait échoué dans sa mission et avait réveillé un Kerkand, monstruosité parmi les monstruosités. Eduqué dans l’esprit chevaleresque, toutes les fibres de son âme lui disaient de rester pour terrasser l’immondice et pardonner pour avoir failli dans sa tâche.
Cette idée le brûla tant que lorsque la petite équipe commença à rebrousser chemin, le chevalier se tourna vers son supérieur et lui dit les choses suivantes.
« Messer, ces tunnels sont trop étroits, et le coffre vous ralentira. Deux de vos hommes sont immobilisés par cette tâche, peu réactifs, désarmés. Bref, vulnérables. Pis, si la bête fond sur vous, le terrain ne vous permettra pas de l’encercler ou de le harceler. Ses bras sont immenses, sa force est phénoménale. Il connaît le lieu, son allonge est plus grande encore que nos épées. Je crains que s’il ne vous pourchasse, vous accusiez de nombreuses pertes, impuissants.
Je me sens coupable de ne pas avoir pourfendu cette chose et si elle n’est pas assez faible ou trop folle pour ne pas prendre soin de ses plaies, si elle s’acharne contre notre escouade, tous risquent de mourir. Messer, j’aimerais rester dans cette salle, près du cadavre du vérolé. Je me couvrirai du sang du bandit et ferai tout le bruit que je puis, essayant d’attirer l’attention et la colère du Kerkand, ce qui le détournera de vous.
Si jamais elle s’en vient, je finirai ce que j’ai commencé, ou bien je périrai, vous laissant assez de temps pour rejoindre les autres soldats et vous garantir une certaine sécurité. »
Il fixa alors le capitaine d’un air de défi, le regard un peu fou, partagé entre le dédain de la mort et l’envie obsessionnelle du danger. Il était, à ce moment-là, trop fier et trop humble à la fois pour demander au montagnard qu’on plaçât un arbalétrier sur la corneille qui s’élevait en haut de l’une des entrées, ce qui permettrait alors, si le soldat ne perdait pas son sang froid, de tuer d’un carreau le monstre.

A la surprise d’Aetius, le capitaine Kastelord opina du chef et accepta sa proposition, allant même jusqu’à doubler le nombre des volontaires pour cette mission en désignant l’un de ses vétérans. Aetius hocha de la tête vers son supérieur, ne voulant plus parler. Il avait de comprendre, peu à peu, qu’il s’était mis dans une sacrée merde et qu’il risquerait de ne plus jamais voir la lumière du jour. L’unité légionnaire se tourna donc vers la sortie et se dirigea de ce côté-ci, allant rejoindre la sécurité de la masse, loin du Kerkand.

Le silence se fit alors, les deux hommes restés seuls. Point de paroles, sinon un « Je vais aller me placer » mal à l’aise de la part du vétéran. Le pauvre homme devait rejoindre la mission suicide d’un nouveau venu qui lui était complètement étranger. La discipline des légionnaires devait être extrême pour qu’un tel fait ait pu se produire avec autant de fluidité, et cela, Aetius le porta à nouveau à l’actif du montagnard. Une fois les deux hommes en position, sans grand dégoût, découpa une blessure sur le vérolé et couvrit son visage, ses cheveux et ses poings du sang du malheureux mort sous la pression des énormes pattes du monstre. Ceci fait, il commença à crier et à frapper de son épée les pierres alentour, pour attirer la bête.

L’opération dura quelques minutes, avec plus ou moins d’entrain. Enfin, alors que les deux hommes croyaient que leur peur et leur mission n’allait pas se réaliser, croyant que le piège était trop grossier, un bruit s’en vient de l’une des issues sombre. Jetant à son entrée une des torches qu’il avait demandées au capitaine, il serra sa main sur la garde de son épée. Elle était si serrée que les phalanges du chevalier en blanchirent. Expirant profondément, il essayait de perdre un peu de l’angoisse qui l’avait saisi. Alors que les bruits se rapprochaient avec une rapidité méphitique, Aetius se rappela de ce qu’on l’avait toujours enseigné et de toutes ces bêtes féroces qu’il avait déjà chassé, parfois au péril de sa vie. Cela lui redonna un peu de son insouciance et c’était tant mieux, car le Kerkand apparut d’un coup d’un seul. Ses traits étaient déformés par la lumière chiche de la torche et par la vélocité de sa charge.

La patte griffue acheva son premier coup dans la vide. Aetius avait esquivé sans mal le premier assaut. Il connaissait un peu la vitesse d’action de l’ignoble et, mieux encore, ses blessures l’avaient amoindri. Engageant un solide corps à corps contre cette bête déjà percée de trois carreaux, il frappa au niveau du torse parant les deux immenses griffes qui cherchaient à lui arracher la tête. Le but était bien entendu de garder le Kerkand dans une position statique afin de laisser le plus de chance à l’arbalestrier d’enfoncer le trait mortel au cœur de leurs ennemis. Pourtant, le coup ne venait pas, et Aetius craignait toujours plus les griffures. Alors qu’il esquivait à grand-mal, le chevalier cria, la haine au cœur : « Mais bon sang abats-le ! »

Malgré la bonne position du Kerkand et l’habileté à l’arbalète du soldat, celui-ci, sûrement déconcentré par le jeune chevalier mis à mal et son cri, n’atteignit pas le cœur. Le carreau, qui se ficha dans le dos du monstre et alla y disparaître, n’avait cependant pas été une panacée pour ce dernier. Au lieu de crier sa fureur et sa douleur, ce dernier déglutina un jet de sang noir et massif. Le combat continua pourtant, au grand dam d’Aetius, qui redoubla d’ardeur, car il avait maintenant avec lui l’énergie du désespoir. Katelord était déjà loin, le Kerkand toujours aussi rapide, et la fuite aurait été une injure faite à sa famille. Persistant ainsi dans la folie, il parait et (surtout) esquivait les grosses papattes de son adversaire, ne comptant même plus sur l’arbalète de son camarde, qui prendrait quelques minutes à recharger.

Pourtant, malgré ses prévisions pessimistes, l’Ivrey fut sauvé par le carreau planté. Ce dernier avait mordu dans l’un des poumons du Kerkand, qui avait pourtant besoin des deux à ce moment du combat. Au début, sa hargne resta intacte, mais bientôt, ses hurlements se transformèrent en grognement puis en crachas. De sa gueule béante, haletante, s’échappa un fin filet noir qui ne disait rien qui vaille pour lui. Ses attaques se firent plus lentes, ses griffes moins précises. Sa défense ressemblait, après quelques passes, à une véritable passoire, si bien que le chevalier se jetait avec l’arrogance du condamné dans les ouvertures laissées toujours plus fréquemment par le Kerkand et ses sens engourdis. Il en alla encore quelques instants comme cela. Ce géant de trois mètres cinquante s’en laissait conter par l’épée et la détermination d’Aetius, qui, maintenant, menait la danse avec la maestria que l’on peut connaître à un chevalier.

Après un dernier gargouillement sanguinolent , qui laissa à son adversaire le soin de projeter son acier sur son poitrail vulnérable, le monstre fut terrasser d’un coup de taille qui alla transpercer son cœur battant à tout rompre. La chose tomba de tout son poids, laissant tomber ses bras de singe sur le côté. Vif, le guerrier lui trancha la gorge d’un geste ample après avoir sortie l’épée du cœur blessé. Ainsi, c’en était fini du Kerkand. Aetius, lorsqu’il prit enfin conscience de cela, partit d’un grand rire rauque. Qui aurait pu penser qu’il aurait pu abattre la bête ainsi, à l’épée, comme le firent autrefois les chevaliers des chansons de geste ?

Après avoir retiré son épée (la sienne) du corps, il se dirigea vers l’arbalétrier encore tremblant qui continuait à armer un carreau paresseux dans sa machine. Le chevalier le tira de son trou et commencèrent à partir. Une fois qu’ils eurent retrouvé les cris et l’agitation des légionnaires, ils firent leur rapport au capitaine. Ceci fait, la troupe rejoignit Serramire sans trouble.

Le voyage fut calme, mais la fatigue assaillait le jeune chevalier, qui n’hésitait pourtant pas à puiser dans ses dernières réserves pour suivre le capitaine. Le combat contre l’immonde bête l’avait épuisé, nul doute sur cela. La fatigue était certes physique, mais encore plus nerveuse. Se dresser, armé d’une seule épée, contre un monstre mesurant environ quatre mètres ne mettait jamais un homme dans une bonne humeur, et la peur, cet acide, avait laissé des traces corrosives de l’esprit perdu d’Aetius. Le sang du vérolé couvrait toujours le visage et les habits du jeune homme, cependant, il s’était fait pendant des mois de campagne à l’odeur nauséeuse de l’hémoglobine. Cette teinture morbide n’en dérangeait pas moins les légionnaires. Ces derniers avaient beau avoir combattu dans de nombreuses batailles, ils n’étaient pas habitués à voir un homme barbouillé de sang à dessein. Les rumeurs se répandaient dans la petite troupe, sur la cause d’un tel déguisement. Si toutes les histoires ne donnaient que quelques pans de la véritable histoire, toutes faisaient référence au Kerkand qui avait été abattu lors de ce coup de main.

Une fois rentré au « bercail », Aetius fit demander une vasque d’eau et commença, pendant que le capitaine donnait ses ordres et considérait le coffre de bois d’un air interrogatif. L’homme lui paraissait moins sévère, quoique toujours aussi grand. Son regard d’un bleu honnête et ses paroles réconfortantes réchauffaient le cœur de l’Ivrey, qui toujours appréciait la compagnie de soldats sachant se tenir. C’est ainsi que se tissait la camaraderie, aussi distante soit-elle. Une fois sa petite toilette terminée et son tabard retiré, il alla assister le montagnard dans son extraction d’or (une vraie montagne). Le métal jaune recouvrait la table et se superposait sur celle-ci. Le butin était considérable. Pourtant, cela ne contenta pas le capitaine, qui continua à trifouiller le coffre jusqu’à y trouver quelques parchemins fort obscurs. Voulant garder le secret pour lui, il les lit de son côté, n’en référant point à Aetius, qui se contenta de bichonner son épée à l’aide d’une pierre d’acier et d’un peu d’huile ainsi que d’essuyer ses plaies avec de l’eau pure. Tandis que les deux hommes vaquaient à leurs occupations respectives, Aetius, un sourire de gamin fier de lui, dit : [color=white]« qu’est-ce que vous pensez de ce surnom : le chevalier au Kerkand ? »[/white] Et il continua à laver épée et blessures.