Les silences de ma vie [Dragan]

Il fait nuit mais j'avance. Seule la lune éclaire mes pas hasardeux. Je suis en train de fuir. Fuir ce château où la mort règne en maitresse absolue. Je suis vivante malgré tout. Pourquoi moi ? Je l'ignore. Je ne me souviens de rien. J'ai horriblement mal à la gorge. J'ai essayé de parler mais rien ne semble vouloir se faire entendre. Un murmure, non plus...

Des lueurs au loin. Des torches brillent dans cette nuit épaisse. Je ne sais pas où je suis ni où je vais. Mes pas me guident vers un campement. Epuisée par les quelques heures de marche que je viens de faire, je m'écroule sur le sol avant de mettre un pied dans le camp. Le bruit de ma chute a attiré du monde. Un rôdeur ? Un animal sauvage ? Rien de tout cela...

Le garde envoyé pour vérifier les abords du camp eut la surprise de voir un corps inerte allongé sur le sol. Une torche en main, il vérifia qu'il ne s'agissait pas d'un piège ou d'une diversion. Mais non ! Sentant ma respiration, il me souleva de terre et me conduit dans le campement.

Ce fut avec la lumière que dégageait le feu central que l'on put remarquer une blessure serpentant sur la gorge. Celle ci n'était pas cicatrisée donc récente. Une chemise de nuit pour seul vêtement, et un collier ainsi qu'un bracelet en seul héritage d'un passé dévasté. La surprise fut des plus totales car on se demanda d'où je pouvais venir surtout à une heure aussi tardive de la nuit. Il n'y avait aucun château dans les environs immédiats.

Quand je repris mes esprits certes troublés, je me trouvais allongée dans une tente. Dehors il semblait faire jour. Combien de temps avais je dormi ? Ma gorge me tiraillait affreusement. A travers les tentures, je discerne des ombres. Des bruits. Des paroles incompréhensibles. Où était je ? Jusqu'où je m'étais rendue ?

Quand un pan de la tente s'ouvrit pour laisser entrer un homme visiblement, je me reculai dans le fond du lit. Plus il avançait et plus je me reculais. J'avais peur, j'étais horrifiée même. Plus je me reculais et plus je sentais le lit instable. Un mouvement de plus et il basculerait en arrière avec moi. Je n'avais pas remarquée que cet homme était un elfe. Ma respiration était rapide ce qui ne faisait qu'augmenter la sensation de brûlure que je ressentais au niveau de la gorge. Je n'osais plus bouger, j'étais terrorisée.

Il avait fallu quitter Alëandir.

Dyarque avait confié une mission à Dragan et le jeune Seigneur n'avait pu s'y soustraire, pas après avoir demandé à l'Ancien de devenir roi, lui offrant ainsi une couronne d'épines en cadeau. Il savait parfaitement que demander au Seigneur meurtri par la perte de son épouse de guider le Peuple Eternel était cruel, mais c'était malheureusement nécessaire. Il n'y avait que lui pour s'affranchir de cette délicate mission. C'était le plus âgé et le plus sage des Seigneurs Protecteurs Elfiques. Et les autres auraient pour mission de le tempérer dans son jugement des humains et des nains.

Quant à Dragan, en réponse à cette nomination, il lui fut confié la lourde tâche d'accompagner la fille de Dyarque, Elya, jusqu'au roi des hommes et de veiller sur elle alors qu'elle ferait l'apprentissage du jeune Trystan. Une lourde tâche qui l'envoyait loin des siens et de sa vie. Peut-être n'était-ce finalement pas un mal... Après tout ce qu'il s'était passé, ce voyage lui permettrait peut-être de faire le point sur sa vie. Il avait du laisser ses fils à ses soeurs et confier Ardamir à Serindë qui s'était remise de sa tentative d'assassinat. Hélas, la vengeance de Dragan allait devoir attendre. Serindë lui avait demandé d'y renoncer et avait expliqué que la jeune fille qui l'avait poignardée était en fait une cousine disparue qui avait paniqué en apprenant que Serindë savait. La jeune elfe avait eu des paroles étranges avaient de passer à l'acte.

Et elle s'était ensuite évaporée dans la nature.

Mais hors de question de renoncer à la retrouver et lui faire payer son ignominie. Seulement, son devoir passait avant tout.

Il avait tout préparé pour le voyage, envoyant diverses missives aux seigneurs humains pour les prévenir de leur passage et demander l'autorisation de camper sur leurs terres, leur expliquant qu'ils se rendaient auprès de roi et étaient une délégation diplomatique. Dragan avait toujours été doué pour la diplomatie.

Il avait fait la connaissance d'Elya à cette occasion. Des bruits couraient sur elle. Il savait que sa sœur avait été promue Dame protectrice de Daranovar, succédant à son père qui pouvait ainsi se consacrer à Alëandir. Quant à la cadette, elle allait enseigner au roi des hommes. Dragan la trouvait étrange. Son comportement n'était pas normal. Elle semblait souvent dans la lune et répondait parfois de façon pertinente mais décalée. Étrange fille en vérité qui restait un mystère pour Dragan. Il avait côtoyé bien des mages, mais aucun n'avait eu ce comportement.

Après une journée de marches, ils décidèrent de camper sur les terres ravagées d'Oesgard. Le royaume humain était pacifié. Mais les terres du nord étaient encore la cible de pillards. Les elfes devaient donc se montrer prudent.

Et c'est au creux de la nuit qu'un garde trouva une jeune femme égarée et blessée aux abords du camp et l'emmena sous une tente où un guérisseur elfe l'examina, avec l'aval de Dragan, responsable du convoi.

La pauvrette était en chemise de nuit, hagarde et blessée à la gorge. Une vilaine blessure et le guérisseur avait laissé entendre qu'elle ne devait plus être en mesure de parler. Le jeune Tiril décida de la laisser au sein du camp et Laurëa, sa louve blanche, fut désignée pour garder la jeune fille.

Quand la demoiselle reprit conscience, la louve était allongée au pied de la paillasse, invisible si on ne baissait pas les yeux. C'est à ce moment que le seigneur elfe fit son apparition et constata avec surprise que son hôte imprévue avait peur de lui. Il s'approcha et la vit reculer, effrayée. Perplexe, il décida de renoncer et se contenta de récupérer un siège de fortune et de s'asseoir à distance de la jeune femme, apparemment traumatisée.

- "Laurëa, viens là."

La louve se leva souplement, découvrant ainsi sa présence et vint sagement s'asseoir près de son maître en jetant un regard à la jeune fille, de ses beaux yeux ambrés.

Son maitre, lui, observait la demoiselle de ses yeux bleu glace. Sa peau brune et son teint mat pouvait faire penser qu'il avait du sang drow sans les veines, mais ce n'était pas le cas. Il posa ses coudes sur ses cuisses et croisa les mains sous son menton, toujours silencieux. Ses cheveux argentés étaient tressés à l'avant pour dégager son beau visage racé. Ses vêtements étaient bruns, des vêtements de voyage, mais de bonne facture et d'une coupe elfique, à n'en pas douter. De toutes façons, ses oreilles pointues étaient visibles.

- "Je m'appelle Dragan Tiril, Seigneur Protecteur d'Ardamir et vous êtes ici dans mon campement. Nous nous rendons à Diantra. Nous vous avons trouvé évanouie aux abords du camp et vous avons ramené parmi nous. Vous n'avez rien à craindre de nous Dame."

Il parlait un humain impeccable, malgré une pointe d'accent chantant.

- "Avez-vous faim? Désirez-vous boire quelque chose? Votre gorge doit vous faire souffrir..."

Étant donné la balafre qu'elle arborait, cela n'aurait rien d'étonnant.

Voyant que j'avais peur de lui et que j'étais terrifiée par le fait qu'il s'avance en ma direction, il alla prendre place sur un siège improvisé. Je le fixai avec beaucoup d'appréhensions. J'ignorai qui il était et quelles étaient ses intentions à mon égard. Sa voix se fit alors entendre dans un dialecte incompréhensible. Je ne compris pas ce qu'il dit. S'adressait il à moi ?
Soudain un bruit se fit entendre au pied du lit. Une forme blanche se souleva. Un chien ? Non un loup. A cette vue, ma peur s'accentua et par un geste malencontreux, je tombai alors du lit. Alors que l'animal se dirigeait vers lui, je me redressai tremblante.

Je n'osai pas bouger faire un mouvement de peur de me faire attaquer par cet animal, par ce loup blanc. Posant mes mains crispées sur le rebord du lit, je vis l'animal s'allonger près de cet homme qui me regardait.
Il avait un regard perçant d'un bleu profond, une peau mate et des cheveux argentés longs. Ses mains croisées sous son menton, il me fixait en silence. Mon regard se porta sur la forme de ses oreilles. Elles étaient en pointes. Il n'était donc pas humain. C'était un elfe.

Le silence qui régnait dans la tente fut rompu quand il prit la parole. La tonalité était assez douce et chantante. Sa voix apaisa mes craintes quelque peu. Il se présenta sous le nom de Dragan Titil. Ainsi donc c'était son nom...
Il m'annonça que je me trouvais dans son campement et que j'avais été trouvée évanouie à proximité durant la nuit. Je me souvenais maintenant... Ces lumières que j'avais vues durant la nuit mais que je n'avais pas réussi à atteindre étaient celles d'un campement.

D'après lui, je ne devais pas avoir peur. Plus facile à dire qu'à faire... J'étais apeurée par tout sans qu'il y ait de véritables raisons apparentes. Dans un certain sens, Dragan n'avait pas tord car s'il m'avait voulu le moindre mal il ne serait pas là à distance ou ne m'aurait pas laissée en vie mais c'était plus fort que moi, je ne pouvais m'empêcher d'avoir peur.
Je demeurais toujours à terre, les mains posées sur le rebord du lit à le regarder d'un air inquiet. Il me demanda alors si j'avais faim ou soif, ajoutant que ma gorge devait me faire souffrir. Machinalement quand il fit mention de ma gorge, je levais une main pour la porter à celle ci.

Sous mes doigts, je sentis des bandages. C'était donc cela cette sensation oppressante que je ressentais depuis mon réveil. Entrouvrant les lèvres, celles ci se mirent à se mouvoir.

Est ce vous?

Pas un son n'était sorti. Paroles muettes qu'il n'avait certainement pas dues comprendre. Je voulais lui demander si c'était lui qui avait soigné la blessure encore fraiche de ma gorge mais en vain car je ne pouvais me faire comprendre en utilisant une voix disparue.
Supposant que c'était lui, j'inclinai respectueusement la tête malgré la douleur que cela engendra. Les tiraillements se firent plus vifs et violents. A ma façon d'avoir incliné la tête même malgré la douleur sous-jacente, il était visible que je n'étais pas une vulgaire paysanne dont la ferme aurait été attaquée.

Un problème subsistait alors pour me faire comprendre. Comment faire ? Ma bouche était pâteuse. Il est vrai qu'en me l'ayant proposé, je ressentais la soif. Mes craintes s'atténuèrent encore un peu à force de le fixer. Quelque chose me disait au fond de moi que cela n'était pas convenable mais mes yeux et mes mains étaient à présents les seuls à pouvoir parler pour moi.
Mon inquiétude allant donc en déclinant lentement, je m'assis sur le rebord du lit. Mon regard se porta alors sur la carafe posée près de Dragan avant de revenir sur lui. Avait il compris que je désirai un verre d'eau ? Encore fallait il que cette carafe contienne de l'eau...

Comme il s'en était douté, la jeune fille réagit mal à la présence de la louve blanche et se recula davantage encore, se retrouvant finalement par terre, par la grâce des loi de l'apesanteur. Dragan esquissa un geste pour se lever et l'aider, mais il la vit se redresser aussi vite seule et finalement, décida de rester tranquille. Il passa une main brune sur le pelage immaculée de l'animal, magnifique. La louve avait un regard doux et presque maternel.

- "Elle s'appelle Laurëa et elle ne vous fera rien. Elle a veillé sur votre sommeil, savez-vous?"

Non, elle ne pouvait pas le savoir et il n'était pas certain que d'apprendre qu'elle était restée seule avec un loup la rassure, mais le fait était que la louve était restée sagement couchée à son chevet et que la jeune fille était indemne. Il espérait qu'elle saurait réfléchir à cela et se détendre. Lui et Laurëa, cela faisait beaucoup pour cette inconnue apeurée.

Il fit donc la conversation, proposant de quoi se restaurer ou se désaltérer et il vit la main de l'inconnue se porter sur la gorge qu'ornait un bandage tout neuf. Il remarqua qu'elle essayait de parler, mais sans succès. Un air compatissant traversa le regard clair de l'elfe, mais rien ne se refléta sur son expression de marbre. Ainsi était fait le peuple éternel.

- "Cadmion avait raison finalement. La blessure était profonde et vous a sectionné les cordes vocales. J'espérais qu'il se trompait."

Il était sincèrement désolé pour elle et se demandait quels drames elle avait bien pu vivre pour se retrouver dans cet état.

- "Cadmion est notre guérisseur, il s'est occupé de vous et a mis un baume sur votre blessure."

Ainsi répondait-il à sa question informulée et qu'il n'avait pas comprise. Lire sur les lèvres était difficile, davantage encore quand c'était dans une langue qui n'était pas celle de votre naissance. Il remarqua pourtant l'inclinaison gracieuse de la tête. La jeune fille avait un teint clair et de longs cheveux bruns et quelque chose de délicat dans son maintien. Pas une vulgaire paysanne, non. Elle avait de l'éducation. Elle finit par retourner s'asseoir sur le lit et son regard quitta l'elfe pour se poser sur la carafe. Il sourit et se leva, remplissant un verre d'eau fraîche, avant de le tendre à la demoiselle.

- "Il me semble que la conversation va s'annoncer difficile ainsi."

Il alla jusqu'à une table d'appoint et récupéra un vélin et une plume, qu'il tendit à la jeune fille.

- "Malheureusement, je ne lis pas sur les lèvres et l'humain n'est pas ma langue maternelle. Serais-je trop curieux de vous demander qui vous êtes et ce qui vous est arrivé?"

Oësgard.

Elya connaissait cette contrée, et pour cause, elle n’avait pas grandi très loin des impressionnantes et austères forteresses de la Baronnie Humaine. Daranovar lui semblait si proche, il aurait suffit de faire demi-tour et de voyager un ou deux jours durant pour retrouver le couvert réconfortant des arbres d’Anaëh. Et pourtant, malgré cette proximité géographique, il n’y avait rien dans les branches maladives des bois qu’ils traversaient qui pouvaient lui rappeler son foyer. Elle avait passé sa journée à les observer, sans rien laisser paraître de ce qu’elle pouvait ressentir. Ses yeux s’étaient promenés sur le paysage sans jamais s’y fixer plus de quelques secondes. Une étrange attitude qui ne dérangeait même plus son escorte. Parfois, elle apercevait le dos de Dragan, et alors elle prenait un peu de temps pour le regarder. L’elfe avait été forcé de quitter sa famille et son foyer, afin de l’accompagner jusque sur les Terres humaines. Etre la cause de cette expédition était étrange, pour une elfe qui vivait depuis cinquante ans renfermée sur elle-même, mais le plus étrange était sans doute qu’il ne semblait pas lui en tenir rigueur, ou alors il le cachait très bien.

Ses cheveux avaient besoin d’un bon coup de peigne, elle n’avait pas pris la peine de s’en occuper depuis deux jours déjà, et c’était visible. Marchant lentement dans le campement, marquant bien chaque pas comme s’il allait être le dernier, elle semblait chercher quelque chose. Elle penchait parfois la tête, comme pour mieux écouter quelque chose qu’elle était la seule à entendre, et qui était assez captivant pour qu’elle ne daigne tourner la tête vers la petite troupe qui transporta leur invitée surprise jusque dans ce qui serait sa tente. Les bras croisés, les mains perdues dans ses manches amples, elle finit par s'en retourner à sa tente sans un regard vers celle de leur invitée surprise. Ce ne fut que le lendemain qu'elle sembla prendre en compte sa présence, sans réelle raison apparente. Mais peut-être y en avait-il une.

« I' seorsa sal' lore. »
La nature rêve encore.

Simple murmure qui se répandit dans la tente, alors qu’elle y entrait. Son regard se posa sur Dragan, faisant de lui le destinataire de ses énigmatiques - et pourtant pertinentes, car le calme régnait en effet en maître en ce début de matinée - paroles. Elle sourit, de ce sourire si étrange, sans réelle joie ni réelle raison, comme s’il s’agissait là d’un reflexe qu’elle ne comprenait pas. Tournant la tête vers la jeune femme que les gardes avaient récupérées, son sourire se teinta de sincérité, alors qu’elle ne se laissait troubler ni par son air égaré ni par le bandage qui serrait sa gorge, étau mortel d’une voix déjà enfuie.

« Tu es là, Rusva. »

Son parler était sommaire. Correct, mais il était audible qu’elle ne le maitrisait pas parfaitement. Si le dernier mot avait été employé comme un mot, il s’agissait en réalité d’un mot assez commun en elfique. Brisée. C’était bien ce qu’elle semblait être, en tout cas. Décroisant ses bras, Elya s’approcha de quelques pas, avant de se tourner vers Dragan une nouvelle fois.

« Lye sint ya re naa ? »
Nous savons qui elle est ?

Un dialogue de sourd s'installa entre lui et moi. Aucun de nous deux ne pouvait comprendre ce que disais l'autre en l'état actuel. La voix était une amie précieuse en de nombreuses circonstances mais là, elle se révélait être une cruelle ennemie quand elle disparaissait.
Pour commencer, Dragan lui présenta sa louve : Laurëa. Il ajouta même que celle ci avait veillé sur mon sommeil. Etait ce une précision nécessaire à apporter au risque que ma peur qui commençait tout juste à déclinait ne revienne plus vive ?
Je répondis simplement à sa question à bougeant légèrement la tête de droite à gauche pour signifier que non. Le mouvement n'était pas ample et pour cause... Les bandages et ma blessure m'empêchaient tout mouvement trop marqué.

Cadmion, voilà un prénom qui fut donné en parlant d'une personne qui n'était pas présente dans la tente. J'ignorai de qui il s'agissait jusqu'à ce que mon interlocuteur soulève le voile sur son identité. Ainsi il s'agissait d'un guérisseur. Je lui devais donc les soins qui m'avait été apportés.

Remerciez le de ma part, je vous prie.

Je n'étais pas une ingrate aussi il était normal de remercier la personne qui avait soigné ma blessure à la gorge. La discussion s'avérait être difficile car Dragan avait certes répondu à une question mais pas à celle que j'avais posé à l'initiale. Il ne serait donc pas aisé de communiquer de la sorte.
Mais au moins il avait répondu à une question qui n'avait pas été posée, celle sur mon absence de voix. Ma blessure était donc si profonde que mes cordes vocales en avaient été sectionnées. Mais je ne me souvenais pas si cela avait été intentionnel ou non ? Mais à la vue du chaos qui régnait à mon réveil et de tous ces morts, cela ne faisait aucun pli. On avait donc tenté de me tuer également.

Mon regard avait parlé pour moi et fut compris à l'inverse de mes paroles restées muettes. C'est accompagné d'un sourire de sa part que je le vis se lever et se saisir de la carafe pour en remplir un verre avant de me le tendre.
J'avançais une main tremblante, celle dont le poignet portait un bracelet d'argent, de perles et de jade. Prenant alors le verre délicatement, je le portai à mes lèvres tout en l'écoutant. Il était conscient que de cette façon nous n'arriverions pas à communiquer.
Alors qu'il se dirigeait vers une table d'appoint pour y prendre de quoi écrire, je bus une gorgée d'eau. Une petite quinte de toux se fit alors entendre. Cela faisait mal, affreusement mal. Il faudrait un peu de temps certainement avant que je m'habitue à cela ou que la plaie ne se referme.

Alors qu'il me tendait le matériel d'écriture en m'en demandant plus sur mon identité et sur ce qu'il m'était arrivé, le pan de la tente s'ouvrit pour laisser passer une jeune femme. Etait ce une elfe également ? Elle portait sur son visage d'étranges marques qui serpentaient sans se croiser et qui descendaient sur ses joues comme l'aurait fait le sillon d'une larme.
Elle se tourna vers moi et dit avec un sourire que je pus percevoir comme sincère que j'étais là accompagné de ce semblait être un prénom. Le mien peut être?

Rusva?

Est que je la connaissais ? L'ai je déjà rencontrée auparavant ? Je ne me souvenais plus. J'en avais presque oublié la plume que je tenais entre mes doigts pour répondre à la question de Dragan. Aussi quand cette jeune femme dont j'ignorai encore le nom se tourna vers Dragan pour lui poser ce qui semble être une question que je ne pus comprendre, j'écris quelques mots sur le parchemin déposé sur le lit.
Il m'aurait fallu un support un peu plus dur pour écrire convenablement mais je réussis tout de même à esquisser de belles lettres arrondies. Une fois,mes paroles couchées sur la peau, je la tendis à Dragan afin qu'il puisse les lire.

J'ignore mon nom. Je ne m'en souviens plus. Ce pendant cette jeune femme vient de me nommer Rusva. Serait il possible qu'elle me connaisse ?
Concernant ce qui est arrivé pour que je sois blessée, je ne m'en souviens plus également. Je me suis réveillée dans cet état alors que tout autour de moi n'était que chaos et mort. Il ne restait plus rien ni personne de vivant en ce lieu. Prise de panique, j'ai fui loin de ce château. Je ne sais combien de temps j'ai erré dans la nuit ni la direction que j'ai prise avant de tomber épuisée à l'abord de votre campement.
Je vous suis reconnaissante pour les soins qui m'ont été prodigués et pour votre bienveillance.

Il apparut vite évident que Dragan et la jeune fille ne pouvaient pas continuer ainsi. Communiquer quand l'une des personnes était muette, ça n'aidait vraiment pas à instaurer un dialogue. Il lui donna de l'eau, observant au passage son poignet délicat orné d'un beau bijou. Un bijou qui devait valoir une fortune et qui, pourtant, malgré son état lamentable, était encore sur elle. Elle n'avait donc pas été attaquée par des pillards ou des voleurs... Du moins ne s'intéressaient-ils pas à ses richesses... Violée? Peut-être, c'était plausible au vu de son état et de son apparent traumatisme.

Il décida donc de rétablir la communication et ne trouva rien de mieux qu'une plume et un vélin pour répondre à ses interrogations, légitime au vu de l'état dans lequel les elfes l'avaient trouvé.

Mais il dut attendre sa réponse, alors qu'une silhouette familière entrait dans la tente. Elya... La fille de Dyarque et celle qu'il escortait et dont il était chargé de la protection chez les humains. Une mission lourde de responsabilités... Elle était la princesse d'Alëandir maintenant... Et s'il lui arrivait malheur... Bref, il devait faire attention à Elya. Elya qu'il n'arrivait pas à cerner. Elle lui semblait lointaine, inaccessible, évoluant dans un autre monde. Et elle lui en fit encore la démonstration en arrivant sur une remarque mystérieuse. Il se contenta de hocher la tête, le campement était en effet très silencieux.

- "Thar amrun, Elya."
"Bonjour aussi Elya."

Non, il ne s'adressait pas à elle avec des termes pompeux. Toutes façons, elle n'était pas très attachée à ce genre de titres et des fois, il se demandait même si elle savait qu'elle était princesse maintenant. Elle regarda alors la jeune femme et la salua... à sa façon. Dragan fronça les sourcils à l'appellation que donna Elya à l'inconnue. Brisée... C'était tellement juste, mais justement, trop cruellement vrai. Dragan remarqua alors l'air interrogatif de la jeune femme devant ce terme qu'elle ne comprenait pas...

Elya s'approcha alors de l'elfe et lui demanda, toujours en elfique, si il savait qui était l'inconnue. Il secoua négativement la tête et répondit en humain, pour que la jeune femme comprenne :

- "Non, elle allait l'écrire quand tu es arrivée."

Il laissa écrire l'humaine, avant de lire avec curiosité sa réponse.

- "Rusva est un mot elfique qui veut dire..."

Il jeta un coup d'œil à Elya et soupira, pour finir dans un souffle :

- "Brisée."

Il haussa une épaule.

- "Désolé, mais non, personne ici ne vous connait."

De ce qu'elle raconta, son château avait été attaqué. En était-elle la châtelaine ou une simple servante, aucune idée, même si ses manières étaient davantage aristocratiques que rustres. Le fait qu'elle sache écrire était un indice en ce sens également. Sauf qu'elle était amnésique. Tellement traumatisée que sa mémoire avait tout effacé... Mais maintenant, qu'allaient-ils faire d'elle?

- "Peut-être devriez-vous rejoindre le château d'Oesgard, quelqu'un vous reconnaitra peut-être?"

Pendant quelques secondes, Elya resta interdite, regardant Dragan comme si elle ne l’avait jamais vu. Pourquoi user de la langue barbare du peuple péninsulaire, alors même qu’il avait commencé à lui parler en elfique quelques secondes plus tôt. Elle dut suivre son regard pour finalement comprendre qu’il souhaitait intégrer leur invitée dans la conversation en parlant sa langue. Une pensée étrange, mais si telle était sa volonté. Tournant son regard bruni vers elle, Elya prit le temps de la détailler, observant son bandage, ses yeux, la façon dont elle tenait sa plume… Elle passa en revue chaque détail, en silence, alors que celle-ci écrivait. Difficile de deviner ce qu’elle pouvait penser, elle avait pris le masque de son père, impassible et impénétrable. Un masque qui ne lui allait pas, au fond, elle était en effet bien éloignée de Dyarque. Femme, jeune, et d’apparence plutôt négligée. Elle se passa d’ailleurs une main pensive dans les cheveux, les rabattant en arrière.

« Re naa sal i hin. »
Elle est encore une enfant.

Elle se plaça naturellement en retrait, laissant le soin à Dragan de la mettre à l’aise. Elle ne manifesta même pas l’envie de lire le bout de papier, ayant saisi l’essentiel de la réaction de l’elfe. Ainsi, leur nouvelle amie d’infortune ne connaissait ni son nom, ni son origine. Une situation désagréable, qu’elle n’était pas sûre de ne pas connaître. Elle ne se souvenait pas ce qui c’était passé tout de suite après son accident, mais elle n’aurait pas été étonnée d’avoir eu une période d’amnésie temporaire. Pourtant, ce parrallélisme ne provoqua aucune sensation notable chez elle.

« Tout est là. » murmura-t-elle, ne laissant pas assez de temps à la jeune femme de répondre à la dernière question de Dragan.

Entrant en mouvement, elle s’approcha lentement, gardant fixement son regard rivé sur l’inconnue. Quand elle fut assez proche, elle tendit la main droite, d’abord vers le bandage. Elle s’arrête à une dizaine centimètre du tissu, faisant mine d’en suivre les contours. Elle remonta ensuite la main et vint toucher le front de l’humaine.

« Juste là. » répéta-t-elle. « Tumba, leha sinome. »
Enfoui, mais ici.

Et puis, elle se retourna, semblant jusqu’à oublier la jeune femme pour se concentrer sur Dragan, qu’elle jaugea une seconde.

« Lye cael nae shan. Lye yewl he nae i' nil lye aelo. »
Nous devons partir. Nous la déposerons dans le premier village que nous rencontrerons.

Ce n’était pas réellement un ordre, plutôt une affirmation dictée parce qui était, à ses yeux, le bon sens. Mais Elya ne donnait pas d’ordre, elle n’avait pas l’attitude pour cela. Elle énonçait des faits.

La jeune femme qui venait de rentrer dans la tente venait de me nommer Rusva avant de se retourner vers l'elfe et lui parler dans cette langue que je ne comprenais pas. Dragan répondit à ses paroles non pas en elfique comme je l'aurai pensé mais en commun afin que je comprenne ses dires. Je lui étais grée de cette attention.
La jeune femme se retourna alors. Elle qui ne semblait pas réellement s'intéresser à moi me fixait. Je sentais son regard me pénétrer. Elle se plaça alors en retrait. La curiosité ne semblait pas l'atteindre car elle ne prit pas la peine de vouloir lire le parchemin que je venais de donner à Dragan.

A l'écoute de ses paroles, je compris donc qu'elle avait dû demander mon nom à Dragan. Quand je lui tendis le vélin, il le lut dans le plus grand silence. Il fit une précision sur le mot « Rusva ». Ce n'était pas un prénom mais un adjectif qui signifiait brisée.
A cette annonce, mon regard se fit triste et cela se fit encore plus voir quand il m'annonça que personne ici me connaissait. J'étais une parfaite inconnue sans passé et sans avenir... Dragan proposa la solution de me conduire au château de Oësgard où quelqu'un serait peut être suceptible de me connaître là bas. Je laissai alors siffler entre mes lèvres le nom muet de cette ville.

Oësgard...

A première vue ce nom ne me disait rien même si j'en avais déjà eu connaissance. Mes souvenirs étant envolés, mais à l'écoute de ce nom, j'eus tout de même un léger pincement au coeur. Rien qui ne puisse ramener un souvenir à la surface mais j'avais déjà du entendre ou voir ce nom quelque part.
Elya murmura alors que tout était là. Paroles mystérieuses et vide de sens pour moi. Je ne comprenais pas ce qu'elle voulut dire dans l'immédiat. Je n'eus pas le temps d'ajouter quoique ce soit avant qu'elle ne s'approche de moi. Son regard bruni me fixait toujours et cela créa de la géne. Baissant le regard comme pour ne plus croiser le sien que je sentais insistant. Elle finit par se trouver devant moi.

Alors que je ne voyais plus ses pieds en mouvement, je relevai lentement mon regard pour découvrir avec stupéfaction sa main à quelques centimètres de ma gorge. J'eux un léger mouvement de recul mais sa main se retira pour aller toucher mon front. Elle répéta une nouvelle fois « juste là » avant de reprendre en elfique d'autres paroles.
Voulait elle dire que tout était enfoui profondément dans ma mémoire ? Il est fort probable que ce soit cela. Elle fit demi tour. Je ne semblais plus l'intéresser. Cela m'apaisa un peu car son regard insistant sur ma personne me mettait très mal à l'aise.

De nouvelles paroles furent prononcées. Elle semblait avoir oublié mon existence car elle s'adressa à Dragan en elfique. Cette langue était certes belle à l'écoute mais ne pouvant la comprendre, je me sentais exclue comme reléguée à l'état d'un vulgaire bibelot sur une étagère.
Mon regard se porta sur le parchemin que tenait toujours Dragan. Il comprit ma demande et me le tendit donc. Je me mis alors à coucher sur la peau tannée ce que je ne pouvais dire de vive voix.

Et si personne ne me connaissait en la cité de Oësgard ?
Je ne voudrai pas abuser de votre temps ni de votre gentillesse mais j'aimerai quitter ce lieu qui me rappellera à jamais une vie qui m'a été dérobée aussi si ce n'est pas trop vous demander j'aimerai vous accompagner jusqu'à Diantra.

Il est vrai que je soulevais un point essentiel. Et si personne ne me connaissait là bas ? Il est vrai qu'à Diantra ce serait la même chose mais je voulais fuir. Fuir le plus loin possible de cette contrée. Ce lieu maudit était à l'origine de tous mes maux aussi je voulais fuir le passé comme la réalité en voyant d'autres horizons. Maintenant il ne restait plus qu'à espérer que ma requête soit acceptée.

Dragan jeta un regard en coin à Elya alors que celle-ci lui disait que leur invitée surprise était encore une enfant... C'était vrai, elle ne devait pas avoir plus d'une vingtaine d'années humaines. Mais Dragan était-il plus adulte qu'elle en comparaison? Pour les siens, il était tout juste adulte... Il esquissa un sourire sans joie avant de répondre :

- "Naa lye hini he, Elya?"
"Sommes-nous moins enfants qu'elle, Elya?"

Malgré son âge, elle lui faisait penser à une petite fille fragile et perdue qui avait besoin d'être protégée et guidée... Drôle d'impression, mais voilà, elle donnait envie de la protéger de tout mal, alors même qu'elle était bien plus âgée que Dragan.

Elya approcha alors de la jeune femme alors que Dragan lui avait proposé de l'emmener jusqu'à Oesgard, ce qui ne sembla pas éveiller grand chose dans l'esprit de l'inconnue. Savait-elle au moins qu'elle était dans les terres d'Oesgard? Mais Elya approchait près trop près, parlant encore par énigmes, alors que son homologue se tendait imperceptiblement, sur ses gardes. Il fronça les sourcils aux paroles de l'elfe.

- "Tanak nad naa naeth na maetha.."
"Certaines choses sont trop douloureuses pour être supportées..."

Son esprit avait du faire l'impasse sur les évènements traumatisants qui l'avaient conduites dans cet état. Elle avait failli être égorgée et elle avait tout perdu... Les dieux seuls savaient quels sévices elle avait enduré. Elya lui fit alors face, se désintéressant de la jeune femme et proposant de l'abandonner dans un village. La jeune fille ne comprit sûrement pas ses paroles, mais, comme en écho, demanda à ce qu'on l'emmène jusqu'à Diantra... Dilemme. Il inclina la tête et objecta :

- "Il est fort probable que vous soyez de ces terres, si vous vous êtes réveillée ici et donc avez plus de chances d'être identifiée auprès du Régent qu'à Diantra..."

Cependant, il pouvait comprendre son besoin de partir de lieux chargés de souvenirs... Il n'avait pas su le faire et c'était finalement Dyarque qui l'y avait poussé, de manière détournée. Il regarda Elya.

- "Re naa ereb ent wanwa."
"Elle est seule et perdue."

Si elle était comme son père, elle se ficherait comme d'une guigne du sort de cette humaine... Mais n'était-ce pas parce que Dragan était différent que Dyarque lui avait confié sa fille? Il était roi désormais, il ne pouvait pas se permettre un incident diplomatique, même s'il méprisait ses alliés.

Elya ne répondit à la question de Dragan que par un long regard inexpressif. La notion d’enfant était assez particulière chez les elfes, mais elle considérait tous les humains comme des enfants. Agités, inexpérimentés, promptes à agir, n’était-ce pas la une définition qui concordait bien ? Elle avait hérité de son père de ses idées, et son accident n’avait en rien arrangé la chose. Elle considérait le genre humain avec indifférence, désormais, comme beaucoup d’autres choses d’ailleurs. Finalement, elle détourna son regard pour en revenir à la fameuse amnésique. S’approchant, elle lui affirma que ses souvenirs ne s’étaient pas enfuis mais qu’ils étaient toujours avec elle, de façon un brin sibylline qui fit qu’elle ne sembla pas être comprise. Ce n’était guère étonnant, et elle ne prit pas la peine de lui expliquer, se tournant de nouveau vers son protecteur pour lui affirmer qu’il fallait la laisser là. Ce dernier ne lui répondit pas, préférant tendre de nouveau le parchemin. Sans s’offusquer d’être ainsi ignorée, Elya suivit du regard la peau de bête tannée et observa leur invitée la tâcher d’encre. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu’elle écrivait, en réalité. Elle avait oublié que les humains utilisaient un autre alphabet que le leur. Cela faisait bien un siècle qu’elle n’avait plus étudié la langue de la Péninsule, ce qui expliquait sans doute les légères lacunes avec laquelle elle s’exprimait quand elle en usait. Penchant légèrement la tête, elle observa les lettres se nouer entre elles.

Etranges et envoûtants dessins, manquant cruellement de grâce mais pas d’une certaine… logique. Elle esquissa un sourire rêveur qui disparut quand l’adolescente s’arrêta. Le message n’était pas long, mais cette fois-ci, Elya l’attrapa avant Dragan et le parcourut rapidement du regard. Apparemment, l’humaine ne semblait pas d’accord avec elle, bien au contraire, puisqu’elle souhaitait voyager avec eux. Mais ce n’était pas cela qui intéressait l’elfe, qui lut une ou deux fois de plus le message pour se remémorer l’alphabet humain… et pour Kÿria savait seule quelles raisons. Elle finit par tendre le parchemin à Dragan, qui le lut à son tour.

« Il est fort probable que vous soyez de ces terres, si vous vous êtes réveillée ici et donc avez plus de chances d'être identifiée auprès du Régent qu'à Diantra... »

Elya pencha de nouveau la tête. Etait-ce de l’hésitation qu’elle décelait dans la voix du Protecteur d’Ardamir ? Elle aurait été prête à le parier, mais elle ne comprenait pas où il y avait matière à hésiter. Il dut remarquer son interrogation, car il poursuivit pour elle uniquement, en elfique cette fois-ci, qu’elle était seule et perdue.

« Dormagyntha hi in lil rivvil ? »
Sauveras-tu tous les pauvres hères ?

Il n’y avait aucune agressivité dans sa voix, bien au contraire. On aurait presque pu y déceler de la curiosité. Elle ne s’opposait pas à la possibilité, n’avait aucune raison de le faire. Elle faisait confiance à Dragan, parce que son père lui faisait confiance, et s’intéressait à son avis. Elle tourna son regard vers l’amnésique.

« Seras-tu sauvée ? »

Au moment où je tendais le parchemin à Dragan, il fut intercepté par Elya qui déroula le vélin et sembla le lire. Suite à cela, elle le remit à Dragan qui le lu puis répondit à ma demande. Je l'écoutai avec déception quand il me dit que ce serait à Oesgard que je serai le plus sensible d'être identifiée et reconnue. On put d'ailleurs voir une lueur de tristesse parcourir mon regard.
Elya continua à parler comme si je n'étais pas présente. Je ne pouvais même pas essayer de savoir si c'était une question ou non qu'elle lui posait et si cela me concernait. L'elfe au regard brun se retourna une énième fois en ma direction puis ajouta des paroles qui n'avaient aucun sens pour moi.

Serai je sauvée ? Que voulait elle dire par là ? Cette elfe était bien mystérieuse et chacune de ses paroles étaient sybiliennes. Elle semblait détenir un savoir qui allait au delà de l'entendement. Etait elle voyante ? Dans ce cas voulait elle dire que des jours meilleurs allaient venir pour moi ?
Pour le moment, je ne voyais rien qui ne me soit favorable en ce lieu. Cette région était bien trop cruelle car elle me torturait physiquement et psychologiquement. Cette région était celle de ma mort. Il fallait que je la quitte pour pouvoir vivre.

Certes les craintes seraient toujours présentes mais elles pouvaient se voir atténuées si je me trouvais dans un lieu où je serai protégée. Et pour le moment, en ce territoire je ne me sentais nullement en sécurité. Le traumatisme était bien trop frais pour que je puisse faire comme si de rien n'était.
Doucement, je commençais à avoir la tête qui tournait. J'étais encore faible à cause du sang que j'avais perdu et de la disparition de ma mémoire. Il me fallait encore du repos. Je m'allongeai alors mais je gardais les yeux ouverts. Je fixais Dragan d'un regard suppliant.

J'étais un animal aux abois. Mon destin était dans les mains de cet elfe. Il avait donc ce pouvoir de vie ou de mort sur ma personne. Je m'en remettais à lui car en l'état actuel j'étais incapable de savoir ce qui serait le mieux pour moi. Et si ce mieux était Oesgard ?
Je ne pouvais imaginer que cette terre qui avait voulu me perdre soit celle qui pourrait me sauver. Non décidément cela était impossible. Doucement mes yeux commencèrent à se charger d'eau pour laisser des larmes couler le long de mes paupières. Un nouveau murmure inaudible fut alors prononcé.

Par pitié...

Il lança un regard dépourvu d'aménité à Elya quand elle lui demanda s'il comptait sauver ainsi toutes les brebis égarées qu'il rencontrait sur son chemin. Elle devait avoir les mêmes idées que son père au sujet des humains et ne guère les considérer. La détresse de cette fille ne semblait pas l'affecter, mais à bien y réfléchir, il se demandait ce qui était capable de la toucher. Sa compagne de voyage était vraiment étrange. Il ne savait pas comment l'aborder ou lui parler, résultats, ils ne se parlaient que pour les choses pratiques.

- "Manka Amin karn ta, avavaen."
- "Si je peux le faire, oui."

Il ne se démonta pas à son interrogation, répondant avec simplicité et autorité, d'une voix qui ne souffrait pas la contestation à ce sujet. Princesse d'Alëandir ou non, il était encore celui qui dirigeait cette expédition et lui qui prenait les décisions. Il n'était pas dans ses intentions de parcourir les terres humaines avec du mépris pour cette race.

- "Llie cael ped eller?"
- "Tu as quelque chose à y redire?"

Mais Elya revenait déjà à ses phrases mystérieuses et demanda à la jeune femme si elle serait sauvée. C'était énervant ces phrases sibyllines qui ne voulaient rien dire, sauf pour Elya. Elle était dérangée quand même... Était-ce pour cela que son père avait décidé de lui alouer la présence de Dragan? Pour qu'il la surveille et la garde dans le droit chemin?

Mais la jeune femme inconnue ne semblait pas d'accord pour rester là et lança à l'elfe un regard suppliant et désespéré qui ne sut que le toucher au cœur. Il se ramollissait apparemment. Incapable de supporter un regard féminin aux abois. Pathétique.

- "D'accord. J'accepte que vous vous joigniez à nous pour le voyage. Mais sachez que nous devons aller assez vite et que nous ne pourrons pas nous arrêter pour vous. Vous voyagerez dans un des chariots, en attendant d'aller mieux."

C'était non négociable. Si elle les ralentissait, il la déposerait dans un des villages de la région. Il se tourna alors vers Elya et reprit calmement :

- "Ta nae llie?"
- "Cela te convient?"

Dragan avait au moins une qualité : il était honnête. Il ne fuyait pas non plus les questions dérangeantes, et même si Elya l’avait posée poussée par la curiosité et non par l’envie de le piéger, elle s’était attendue à ce qu’il tente d’esquiver. Grand mal lui avait pris, elle s’était lourdement trompé, et elle ne put que pencher doucement la tête sur le côté, avant de hocher doucement la tête.

« Lani fea. »
Bel esprit.

Plein de noblesse. Dommage qu’il soit parfaitement irréalisable, et il le savait, d’où l’utilisation d’une forme conditionnelle. Pourtant, elle ne le releva pas, acceptant la réponse comme elle venait, et y réfléchissant avec sincérité. Le concept de Bien et de Mal n’avait aucun sens pour elle, du moins pas le même que la majorité des gens, et elle s’accrochait au Pragmatisme pour les remplacer. Une solution qui avait ses failles, elle s’en rendait bien compte, les regards parfois choqués qu’elle récoltait à longueur de temps le lui criaient. Il lui demanda alors si cela la dérangeait, et elle ne prit même pas la peine de lui répondre. D’une certaine façon, cette remarque l’avait blessée, même si elle n’en avait rien montré, préférant s’intéresser à la seule brebis égarée que l’elfe pouvait sauver dans l’immédiat. Les lèvres remuèrent, mais aucun son n’en sortit. C’était une chose fascinante. Qu’avait-elle voulu dire ? Elya regretta de ne pas avoir prêtée attention plus attentivement à l’étrange manège de l’humaine. Quelques mots mort-nés, jeté à la face d’une elfe indifférente. Quoi que… L’inconnue ne la regardait pas, elle, mais son sauveur.

Et c’était un regard qui faisait mouche, il n’y avait qu’à voir les yeux de Dragan pour le comprendre. Elya esquissa un léger sourire, se mettant légèrement en retrait pour les laisser terminer cette conversation. Elle n’y était pas la bienvenue, de toute façon. Le Protecteur d’Ardamir voulait prendre cette décision seul, et la jeune femme qui le suppliait avait bien compris qu’elle n’obtiendrait aucun soutien de la mage, aussi s’était-elle naturellement tournée vers celui qui semblait le plus sensible à sa détresse. Elle ne laissa rien paraître de son opinion personnelle quand, finalement, il décida d’accéder à sa requête à la condition qu’elle ne les ralentisse pas. Pragmatisme… Finalement, elle n’était pas la seule à y trouver du réconfort. Leurs regards se croisèrent, et une nouvelle fois il la mit au défi de le contredire. Elle soupira et baissa la tête, regardant un point qui n’existait pas entre ses pieds et les siens.

« Amin naa n' llie hakar. »
Je ne suis pas ton ennemie.

Redressant finalement la tête, elle soutint son regard puis se détourna. Quelques pas lui suffirent pour atteindre la sortie, et elle souleva un pan de tente. Elle jeta un regard à leur invité surprise et sembla réfléchir quelques instants avant d’hausser les épaules et de s’en aller, sans attendre la réponse de Dragan.

C’était une nouvelle journée qui commençait. Une longue journée de chevauchée, une de moins qui la séparait de Diantra et du jeune Roi.

Je vis alors Dragan et l'elfe discuter à nouveau entre eux. Ils avaient repris dans leur langue maternelle m'excluant de leur conversation. Lentement, je fermais les paupières, épuisée d'être restée ainsi éveillée. Dragan me fit part alors de sa décision. Je pouvais donc les accompagner mais il faudrait faire vite.
Je me mis une nouvelle fois à remuer les lèvres. Mes paupières étaient mi closes. Je dis alors simplement en regardant Dragan.

Merci!

Mes yeux se refermèrent alors. J'entendis des pas sortir de la tente. C'était Elya qui venait de nous laisser. Je m'endormis alors, épuisée. Je n'entendis pas Dragan sortir de la tente. J'ignorai si la louve était restée à mon chevet une nouvelle fois.
L'agitation à l'extérieur me réveilla. Une nouvelle journée venait de commencer. Me levant, Laurëa n'était pas présente à mon chevet. J'étais un peu rassurée. Me dirigeant vers l'entrée de la tente, j'entrouvris un pan pour jeter un coup d'oeil à l'extérieur. Les gardes et les serviteurs présents étaient en train de s'activer à démonter le campement. On partirait donc dans la journée. La prochaine étape était Alonna.

[HJ : J'avais oublié que c'était mon tour sur celui ci ^^ ;;;
Je vois plus rien à rajouter sur ce sujet donc suivant :)
Dragan est attendu en Alonna Rolling Eyes

]

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