Le Voile... Nostalgie ou sombre présage ? |PV Dyarque]

    Le ciel restait obscur. C’était impossible, mais c’était, et cela suffisait à dérouter toute une armée. Un phénomène qui, de mémoire d’elfe, n’avait jamais excédé une heure s’étalait déjà sur toute une après-midi. Dans les rangs, on affirmait que la Dernière Nuit était arrivée, celle qui devait marquer la fin du monde créé par Kÿria, une légende dont on ne savait pas si elle ressurgissait soudainement ou si elle naissait avec la mort du jour, mais qui n’en enflait pas moins. Dyarque quand à lui réservait son jugement. Il se remettait péniblement de ses blessures, mais se remettait tout de même. Déjà, l’armée s’était organisée pour sécurisée les alentours de feu Ellyrion, et il n’avait plus rien à faire aussi bas au Sud. Ayant laissé les rennes à Lyriel, comme il se devait, il avait commencé à remonter vers Alëandir. Il prévoyait cependant de faire un détour par Daranovar, afin de parler à Nyrlae. Pour l’heure, il se contentait de retourner sur ses pas, suivant les traces laissées par les troupes qu’il avait conduites à la bataille. Bien entendu, il allait bien moins vite qu’à l’aller. Monté sur son habituelle monture, il la laissait aller au rythme qu’elle souhaitait, se laissant presque bercer par son mouvement de balancier. En fermant les yeux, il pouvait presque oublier ce qu’il avait vu la nuit, oublié les troupes qui l’accompagnaient. Une petite dizaine d’Aigles, silencieux, l’entouraient en effet.
    Malheureusement, où il désirait se rendre, ils ne pouvaient le suivre. Car Dyarque avait quelqu’un à voir, avant de vraiment quitter le Protectorat d’Eraïson. Il savait qu’elle n’était pas loin, sans réellement avoir une idée précise d’où lui venait une telle certitude. Si bien qu’il leur ordonna de s’arrêter et continua seul son chemin, jusqu’à se retrouver en sa présence. Incapable de descendre seul de son cheval, tout comme il avait été incapable de s’y jucher, il lui fit signe de s’approcher. Les deux bras en écharpe, il ordonna avec ses jambes à sa montrer de s’arrêter. Il fut surpris d’entre les paroles de la druidesse, qui sonnaient presque comme des accusations dans son esprit fatigué.
    « Je devrais, peut-être », consentit-il. Mais il lui semblait qu’il restait tant à faire. A Ellyrion, il était inutile, mais à Alëandir, la peur grondait. Alors qu’il avait cru enfin pouvoir se reposer, voilà qu’un Voile persistait et lui voler cette chance. « Mais je suis là. »
    Et il lui semblait que c’était pour le mieux. Il se sentait proche d’Aerlinn, ou tout du moins redevable. Sans elle, que se serait-il passé ? Les elfes auraient-ils pu s’en tirer aussi bien sans le concours qu’elle avait pu lui apporter ? Il en doutait. Aussi, alors qu’elle semblait en proie à un désespoir qu’il ne pouvait pas réellement comprendre, il ne regrettait pas de l’avoir rejointe. Et tant pis si ses paroles le blessaient, comme chaque évocation de la Symphonie des Arbres, puissent-elles être aussi tragiques. Il aurait souhaité pouvoir entendre, ne doutant pas de tirer un réconfort certain des arbres qui les entouraient. Des arbres qui restaient muets. « Il n’y a plus belle oraison funèbre que celle d’Anaëh », murmura-t-il doucement.
    Réunissant ses forces, il passa une jambe par-dessus l’encolure de son cheval et se laissa glissa au sol. Au vu de son état de fatigue, il manqua de tomber, et dut s’appuyer contre le flanc imperturbable de la bête. Poussant un léger soupir, il se redressa sur ses jambes et s’approcha. Quand il ne fut plus qu’à quelques pas, il s’arrêta et porta son regard là où reposait celui d’Aerlinn. Il ne savait pas réellement quoi dire, n’ayant jamais été un orateur et ayant toujours affronté ses propres peines par le silence. Ce fut donc avec le silence qu’il accompagne celle qui, assurément, souffrait. Et souffrait d’autant plus qu’il l’avait approché des combats.

[Merci à Y'Sha et Aerandir pour ce sauvetage de réponse @_@]

Il était étrange d’entendre parler Aerlinn. Elle parlait toujours comme si elle n’était qu’un porte-parole, comme si ses mots ne lui appartenaient pas entièrement. Comme si elle unissait sa voix à… eux ? Promenant son regard sur les arbres qui les entouraient, il se prit à envier son interlocutrice, une nouvelle fois. Leurs vies étaient bien différentes, mais il ne pouvait que se rappeler qu’à une époque, il avait été appelé à suivre la même voie. Celle d’un druide. Tout aurait pu être, alors, tellement plus simple. A moins qu’il n’ait idéalisé ce qu’il ne connaissait pas. Il savait les deux solutions possibles, tout comme il s’était résigné à ne jamais pouvoir trancher.

Mais voilà qu’elle l’appelait par son prénom, et c’était une chose assez nouvelle pour qu’il y prête attention. Haussant légèrement un sourcil, il la fixa sans rien dire, la laissant s’expliquer. Et la question qu’elle lui posa le surprit encore plus. Il ne sut d’abord que dire, fouillant sa mémoire pour trouver une réponse appropriée. Avait-il suivi une quelconque trace ? Non, il était assez bien placé pour savoir qu’il n’était pas en état. De toute façon, le pistage n’était pas dans ses attributions.

« Je ne sais pas. Un pressentiment. »

Une réponse honnête, mais qui ne répondait à rien. Après tout, qu’était un pressentiment ? Une certitude enfouie, qu’on ne pouvait accepter car ne reposant sur rien de concret. Une certitude déguisée, travestie en incertitude. Or, Dyarque ne pouvait dire qu’il avait douté.

« Vous étiez là où vous deviez être. »

Que dire de plus ? C’était exactement ce qu’il ressentait. Il considéra donc l’incident clos, et l’attitude d’Aerlinn le lui confirma, alors qu’elle reprenait le vouvoiement et l’appelait « Protecteur ». Il sourit, ou ce qui pouvait ressembler à un sourire chez lui, et c’était suffisamment rare pour surprendre la druidesse.

« Je suis là où je dois être », répondit-il, faisant ainsi écho à ses propres paroles.

Cela ressemblait à de l’humour, et c’en était, quoi que le fond restait sérieux. Il n’avait rien d’autres à dire, sinon qu’il pensait ses précédentes déclarations. Reprenant un visage plus austère, il prit de nouveau le temps d’observer leur environnement, ne pouvant s’empêcher de trouver la forêt si fade, encore une fois. Il l’avait connu tellement plus belle, une fois enfant. Aerlinn décèlerait-elle la résignation qui brillait dans son regard ?

« Que disent-ils ? » demanda-t-il soudainement.

La question avait jailli sans qu’il ne le veuille, mais alors qu’il avait une occasion unique de renouer avec la Symphonie des Arbres, même par procuration, il la saisissait. Tout en sachant qu’il ne pourrait qu’être déçu par ce qu’il entendrait, non par la teneur des propos mais plutôt par le fait qu’il ne pouvait entendre lui-même ce qui se chantait en ce jour si particulier ou nul soleil ne brillait.

Il était rare que Dyarque ne sache quoi répondre quand on l’interrogeait. S’il n’avait pas la science infuse, il avait assez vu et lu pour posséder un savoir que beaucoup qualifierait d’érudit. Mais étrangement, les questions d’Aerlinn ne trouvaient que des réponses évasives. Il ne sut même pas quoi dire quand elle lui demanda ce qui avait motivé sa venue. Heureusement, le silence n’était pas quelque chose qui dérangeait le Roi des Elfes, et il le pratiquait souvent. Du moins le voulait-il, mais il y avait quelque chose dans le sourire et l’expression de la druidesse qui le poussa à le briser plus tôt qu’il ne l’aurait pensé de prime abord.

« Un peu des deux, surement. »

Et puis, il demanda ce que la Symphonie des Arbres disait. Puisque, apparemment, Aerlinn pensait qu’il pouvait l’entendre, peut-être savoir ce qui se chantait alors l’aiderait. Il écouta attentivement, essayant d’imaginer ce qu’il aurait pu entendre… quoi qu’entendre n’était pas le bon mot. Il n’y avait pas là histoire d’oreille ni d’audition, il y avait affaire d’un sens qui jadis était lot commun, et désormais rareté. Mais au contraire de la vue, au contraire de l’ouïe, il n’était pas uniquement perception, il était communion. Il sublimait. On pouvait devenir aveugle, sourd, muet. Dyarque avait eu l’impression d’être tout cela à la fois.

« Je n’entends rien », lâcha-t-il doucement, comme avec regret.

Et l’éclat de son iris avait repris la teinte sombre et mélancolique qu’on lui connaissait. Plus de sourire, plus de plaisanterie, Dyarque redevenait égale à lui-même. Détournant un instant son regard des arbres, d’Aerlinn, de tout le reste. Regardant seulement ses pieds, il sembla réfléchir. Le tirant de ses pensées, elle lui parla d’Ellyrion, d’une façon qui le toucha, et hocha doucement la tête. Il ne s’était pas attendu à cela, mais l’entendre lui semblait soudainement approprié.

« Je le ferai », promit-il, et il regretta d’être parti si précipitamment.

Devait-il faire demi-tour ? Ce serait perdre une journée de voyage, mais le temps pressait-il autant ? Soudainement, il hésitait, mais il décida de reporter au lendemain la décision finale. La nuit, quoi que le mot perdait de son sens, ne tarderait pas à s’installer, et il était plus qu’épuisé. Sa rencontre fracassante avec Dartan lui laissait plus de séquelles qu’il ne voulait bien le montrer, et il avait besoin de repos. Levant le regard vers la cime des arbres, il fixa un instant le ciel sombre et soupira.

« Savez-vous ce que cela signifie ? »

Lui-même aurait donné beaucoup pour le savoir, mais il en était réduit à attendre… comme plusieurs millions d’âmes.

La réaction d’Aerlinn surprit Dyarque, qui ne s’autorisa pourtant pas à le montrer. Doutait-il ? Non, du moins ne le pensait-il pas. Ce qu’il ne comprenait pas l’intriguait, mais ne l’inquiétait pas. Que craignait-elle ? Et surtout, qu’est-ce qui lui faisait penser une telle chose. Etait-elle induite en erreur par son air sinistre et ses silences répétés ?

« Je ne le pense pas non plus », tenta-t-il de la rassurer.

Il eut envie de soupirer, mais préféra s’abstenir, ne voulant pas qu’elle s’imagine de nouveau ce qui n’était pas. D’ordinaire, il se moquait de ce qu’on pouvait penser de lui et de son austérité, mais il en allait différemment avec elle. Il se sentait redevable, pour lui et pour son peuple tout entier. Leur conversation était étrange, pleine de flottements, d’interrogations. Ils étaient deux esprits millénaires – plusieurs fois millénaires même pour elle, si on croyait ce qu’on racontait à son sujet – qui avaient eu le temps et les occasions de voir beaucoup, trop surement. Vint ensuite la question qui les taraudait tous. Que réservait l’avenir ? Pourquoi un Voile aussi long, là où le dernier n’avait duré que quelques dizaines de minutes ? Il n’en avait aucune idée, mais il avait espéré, prié pour qu’elle sache. Et, si elle ne savait pas, qu’au moins Anaëh lui fournisse la réponse.

« Je ne peux que craindre, alors, ce que l’avenir nous réserve. »

Il n’avait pas voulu dire « les Dieux », mais qui d’autre pouvait être à l’origine du phénomène ? Qui avait la puissance nécessaire pour arrêter ainsi la lune dans le ciel ? Gardant ses pensées pour lui, il hocha doucement la tête quand elle le mit en garde contre les dangers qu’une éclipse prolongée pouvait entraîner. Il soupira, cette fois.

« J’avais espéré un répit. »

Mais c’était surement trop demander. En ces temps troublés, les catastrophes s’enchainaient avec une vitesse folle. D’abord Alonna, une bataille qui n’avait pas été portée jusqu’aux portes d’Anaëh mais qui avait tout de même touché le peuple elfique, la disparition des Seigneurs Protecteurs, puis Ellyrion et maintenant… Maintenant, un Voile qui semblait perpétuel. Il pouvait paraître prématuré de s’inquiéter après une demi-journée seulement, mais Dyarque ne voyait pas de raison pour qu’il cesse, maintenant qu’il s’était installé.

« Qu’allez-vous faire ? »

La question pouvait paraître surprenante. Mais, étrangement, Dyarque espérait revoir Aerlinn. Il savait leur séparation inévitable, ils avaient tous deux beaucoup à faire, mais il avait trouvé en elle un esprit qu’il comprenait et, surtout, qui semblait le comprendre. Une chose rare, et précieuse, pour cet elfe qui semblait si fermé à un monde qu’il ne comprenait plus tout à fait.

[Désolé pour la piètre qualité, je ferais mieux >.<"]