Serments | Gaucelm & Elanore

Bien sinistre étaient les nouvelles qui étaient venu en m^me temps que cette étrange éclipse. Après le bal ysarois, qui avait laissé Gaucelm perplexe sur les moeurs de certains invités, il avait appris avec chagrin la mort de son plus fidèle ami et conseiller, Jehan. Ce bon Rochefort qui l'avait assisté dans toutes ses affaires, depuis son enfance. Un ami qui avait assisté à l'ascension du Gras sur le trône comtal, qui l'avait appuyé lors de la prise d'Etherna et qui avait su gérer la crise d'Oësgardie lors de la prise de pouvoir du Sieur Egmont de Syliana. Gaucelm avait attendu d'être seul, loin des regards de tous pour verser une larme, en se remémorant de vieux souvenirs qui unissaient deux hommes qui avaient grandis ensemble, ce sentiment plus fort que l'amour même, ce sentiment de fraternité pure. Les circonstances de sa mort semblaient si lugubres aux yeux du Comte. Un cavalier émérite comme Jehan, qui pouvait tenir en selle au milieu des combats, serait mort à cause d'une branche. Le Voile était tendu dans le ciel odélian depuis plusieurs jours et le Gras recevait quelques visites de nobles en ce triste jour. Chacun s'inquiétant de la durée de l'éclipse et d'autres mièvreries de cour. Lorsque la porte s'ouvrit pour la prochaine visite, l'annonce sortit Gaucelm de sa semi torpeur.

Loup de Rochefort, chevalier au faucon, fils de feu Jehan de Rochefort, maître de la citadelle d'Assar.

Le regard que Sa Grasseté lança vers le valet ne laissa planer aucun. Oser appeler cet impertinent de Loup, Maître d'Assar. Il en profitait bien ce petit insolent. Il avançait vers Sa Grassouillerie avec un petit sourire qui eu le don de faire froncer les sourcils au comte. Le fils de ce brave Jehan, mit un genou à terre et s'inclina en prenant la parole.

Malgré le deuil qui le frappe, Assar se présente aujourd’hui au trône d’Odélian, pour lui réaffirmer ses vœux de vassalité

Gaucelm serra les dents en toisant Rochefort. Autant il appréciait le père, autant le fils n'était pas l'un des plus proches de Gaucelm. Il avait osé s'opposer à des études sur son sorcier de fils et son innocence n'était pas prouvée dans la mort de son père. MEURTRIER!! ... Le Gras parvint à garder son calme, alors qu'il bouillonnait à l'intérieur.

Assar et tout Odélian ont perdu un homme de valeur et d'honneur. J'espère que son successeur saura se montrer aussi habile et fidèle que lui.

Le ton était un peu sec et Gaucelm ne cachait pas son aigreur. Il marqua une pause brève puis il reprit.

Et qu'il saura suivre les ordres de son suzerain quand il fera appel à lui.

[Avec l'accord de Loup]

Voilà plusieurs semaines que j'étais comtesse d'Odelian maintenant. Je n'avais pas encore eu l'occasion d'exercer mon nouveau pouvoir, me familiarisant plutôt avec le château de mon époux et ses gens. Petit à petit, il avait fallu que je m'impose comme la nouvelle maîtresse de maison et certains domestiques, plus âgés que les autres, plus importants aussi, semblait me jauger et attendre de voir de quel bois j'étais faite. Ils allaient être servis! Je n'avais amené que peu de gens de ma maisonnée : ma nourrice, deux servantes, Loïs, le caporal de la garde de mon père qui était devenu mon protecteur... C'était à peu près tout. Je me sentais un peu seule et perdue ici. Gaucelm avait ses propres affaires à gérer. Nous n'avions rompu cette monotonie que pour nous rendre au bal d'Ysari, ce qui m'avait ravi. J'avais pu danser avec nombre de nobles, certains très à mon goût et rêver quelques soirs que je n'étais pas mariée à Gaucelm. Pourtant, je ne lui avais pas manqué de respect, ne jouant pas les écervelées avec tous ces beaux damoiseaux. J'avais retenu sa réaction concernant sa cousine. Il y avait d'ailleurs eu quelques scènes de jalousie durant ce bal... Il fallait avouer que l'atmosphère y avait été propice. Lucrèce se doutait-elle seulement de ce qu'elle avait imaginé là? Ou était-ce encore son incroyable innocence qui avait joué?

Puis, nous étions rentrés à Odelian.

Et c'est là que le Voile nous rattrapa. L'obscurité s'abattit sur le royaume et partout en Miradelphia. Je ne regardai pas le phénomène, trop apeurée pour oser regarder la colère des dieux. Et j'eus raison puisque de nombreux cas de cécité nous furent rapportés ensuite. Mais le soleil ne réapparut pas... La population se mit à imaginer diverses hypothèses concernant ce phénomène et il fallut ramener un peu d'ordre auprès des gueux à l'esprit trop fécond. Un astrologue, des prêtres vinrent nous abreuver de leurs savoirs à ce sujet, c'est à dire nous raconter diverses fadaises. La seule constante étant que c'était l'œuvre des dieux et que personne ne savait quand cela prendrait fin.

Il faisait donc nuit depuis des jours. Combien de temps pourrions nous vivre sans soleil? Les animaux en étaient perturbés, les plantes avaient besoin du soleil pour pousser? Je m'inquiétais. Mais je n'en parlais à personne, de peur de passer pour une idiote.

Une autre funeste nouvelle nous parvint, affectant mon époux davantage que je ne l'aurais imaginé : la mort de Jehan, son fidèle compagnon. mort d'une chute de cheval pendant le Voile. Il n'y croyait pas. Il pensait à une traîtrise de son fils aîné, qui avait déjà refusé à mon époux la chance de pouvoir élever son fils... Un honneur, refusé par le fils de Jehan. Une première claque pour Gaucelm qui n'avait pas apprécié. Et voilà que son cher ami disparaissant dans d'étranges circonstances... Je le soupçonnai d'ailleurs de l'avoir pleuré dans l'intimité.

J'avais appris que ce fameux Loup de Rochefort était arrivé au château pour parler à son suzerain. Gaucelm ne m'avait pas convié à l'entrevue, mais je pris mon courage à deux mains et les rejoignis, frappant délicatement à la porte, avant d'entrer et de me figer, comme si j'étais surprise de trouver Gaucelm en compagnie d'un homme. Je faisais très bien l'ingénue. J'étais vêtue d'une robe de coupe simple, rouge, resserrée sous la poitrine, bordée de fourrure. Mes cheveux roux étaient dissimulés sous une coiffe comportant un voile qui dissimulait ma gorge aux yeux de tous. Seul mon visage était visible, faisant ressortir mes grands yeux bleus.

- "Oh pardonnez-moi Seigneur mon époux, je vous pensais seul..."

Je fis une petite révérence, avant de regarder le nouveau venu. Grand, brun, austère, avec des traits taillés à la serpe, mais indubitablement séduisant. Alors c'était lui ce fameux Loup, le Parricide...

- "J'ose espérer ne pas avoir interrompu une conversation importante..."

Je souris ingénument à mon époux avant de regarder Loup.

- "Pardonnez mes mauvaise manières Messire, je suis Elanore d'Odelian, la dame de ces lieux."

Le Gras toisait le chevalier au Faucon, ridicule sobriquet pour un homme prénommé Loup, soit doit en passant, et semblait se délecter de le voir pliait le genou devant lui. Les mots de Rochefort vinrent heurter les tympans de Sa Grasseté avec insolence.

Aurais-je fauté sans le savoir, Messire, pour vous voir vous défiez ainsi de moi ? Je n’ignore pas l’affection que vous portiez à mon père, et sais que lui-même vous appréciait. Aussi, sachez que tout Assar se réjouirait de votre présence lors de son oraison funèbre. Sûrement aurait-il voulu revoir un ami aussi cher avant de rejoindre la demeure de ses ancêtres. J’ai prévu, si vous m’y autorisez, de repartir demain. Vous me feriez un immense honneur en m’accompagnant.

Il gardait un calme apparent, non mais quel toupet! Les mots du Gras cinglèrent avec morgue.

Relevez vous Rochefort. Ce qui vous est imputable, vous le savez ...

Il n'en dirait pas plus, préférant retenir ses mots alors que la porte s'ouvrit de nouveau, dévoilant le minois enjôleur de la comtesse d'Odélian.

Oh pardonnez-moi Seigneur mon époux, je vous pensais seul...

Ainsi donc, depuis Etherna elle avait gardé cette fâcheuse manie d'écouter aux portes, quoique maintenant elle se payait le luxe d'entrer comme si elle était chez elle ... Non mais ... Bon effectivement, elle est chez elle ... Mais quand même, interrompre une conversation si importante.

J'ose espérer ne pas avoir interrompu une conversation importante...

Bah si, on vient de le dire ... Le regard qu'elle se permit de lancer vers le Rochefort trouva un sombre écho dans les orbites de Sa Grassouillerie. Il l'avait connu moins frivole et meilleure comédienne. Le regard du gras se tourna vers Loup, hurlant intérieurement un PARRICIDE tonitruant, alors qu'Elanore continauit de faire comme si de rien était.

Pardonnez mes mauvaises manières Messire, je suis Elanore d'Odelian, la dame de ces lieux.

Le sourire ingénu qu'elle envoya au Gras ne fit qu'accroître son agacement.

Elanore!

Le ton était ferme et sec, et laisser parfaitement sous entendre les pensées de Gaucelm. Elle était certes une délicieuse enfant, mais là, on parlait d'affaires de grandes personnes. Son regard n'était plus celui du gentil gros bouffon stupide qu'il aimait donner, mais celui du comte qui tenait Odélian dans sa poigne de fer. Il s'adoucit légèrement, en voyant que son épouse avait compris, du moins l'espérait-il, et il poursuivit.

Voici, Loup de Rochefort, fils aîné de feu Jehan de Rochefort et Seigneur d'Assar. Rochefort, je consens à me joindre à vous pour rendre un dernier hommage à mon vieux camarade. Elanore, faites mander les valets, qu'ils préparent le voyage, nous partirons demain.

Il marqua une brève pause, restant songeur quelques instants, puis il revint sur le chevalier au Faucon et lui lanca.

Pouvez-vous me rappeler comment est tombé mon fidèle ami? J'ai peine à croire cette histoire de basse branche ...

Je retins une petite grimace quand mon époux me rappela sèchement à l'ordre. Mince de mince, je m'y étais prise comme un manche et si mon ton enjôleur avait fonctionné lors de notre nuit de noces pour échapper à l'examen du médecin il semblerait que le petit numéro de l'ingénue ne fonctionne pas quand je l'interrompais avec un vassal. C'était bon à savoir, je ne reproduirai plus cette erreur. Je lançai un regard à mon époux, un regard d'intelligence alors que la niaiserie s'effaçait doucement de mon visage. Il me présenta alors Loup, qui prit la parole d'une belle voix grave, s'estimant heureux de me rencontrer.

- "Plaisir partagé, soyez en certain, je regrette de ne vous avoir rencontré plus tôt, Seigneur."

Au mariage par exemple. Mariage où il n'était pas.

- "Soyez assuré de mes pensées à votre égard en ces heures sombres et difficiles. La perte d'un être cher est toujours une tragédie."

Davantage encore quand on était accusé du meurtre de son père. Vrai ou faux, je ne le savais pas, je n'avais aucun a priori concernant Loup, je ne le connaissais pas et j'avais peu connu son père. On le disait trop bon cavalier pour mourir si bêtement. Loup l'aurait assassiné pour hériter? Il avait perdu sa femme et son enfant à naître il y a si peu de temps... Le chagrin s'était-il mué en folie? Je ne savais pas et j'avais très envie de découvrir ce que cachait le beau chevalier au faucon. Si Gaucelm l'accusait du meurtre de façon peu subtile, je décidai de jouer le rôle de la compatissante, de la gentille. Nous ne pouvions pas nous permettre de perdre la loyauté de Rochefort. Gaucelm était affecté par la mort de son ami, pas moi. Si Loup voyait en mon époux un danger, un ennemi, je lui offrais une alliée. Gaucelm me demanda de m'occuper des préparatifs en vue d'un voyage demain... Pour les funérailles de Jehan.

- "Ce sera fait."

Oui, je m'y attellerait rapidement et ferais tout pour que ce soit parfait et que Gaucelm se rende compte combien j'étais douée dans mon rôle de maîtresse de maison. Je tressaillis quand mon époux demanda au chevalier de Rochefort de lui narrer la mort de Jehan... Il sous entendait clairement qu'il avait été tué. Et Loup se contenta d'assurer de pas avoir tué son père, sans répondre à la question. Je sentais la tension entre les deux hommes et je voulais l'apaiser. Je me rapprochai de mon époux et posai une main fine sur son avant bras, avec un sourire apaisant et un regard compatissant envers le chevalier que l'on disait Parricide.

L'échange cordiale qui eut lieu sous les yeux du Gras fit monter la moutarde au nez du Gras, qui avait du hausser la voix, comme un père qui gronde un enfant. La moue qu'elle fit, assura le comte qu'Elanore avait compris son erreur, elle n'en demeura pas moins courtoise avec le Parricide.

C’est un plaisir de vous rencontrer, ma Dame

Plaisir partagé, soyez en certain, je regrette de ne vous avoir rencontré plus tôt, Seigneur. Soyez assuré de mes pensées à votre égard en ces heures sombres et difficiles. La perte d'un être cher est toujours une tragédie.

Le Gras arqua alors un sourcil. Si seulement elle se doutait de ce qui attendait son père, elle ne tiendrait pas un discours si naïf. Au moins prenait-elle le soin de brosser le Loup d'Assar dans le sens du poil. Etait-ce une manoeuvre? Loup acquiesça alors que Gaucelm lui confirmait sa visite pour le dernier voyage de son vieux frère. Elanore en fit de même lorsque son époux lui confia la tâche de préparer le voyage. Visiblement, elle ne partirait pas, la tête de mule. Plus insolente encore, elle s'approchait de son grassouillet de mari et vint poser sa main de façon apaisante sur l'épaule large du Gras. Il croisa son regard, remarquant bien l'air déterminée de sa jeune épouse. Ses mots lui revinrent, quand à sa détermination a être une épouse utile et respecter. Soit. Laissons la tenter de faire ses preuves. Sa Grasseté interrogea alors Rochefort, qui répondit avec une insolence des plus limite, surtout envers son suzerain remonté comme un coucou suisse.

Nous avons tous du sang sur les mains, mais celui de mon père n’est pas sur les miennes.

Le vil fifrelin de pacotille ! L'outrecuidant ! Les mots de Gaucelm cinglèrent comme le fouet sur le dos de l'esclave qu'était Loup.

Vassal!! Répondez à ma demande au lieu de faire de l'esprit de mauvais aloi!

La situation s'envenimait et Assar pourrait bien voir u nouveau seigneur prêtait allégeance au comte avant la fin de l'entretien.

Je fus soulagée quand mon époux ne me renvoya pas et qu'il m'accepta à ses côtés. S'il m'avait ordonné de les laisser, je n'aurais pas pu biaisé. Mais là... Nous échangeâmes un regard et il vit ma détermination. Je lui avais annoncé la couleur lors de notre mariage : je ne serais pas une jolie plante verte, je voulais avoir ma place et jouer un rôle dans sa vie politique.

Je sursautai malgré moi, surprise du ton employé par Gaucelm. Finalement, cette conversation était pleine d'enseignements : je n'avais jamais vu mon époux ainsi, sous ce jour de suzerain implacable et colérique. Se laissait-il aveuglé par la douleur de la perte de son ami? Je lui lançai un regard indéchiffrable, avant de regarder Loup qui restait stoïque.

Et qui céda en racontant la tragédie d'une voix dépourvue de la moindre intonation. Soit il était coupable et cela ne lui faisait rien, soit au contraire, cette mort l'affectait énormément. Il raconta comment son père avait regardé le phénomène. Nous avions apprit que c'était très mauvais pour les yeux, que le soleil brûlait la rétine, malgré l'obscurité. Je déglutis quand il entra dans les détails, surtout concernant la nuque brisée de Jehan. Quelle horreur... J'avais du pâlir légèrement en m'imaginant la scène et mes yeux étaient agrandis d'horreur. Et mon cœur se serrait de compassion.

Je hochai la tête à son explication. Commode, certes, mais allons, s'il l'avait empoisonné, comment aurait-il pu prévoir le Voile? Il ne pouvait pas savoir... Concours de circonstances? L'avait-il empoisonné et trouvé l'explication de la cécité commode ensuite? Je ne savais pas, mais je doutais que les choses s'emboitent si bien.

C'était un accident, un bête accident.

- "C'est vraiment une mort tragique, peut-être la première d'une longue série de par la colère des dieux."

Je n'étais pas dévote, mais je respectais les divinités et je ne doutais pas que ce qui se passait en ce moment était leur fait. Pourquoi? Parce que nous les avions offensés disaient les prêtres. Mais cela faisait longtemps que nous les avions offensés, non?

- "Ce sera un honneur que d'être à vos côtés lorsque nous remettrons l'âme de votre père entre les mains de Tari."

J'adressai un sourire à Loup, un sourire sincère et plein de sollicitude.

- "Je regrette de ne pas avoir connu davantage votre père, mon époux m'en a dit tant de bien! Je ne l'ai fréquenté que trop brièvement. Mais il était fier de sa terre et de sa famille. Vous prenez sa suite en de bien tristes circonstances et je vous souhaite beaucoup de courage."

Pour lutter contre les mauvaises langues, contre la colère de son suzerain, pour continuer à avancer malgré les deuils terribles qui le frappaient. Loup était un homme fier, mais un homme tourmenté.

Le Parricide n'eut d'autre choix que de répondre à l'injonction de son suzerain, sous peine de devoir encourir sa colère. Gaucelm tendit l'oreille, ne souhaitant louper aucun détail suspect dans le rapport de son vassal.

Mon père est mort le premier jour du Voile. Il était parti chasser dans un bois proche d’Assar, avec quelques une de ses hommes. Quand l’éclipse a commencé, il a regardé, alors qu’on lui conseillait de ne rien en faire. Quelques temps après, il lâchait un grand cri. De peur, de surprise, on ne sut me le dire, tout comme on ne sut m’expliquer pourquoi sa monture s’emballa. Les bois sont traitres, il n’est pas rare qu’une branche descende à hauteur de cavalier. Mon père en percuta une de plein fouet. Précipité à terre, il ne se releva pas. On m’a dit que sa nuque décrivait un angle irréel…

Gaucelm sentit Elanore frissonner à l'évocation de la blessure fatale, elle semblait imaginer parfaitement l'angle de la nuque, peut-être avait-elle entendu le craquement sourd et désagréable, tant elle paraissait attentive. Le Gras, lui, observait Rochefort continuait sa morne description, avec la froideur et l'efficacité militaire qui sied à son nom, au moins voilà une particularité qu'il tenait de feu son père. Il poursuivit sur le même ton monocorde.

Des trois hommes qui, avec lui, fixèrent le Voile, deux ont vu leur acuité visuelle chutée. L’un ne peut même plus différencier ses couverts. Ils ont affirmé que le phénomène avait commencé quand mon père est mort, aussi en ai-je déduis qu’il avait du regarder l’éclipse trop longtemps. S’il n’a pas évité cette branche, c’est qu’il ne l’a pas vue.

Avec une compassion évidente, Elanore réagit au rapport froid de Loup.

C'est vraiment une mort tragique, peut-être la première d'une longue série de par la colère des dieux. Ce sera un honneur que d'être à vos côtés lorsque nous remettrons l'âme de votre père entre les mains de Tari. Je regrette de ne pas avoir connu davantage votre père, mon époux m'en a dit tant de bien! Je ne l'ai fréquenté que trop brièvement. Mais il était fier de sa terre et de sa famille. Vous prenez sa suite en de bien tristes circonstances et je vous souhaite beaucoup de courage.

Oh oui, il en a pensé du bien! Jehan était le meilleur militaire d'Odélian, le meilleur stratège, le meilleur ami, le ... Le meilleur ! La description semblait cohérente, même si elle paraissait tellement évidente. Jehan avait-il pu mourir ainsi? Les mots du Gras s'échappèrent de ses lèvres plissés par la colère.

Vous avez l'art de décrire cela avec la même passion que si vous énonciez les noms de chaque habitant de la Péninsule ... On ne m'avait jamais parlé de ces traces de cécité. Je ferais osculter le corps de Jehan par Phillistin, avant les obsèques de mon vieil ami.

Il plissa les yeux avec suspicion, suspendant ses mots une seconde, avant de déclarer avec un air trop bienveillant pour être totaement sincère.

Ainsi, nous pourrons prouver vos dires, et dissiper ces terribles rumeurs de Parricide. Ainsi, mon vieil ami partira-t-il en paix.

Un sourire compatissant naquit sur ses lèvres, alors qu'il serra la main d'Elanore dans la sienne. L'examen du médecin prouverait son innocence ... Ou fabriquerait sa culpabilité.

Oui, j'éprouvais une compassion certaine et sincère pour cet homme énigmatique. Je ne pouvais nier qu'il exerçait sur moi une attraction quasi magnétique qui me donnait envie de discuter un jour avec lui en tête à tête. Oh, je ne commettrais nulle folie, je n'étais pas assez idiote pour cela, mais j'avais envie d'en savoir plus, de le découvrir, de l'apaiser... et pourquoi pas d'être sa protectrice contre la colère de mon époux. D'exercer mon pouvoir en somme et d'en tester les limites. J'avais déjà quelques idées au vu des réactions de Gaucelm, mais je ne m'avouais pas vaincue pour autant.

J'exprimais donc mes plus sincères condoléances à Loup de Rochefort, sans laisser planer de doute quant à son implication dans cette histoire. Gaucelm s'en chargeait largement pour deux et le chevalier me remercia de mes mots. Je lui souris doucement, inclinant légèrement la tête.

Mais les mots de Gaucelm me frappèrent plus durement que la mort de Jehan décrite par la voix atone de son fils. Quoi? Il allait... son médecin allait autopsier le cadavre de son ami? Cela me donnait des hauts le cœur. Qu'espérait-il y trouver? Des traces de poison? Décidément, ce médecin faisait tout, songeais-je amèrement en me souvenant de son intention d'écarter mes cuisses et de tester ma virginité. Gaucelm voulait faire ainsi le jour sur l'affaire et dissiper tout malentendu. Il me serra doucement la main alors que Loup semblait... pétrifié? Il répondit avec un temps de retard et je m'attendais presqu'à l'entendre refuser, indigné que l'on profane le corps de son père, ou bien demander des garanties que cela serait... légal. Mais non, rien ne vint et un ange passa, lui enlevant cette possibilité. Je me mordis la lèvre, ne sachant quoi dire pour faire en sorte que mon époux ne falsifie pas les preuves pour inculper Loup. Je le savais capable de cela. Mais je ne pouvais pas m'opposer ouvertement à lui.

- "Quelle tristesse qu'il en faille arriver à examiner la dépouille de ce brave homme pour dissiper tout malentendu."

Je me tournai vers Gaucelm et demandais, soucieuse :

- "Philistin aura-t-il le temps de procéder à l'examen avant les funérailles? Il va falloir nous hâter demain."

Je me tournai vers Loup :

- "Quand avez vous prévu de l'inhumer?"

Et dans mon regard, je lui faisais comprendre qu'il se devait de se ressaisir et de prendre garde. Gaucelm était rusé et si Loup ne lui plaisait pas, il se débrouillerait pour l'évincer au profit de quelqu'un de plus dévoué. Mais Gaucelm ne pouvait deviner mes pensées et ne verrait là qu'une curiosité purement intellectuelle concernant une autopsie et le temps pour cela. Loup verrait une aide inespérée. Gaucelm croirait à un double jeu.

Finalement, je ne savais plus moi-même quel jeu je jouais.

Le chevalier au Faucon faisait toujours face au comte et à la comtesse, recevant les décisions du Gras avec un stoïcisme exemplaire. Il semblait un peu hésitant mais visiblement, il avait compris que davantage de contestation ne le mènerais nulle part et il ne répondit qu'un petit.

C’est mon souhait le plus cher

Voilà une réponse des plus politiques, son souhait le plus cher, hein? Ainsi donc, ils avaient des souhaits communs. Rochefort prit la sage décision de ne point en rajouter, ménageant l'humeur de son suzerain. Grand bien lui en face. La contestation vint de son côté, à son plus grand étonnement.

Quelle tristesse qu'il en faille arriver à examiner la dépouille de ce brave homme pour dissiper tout malentendu.

Gaucelm tourna le visage vers sa jeune épouse, le sourcil arqué. Qu'elle veuille se trouver une place autre que celle de la décoration, soit, pourquoi pas? Mais elle prenait de biens grandes libertés aujourd'hui. Elle poursuivit, faisant se pincer les lèvres de Gaucelm.

Philistin aura-t-il le temps de procéder à l'examen avant les funérailles? Il va falloir nous hâter demain. Quand avez vous prévu de l'inhumer?

Le visage d'Elanore trahissait le souvenir qu'elle avait de la nuit de noces, et du grand échalat qu'était le médecin du comte. Il eut un petit soupir légèrement exaspéré, puis il parla calmement, ravalant sa morgue.

Il prendra le temps qu'il lui faut. La vérité est nécessaire pour que Jehan puisse rejoindre Tari en paix.

Il se tourna alors vers Rochefort, tout en continuant à s'adresser à la comtesse.

Je ne pourrais permettre que les rumeurs entraînent le chaos en Assar. Cela ne m'enchante guère, mais ceci est nécessaire, n'est-ce pas Loup?

Le ton était presque cordial et amical, tranchant avec ses interventions précédentes, il s'était même permit d'utiliser le prénom de son vassal. Il lui laissa le temps de répondre aux interrogations d'Elanore, puis.

Très bien, nous nous hâterons! Vous pouvez disposer Rochefort.

Ainsi s'achèverait cette entrevue, et lorsque Rochefort eut disparut derrière la porte, le Gras se leva et ajouta, sans même regarder son épouse.

J'aimerai qu'à l'avenir, vous évitiez ce genre de comportement ma mie. Même si je ne doute pas de votre envie de bien faire, gardez vos contestations voilées pour l'intimité.

Il se tourna alors vers elle, ajoutant fermement.

Veuillez faire mander les valets, le temps presse.

Il fronça légèrement les sourcils et serra les mâchoires, comme préoccupé. Il resta un instant silencieux, les yeux dans le vague, subissant un souvenir fugace de son ami. Il conclut en sortant de la salle d'audience.

J'ai également des ordres a donner avant de partir.

Les paroles de trop, je le sentis alors que Loup abondait dans le sens de mon époux en parlant de se hâter et que je sentais le regard de Gaucelm sur moi. Je souris aux paroles de Loup, réellement compatissante quand il parla de vérité et de surnoms difficiles à porter. Être accusé de parricide, surtout à tort, devait être terrible. L'entretien se termina tandis que Gaucelm congédiait Loup qui partit sans se faire prier. Je savais déjà que j'allais avoir le droit à une petite rodomontade. Il ne me regarda pas, se contentant de me dire de garder mes contestations à son pouvoir pour l'intimité. Je baissai humblement la tête, repentante.

- "J'ai très bien compris et je vous prie de m'excuser pour mon comportement, cela ne se reproduira plus."

Je ne voulais pas qu'il soit en colère contre moi, surtout pas et qu'il me prive de liberté. Il daigna enfin me regarder, me demandant de hâter les préparatifs.

- "Comme il vous plaira."

J'esquissai un révérence soumise, avant de tourner les talons, l'entendant murmurer pour lui-même. Je ne relevai pas et entrepris de gérer le ballet des valets au vu de notre départ du lendemain.