Quand la bulle d'écume rencontre le rossignol [Elanore]

L'automne recouvrait tout d'un manteau de feu. Les arbres avaient pris cette teinte rougeâtre propre à cette saison. Le comte d'Ydril pour quelques motifs économiques devaient se rendre dans le nord en Odélian pour signer quelques accords avec son homologue nordique.
Ayant vu la mine taciturne et renfermée de sa benjamine, il fut décidé qu'elle l'accompagnerait dans son voyage. De plus la nourrice de la petite Isabelle n'était toujours pas réapparu. Le nécessaire serait fait durant leur absence pour qu'une nouvelle matrone soit choisie en remplacement.

Le voyage dura moins d'une dizaine de jours. Mais cela fut assez long pour Isabelle qui ne décrocha pas un mot de tout ce temps. La petite avait quelque peu régressé car elle conservait avec elle une peluche en forme de petit cochon rose avec elle. Elle regardait vers l'extérieur les paysages qui défilaient devant ses yeux avec un certain éloignement et une apathie particulière.
Vide, elle était vide. Une simple poupée de porcelaine sans âme. Voilà ce qu'on pouvait voir à cet instant précis. Odélian était en vue et bientôt, on pourrait se dégourdir les jambes dans la cours du château du Gras comte.

Une fois les murailles dépassées, on leur ouvrit la porte du carrosse pour les aider à descendre. En premier le comte fit son apparition puis une main tendue vint à aider le petite demoiselle à descendre à son tour. Le chambellan du Gras leur souhaita la bienvenue alors que déjà des domestiques déchargeaient les malles à l'arrière.
On conduisit le comte et sa fille vers leurs appartements respectifs pour le temps de leur séjour. Isabelle ne dit rien devant la découverte de sa chambre, elle serra juste sa peluche contre elle en jetant un regard vers son père qui déjà s'éloignait en compagnie du chambellan.

Avançant dans l'immense pièce, Isabelle poussa un soupire et regarda son petit cochon rose avant de lui adresser quelques paroles. Elle ne fit pas attention au fait que la porte demeurait ouverte et qu'une personne se tenait pas loin.

Regarde Peggy, on m'abandonne encore une fois... Il ne se soucie pas de moi...

Silence de la part de la petite comme si elle écoutait ce que lui disait l'animal en peluche qu'elle tenait dans ses mains.

Tu voudrais que je lui dise ? Mais il ne comprendra pas...

Cela faisait deux jours que j'étais revenue d'Etherna. Avec la certitude d'être enceinte. Pourtant, je n'en avais encore touché mot à mon époux. Pourquoi? Je n'en savais rien. Il serait heureux de l'apprendre, mais si je le perdais? Tant de grossesses étaient brutalement interrompues dans les premières semaines... Je savais aussi qu'il risquait fort de m'interdire toutes sortes de déplacements une fois qu'il saurait que mon ventre abritait le fruit de son dur labeur. Et je n'avais pas envie d'être un oiseau en cage... Je lui annoncerait donc, quand j'en aurais le courage. Quand je saurais que je ne perdrais pas cet enfant, comme Lucrèce avait perdu le sien. Même si j'étais plus raisonnable qu'elle. Pour le moment, on ne voyait rien et je n'étais même pas malade. J'avais juste mal dans la poitrine, mais pas de nausées intempestives. Pour le moment. Peut-être ne grossirais-je que tardivement. J'espérais sincèrement ne pas grossir de trop. Je ne voulais pas être grosse, je ne voulais pas me déformer. Je n'avais aucun instinct maternel et sitôt cet enfant né, une nourrice s'en occuperait et je retournerais à mes activités. Avant de tomber de nouveau enceinte et ainsi de suite. Avec un peu de chance, après deux mâles, peut-être aurais-je la paix? Pourvu que ce soit un fils...

Nous avions de la visite aujourd'hui. Le comte d'Ydril nous faisait l'honneur de sa présence, accompagné de sa plus jeune fille, une ravissante poupée aux belles boucles blondes. Mais elle n'avait rien de joyeux cet enfant. Je les avais aperçu depuis ma fenêtre. Le comte était un homme grand et solide, à l'air sévère et sa fille, semblait renfermée. Je ne savais pas exactement pourquoi il était présent, sinon pour discuter affaires avec mon mari. Le Sud rencontrait le Nord... Il y avait toujours eu une certaine rivalité entre le nord et le sud. Les péninsulaires du sud étaient des marchands, raffinés, tandis que ceux du nord étaient des guerriers, trop proches des frontières et soumis aux raids. Ils étaient plus rudes.

On accueillit nos illustres invités et je décidai d'aller faire un tour vers leurs appartements, pour m'assurer que tout était parfait. C'est là que j'entendis une petite voix enfantine. Je tendis l'oreille pour l'écouter, trop consciente de la solitude de la petite fille. Petite fille qui n'avait guère que 3 ans de moins que moi, mais avec sa peluche, elle était loin de ressembler à une adulte. Et elle se sentait abandonnée. La porté étant restée entrouverte, je frappai, avant de l'ouvrir totalement et de me révéler à la demoiselle qui parlait... à sa peluche. Je ne dis rien à ce sujet.

- "Bonjour, je suis Elanore. Tu dois être Isabelle je suppose?"

Je lui offris un sourire, avant de demander :

- "Je m'ennuie, tu veux bien que je reste un moment avec toi?"

C'était la moindre des choses de combler un peu la solitude de cette ravissante enfant. C'était mon devoir d'hôtesse, sans compter qu'elle me faisait mal au cœur à être ainsi délaissée par son père qui avait ses propres devoirs. Je ne connaissais que trop cette situation.

La porte s'ouvrit sur cet entre fait et la petite demoiselle sursauta. Avait on entendu ce qu'elle venait de confier à sa peluche ? Il était fort probable que ce soit le cas. Une silhouette se dessinait doucement. Il s'agissait d'une jeune fille de l'âge de Marguarette. Elle n'avait pas l'apparence d'une domestique aussi Isabelle pensa dans un premier temps qu'il devait s'agir de la fille du Comte d'Odélian.
Cette dernière se présenta assez rapidement sous le prénom d'Elanore. Elle demanda d'ailleurs à la fillette si elle était bien Isabelle. Dans sa jolie petite blonde, ce prénom fit lumière dans son esprit assez peu éclairé sur les frasques de la noblesse. Elanore... Ce prénom était celui de l'épouse du comte.

Isabelle fut surprise qu'elle fut si jeune. Tout ce qu'elle savait du comte était qu'il s'agissait d'un homme d'âge plus que mûr et que son embonpoint lui valait de nombreux sobriquets dans tout le royaume. Respectueuse des convenances, Isabelle fit une délicate révérence à son hôtesse. Elle était son ainée mais également d'un rang supérieur au sien.
Se redressant ensuite doucement, relevant la tête et se tenant bien droite, sa peluche en forme de petit porcinet rose serré contre elle, Isabelle prit la parole. C'est une voix que l'on pouvait juger d'emblée comme candide.

Bonjour...Madame. C'est un plaisir de faire votre connaissance. Je suis effectivement Isabelle.

Un sourire puis une requête à laquelle la petite ne s'attendit pas. La comtesse disait s'ennuyer et désirait passer un peu de temps en sa compagnie. Marguarette depuis qu'elle était une jeune femme ne se souciait quasiment plus des préoccupations de sa sœur, pourquoi une jeune comtesse le ferait elle ? Elle ne chercha pas la réponse à la question.
Ne voulant pas offusquer la jeune femme, elle consentit à cela. Après tout, elle n'avait rien de mieux à faire. Elle ne connaissait rien des lieux aussi elle ne pouvait sortir. Quoiqu'il en soit Elanore semblait être une personne sympathique. Avec le temps qui sait, le petite se confierait peut être à elle sur sa mésaventure?

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