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| Elle rêve [Terminé] | |
| | Auteur | Message |
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Daneva
Ancien
Nombre de messages : 6546 Âge : 33 Date d'inscription : 20/11/2007
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 36 ans Taille : Niveau Magique : Non-Initié.
| Sujet: Elle rêve [Terminé] Lun 1 Nov 2010 - 19:36 | |
| (privé s'il vous plait !)
Il faisait presque nuit à Diantra. En temps normal le crépuscule aurait étendu son voile rougeoyant sur le ciel de la capitale, l'embaumant d'une lueur chaude qui aurait mis de bonne humeur les habitants. Ce soir cependant, le ciel était brun. Du demi soleil qui disparaissait à l'horizon, on ne constatait plus qu'un arc de cercle lumineux, s'enroulant autour d'une bulle plus noire que l'âme des drows. Ce maléfice durait depuis plusieurs jours déjà. Cela donnait à Daneva un insupportable sentiment d'insécurité, où qu'elle soit. Peut être était-ce à cause de la foudre, qui s'abattait au hasard dans la campagne environnante, engendrant drames à répétition ? Ou bien ces insaisissables pensées qui s'immisçaient dans sa tête et qui finissaient par ressembler à des voix chuchotantes... Depuis que tout ce ramdam avait commencé, elle avait parfois l'impression d'être devenue folle. Les autres aussi, visiblement, partageaient ce sentiment. Les rues de Diantra semblaient être peuplées de zombies errants, pauvres âmes tourmentées qui se réfugiaient à couvert au moindre bruit suspect en provenance du ciel.
La jeune femme tentait néanmoins de ne pas se laisser aller. Elle savait que l'épouvante des autres, elle pouvait l'exploiter pour son propre business, surtout que ses poches étaient plutôt vides ces derniers temps. Ce soir, les rues auraient du être pleines de joyeux fêtards arrosant leurs amis de bière à la lueur de lampions colorés, car on célébrait ce jour là l'armistice d'une guerre dont plus personne ne se souvenait du nom. Dane avait par le passé profité de ces libations pour piller les bourses innocentes qui se trémoussaient dans la foule, mais il était évident qu'il n'y aurait ce soir aucun saoulard à détrousser. Bast, elle dormirait dans un grenier en en crochetant le verrou, ça ne serait pas la première fois. Depuis que sa tentative pour infiltrer la Rose Pourpre avait avorté, elle s'était résolue à poursuivre son enquête en filant la grosse brute et en récoltant un maximum d'information sur lui et sur le jeune blondinet adepte des jeux d'argent. Elle n'avait retrouvé sa trace que la veille, alors qu'il semblait avoir disparu pendant plusieurs jours.
Prostrée dans son recoin favori en face du Colibri, elle épiait, les yeux grands ouverts. La fréquentation de l'établissement avait considérablement diminué depuis que le Voile faisait des siennes dans le ciel, pourtant quelques irréductibles continuaient de l'honorer de leur présence, et le blondinet en était. En vérité son nom était Cyprien Lordan - il se faisait appeler pompeusement Sire Lordan - et elle l'avait un jour aperçu avec un homme qu'elle connaissait déjà... La grosse brute, qui lui rappelait douloureusement Kurt. Ces gens là avaient enlevé son fils l'année précédente, et ils avaient failli remettre ça trois semaines auparavant, alors qu'elle se pensait en sécurité au coeur de la forêt des elfes. Il fallait absolument qu'elle mette la main sur eux, par vengeance et prévention.
- Foutus chasseurs de trésor... grinça-t-elle pour elle-même dans la ruelle silencieuse.
Il sortit enfin, titubant, bras dessous bras dessus avec l'un de ces amis que Daneva soupçonnait de tremper dans les mêmes affaires même si elle n'en avait encore pas eu de preuve évidente. Tandis qu'ils se mettaient en route vers la basse ville, elle se leva et leur emboita le pas, comme tous les soirs depuis une semaine. Ils allaient soit à la Rose Pourpre, soit chez Lordan, où ils finiraient de décuver jusqu'à la mi-journée du lendemain.
Dans l'obscurité, quelqu'un la bouscula lourdement, sans aucun doute délibérément. Daneva prit sur elle pour ne pas lancer une injure bien placée, mais l'inconnue - car c'était une femme - ne prit pas la peine de faire cet effort.
- Ôte toi de là, foutue mendiante !
Du coin de l'oeil, Dane vit les deux compères devant elle se retourner, alertés par le bruit. Elle vit le visage de Lordan s'arrondir de surprise à la lueur d'une torche en reconnaissant l'autre femme.
- Manta, c'est toi ? - Oui ! Et figure toi que tu es suivi, bougre d'imbécile !
Elle avait saisi Daneva par le bras, qui n'eut que le temps de s'emparer de son arme de sa main libre. Elle fut bousculée vers la lumière de la torche.
Elle reconnut la femme contre laquelle elle avait croisé le fer en Anaeh en même temps que celle-ci remettait le visage de Daneva. Aussitôt les deux femmes s'écartèrent l'une de l'autre d'un bond, fer au clair. Lordan quant à lui sembla mettre quelques secondes à saisir la situation, mais lorsqu'il tira son arme de son fourreau, c'était d'un geste bien trop assuré au goût de Daneva. Il exhorta son compagnon à faire de même.
- C'est elle !
Il n'y avait guère que la fuite qui semblait donner quelque chance à Daneva. Parant le premier coup d'épée, elle s'était ensuite ruée dans l'obscurité, entraînant ses adversaires à sa suite. C'était la dénommée Manta la plus féroce. Elle la talonna jusqu'aux portes du château, où Dane ne dut sa survie qu'au passage d'une patrouille qui mit en déroute les trois poursuivants.
Adossée à un mur et haletante, Daneva eut besoin de quelques minutes pour reprendre ses esprits et faire le point sur ce qui venait de se passer. Ils savaient déjà qu'elle était à Diantra, elle se savait suivie lors de son voyage, mais ils ne devaient pas se douter qu'elle était déjà si près du but. Elle expira longuement, maudissant son manque de vigilance. Une onde de douleur lui parvint alors, et en portant une main au creux de ses reins elle constata une longue estafilade, qui courrait jusqu'à sa hanche. La plaie était peu profonde mais mettrait un moment à cicatriser. Sans doute Manta l'avait-elle acrochée du bout de la lame tout à l'heure. Elle pesta de nouveau. Désormais ils seraient bien moins tranquilles, et il était peu probable qu'elle les voit revenir aux abords du Colibri et de la Rose Pourpre. Sa seule consolation était que si ils se trouvaient là tous les quatre, c'était qu'ils n'avaient pas éventé la ruse et qu'ils pensaient Lucas avec elle en ville.
Un attroupement attira son attention. Sa course l'avait menée jusqu'aux abords du Fort Vaillance, et une petite foule s'était amassée devant le portail principal. Intriguée, et désormais certaine qu'on ne la poursuivait plus, la jeune femme se déplia et s'approcha. On demandait des soldats car une rixe avait éclatée dans telle auberge, ou parce qu'une bande de pillards avait mis à sac une boutique. Pas étonnant par les temps troublés qui secouaient la capitale, pensa la jeune femme avec un mélange d'appréhension et d'excitation. Il était peut être temps de transformer cette mauvaise journée en bonne ? Tous les regards étaient tournés vers le fort, mais la présence des soldats rendait l'opération délicate. Si elle se faisait prendre, Dane serait immédiatement bouclée, et si elle jouait de malchance on la reconnaitrait. Elle ne donnait alors pas cher de sa peau.
Mais n'était-ce pas ça, sa vie ? Se jouer de la mort, toujours. Elle venait d'échapper à un piège, qu'attendait-elle pour se jeter dans le suivant ! Qui plus est, cet argent serait réellement bienvenu dans sa bourse.
- Excusez-moi.
Elle avait fait mine de se rapprocher des suppliants et avait écarté doucement du plat de la main l'un d'eux tandis que de l'autre elle décrochait sans empressement le fil de cuir qui reliait sa petite bourse à sa ceinture. Son forfait accompli, elle recula avec lenteur en se laissant régurgiter par la masse. Elle ne supportait pas cette odeur de sueur purement masculine et le contact avec ces corps musclés par le travail. Des frissons plein l'échine, elle se retrouva derrière l'attroupement. Quelques autres personne observaient les faits, piliers sombres dans l'obscurité. En les scrutant un à un, elle se rassura sur le fait qu'aucun ne l'avait aperçue. Du bout des doigts, elle tâta la petite bourse au fond de sa poche et en gémit de frustration. Il n'y avait là que quelques piécettes, une dizaine d'écus tout au plus.
Qu'à cela ne tienne. Elle dormirait dans une auberge cette nuit. Quelqu'un passa dans son dos, elle ressentit le souffle de son mouvement. Saisissant cette opportunité, elle recula alors qu'il la dépassait et le fit trébucher. D'un oeil extérieur, cela passait pour un accident, une simple erreur d'inattention, mais alors même que d'un bras elle l'empêchait de basculer, de l'autre elle avait mené sa main jusqu'au creux du manteau, les doigts déjà affairés à se jouer du noeud. |
| | | Chadden Charis
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Mar 2 Nov 2010 - 18:53 | |
| Il n'aimait pas cette ville. Il n'aimait pas.
Il n'aimait ni l'étroitesse des rues ni les ombres projetées par les toits, ni la foule bigarrée, ni les rigoles d'eau sale qui tenaient lieu ici et là de caniveaux. Il n'aimait ni l'effusion d'odeurs qui agressaient son flair, depuis le parfum délicat de quelque Dame en goguette jusqu'à la puanteur de charogne exhalée d'un coin de rue sombre ; ni la profusion de couleurs et de formes sans cesse mouvantes et agitées comme une grande mer humaine, piquetée de bâtiments irréguliers ; ni ce vacarme constant si typique des grandes villes, entre cris, appels, rumeurs, claquements de sabots, claquements de talons, claquements de drapeaux, claquements de portes fermées à toute volée.
Il n'aimait pas.
Il n'aimait pas quand ses sens étaient violentés, sollicités de la sorte. Le bruit en soi ne dérangeait pas. Le mouvement en soi n'était pas un problème. Les miasmes exquis ou immondes n'avaient rien de si insupportable. C'était l'accumulation. Tant d'informations à traiter, toutes à la fois, et de partout. Il était enfant de campagne et de grands espaces. La ville lui semblait être un monstre prêt à le digérer dans ses entrailles mal pavées, dans le sillon d'une foule anonyme. Les murs lui interdisaient toute vue d'ensemble. Les toits reflétaient sur leur dos la pénombre oppressante du Voile. Il n'aimait pas, pas du tout.
Il s'était cependant frayé un chemin, bousculé, bousculant, mais toujours calme et impavide, à la manière des marins qui épousent la houle sans cesser de barrer. L'embout de son bâton de marche dominait la foule, et il s'y fiait comme à un fanal. Tac. Dépassées, ces grandes auberges flanquées d'écuries puant la fièvre et le mauvais foin. Déclinée, l'offre d'un énième colporteur brandissant au tout-venant, comme s'il s'était agi de reliques précieuses, ses petites amulettes de bois peint à l'effigie de Néera. Tac. La masse imposante et silencieuse, toute pétrie de majesté, de la cathédrale Notre-Dame de Deina, n'était pas son objectif. Tac. Ni le palais splendide du Roi des Hommes, celui qu'on nommait Trystan et que l'on disait, ici ou là, un peu sorcier.
Tac.
Chadden avait cessé de marcher. Jeté comme une arche et aussi orgueilleux qu'un arc-en-ciel, le grand pont de verre menant au Fort s'était paré d'éclats étranges et mouvants. Sous l'effet de la lumière crépusculaire et alourdie du Voile, la structure faussement transparente, gorgée de reflets, prenait une dimension inquiétante, irréelle, alors qu'elle aurait du simplement resplendir sous la lumière du jour. Poser le pied sur un tel pont devait être un honneur, auparavant. Ici, en fait d'honneur, il paraissait promettre à mi-voix mille et un périls.
Le jeune homme se fendit d'un soupir, léger, ténu. Un moment, il fit voyager sa mémoire. Vers sa dernière compagne de route, la naine, si vraie et si joviale. Ah... Comme en cet instant, il s'était senti sûr de sa voie, de son avenir et de ses choix ! Et comme, maintenant, toute cette belle assurance, à la manière d'un pont de verre marbré de pourpre et d'ombre, se moirait de doute...
Il n'avait rien à apporter à ces gens en belle armure brillante. Rien à dire aux flamberges d'apparat. Il se sentait plus proche du mendiant emmitouflé dans ses haillons que de la jeune recrue enfantée par l'une ou l'autre noble famille de la Haute Société, empestant à des lieux le savon et l'hypocrisie. Fallait-il tout de même essayer ? Ou bien... Choisir le chemin de traverse, inventer une solution, quelque chose qui puisse à la fois contenter ses aspirations et rester de l'ordre du possible ?
L'une de ses mains quitta la hampe du bâton et s'en alla sous le pan de la pelisse, chercher la garde annelée soigneusement rangée hors de l'un des fourreaux. Il y referma les doigts, pensif. Le contact dur, un peu rugueux et si familier, l'apaisa en partie. Il devait être fier de son art, aye. Par là même, il devait se montrer à la hauteur de sa propre éthique, et de ses propres préceptes. Quel qu'en puisse être le prix. Quel que puisse être le chemin emprunté, route de terre, ou pont de verre. Quand bien même le chemin serait un fil d'acier tranchant, oui.
Rasséréné, il se rapprocha. Quelques éclats de voix et des corps pressés, nerveux, attirèrent son attention. Des badauds anonymes, réclamant il ne savait quoi - mais à grands cris, ceci était certain. Justice, colère, vengeance. Tensions exacerbées par le perpétuel couchant au-dessus de leurs têtes à tous. Il se demanda, l'espace d'un instant, si les soldats ou d'autres forces armées avaient déjà eu à mater quelque soulèvement, ou bien s'ils n'avaient pas perdu pied, eux aussi. Tout en avançant vers l'attroupement, il se promit d'observer - d'une manière ou d'une autre - les limites de leur sang-froid. Ce serait un bon début.
En premier rang étaient les agités, l'épicentre de la scène. Il n'arrivait qu'en périphérie, là où se tenaient les simples curieux, spectateurs ou témoins. Il voyait le moutonnement de leurs dos, et ceux qui tentaient de se frayer un chemin en jouant des coudes pour approcher, ou encore ceux qui levaient le cou, et se dressaient sur leurs pieds. Les voix entremêlées, échos indistincts. Il fit un autre pas.
On vint, cette fois, à sa rencontre, mais pas de la manière qu'il aurait pu imaginer. Alors qu'il portait le regard loin au-dessus des crânes, à moitié intéressé seulement, devant lui, on recula. En dissonance avec son propre pas, si bien qu'il n'eut pas le temps de contourner en souplesse et ne put empêcher la collision. Il lui fallut changer rapidement d'appui pour éviter de perdre réellement l'équilibre ; et si la douleur à sa jambe l'avait jusque là laissé en paix, depuis le chemin jusqu'à Diantra, elle fut à cet instant si soudaine et si fulgurante qu'elle le pétrifia.
Chadden éteignit rapidement le petit hoquet de souffrance qui allait lui échapper, et dont l'anonyme qui venait de le bousculer était inconsciemment la cause. A sa stature, à sa carrure, il s'agissait d'une femme. Elle s'était même tendue vers lui, d'instinct sans doute, le bras lancé pour le rattraper. Une excuse, suite à un geste innocent. Innocent ?
Bien que ses sens eussent été brièvement anesthésiés par la douleur, il sentit. Le mouvement derrière le mouvement. L'aide ostentatoire, prétexte à quelque chose de plus vif, de plus subtil, de plus furtif. Ce n'était pas là le genre de tour auquel lui, être d'instinct et de réflexes, pouvait se laisser prendre, surtout pas ici, surtout pas maintenant.
La main de la voleuse eut le temps de tâtonner, d'effleurer un petit sac de toile rempli de quelque chose de friable et de granuleux, puis un autre, dans lequel tintaient plusieurs promesses d'argent. Elle eut peut-être même le temps de défaire le lacet léger, seul obstacle à son larcin. Elle eut ce temps, avant qu'une autre ne jaillisse, et ne se referme comme une mâchoire de cobra sur son poignet. Repérée. Attrapée. Dénoncée ?
Non. Un autre se serait sans doute répandu en invectives avant de brandir le bras prisonnier comme on lève un trophée, puis aurait appelé les gardes tout proches. Lui continua de tirer, dans la suite de son mouvement, comme pour attirer la voleuse contre son flanc alors même qu'il pivotait des talons, leste. Vu de l'extérieur, cela semblait aussi naturel que l'ami qui - retrouvant fortuitement quelque vieille connaissance - saisit celle-ci par le bras avant de l'entraîner à l'écart.
En vérité, c'est ce qu'il fit. Il s'éloigna de quelques pas en la tirant à sa suite, la poigne ferme bien que sans violence. A moins, bien sûr, qu'elle ne se débattît, mais cela n'eût guère été dans son intérêt, avec tout ce monde... Afin toutefois de prévenir toute réaction malheureuse de la part de sa "prisonnière", il murmura, de sorte à n'être entendu que d'elle seule.
- Je ne dirai rien aux gardes. Je ne vous frapperai pas. Vous allez simplement me rendre ce qui m'appartient, et répondre à quelques questions, si vous le voulez bien. Après, je vous laisserai en paix."
Plus proche du mendiant que de la flamberge d'apparat. Il était temps de le prouver. |
| | | Daneva
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Mer 3 Nov 2010 - 21:43 | |
| Un drame se produisit alors même qu'elle allait s'en tirer avec ce butin si prometteur lorsque les doigts de l'inconnu se refermèrent autour de son poignet. Prise en flagrant délit, en face du Fort de la Vaillance. Mais quelle mouche l'avait piquée ? Aussitôt, tout son corps se contracta dans l'attente d'un coup, d'un cri, et se prépara à frapper à son tour pour au moins se donner une chance.
Rien ne vint. Sans y croire vraiment, Dane constata que nulle perturbation n'avait semé le trouble dans la scène qu'elle observait tout à l'heure, n'était cet homme qui la maintenait désormais contre lui d'une poigne si ferme qu'elle n'essaya même pas de se dégager. C'était miracle de passer encore inaperçue, elle n'allait pas pousser sa chance. Les doigts tout de même serrés autour de leur prise, elle se laissa mener un peu plus loin docilement, dans l'attente de la moindre seconde d'inattention qu'elle capterait de la part de son "problème".
Il était rare que l'on s'aperçoive de ses larcins, mais cela arrivait. Généralement, les gens étaient tellement occupés à vociférer qu'elle n'avait aucun mal à prendre la tangente et s'en sortait généralement sans trop de problèmes. Celui là la maintenait sérieusement avec la ferme intention de l'emmener avec lui. Ils s'éloignaient de la foule. L'esprit de Daneva s'emballa. Ruelles sombres, odeur de sang, le sien. Elle se cabra d'une secousse. Chaque parcelle de peau en contact avec celle, si étrangère, de l'homme se mit à hurler de dégoût. Son cri étouffé et sa convulsion attirèrent l'attention. Deux ou trois têtes se tournèrent dans leur direction. Si il n'était pas venu murmurer quelques mots à son oreille, Daneva aurait sans doute oublié toute prudence.
- Je ne dirai rien aux gardes. Je ne vous frapperai pas. Vous allez simplement me rendre ce qui m'appartient, et répondre à quelques questions, si vous le voulez bien. Après, je vous laisserai en paix."
Elle ne se détendit pas d'un muscle, mais ne se contracta pas davantage. Il n'avait pas l'air aussi agressif que ses sens ne l'avaient flairé tout d'abord. Ils s'éloignèrent à l'abris des regards. Dane abandonna sa prise, bien forcée de reconnaître que lutter davantage aurait été stupide. Elle avait sentit brièvement la garde d'une arme peser contre sa hanche tout à l'heure, les passants lambdas ne s'embarrassaient pas de tels accessoires. Elle n'accordait strictement aucun crédit à ses propos. En outre, elle avait décelé une légère claudication de sa part lorsqu'il l'avait pressée contre lui en cherchant à l'immobiliser, une petite faiblesse sur la jambe gauche. Ce genre de détails ne lui échappait plus depuis longtemps, et à cet instant elle était concentrée à l'extrême. Il suffirait d'un coup, d'un seul, au bon endroit, pour le déstabiliser et s'enfuir.
La bourse alla retrouver sa place sous le manteau de l'homme. L'intonation grave de sa voix flottait toujours aux oreilles de la jeune femme. Il lui semblait l'avoir déjà entendue, quelque part, comme ce vieux et gros tambour de guerre résonnant jusqu'au fond du ventre vous marque pour des années. Qu'importe. Il fallait qu'elle fiche le camp.
Sa docilité apparente du tromper l'inconnu. Il la relâcha sensiblement, ou bien ne put-elle tout simplement plus supporter cette proximité si angoissante. Elle rua de nouveau avec brusquerie, son talon venant trouver le genou gauche. Il flancha, son dos venant percuter le mur humide de la ruelle. Aussitôt elle se démena en jouant des épaules afin de se dégager. Le coup de poing qu'elle lui réservait, en revanche, n'atteignit rien de charnu, rien que de l'air qui caressa ses doigts crispés. Il fallait surtout le faire taire, avant qu'il n'alerte les soldats, toujours aussi proches. Dangereusement proches ! Si ils venaient à entendre un cri d'alerte, elle n'aurait pas le temps de filer, surtout que la ruelle débouchait sur une impasse. Dane tira son arme de son fourreau d'un geste précis. Quelles étaient ses intentions en faisant cela ? Aucune idée, juste l'instinct. Daneva avait toujours réglé ses problèmes à coups de lame, ça n'allait pas changer ce soir. |
| | | Chadden Charis
Ancien
Nombre de messages : 274 Âge : 39 Date d'inscription : 24/07/2008
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Jeu 4 Nov 2010 - 19:56 | |
| Crispée. Crispée. Il y avait là quelque chose d'anormal.
Si la jeune voleuse avait eu le bon sens de ne pas se débattre après sa prise et ses quelques propos, elle s'était en revanche considérablement raidie sur la fin. Hérissée. Il y avait plus que la simple peur du tire-laine, il sentait, au-delà, une terreur plus profonde et plus primitive. Au point qu'elle laissa échapper un cri, et que son corps eut un sursaut témoignant d'un rejet absolu de sa présence.
Ils passèrent l'angle d'une ruelle. Fort heureusement, les éclats de voix et les corps massés auprès des gardes retenaient toujours l'attention de la majorité, tandis que la rumeur constante de la ville - en sourdine sous le Voile, mais bel et bien présente - étouffait l'agitation de sa "captive".
Chadden hésita un court instant. A toute son attitude, il semblait évident que la voleuse resterait bien trop rétive, sur la défensive, et qu'elle ne lui serait pas d'un grand secours s'il posait ses quelques questions. Que faire, alors ? La relâcher, peut-être. Tenter de l'apaiser, de l'amadouer, avant. Oui. Il émit un "chhht" à voix basse, un petit murmure semblable à ceux que l'on adresse aux animaux effrayés - rien d'une injonction ou d'un ordre, en somme. Et - mais c'était là une certaine naïveté de sa part - au moment où, obéissante, elle lui rendait son bien, il relâcha légèrement, très légèrement sa prise, de sorte à signifier qu'il ne désirait pas être pris pour un ennemi.
La réaction fut immédiate, et malheureuse. S'il n'avait pas écarté l'hypothèse qu'elle se défende, le coup porté n'en fut pas moins douloureux. Judicieusement placé, d'ailleurs, car il ne put retenir une légère exclamation de souffrance à l'impression que sa jambe se déchirait de nouveau en deux au niveau de sa plaie.
Maudite soit cette blessure ! Loin de chercher à retenir sa captive, le jeune sang-mêlé la repoussa brutalement en avant, hors de ses bras. Son bâton de marche, nullement lâché tout du long, lui fut salutaire - et l'empêcha de basculer pour de bon ; il s'y retint et, changeant d'appui pour soulager sa jambe endolorie, pivota rapidement de côté. Son dos, qui quelques instants plus tôt avait épousé le mur sous le choc reçu, s'en détacha. Ne pas rester adossé contre une paroi quand un combat risque de s'engager. Il lui fallait de l'espace.
Tout, ensuite, s'enchaîna rapidement. Elle s'était débattue comme une sauvage, avait cherché à le frapper ; et à présent, au lieu de tourner les talons et de s'enfuir par le dédale enténébré de la ville, elle réagissait comme l'animal pris au piège : montrant les dents, prêt à vendre chèrement sa vie. Il la vit, en un éclair, porter la main à son fourreau. Lui n'en fit rien. Trois raisons à cela. La première : la pelisse le couvrant tout entier risquait d'entraver sérieusement ses gestes s'il tirait le fer. La seconde : il rechignait à se servir de ses armes autrement que pour tuer - ce n'était clairement pas son objectif concernant la jeune voleuse.
Enfin, la troisième, et non la moindre : il disposait déjà, en main, d'une arme bien plus efficace et appropriée. Son bâton.
La grande perche de bois passa d'une paume à l'autre, avec vivacité. Coulissa. L'extrémité haute décrivit un arc de cercle, du haut vers le bas, jusqu'à ce que les doigts se referment au quart de la hampe de bois. Tout en laissant le poids de son arme faire pencher celle-ci vers le sol, Chadden changea souplement d'appui. La jambe la plus en avant se tendit sensiblement, tandis que l'autre, de concert, fléchissait, calée en arrière. Le buste se pencha. Le bras armé s'ouvrit vers l'extérieur ; l'autre fit de même, par symétrie, laissant ostensiblement le torse dénué de toute apparente protection - outre l'habit de cuir et de lin, évidemment. Il avait l'attitude de celui qui s'apprête à faire une révérence.
Ce fut ainsi que Daneva le trouva, quand elle eut l'épée au clair. Silencieux, il la fixait. Son immobilité presque absolue, en attente, et la lenteur avec laquelle le bâton continuait doucement de pencher vers le sol suivant un déséquilibre maîtrisé, tout ceci avait quelque chose de fascinant. De déroutant, aussi, pour qui est habitué à combattre à la manière traditionnelle. Aux yeux d'un néophyte, une posture aussi exposée, une garde d'arme aussi basse - presque au repos, et sur le côté du corps - pouvait sembler ridiculement téméraire. Mais pour un combattant expérimenté - ce qu'elle semblait être, ce qu'elle devait être - le choix des appuis, la tension contrôlée des muscles, et même la prise de l'arme, paume contre la hampe mais tournée vers le ciel - tout ceci n'avait rien d'anodin.
Il était évident qu'en cas d'attaque, il saurait réagir promptement. Le maintien du bâton indiquait que sa garde serait appuyée par le creux de l'avant-bras, et que la frappe de l'arme s'en trouverait donc dirigée non seulement par la force du poignet mais bel et bien par le bras entier, avec la puissance que cela induisait. Si la jeune femme attaquait, la riposte viendrait percuter par le flanc, voire - dans le pire des cas - vers le côté du crâne. Ainsi, vu l'élan et l'allonge considérable de l'arme, attaquer de front n'était peut-être pas le choix le plus judicieux.
Chadden cilla. Il était prêt, à présent. Son souffle se fit plus ample et plus profond, en attente de l'expiration brutale en cas d'affrontement. Les yeux gris fouillaient le visage de la voleuse, attentifs. Dessinant du bout du regard le contour d'une joue, le pli de la bouche, l'arc déterminé des sourcils. Fière. Elle lui rappelait quelque fantôme, mais le jeune homme ne s'attarda pas sur cette impression - préférant se concentrer sur la voleuse, elle et elle seule, depuis le rythme de sa respiration jusqu'au moindre de ses tressaillements.
Elle avait le choix, car il n'attaquerait pas. Il lui restait l'option de tourner les talons et détaler - il ne la retiendrait pas, n'ayant plus rien à récupérer à présent, et quant aux questions... Bast, il trouverait bien quelqu'un de plus réceptif et de moins défiant - ou bien celle de combattre tout de même, avec les risques que cela comportait.
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| | | Daneva
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Sam 6 Nov 2010 - 16:24 | |
| Il y eut un moment de flottement. Il se tenait là, devant elle, serein. Son grand bâton de marche s'était changé en arme redoutable entre ses mains. Elle eut une inspiration hachée. Ce n'était pas un passant quelconque. Tout dans sa posture indiquait qu'il savait se battre, mieux sans doute que tous les imbéciles qui pullulaient de l'autre coté du portail. Elle hésita. Elle avait souvent agi inconsidérément, sans réfléchir aux conséquences que cela pouvait entraîner. Elle avait souvent fait confiance à ses pulsions, plus jeune. Cependant une année dans la forêt à s'occuper de son fils et à la tranquillité de leur vie l'avait changée. Elle avait... mûri. C'est pour cette raison qu'elle ne passa pas tout de suite à l'action, bien que toute l'adrénaline parcourant ses veines lui hurlait de le faire, là, maintenant. *Tout de suite*.
Elle se fit violence : elle se donna du temps pour réfléchir. De toute façon il n'avait pas l'air pressé non plus.
L'air frais lui fit du bien. Maintenant qu'elle était libre de ses mouvements, elle se sentait mieux. Elle inspira du nez, les lèvres closes, le regard fixé sur son adversaire lui aussi immobile. Ils se jaugeaient mutuellement, en silence. Il aurait pu crier, alerter les gens là bas, et il ne le faisait pas. Pourquoi ? Que voulait-il ? Et que faisait-elle encore là ?
Lentement, elle baissa son arme et se redressa imperceptiblement. Elle n'attaquerait pas quelqu'un qui ne cherchait qu'à se défendre. Après tout elle lui avait volé sa bourse. Il fallait partir maintenant.
Elle lui jeta un dernier regard. Il semblait si jeune... Puis elle remarqua la pelisse. Elle sentit son parfum, elle revit les champs, les plaines, le cheval au galop. Tout son être se figea, et elle se mit à activement fouiller dans ses souvenirs. Où avait-elle déjà croisé ce regard profond, si impressionnant ? Pourquoi ce grand homme en manteau de fourrure lui faisait-il l'effet d'un fantôme ? Elle avait la conviction qu'il s'agissait de quelque chose d'important. Sans réfléchir, cette fois, elle fit un pas en avant sous le coup de l'impulsion. Le bâton se leva, menaçant. Une pesante tension planait toujours entre eux. Par réflexe, elle redressa son arme dans un sursaut et de nouveau son instinct se manifesta. *Frappe !* Elle tressaillit. Elle ne voulait plus se battre, elle voulait savoir le pourquoi de cette impression de déjà-vu. Rien n'arrivait pas hasard.
Non sans oublier de maintenir fermement sa longue dague, elle le regarda vraiment pour la première fois.
*Je vous connais...*
Peut être était-ce la forme très légèrement effilée de ses oreilles, les courbes marquées de ses yeux en amande, ou bien la finesse intemporelle de ses traits qui l'avait mise sur la voie, en tout cas elle n'avait aucun doute sur le fait qu'il partageait avec quelque elfe un lien de parenté.
Pourquoi diable la lumière était-elle si faible ?
Il possédait cette aura si particulière, comme si il émanait de lui un calme et une maîtrise de soi qui ne sauraient être brisés quelle que soit la perturbation.
Un soupir, une posture parfaitement étudiée et exécutée avec une grâce sans pareille. Et l'attente, l'attente du premier coup.
Que n'aurait-elle donné pour avoir l'air aussi paisible ?
- Chad !
Le nom avait été soufflé, comme échappé de l'expiration de surprise qu'elle laissa filer de ses poumons lorsque cette certitude lui parvint. Chad. L'homme de la plage. L'homme torse nu dos à l'Olienne. Elle s'en souvenait maintenant.
Chad ! Sa silhouette dans la nuit ! Ses mains au dessus du feu, puis autour d'une tasse brûlante qu'il lui tendait. Et son absence, sa disparition subite. Elle avait eu l'espoir, fugace, non assumé, qu'il soit resté. Mais il s'était fondu dans la nature, il était parti, comme elle le lui avait demandé. Et puis elle s'était battue, bec et ongles, contre des gens qui jusque là étaient ses alliés. Elle en avait réchappé de justesse, et avait eu besoin de beaucoup d'énergie pour tout remettre en ordre, là bas. Chad s'était peu à peu effacé de sa mémoire immédiate. Il était devenu l'homme de la plage, le guerrier élégant. Un épisode qui lui était resté, mais dont les contours s'étaient peu à peu estompés.
Miradelphia était pourtant si vaste ! Mais elle n'avait plus aucun doute, c'était bel et bien lui qui se tenait devant elle ce soir. La poitrine broyée entre deux puissants étaux, elle oublia qu'elle avait essayé de le voler puis de le tuer. Elle se figea, en attente. Lui avait-il gardé une place dans ses souvenirs, à lui ? Ou bien n'avait-elle été qu'une étape, qu'un pas de plus sur son grand chemin.
Elle n'attendait qu'un mot. Même un haussement de sourcils, ou une exclamation retenue. N'importe quoi, pourvu qu'il ne l'ait pas oubliée. |
| | | Chadden Charis
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Dim 7 Nov 2010 - 18:05 | |
| Jauge.
L'oeil.
Dardé sur lui, vif et méfiant, alerte, brûlant. De l'éclat pur et pressé qu'il avait décelé au départ et qui lui avait fait craindre une attaque imminente, demeurait désormais quelque chose de plus rentré, de prudent. Il l'imagina tandis qu'elle l'examinait, décryptait son attitude et son immobilité. Tenta de deviner le cheminement de sa pensée aux infimes tressaillements qui agitaient parfois son visage. Pour l'heure, la posture du jeune sang-mêlé paraissait fort bien remplir son rôle de simple intimidation, car elle n'attaqua pas.
Le sien, d'oeil, cillait lentement, normalement. Et luisait un peu dans l'obscurité - vue nocturne oblige - en facettes, comme un regard de félin. Eclat gris, reflétant une lumière de verre. Il se déporta très lentement de côté à mesure que l'attente se prolongeait, jusqu'à se fixer quelque part au-dessus de l'épaule de la jeune voleuse. Toute la silhouette de son adversaire en fut réduite à une forme bien découpée, vue d'ensemble, dont il saurait scruter - à temps - le premier mouvement hostile.
Le souffle.
Celui de la voleuse était contenu mais régulier. De la même manière que son bras ne tremblait pas, malgré l'acier qu'il brandissait. Il se cala à son rythme. Inspire. Temps. Expire. Temps. Inspire. Elle gonfla ses poumons d'air et son expression se fit plus pensive, interrogative. La prochaine étape serait l'abaissement de l'épée. Oui. Cela vint. Le fer cessa de devenir une menace et s'en alla avec lenteur pointer vers le sol. Il vit le léger mouvement de ses épaules. Vit l'agressivité se retirer d'elle comme on ôte un manteau, peu à peu. Elle allait partir.
Les pieds.
Elle bougea. L'avancée fut peut-être un peu trop vive, trop prompte pour lui ; il réagit comme un animal aux aguets vers lequel on vient de tendre un bras brusque. Le corps se déporta vers l'avant sans qu'il n'avance d'un pas. La jambe portée en avant fléchit, celle qui s'était arquée en arrière se tendit à son tour. Le bras armé se plia vers son flanc, donnant à la hampe de bois sa première impulsion. L'arme décolla alors du sol qu'elle effleurait jusque là et vrombit brutalement, fouettant l'air dans une courbe violente. L'autre main, paume tendue droit devant lui, stoppa sa course avant que le bâton ne se rabatte totalement vers lui - pac - et Chadden s'immobilisa de nouveau, l'arme braquée de biais, à mi-chemin entre barrière et pique, entre protection et attaque.
Jauge. Mesurant ses gestes, de la vélocité à la lenteur, il inspira doucement. Là encore, le changement de posture n'avait été qu'un simple avertissement - le second. Au prochain geste ambigu de la voleuse, il attaquerait. C'était décidé.
Elle. Elle avait tressailli, l'arme de nouveau levée, et laissait à présent - tout comme il le faisait - se cristalliser le silence entre eux. Echange de regards, de souffles contenus, de respirations tendues. A quelques pas de là, ignorant tout de leur étrange dialogue, les patrouilles faisaient face à la foule et les voix, toujours, s'élevaient en rumeurs et en clameurs. Quelques pas seulement. Qu'attendait-elle pour fuir ? N'avait-elle pas compris, toujours pas, qu'il ne souhaitait que riposter et non la retenir ?
Jauge.
L'oeil.
Il s'était pétrifié, cette fois. Sur quelque vision intérieure qui étira soudain ses traits, et qui fit s'ouvrir ses lèvres sur une exclamation étranglée.
- Chad !"
Quoi ? Chad. Oui. Son nom. C'est mon nom. Clignant des paupières, il s'extirpa à demi de la concentration guerrière qui tenait jusque là ses sens en éveil, sensibles à la moindre nuance. L'oeil couleur d'orage revint à elle, de front, et passa de nouveau sur ses traits comme un pinceau. Non plus analytique. A son tour, il fouilla dans sa mémoire.
Jeune.
L'allure de chat de gouttière, le port de tête, la musculature fine faite pour la détente brutale. Pour la danse ou la guerre. Probablement les deux.
Forte.
La main fermée sur la garde. Le pli volontaire sur le front. Il se souvint d'un regard furieux, loin, très loin dans les limites de ses souvenirs, et d'une femme assise dans le sable qui refermait d'un geste sec et courroucé une chemise sur sa poitrine nue.
Fière.
La nuit, l'odeur de sel, de fièvre, le bruit des vagues. Le bruit de cailloux roulant sous les semelles. Le bruit des branches craquant sous une présence légère, peut-être fantasmée. Le bruit de l'eau portée à ébullition dans un ventre de métal. Oui. Il l'avait aidée, autrefois.
Chadden déplia l'échine. Lentement, très lentement. Se redressa et, à mesure, son bâton passa de l'oblique à la verticale, toujours tenu des deux mains. Il ne fut, bientôt, plus que cette innocente perche de bois qui permet au voyageur de soulager la fatigue des chemins.
Quelques instants passèrent encore, à mesure qu'il rassemblait en silence les dernières bribes de souvenirs. Enfin, le visage neutre, il inclina la tête - comme s'il ne s'était passé qu'une nuit depuis qu'il l'avait laissée, seule avec ses fantômes dans le grand baraquement vide, avec pour compagnie une infusion tiède et la promesse de son départ le lendemain.
- Ainsi, vous avez survécu."
Inspire. Il ferma les yeux, rattrapé par la réalité de ses sens à présent que la transe n'était plus. La sensation humide derrière sa cuisse l'informa que sa blessure s'était rouverte et remise à saigner. La bougresse n'avait pas retenu son coup.
- Vous ne devriez pas être là, ajouta-t-il à mi-voix, rouvrant enfin les paupières. La liberté n'est qu'un leurre dans les grandes villes. L'île vous convenait mieux." |
| | | Daneva
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Mer 17 Nov 2010 - 1:36 | |
| - Oui.
Oui elle ne s'était pas trompée, oui c'était bien lui. Oui elle avait survécu. Et oui, lui aussi.
C'était quelque chose d'étrange, de se dire que la vie avait été assez clémente pour les épargner tous les deux. Elle avait louvoyé, ondulé comme une danseuse au milieu du jeu de la Mort. Ses pas l'avaient menée à de dangereuses situations, et souvent elle avait cru en avoir terminé avec cette vie. Elle avait tremblé, hurlé, et même pleuré quelques fois. Elle avait saigné et fait couler le sang, elle avait donné la mort, et elle avait donné la vie. Elle avait grandi. Elle avait perdu beaucoup de choses et gagné tant d'autres.
Le temps écoulé depuis leur première rencontre avait laissé ses marques. Daneva n'était plus à la tête de la mystérieuse guilde des Silencieux, elle n'avait plus personne sous ses ordres. En revanche désormais, elle était mère. Une mère en traque. Une louve impitoyable cherchant à lacérer ceux qui en voulaient à son petit. Et elle ne s'arrêterait qu'une fois ces inconscients réduits en charpie.
Et à lui, qu'était-il arrivé ? Peut être son torse accueillait-il de nouvelles cicatrices. Elle leva les yeux, incertaine. Que faire maintenant ? Il avait fermé les siens, sans doute de souffrance. Elle connaissait cette attitude, celle de quelqu'un qui cherche à taire la douleur. Il semblait y parvenir assez bien... Bon sang, la jambe. Elle l'avait frappé à cet endroit, là où elle savait lui faire mal. Il boitait déjà. Quels dégâts supplémentaires avait-elle du causer ? Elle se mordit la lèvres inférieure, honteuse. Cette homme s'était montré si généreux avec elle par le passé. Une bien belle façon de le remercier...
- Vous ne devriez pas être là. La liberté n'est qu'un leurre dans les grandes villes. L'île vous convenait mieux.
Elle inclina la tête. Elle aurait aimé répondre qu'elle en était consciente, et qu'elle aurait tout donné pour être ailleurs - précisément au coeur d'Alëandir, à prendre soin de son fils. Mais sa gorge était serrée. Elle ne parvenait pas à faire le lien entre cet homme qu'elle avait tenté de voler et Chad. Elle était... décontenancée. Le temps n'aurait-il pas pu faire un bond en arrière ? Il aurait été si agréable de se retrouver des années auparavant, confortablement assise à même le sol près de la cheminée, à Nelen, et l'observer préparer consciencieusement une tisane revigorante. Ce soir là elle avait senti son coeur sourire. Celui-ci, elle ne ressentait que le froid de la ruelle, l'angoisse teintée d'adrénaline qui précède l'ardeur d'un combat, et la douleur sourde qui remontait par vague depuis la cuisse de Chad. C'était physique. Une sorte d'empathie. Même si elle n'était pas la source même de cette douleur, c'était elle qui avait provoqué son réveil, et elle se sentait résonner à chaque goutte de sang qui venait s'écraser sur le pavé humide de pluie.
Brusquement, l'orage gronda au dessus d'eux. Quelqu'un hurla, et ce cri fut bientôt reprit par de nombreuses voix terrorisées. Derrière, la foule s'égaya. On ferma les guichets, d'un coup sec, les ombres s'éparpillèrent pour se fondre dans l'obscurité. Les portes claquèrent, les unes après les autres. On rabattit brusquement les quelques volets qui étaient encore ouverts. Nouveau grondement de tonnerre, nouveaux cris d'angoisse. Les pleurs d'un enfant se mêlèrent au tintamarre. Daneva s'était figé, l'oreille tendue.
- Nous devons partir.
Le silence se fit peu à peu. Un chat bondit d'un toit pour se retrouver à leur pieds, dans la ruelle. Daneva, elle, bondit vers Chad et l'enserra d'un bras qui vint trouver un appui contre sa taille, tandis qu'elle positionnait l'autre à plat sur sa poitrine d'un geste qu'elle voulait apaisant mais qui fut si gauche qu'il aurait pu passer pour une maladresse. Elle prit le temps de chercher son regard, juste une seconde. Ils n'avaient pas le temps de discuter, d'ici quelques instants cet endroit serait un enfer. Une porte cochère, un établit, ou même une écurie... N'importe quoi qui put les abriter suffisamment pour que "ça" s'éloigne. Le chat leva ses grands yeux vers eux, cilla, et repartit en trombe vers la rue. Daneva lui emboîta le pas, soutenant Chad avec la force de l'habitude. Déporter tout son poids sur le coté, supporter plutôt que porter, ne pas imposer de rythme, suivre celui du blessé tout en l'accentuant avec patience. Se concentrer sur le chemin. Faire rapide, efficace.
La foudre s'abattit la rue d'à coté. Les hurlements reprirent, plus localisés, plus proches. Dane se fit violence pour ne pas tout simplement tirer Chad derrière elle. Ils bifurquèrent à l'intersection suivante, fuyant les lueurs du début d'incendie que la foudre avait provoqué. Deuxième craquement lugubre et flash aveuglant, un peu plus loin cette fois ci mais pas moins inquiétant. Ce n'était pas vraiment la foudre que Daneva craignait...
Voilà. Devant eux, une silhouette se découpa dans la nuit. C'était un homme, sans doute jeune, armé d'un gourdin. Il se figea en les apercevant. Dane aussi. Des casseurs. C'était ça qui l'effrayait. Plusieurs autres silhouettes apparurent à ses cotés. Un cri fut lancé. Daneva n'attendit pas qu'ils commencent à courir, elle fit demi tour en entraînant le blessé et bondit dans la première ruelle qu'elle aperçu. Celle-ci était encore plus étroite que la précédente. Aucune chance qu'elle aboutisse à quelque issue. Le découragement la prit à la gorge, mais elle le repoussa de toutes ses forces. Pas ici, pas maintenant.
Un miaulement lui fit tourner la tête, tandis que la foudre frappait de nouveau, causant mort et désolation. Le chat était là, et il grattait le bas d'une caisse avec véhémence. Elle cligna des yeux. Tout cela lui était vaguement familier. Le chat insista gravement, crachant sauvagement. Bon sang, bien sûr. Délaissant Chad, Daneva se jeta sur la caisse et s'arc-bouta pesamment. L'objet glissa, doucement tout d'abord puis plus brusquement, dévoilant une petite porte vermoulue. L'odeur de moisi si caractéristique des égouts se manifesta mais elle ne s'en émut pas. Le chat s'engouffra aussitôt par l'orifice et disparut dans l'obscurité. Il était temps de faire de même. Sans lui laisser le temps de réfléchir, Dane prit Chad par le poignet et l'entraîna dans le gouffre glacé, qu'elle prit soin de dissimuler après leur passage en tirant de nouveau la grosse caisse à l'aide d'une épaisse courroie qui semblait avoir été accrochée là pour cet usage en particulier. Et pour cause, c'était Daneva elle-même qui avait donné l'ordre de la faire placer à cet endroit. Elle connaissait parfaitement bien ces lieux, elle y avait presque vécu du temps où les Silencieux renaissaient de leurs cendres.
Le silence s'installa, aussi palpable que l'obscurité qui les enveloppait désormais, seulement troublé par la respiration des deux fuyards. Daneva n'avait plus à tendre l'oreille pour entendre le souffle régulier de son compagnon d'infortune. Elle s'était laissée glisser contre le mur pour s'avachir sur les marches abruptes qui descendaient vers les entrailles de la ville pour reprendre le sien. L'adrénaline parcourrait encore ses veines. Elle sursauta lorsque le chat vint se frotter contre son bras, à la recherche de réconfort sûrement. Sans y penser, elle le gratta entre les oreilles et le bruit de son ronronnement satisfait lui donna le courage de reprendre les choses en mains. Elle l'avait blessé, et elle l'avait mené jusqu'ici. Elle devait prendre soin de lui, tout comme il avait prit soin d'elle à Nelen. Son corps bascula vers l'avant et, bras tendus, elle se dirigea jusqu'à Chad. Sa main vint retrouver le haut du thorax et s'y aplatit avec conviction cette fois. C'était décidément un geste qu'elle aimait beaucoup, le concernant. Par ce simple contact physique, elle espérait se rassurer autant que le rassurer lui. Cet environnement aveugle et confiné l'avait toujours mise mal à l'aise, du temps où elle pouvait s'éclairer de torche. Ce soir elle n'avait rien de tel, et c'était oppressant.
- Ces gars là sont dangereux. Ils sortent pendant les pires moments et agressent les gens. Certaines fois ils pillent les magasins, mais ce n'est pas ce qui les intéresse le plus. Je les ai vus traquer les femmes qui n'avaient pas eu le temps d'aller s'abriter, et s'amuser avec elles. Je... sa voix trembla, mais elle s'imposa le calme. Il fallait qu'elle parle, il lui fallait meubler cette obscurité d'images et de mots. Il fallait lui raconter, lui faire comprendre. Ils ont essayé de s'en prendre à moi mais je les ai tué. Du moins, j'en ai tué assez pour qu'ils renoncent. Ce soir, j'ai... Enfin, vous savez, ils tuent. Ils adorent tuer. Ils rient si fort... Je crois que ce sont les plus bas instincts de la populasse qui ressortent ce temps ci. Ce sont des bêtes sauvages, vraiment. Quand tombe la foudre, ils se transforment, ce sont des monstres. J'avais déjà vu ça, mais ailleurs, dans d'autres circonstances, et jamais d'une telle amplitude. Quand ils sont si nombreux, rien ne les arrête. Ils vous auraient tué. Et moi avec, sans doute, enfin, après. Après...
Sa voix se brisa pour de bon. Elle inspira longuement, et se recroquevilla, le front sur les genoux. Ce n'étaient pas les bonnes images, pas les bons mots. Il lui fallait se concentrer sur autre chose. L'odeur de sang, la blessure. Bien sûr.
- Il faut prendre soin de vous.
Mais elle n'osa pas le toucher davantage. Elle en avait déjà trop fait ce soir, elle s'en voulait, et elle tremblait. Peut être ne ferait-elle qu'aggraver les choses. Elle se sentait comme une jeune fille face à la virilité d'un tout premier amant. Le silence s'installa, et ce silence demandait "puis-je vous aider ?" |
| | | Chadden Charis
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Dim 21 Nov 2010 - 10:32 | |
| ~ Corvus Corax - Ordu Languet ~ En quoi avait-elle changé ?
L'allure globale semblait être la même. Le regard aussi, tout à la fois fier et gardé. Oh, certes, elle était moins fiévreuse et moins maladive que dans ses souvenirs. Maladive, maladive... Chadden chercha pourquoi cette épithète restait tant associée à la jeune femme dans sa mémoire. Il lui fallut se concentrer encore un moment pour rattraper quelques bribes de passé. Le malaise sur la plage. La manière dont ses bras s'étaient enroulés autour de son ventre lorsqu'elle était tombée, sans connaissance. Il avait pris cela pour de la douleur, puis, un peu plus tard, avait nuancé son diagnostic. Il se souvint de ses propres doigts, palpant avec délicatesse le visage de sa - de sa... protégée. Comment il lui avait conseillé d'éviter la valériane.
Enceinte. C'était cela. Elle portait un enfant, le sang-mêlé en avait été persuadé cette nuit-là. Reprenant pied dans le présent, il baissa le regard vers les hanches de Daneva, jaugea. Avaient-elles un tracé plus affirmé, comme celles des femmes qui ont déjà donné naissance ? Difficile de le dire. La concentration guerrière dans laquelle il s'était enfermée en attente du combat palpitait encore à ses tempes et, surtout, surtout, la douleur revenait. Comme un membre longuement engourdi de froid commence à brûler lorsque le sang se remet à parcourir ses veines, elle montait par vagues, puissante, lancinante, de sa jambe jusqu'à ses reins, des reins jusqu'à l'échine - qui frissonna. Il fronça les sourcils, s'apprêtait à mettre fin au silence lorsque le ciel se mit à gronder.
Ce fut brutal, soudain, imprévu. L'orage avait mené son ventre noir au-dessus de la ville, glissé dans la pénombre du Voile et, maintenant que l'obscurité triomphait, il en profitait pour donner de la voix. Un appel. Auquel répondirent les clameurs effrayées de la ville, montant tout autour d'eux. Et auquel sa blessure, elle aussi, répondit.
Il plia. La présence du bâton, salutaire, le retint de basculer. Un bref moment, réflexe fier et absurde, le jeune bâtard espéra que Daneva n'ait rien remarqué de son brutal accès de souffrance. C'était peut-être le cas : l'agitation soudaine du ciel et de la cité semblait avoir retenu l'attention de la jeune femme.
- Nous devons partir. "
Elle se jeta vers lui. Il ne vit pas le chat dans la ruelle, mais ne vit qu'elle, et son instinct confondit le visage connu avec celui de la jeune voleuse qui avait tenté, quelques instants plus tôt, de le tuer. Il crut voir l'acier, dans le poing et dans les prunelles. Il crut reconnaître un lointain cauchemar.
Le geste de recul vint cependant trop tard. Déjà sur lui, elle le saisissait. Sentit sans doute la tension de son corps. La paume appliquée à la poitrine put peut-être deviner, au-delà des barrières d'étoffe et de cuir, l'ardeur d'un pouls malmené par l'anxiété et par la souffrance.
Curieusement cependant, ce contact l'apaisa. La peur primitive qui s'était emparé du jeune sang-mêlé, prêt à se défendre, reflua. Il ne fit pas de difficulté lorsqu'elle l'entraîna à sa suite, et s'appliqua - en silence - à lui emboîter le pas dans la mesure de ses moyens. Pressé par l'urgence, le bâton raclait presque au sol.
Eclair. La lumière, pure et brutale, s'abattit quelque part dans les rues et offrit brièvement le spectacle d'une ville désertée, blafarde. Cette fois, Chadden trébucha. Ses mains se serrèrent, fermées comme des griffes, l'une sur la hampe impassible de son fidèle épieu, l'autre sur l'épaule de la jeune femme proposée comme appui. Cette fois, l'appel était différent. Cette fois, la réponse le paralysait.
Car à l'instant où la foudre s'était abattue, si proche, si précise, il avait senti - et ce, très nettement - les rebords de la plaie se déchirer.
Ce n'était plus seulement de la douleur et cette espèce d'anxiété froide, maîtrisée, connue par chaque combattant à l'aube d'une bataille, qui hachaient son souffle et faisaient battre douloureusement son coeur dans sa poitrine. Non. Cette fois, c'était de la peur.
Ils bifurquèrent. Daneva fuyait un petit groupe de casseurs dont l'un des membres les avait apparemment repérés. Elle l'entraînait à sa suite. Chadden sentait l'odeur acide de sa frayeur à elle, et tâcha de s'y concentrer pour oublier sa propre panique. Cela devait attendre. D'abord, trouver un refuge. Quel qu'il fut. Où qu'il puisse être.
Il entendit à peine le miaulement de l'animal lorsque le second éclair vint frapper comme une lance la cité en désarroi, tonnant à nouveau dans sa propre blessure. Il ne vit qu'à demi la manoeuvre de sa compagne d'infortune, et comment la caisse une fois repoussée découvrait la béance d'une cachette fort bienvenue. Il s'y laissa presque tomber quand Daneva l'y tira. Et ne protesta pas lorsque fut refermé le couvercle du tunnel qui venait de les avaler tous deux.
Le silence, maintenant. Il rejeta la tête en arrière, calant son crâne contre la paroi humide, ferma les yeux. Le corps de Daneva se laissa glisser non loin. La respiration de la jeune femme haletait légèrement. De vertige, la sienne sifflait. Et lorsque son ancienne protégée se rabattit en douceur vers lui, lorsqu'il sentit sa chaleur de nouveau si proche et le contact, étrangement familier, de la main sur son poitrail, il tressaillit.
- Ces gars là sont dangereux. Ils sortent pendant les pires moments et agressent les gens. Certaines fois ils pillent les magasins, mais ce n'est pas ce qui les intéresse le plus. Je les ai vus traquer les femmes qui n'avaient pas eu le temps d'aller s'abriter, et s'amuser avec elles. Je... Ils ont essayé de s'en prendre à moi mais je les ai tué. Du moins, j'en ai tué assez pour qu'ils renoncent. Ce soir, j'ai... Enfin, vous savez, ils tuent. Ils adorent tuer. Ils rient si fort... Je crois que ce sont les plus bas instincts de la populasse qui ressortent ce temps ci. Ce sont des bêtes sauvages, vraiment. Quand tombe la foudre, ils se transforment, ce sont des monstres. J'avais déjà vu ça, mais ailleurs, dans d'autres circonstances, et jamais d'une telle amplitude. Quand ils sont si nombreux, rien ne les arrête. Ils vous auraient tué. Et moi avec, sans doute, enfin, après. Après... "
C'était bien qu'elle parle, quoi qu'elle pût en penser. Au-delà des informations que contenaient ses propos, il y avait la voix. Humaine, modulée. Une ancre sonore pour ne pas perdre pied.
Chadden inspira profondément. Se calmer. Calme. Calme. Il hocha la tête, repoussa légèrement Daneva et pencha le buste de côté, se courbant difficilement vers sa blessure. Presque à tâtons - tant la douleur et le vertige réduisaient à néant son habituelle faculté à percer l'obscurité - il trouva les lacets, et les défit tout le long de l'étoffe qui couvrait sa jambe. La chausse était trempée, rigide de sang. Le bandage lui-même semblait tant imbibé qu'il se relâchait mollement autour de la plaie. Si cela continuait, il finirait par se vider.
Ne pas y penser. D'un roulement d'épaule, le sang-mêlé se défit à demi de sa pelisse et fit glisser la courroie de sa besace le long de son bras ; tandis que, de l'autre main, il allait palper le linge serré autour de sa cuisse. Bien mal lui en prit. La douleur hurla tant qu'il crut brièvement perdre conscience.
Ca ne peut pas durer comme ça. Il faut agir. Et très vite, avant que...
Levant une main gluante de sang, Chadden chercha le contact de Daneva. Les facettes de ses prunelles luirent à nouveau dans la pénombre.
- Vous... savez recoudre une plaie ? "
Par pitié, qu'elle dise oui.
- Il y a ce qu'il faut, reprit-il après avoir happé l'air, poussant la besace vers la jeune femme. Là-dedans. Je peux indiquer quels... ce qu'il faut utiliser. Pour les onguents. Autre pause. Il prit une inspiration, déglutit. Je ne vais pas y arriver seul. Vous devez m'aider. " |
| | | Daneva
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Dim 21 Nov 2010 - 22:26 | |
| Il avait peur. Ce qu'elle avait tout d'abord prit pour des tremblements de froid se révélèrent, après quelques secondes à le ressentir littéralement dans l'obscurité, être des tremblements de terreur. Daneva savait bien reconnaître ce sentiment, depuis le temps. Elle l'avait inspiré quelques fois, et en avait été victime aussi. Et elle l'avait éprouvé quelques minutes auparavant, dans la ruelle. Ce type était paniqué. Il ne fut pas bien long d'en déterminer l'origine... L'odeur de sang était omniprésente, dans ce néant visuel dans lequel ils baignaient. Sa blessure était sans doute plus grave qu'elle ne l'avait d'abord estimé. Pire encore, Dane avait l'impression d'avoir affaire à quelque chose de frais, comme si il venait de recevoir le coup d'épée qu'il l'avait blessé. Etait-il possible qu'elle en soit l'auteur, avec son coup de tout à l'heure ? *Impossible*
Il remua. Elle s'écarta légèrement pour lui laisser de l'espace. Bruissement d'étoffe. Il se dévêtait. Du bout des doigts, elle l'aida à se défaire des lourds vêtements et diverses lanières de cuir qui entravaient ses mouvements. Il s'agissait de dénuder la jambe blessée, visiblement. Elle retint son souffle en même temps que lui, ressentant plus que constatant la souffrance qui résultait de l'exercice. La panique la reprit, sournoisement. Elle n'avait jamais été très bonne infirmière. On avait toujours prit soin d'elle, et l'inverse était resté si rare. Que faire ? Comment réagir ? Si encore elle avait une foutue torche, histoire d'y voir plus clair. Elle n'osait toucher la jambe du souffrant, craignant de provoquer davantage de douleur. Elle ne pouvait que deviner, à travers les sons étouffés de sa respiration devenue haletante et la chaleur qui émanait de lui, qu'il n'y avait là rien de bénin.
Il du lever une main, car quelque chose entra en contact avec sa tempe. Quelque chose de poisseux... Elle ne se déroba pas, bien que surprise. N'importe quoi qui puisse le rassurer. Tant de culpabilité au fond de sa gorge.
- Vous... savez recoudre une plaie ?
La question prit la jeune femme au dépourvu, si bien qu'elle mit quelques secondes à répondre, d'une voix mal assurée.
- Je l'ai déjà fait...
C'était vrai. Mais en plein jour, et sur quelque chose de bien moins grave que ce qu'elle appréhendait ce soir là. Elle trembla, mais ne se déroba toujours pas. L'idée de triturer de la chair à vif, et faire souffrir cet homme la rebutait réellement, mais elle savait bien que certaines situations exigeaient une réaction en conséquence. Elle n'avait rien d'une femme de salon. Elle était guerrière, elle était brave, et la vue ou l'odeur du sang ne l'avait jamais fait frémir plus que raison. Elle inspira longuement.
- Il y a ce qu'il faut. Là-dedans. Je peux indiquer quels... ce qu'il faut utiliser. Pour les onguents. Je ne vais pas y arriver seul. Vous devez m'aider.
Elle bougea enfin. Se saisissant de la besace à tâtons, elle ferma les yeux dans l'obscurité et se concentra.
- Je vais m'occuper de vous. En attendant, tenez vous tranquille.
Il avait perdu beaucoup de sang. L'humidité qu'elle ressentait sous ses genoux, elle le savait, n'était pas due aux habituelle flaques de moisissure coutumières des égouts. *Réfléchis, agis !* Elle se redressa, brusquement, et sans plus hésiter se défit de la ceinture de cuir qui ceignait sa propre taille avant de l'enrouler fiévreusement au plus haut de la cuisse de Chad. Ses gestes ne pouvant être guidés, elle se sentit maladroite et tressaillit en même temps que lui à chaque fois qu'elle le fit souffrir, mais il n'y avait pas d'autre option. Un tour, deux tours... Elle tira, doucement tout d'abord puis plus fermement. Ses mains habiles, fortes d'une vie de crochetage de serrures, trouvèrent assez vite l'encoche dans le cuir qui permit de verrouiller le garrot improvisé. Elles revinrent vite fouiller dans la sacoche. Sans y croire, Dane sentit sous ses doigts ce qui pouvait être, peut être... oui c'en était ! Du silex, de l'amadou. De quoi *allumer* quelque chose.
- Ne bougez pas. Je vais nous éclairer.
Elle se redressa à demi, et remonta de quelques marches. Là, juste à coté de l'entrée du passage. Une alcove. Des rebuts de torches, rugueux au toucher. Humides... Elle jura entre ses dents, mais finit par dénicher un manche un peu plus prometteur que les autres, qu'elle délogea de sa cachette. Puis, se laissant de nouveau glisser à genoux, elle s'échina pendant une bonne minute à produire quelque étincelle. Quelqu'un d'autre aurait peut être laissé la panique désordonner ses mouvements, mais elle agissait avec autant de précision que lui permettait l'absence de lumière, à gestes calculés. Elle savait que c'était ainsi qu'elle obtiendrait le résultat le plus rapide.
Les efforts payèrent. Bientôt, la torche crépitait. Daneva plissa les yeux, éblouie, mais se reprit bien vite. Elle se hâta de retourner auprès du blessé, qu'elle enveloppa de sa lumière.
Il était réellement mal en point. Le teint cireux et le regard éteint, il gisait dans son sang comme une marionnette sans vie. Dane posa une main sur sa joue et le força à la regarder. A moitié satisfaite du regard qu'il lui rendit, elle retourna à sa fouille.
- Tenez moi ça.
Elle lui donna la torche, l'autre main déjà dans la besace. Elle en sortit une demi douzaine de petits pots en terre cuite et autres récipients.
- Dites moi ce que je dois faire. |
| | | Chadden Charis
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Mer 24 Nov 2010 - 19:01 | |
| ~Corvus Corax - Vitium in Opere ~ Il le savait pourtant, que venir à Diantra était une mauvaise idée.
Que cette ville lui était profondément antipathique, et que rien de ce qui logeait entre ses murs n'aurait pu satisfaire correctement ses ambitions. Qu'ils étaient faux, tous. Que Diantra n'abritait entre ses murs que mensonges et faux-semblants. Vanité. Vacuité.
Vanité. S'il était venu, c'était par vanité. Lui qui prônait la raison et la mesure, qui se faisait une force de rester humble en toute situation - si tu veux devenir un guerrier, commence par être un homme ; si tu veux devenir un homme, sois humble, toujours, sois humble - oui, il avait cédé par orgueil. Instruire, vraiment ? Instruire l'art des armes sans avoir la présence d'esprit de guérir auparavant ses propres blessures ? Quel imbécile.
C'était peut-être cela, au final ; toute cette agitation, cette noirceur, cette foudre dans les plaines humaines. La juste rétribution d'une fierté démesurée. Le grondement implacable des cieux quand les hommes oublient leur retenue. Voilà pourquoi sa blessure ne cicatrisait pas. Il l'avait refusée, parce qu'il refusait de se plier à ses propres limites. Et maintenant, elle était en train de le tuer.
Chadden frissonna. Rouvrit les yeux dans un sursaut, sentant Daneva s'éloigner après sa demande un peu brouillonne. Il se cala plus encore contre la paroi, serra le poing, le desserra, le ferma à nouveau. Ne pas clore les paupières. Rester conscient. S'il perdait pied, c'était fini.
Inspire.
- Je vais m'occuper de vous. En attendant, tenez-vous tranquille."
Le sang-mêlé se permit un sourire, léger. Il la devinait juste à côté, qui s'activait en modérant sa propre panique pour pouvoir rester efficace. Tout acte, toujours, trouve rétribution. Il avait eu la chance de tomber sur quelqu'un d'assez loyal pour lui porter secours, à la mesure de l'aide désintéressée qu'il lui avait offerte bien auparavant. Cette pensée le réconforta, quelque part, et tempéra la frayeur qui lui serrait la poitrine.
La frayeur, mais pas la douleur. La pose de garrot le fit se crisper tout entier, le corps tendu et la mâchoire serrée pour ne pas se mettre à crier. Il tint, bravement, et parvint même à repousser l'énième vertige qui cherchait à se saisir de ses sens. Rester éveillé. Rester conscient. Cela devenait de plus en plus difficile mais, à tout le moins, la lanière serrée sur sa cuisse pourrait modérer un temps l'hémorragie.
Les secondes s'écoulèrent comme autant de battements de coeur. Chadden se concentrait sur sa respiration, retrouvant une part de son si caractéristique sang-froid ; le grésillement, puis la lueur vive de la torche le surprirent par leur intensité. Inquiète, Daneva se penchait sur lui. La main posée sur sa joue lui parut extrêmement froide, à la mesure, sans doute, de la fièvre qui l'avait saisi. Il fit de son mieux pour lui rendre son regard, même si ses prunelles tendaient à partir sur le côté, fuyant la lumière, erratiques.
- Tenez moi ça."
Sans prendre la peine d'acquiescer, le jeune bâtard ferma du mieux qu'il put ses doigts ensanglantés sur le manche de bois. La flamme, si proche, chuintait et crépitait. Il résista à l'envie de la fixer. Il n'y a rien de plus magnétique et de plus hypnotique qu'une flamme, or, à cet instant précis, il se devait de conserver au maximum la maîtrise de ses moyens.
- Dites-moi ce que je dois faire", fit une Daneva résolue en sortant les affaires de sa besace. - Pour commencer, apportez-moi ça, murmura-t-il en retour, atone, la voix hachée par l'effort et par l'engourdissement contre lequel il devait se battre - désignant très vaguement une sorte de petite fiole de verre épais. Faites-moi boire... Une gorgée ou deux de ce qu'il y a dedans."
Il attendit qu'elle s'exécute. La liqueur devrait être assez tonifiante pour l'aider à garder ses esprits plus longtemps, ainsi qu'à tempérer les vagues de douleur que le garrot tuait à peine.
Inspire.
- Bien, souffla Chadden. Fouillez le rabat. Dedans, vous trouverez plusieurs aiguilles en os, et du fil. Préparez-les. Il vaut mieux... Le faire maintenant, ce sera plus... difficile, si vous le faites les mains enduites d'onguent. Un temps. Inspire. Commencez par... Retirer les bandages. Nettoyez la plaie. Aucune importance si je crie."
Une autre inspiration, un peu plus tremblante. La douleur risquait d'être terrible à ce moment, mais il fallait faire face.
- Une fois cela fait. Pas d'eau donc... Donc... Uhh... Vous prendrez le contenu de ce pot-là, celui av... ec la bande noire sur le couvercle. Vous enduirez les rebords de la blessure. Masserez. Ensuite il... il... faudra recoudre. Inspire. Après, vous devrez... prendre cet autre conteneur. Celui en céramique verte. Le plus gros. Il y a dedans une sorte de crème, très odorante. Vous... "
L'air lui manqua, il dut se faire violence pour ne pas défaillir et pour ne pas lâcher la torche par la même occasion. Pas encore, pas maintenant. S'il avait su que cette simple plaie allait à ce point mettre ses jours en péril...
- ... Vous en recouvrirez toute la blessure. Et pour finir, il faudra un bandage. Très serré. Le plus serré possible. Si... Si... Je ne sais pas s'il me reste des... compresses... Sinon, déchirez ma chemise. Et surtout, surtout. Faites en sorte que je ne m'endorme pas."
|
| | | Daneva
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Ven 26 Nov 2010 - 22:19 | |
| Il fallait suivre le fil, tenir la cadence, noter mentalement et surtout, surtout, ne rien laisser passer. Tendue à l'extrême, Daneva fit le vide. Passé et futur furent mis à l'écart, ne resta que le présent, cette inquiétante lueur tremblotante, le corps fiévreux de Chad, le sang sur ses mains, et le grondement de l'orage, très loin, dans un autre monde. D'un geste de la main, elle chassa les lourdes perles de sueur qui étaient apparues sur son front.
Dans un premier temps, elle suivit ses instructions. D'une main tremblante, elle porta la petite fiole aux lèvres du blessé et s'assura qu'il en ingurgite assez sans se préoccuper des quelques gouttes qui dégoulinèrent sur son menton. Puis elle s'occupa des aiguilles. Elle du s'y reprendre à plusieurs reprises avant de parvenir à y glisser le fil de soie, tant ses mains se trouvaient agitées de tremblements, mais finalement, tout se trouva prêt... prêt à...
Concentration. Elle retourna à Chad, et posa avec autant de délicatesse que possible ses paumes contre le haut de sa cuisse. "Aucune importance si je crie." Elle frissonna, mais ne se laissa pas le temps de réfléchir. Ses doigts, déjà, tiraient sur les bandages imbibés de fluide sanguin. Ils découvrirent la cuisse, désormais à nue et écarlate, comme si on en avait écorché la peau. Daneva avait fermé ses oreilles, et remplacé l'ensemble des sons en provenance de l'extérieur par un bourdonnement sourd, lancinant, omniprésent. Elle fut donc insensible aux plaintes du malade, surtout lorsqu'elle le souleva à demi pour le déplacer. La plaie se trouvant à l'arrière de la cuisse, il devrait se tenir allongé sur le flanc pour qu'elle puisse y avoir accès. L'opération fut délicate. Elle avait l'impression de le briser à chacun de ses mouvements...
La torche fut fichée dans une anfractuosité du mur de pierres humides, crépitante. Chad lui tournait désormais le dos, mais elle devinait toujours sa souffrance à travers les tremblement angoissés qui l'agitaient tout entier. Malgré le froid glacial, elle se défit de son manteau, le roula en boule et le plaça presque avec douceur entre sa tête et le sol.
Sa bouche s'ouvrit, puis se ferma. Il n'y avait rien à dire... Seulement à faire. Et plus vite ça serait fait, mieux ça serait pour lui.
La plaie était longue et profonde, comme elle le laissait deviner l'état du blessé. Plus inquiétant encore, les lèvres noircissaient, et la peau tout autour était striée de veinules sombres. Que s'était-il donc passé ? Elle ne s'attarda pas. Rapide et efficace, elle nettoya sommairement avant d'enduire la chair de l'onguent désigné. Il se tordait, mais elle maintint sa hanche immobile d'une poigne de fer. Elle massa, dans un état second. Et lorsqu'il ne bougea plus, elle s'arrêta un moment pour venir le secouer, et même le gifler si ce n'était pas suffisant.
- Chad ! Chad ! Réveillez-vous ! Ecoutez-moi !
Il rouvrit finalement les yeux, qu'elle contempla un moment. Ils étaient humides. Puis elle revint à son si désagréable travail. Ses doigts, désormais, étaient gras et glissaient sur les objets. Elle du les essuyer énergiquement sur ses chausses, y étalant par la même occasion de longues et macabres trainées de sang.
- J'ai eu un fils, sur Nelen. Quand vous m'avez rencontrée, je portais déjà cet enfant. L'aiguille dans une main, la détermination dans l'oeil. Je l'ai appelé Lucas. C'est un adorable petit garçon. Elle perça la chair, l'autre main agrippée à la hanche tourmentée. Il a parlé très jeune, d'une magnifique petite voix, si fluette. Elle me faisait penser à la flamme d'une bougie. Au début il ne disait pas grand chose de compréhensible, mais très vite il parlait. C'était incroyable. Des mots, parfois des phrases. Et puis des chants. Lucas aimait beaucoup chanter. La suture s'allongeait, avec lenteur. Elle devait en être à la moitié de la plaie. Quand nous avons du fuir Nelen, je l'ai mêlé à quelque chose d'important. C'était une erreur de ma part, je n'ai pas assez réfléchi. Quoiqu'il en soit, cela a attiré la convoitise de personnes, des gens mauvais. Ils se sont emparés de Lucas, peu de temps après notre retour sur le continent. J'ai pu le récupérer mais depuis il n'a plus jamais été le même. Des points, toujours. Désormais elle se sentait plus sûre d'elle dans ses gestes. Elle s'apaisait, peu à peu. Il n'a plus prononcé le moindre mot, jamais. Il n'a plus jamais chanté. Elle s'épongea le front. Sauf ce jour, où ils ont tenté de l'enlever encore. Il m'a appelée, si fort !
C'était terminé. Elle se redressa légèrement, et tira sur le noeud pour en éprouver la solidité. Ce n'était pas parfait, mais ça irait. L'onguent odorant vint recouvrir ses points, et elle du porter un poignet à ses narines tant l'odeur était forte. Au moins on pouvait espérer que ça soit efficace. Elle trouva dans le sac un couple de compresses qu'elle apposa sur la plaie nouvellement recousue, puis piocha dans ses propres réserves pour enrouler autour de la cuisse un bandage propre. Elle serra, le plus doucement possible.
Puis elle revint à Chad, inquiète.
- Chad ? Nouvelle gifle. Chad !
Sans doute le contact froid de ses mains le ferait réagir. Elle l'enjamba en prenant soin de ne pas le heurter et enveloppa ses joues de ses paumes, penchée par dessus son visage.
- C'est terminé.
Il s'était endormi. La panique la reprit. Elle cria de nouveau son nom en secouant ses épaules. Rien n'y faisait. |
| | | Chadden Charis
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Dim 28 Nov 2010 - 10:19 | |
| ~ The Fountain OST - Death is the road to awe ~ Il n'y eut bientôt plus que la douleur.
On a parfois tendance à dire que l'esprit et la raison, une fois entraînés, sont capables de tempérer, d'atténuer, voire de sublimer n'importe quel mal, de n'importe quelle intensité. Ce n'est pas tout à fait exact. S'il est effectivement possible - avec de l'entraînement - de forcer son corps à nier une part de douleur, il en reste d'assez puissantes pour demeurer incompressibles.
Il fit de son mieux, au début. Cria, quand elle retira le bandage, mais ne la repoussa pas. Se tordit, lorsque ses mains entrèrent en contact avec la chair martyrisée, mais resta sur le flanc au lieu de se débattre pour laisser toute latitude aux gestes de la jeune femme. Elle était le seul salut, l'aide dont il avait besoin pour que tout s'achève au plus vite. Il se le répéta. Comme un mantra, silencieusement, à mi-voix parfois. Il lui sembla qu'il n'avait jamais connu la douleur auparavant.
Puis, passé un certain cap, raisonner fut impossible. Même sa volonté d'acier n'y pouvait plus grand chose. Il n'y avait plus qu'elle, Douleur, dans sa forme la plus absolue, la plus entière, la plus parfaite. Immense et brûlante. Recouvrant tout. Alors, puisque l'esprit et la raison trouvaient là leurs limites, le corps mit en jeu ses propres anesthésiants.
Le jeune bâtard ressentit la grande vague de froid qui précède les évanouissements comme un véritable soulagement. Il dut effectivement perdre connaissance, une fois. Avant que Daneva ne le rappelle au monde réel.
- Chad ! Chad ! Réveillez-vous ! Ecoutez-moi !"
Elle était loin, cette voix. Loin derrière l'orage qui foudroyait ses nerfs, loin derrière la pénombre qui ondoyait derrière sa vision embuée. Il tenta de s'y raccrocher, pourtant, le souffle difficile. A cet instant, il aurait été bien incapable de dire ce qu'elle faisait à sa plaie.
- J'ai eu un fils, sur Nelen. Quand vous m'avez rencontrée, je portais déjà cet enfant."
J'avais donc raison, se dit un Chadden à moitié conscient, s'autorisant même un pâle sourire. Il eut de nouveau la vision de Daneva, quelques années plus tôt, de son regard courroucé, de sa vaillance à gravir les pentes escarpées de la montagne malgré un état lamentable.
- Je l'ai appelé Lucas. C'est un adorable petit garçon. Il a parlé très jeune, d'une magnifique petite voix, si fluette. Elle me faisait penser à la flamme d'une bougie. Au début il ne disait pas grand chose de compréhensible, mais très vite il parlait. C'était incroyable. Des mots, parfois des phrases. Et puis des chants. Lucas aimait beaucoup chanter."
Etrangement, à présent que le stade de la simple douleur était amplement dépassé, Chadden trouvait plus de facilité à écouter ce qu'on lui disait. Cela flottait, mais restait distinct. Son corps était gourd, de toute façon, incapable de se mouvoir consciemment. Il ne sentait même plus ses mains. Alors, il porta toute l'attention qui lui restait vers l'histoire.
Parce que c'était l'histoire. Parce que c'était son du. Parce que c'était la récompense tardive pour une escorte et une tisane nocturne.
Vaguement, il sourit à nouveau. C'était un si joli nom, Lucas.
- Quand nous avons du fuir Nelen, je l'ai mêlé à quelque chose d'important. C'était une erreur de ma part, je n'ai pas assez réfléchi. Quoiqu'il en soit, cela a attiré la convoitise de personnes, des gens mauvais. Ils se sont emparés de Lucas, peu de temps après notre retour sur le continent. J'ai pu le récupérer mais depuis il n'a plus jamais été le même. Il n'a plus prononcé le moindre mot, jamais."
- Hé, l'enfant sans père."
Il est debout, seul. Sa forme est encore celle d'un enfant, dix ans, peut-être ; et pourtant, il est déjà bien plus âgé qu'eux tous.
Le premier ricane en le regardant, ouvertement moqueur. C'est le fils du porcher. Il le dévisage gravement, sans rien dire, sans répondre à la provocation. C'est qu'il a l'habitude. C'est qu'il sait, aussi, qu'ils ne pourront pas le blesser autrement.
- T'es muet ?"
Les deux autres pouffent de rire à leur tour, l'un d'eux ramasse une pierre, pensant que le jeune bâtard ne le verra pas, sans doute. Comme s'il ne savait pas percevoir un mouvement, même du coup de l'oeil.
Ca y est, il lance. Il vise la tête, bien sûr. Pivot. Main tendue. La pierre ne frappera pas son crâne, pas cette fois. Il y referme tranquillement le poing, sur ce petit projectile fauché en plein vol, et tend le bras, paume ouverte cette fois, vers les trois garçons. Comme un présent. Comme une offrande. Comme une manière de dire, "tiens, reprends-le, et réessaie, si tu t'en sens le courage". Mais sur son visage, toujours grave et fermé, ils ne liront rien.
Le leur se décompose. Crainte, déception, haine. Ils lui crachent des insultes. Aucun d'entre eux ne l'approchera, en revanche, et ils finissent par s'éparpiller en le laissant seul. Seul, la main tendue, un caillou inutile au creux de la paume.
- Maman ?"
Elle gazouille. Il insiste.
- Maman ? Qui c'est, mon père ?"
Elle rit. Il est joli, son rire. Tintant, enfantin. Joli et vide. Comme une coquille peinte. Comme elle.
Le vacarme du marteau sur le fer chauffé, les étincelles. Il se penche, émerveillé.
- Dégage !"
La voix rude et la poigne non moins rude du père de sa mère, qui le tient à l'écart de l'enclume, et à l'écart du ronflement des fourneaux. Un grand rire ensuite, étonnamment tendre.
- T'vas t'brûler, p'tiot. J't'ai déjà dit, t'as l'droit d'regarder mais t'approche pas !"
Il trottine en arrière, l'air heureux. Il l'aime, cette grande forge, et les crépitements des brasiers, et la chaleur qui fait ruisseler son jeune front, y collant les serpents noirs de ses cheveux. Il aime voir le père de sa mère marteler le fer à coups puissants. Il aimerait pouvoir faire de même, bien qu'il sache qu'il n'aura jamais la carrure. A cause de son sang. Le sang d'un enfant-sans-père.
Il s'installe dans un coin. On lui a laissé une pince et une tenaille et, parfois, le père de sa mère lui abandonne quelques brins de métal encore chaud, encore rougeoyant, encore malléable. Alors, puisqu'il ne peut ni marteler, ni forger, il tord et façonne. Invente des entrelacs et des arabesques. De belles petites choses, fragiles et éphémères. Si éloignées de l'acier sifflant, de l'acier puissant. Mais elles lui plaisent, malgré tout.
On le bouscule.
- Encore là, lui !"
Un regard d'adulte mécontent. Un regard noir. Il le connaît, ce regard, il l'a vu tant de fois dans les yeux des enfants. Il lui oppose, par habitude, cette expression calme et grave, fermée et tranquille, qui est désormais son apanage.
L'homme renifle, se veut dédaigneux, et marche à grands pas vers le père de sa mère. Dédaigneux. Bah. Sous le dédain, il a senti la peur.
- Pourquoi tu le tolères dans tes pattes, Arben ? Il fera jamais un bon apprenti, t'as vu comment il est taillé ?"
Le marteau sur l'enclume se fait plus rapide et plus hargneux.
- L'enfant d'un salaud et d'une idiote. Sérieusement, tu devrais t'en débarrasser. Ca te ferait une bouche de moins à nourrir et..."
Le marteau a cessé de frapper. Il pend dans la main du père de sa mère - qui s'est tourné cette fois, repoussant l'autre homme.
- Je devrais quoi ? ... Si c'est pour me sortir ce genre de conneries, tu peux quitter ma forge, Créon. C'est de mon petit-fils que tu parles. Prochaine remarque et c'est ta tête que je fous sur l'enclume, clair ?"
Créon est parti. Le père de sa mère se penche sur lui, l'air furieux.
- T'entends cet abruti ? Où qu'il croit qu'on trouve l'or, sinon dans la merde et la fange ? Laisse-moi te dire une bonne chose. Y'a pas besoin d'être né dans la boue pour finir chez les porcs. Oublie jamais ça, p'tiot."
Il n'oubliera pas. Il n'oubliera pas. C'est promis.
- Tu es le bâtard au sang mêlé qui vient prêter main-forte, c'est ça ?"
Il a grandi. Il s'est durci. Il s'est armé. L'enfant est un jeune homme, maintenant. Et pourtant, au regard de certains, il est toujours le bâtard.
L'enfant d'un salaud et d'une idiote.
Non. Il est plus que cela. Il a grandi en expérience, en force, en sagesse aussi, croit-il. Il a prouvé sa valeur. Aidé autant qu'il pouvait. Né de la fange, peut-être ; non pas fait d'or ; mais d'acier trempé, sûrement. Une manière de faire honneur au père de sa mère. Pour qu'il soit fier de lui, où qu'il soit maintenant.
Il fait honneur. Chaque aide offerte est une manière de prouver dans quel métal il s'est lui-même forgé. Il n'échoue jamais.
Déjà, il court, à foulées régulières. Des éclats. De voix, d'acier. On se bat plus loin. C'est assez machinalement qu'il tire ses deux fers hors de leurs fourreaux, assurant sa prise sur les gardes familières, et vrillant régulièrement du poignet pour s'habituer au poids de la lame. Il perçoit des formes souples, rapides, sombres et agiles. Drows ? Peut-être. Sûrement. Ils ne seraient pas les premiers à s'attaquer à un village isolé, en quête d'un pillage facile. Pas les premiers qu'il pourchasserait, non plus.
Il n'échoue jamais.
La danse des lames se poursuit. Il rompt, parade, tourne et esquive, fendant l'air de concert en suivant les enchaînements complexes sus par coeur depuis si longtemps. Il défait quelques adversaires, ne s'attarde pas à les voir tomber. Faiblit, ensuite, et perd du terrain jusqu'à ce que les fers ennemis trouvent la faille dans sa garde, jusqu'à ce que l'acier morde sa chair, et s'abreuve de son sang.
Mais il n'échoue jamais. Il ne peut pas échouer. Il ne doit pas échouer. Pour le père de sa mère. Pour l'acier né de la boue. Pour lui. Pour lui, l'enfant-sans-père.
Une lame écorche son flanc, une autre, sournoise, trouve sa jambe et s'y taille une route sanglante.
Il n'échoue jamais...
Lui qui se faisait une fierté de son silence lors des combats, il hurle. Lui qui luttait de toute son âme pour demeurer debout, il tombe.
Une lame se lève, prête à l'achever. Il attend, impuissant, mais l'acier ne s'abat pas sur lui. Quelque chose ne va pas, il y a eu comme un appel, dans le lointain. Le coup de grâce redouté ne viendra jamais.
Parce que le ciel s'est brutalement obscurci, parce qu'un vent glacé, de mauvais augure, s'est mis à souffler. Parce que l'essaim drow, voyant le phénomène, s'éparpille sans attendre.
Parce que le Voile vient de commencer.
Il n'a rien au flanc. Les courroies ont amorti l'estafilade, il n'a à déplorer que de l'étoffe déchirée et du cuir râpé. Sa jambe le lance, en revanche. L'arrière de la cuisse a été touché, il saigne abondamment. Un bandage sommaire fera l'affaire. Il cicatrise vite et, de toute façon, ce n'est pas la blessure la plus douloureuse.
La véritable plaie à vif, c'est à l'orgueil qu'il la porte. Il a été défait. Lui qui n'échoue pas, jamais, il a été défait. L'acier a été brisé. Alors que chacun s'affole et s'éparpille, il s'éloigne en boitillant. Aucun silence ne saurait exprimer l'étendue de sa honte.
C'est ça. Tout est clair, à présent. La plaie de la honte. Celle qui devait lui rappeler que même l'acier n'est pas infaillible, et qu'il a préféré nier, la laissant s'envenimer - parce que la prendre en charge, et se soigner pour de bon, aurait signifié accepter son échec. La blessure qui ne se referme jamais tant qu'on ne la considère pas en face. Et qui, dans l'attente, grandit, grandit...
Eclair.
Loin, loin, très loin, son corps se rappelait à lui. Son corps, et autre chose. Un son indistinct. Une voix, lui sembla-t-il.
Dans sa torpeur, il se débattit. Le voile cotonneux sur ses sens se déchirait peu à peu. Nouvel éclair. De la douleur. Sa jambe. La jambe, bien sûr.
Ce fut lors d'un spasme brutal qu'il revint à lui, tendant une main pour agripper la forme penchée qui le surplombait. Il happa l'air comme un noyé. Son pouls battait avec affolement, mais battait bel et bien - c'est tout ce qui comptait. L'oeil égaré parvint à se poser - et il avait le regard hanté de ceux qui reviennent de loin, de très loin.
Daneva.
Sans force, il retomba doucement en arrière. Il n'avait pas besoin d'essayer de bouger pour comprendre qu'il ne saignait plus. Il avait remporté la victoire sur son esprit, et elle, de son côté, avait réussi à apaiser son corps. C'était terminé.
- Merci", souffla-t-il, avant de refermer les paupières.
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| | | Daneva
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Mer 1 Déc 2010 - 2:02 | |
| Elle l'avait perdu ! Les poumons de Daneva se vidèrent. Elle s'affaissa en avant, les mains toujours crispées sur les épaules de Chad. Il lui avait demandé de ne pas le laisser s'endormir, et elle avait échoué. Il s'était endormi, il ne se réveillerait plus. C'était fini, c'était...
Un sursaut, un spasme. Il était de retour. Daneva sursauta aussi. Elle n'avait pas réalisé sa mort, elle ne réalisait pas non plus son miraculeux réveil. Alors elle le regarda, l'oeil hagard. Il murmura un remerciement avant de s'endormir de nouveau, mais d'un sommeil sain cette fois.
Victoire. Elle se pencha en avant jusqu'à poser son front sur ses genoux en enroulant ses bras autour de sa poitrine. Il lui fallu un moment avant de retrouver une respiration normale. L'orage avait cessé de gronder, là haut, mais elle ne voulait pas sortir. Il était hors de question de laisser Chad dans cet état, et elle ne pourrait le porter jusqu'à une auberge. Heureusement, ils étaient dans les égouts, son Royaume.
Il fallait reprendre les choses en mains. Décider. Elle savait faire... La lumière faiblissant, elle se leva et remonta jusqu'à la cache pour allumer deux autres torches, qu'elle rassembla dans une seule main. Redescendant auprès de Chad, elle posa une main sur son front et constata qu'il était toujours inconscient. Elle récupéra sa pelisse et l'étendit sur lui pour le protéger du froid mordant de l'obscurité. Puis elle s'enfonça dans les ténèbres, vers les profondeurs de Diantra.
Elle avait laissé la majorité de ses affaires là haut, il saurait donc en cas de réveil qu'elle ne l'avait pas abandonné. A vrai dire, elle cherchait à se repérer. De nombreux endroits dans les égouts avaient été emménagés par ses soins - ou sous ses ordres, et elle savait que d'autres gens depuis le départ des Silencieux s'y étaient relayés. Des voyageurs peu fortunés et des nécessiteux cherchant abri, des fugitifs en tous genres et même une guilde, avait-elle appris.
Tout avait changé, et cela remontait à des années désormais. C'est donc en marchant quelque peu au hasard qu'elle trouva ce qu'elle cherchait. Il y avait un renfoncement de quelques mètres dans le mur, et y étaient installées une paire de paillasses humides et divers objets oubliés ou abandonnés par les derniers occupants du lieu. Malgré le soupirail là haut au niveau du plafond qui devait donner quelque part sur une rue, l'endroit était sombre. Cela convenait, du moins n'avait-elle rien de mieux sous la main. Elle fixa une torche sur le mur, chassa quelques rats, puis repartit chercher Chad.
La descente fut difficile. Elle avait réussi à soulever l'homme en le hissant sur son dos. Heureusement, il ne pesait pas bien lourd... Il était important de préserver sa jambe fraîchement recousue des chocs et des frottements, et il lui sembla assez bien réussir dans cette tâche. Une vie d'entraînement physique et de combats à l'instinct, ça modèle. Elle le déposa le plus délicatement possible, et l'installa du mieux qu'elle put en arrangeant les étoffes ici et là. Si elle n'avait rien d'une infirmière, en revanche elle avait été mère. Elle retrouvait dans ces gestes la tendresse qu'elle avait mis dans ses mains lorsqu'elle s'occupait de son fils : une main sur le front, encore, qui écarta les mèches trempées de sueur, ou encore la douceur avec laquelle elle le recouvrit de la première étoffe sèche qui passa à portée.
Il lui manquait des choses, de quoi être efficace. Elle le quitta de nouveau, et remonta à la surface. Il lui fallu émerger, comme une taupe qui sort de son trou. Elle cligna des paupières. Il faisait jour. avaient-ils passé toute la nuit là dessous ? Elle avait perdu la notion du temps, et surtout elle avait du mal à reprendre pied. Cela avait été... irréel. Si elle s'était attendue à vivre ça...
Elle se secoua. Il ne fallait pas s'absenter trop longtemps. A l'aide des quelques pièces qu'elle avait volées plus tôt, elle acheta de quoi manger, et deux grosses couvertures de laine qui sentaient encore bon le mouton. Les rues étaient vides, les gens marchaient vite plutôt que flânaient. On éteignait encore quelques incendies, et les blessés allongés à même le pavé geignaient faiblement, mais Daneva ne pensait qu'à son blessé à elle. Elle acheta aussi une flamme en pot. Ca ne valait pas un bon feu de cheminée et c'était - eurk... - de la magie, mais ça réchauffait assez efficacement si on le tenait serré contre soi et les égouts étaient glacés.
Elle retrouva les ténèbres dans un soupir soulagé, courbée sous le poids de ses emplettes. Elle se hâta. Chad n'avait pas bougé. A l'aide d'une des couvertures et des restes humides de la seconde paillasse, Daneva confectionna une couche quelque peu plus confortable - et sèche. Elle l'y installa sans tarder en prenant soin de ne pas trop le bousculer. Il semblait si paisible désormais... Mais il était glacé. Comme un automate, elle le positionna sur le flanc et lui installa la flamme en pot entre les bras. Puis elle s'enveloppa elle-même dans la couverture restante. Elle était épuisée, et elle avait froid. Sans y réfléchir plus d'une seconde, elle s'agenouilla puis se laissa tomber derrière lui. Comme un animal chercherait la chaleur, elle se pelotonna contre lui et s'endormit aussitôt. |
| | | Chadden Charis
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Dim 5 Déc 2010 - 13:42 | |
| ~ Apoptose - Hexenring ~ Ce fut un sommeil sans rêves.
Plus salvateur que simplement réparateur. Il dormit plus profondément qu'il n'en avait jamais eu l'occasion auparavant. Ce sommeil-là était proche de la mort.
Après un temps qui lui parut être celui d'un battement de coeur - ou bien d'une centaine d'éternités - il rouvrit péniblement les paupières. Tout était noir. Il referma les yeux. La fatigue le tirait encore vers d'autres gouffres, et il dut se faire violence pour ne pas retomber en léthargie.
Ouvre les yeux. Le sang-mêlé cilla un moment. Chercha d'instinct les étoiles au-dessus de sa tête, mais n'aperçut qu'un ciel de pierre humide. Il y avait quelques courants d'air plus vicié que frais, glacé, à secouer légèrement les franges de sa couverture. De sa couverture.
Il tressaillit. Où était-il ? Qu'est-ce qui s'était passé ? Pourquoi n'avait-il pas passé la nuit à la belle étoile comme souvent, ou dans une étable quelconque ? Que faisait ce petit bocal chaud contre lui ? Et qui était cette présence, cette forme endormie et pelotonnée, qu'il sentait confusément serrée contre son dos ?
Le brouillard gris sur ses sens peinait à se lever tout à fait. Il tendit une main vers son propre visage, palpa ses tempes, sa gorge. Il avait de la fièvre. Il était couvert de sang. Son corps le lançait tout entier, glacé, engourdi. Comme s'il s'était privé de nourriture et d'eau pendant des jours. Ou comme s'il s'était vidé d'une grande partie de ses forces vitales.
"Je n'y arriverai pas sans vous."
Rassembler les morceaux de sa mémoire prit un certain temps. Il finit par se rappeler les ruelles, la voleuse découverte en tant que Daneva, l'orage, la fuite, la blessure. La blessure, oui. Avec mille précautions, le jeune bâtard tenta de replier sa jambe meurtrie, pour éprouver la plaie recousue. La douleur se rappela à lui sous forme de petites décharges, mais c'était supportable. A sentir le fil, les points semblaient convenablement serrés. Cela tiendrait. Oui. Cela tiendrait.
Nouvelle inspiration. Les gestes lents à l'extrême, il bascula sur le flanc, tournant tout à fait le dos à l'autre personne - qui devait être Daneva ; à l'entente de sa respiration, c'était une femme, et quelle autre femme aurait-elle bien pu se trouver en sa compagnie dans un moment pareil ?
"Dites-moi ce que je dois faire."
Il roula sur la couchette, grimaça. Plus faible qu'un nourrisson. Ah ! Il avait fière allure, le Vigilant. Tout ce sang perdu vainement... Une belle leçon d'humilité, c'était certain ; mais il fallait remettre à plus tard ce genre de considération mystique. Pour l'heure et avant tout, il mourait de faim.
Chadden tâtonna. Sa besace devait être proche de lui. Quelque part par ici, avec ses fourreaux. D'une main tremblante, il griffa le sol, agrippa l'étoffe, tira à lui ses affaires miraculeusement laissées à portée. Sans prendre garde au fouillis de sa gibecière, il chercha un moment jusqu'à extraire, triomphant, la petite poche de cuir qui contenait quelques lamelles de viande séchée réservées aux longs voyages.
Dans son état, même manger était douloureux. Le goût de la viande paralysa ses papilles pendant un moment. Il s'appliqua à mâcher, refusant l'instinct qui commandait plutôt de tout dévorer sans distinction. Maigre repas, mais cela suffirait pour le moment - avait-il le choix, de toute façon ?
Un peu plus lucide, le jeune bâtard tourna enfin son attention vers sa compagne de calvaire. Il s'agenouilla, se pencha sur elle. Elle était couverte de sang, elle aussi, mais c'était bel et bien Daneva. La voleuse. Accessoirement, la personne à qui il devait d'avoir la vie sauve, désormais.
Cette pensée le laissa songeur. Et, tout en réfléchissant à un moyen ultérieur de payer cette dette importante, il prit le temps de lover la flamme en pot entre les bras de l'endormie, ainsi que de la recouvrir des couvertures dans lesquelles il était auparavant blotti. Transie de froid comme elle était, il espérait qu'un peu de chaleur saurait adoucir son sommeil.
Qu'elle se repose, oui : elle l'avait amplement mérité. Lui, il veillerait, en attendant. Il restait encore de la viande séchée, après tout. |
| | | Daneva
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Mer 15 Déc 2010 - 18:25 | |
| Pour sa part, Daneva eut droit à un sommeil agité d'images farfelues. Elle était de retour en Anaëh, et vagabondait dans la forêt. Ses oreilles s'étaient allongées et pointaient à travers son opulente chevelure, et elle portait avec grâce une robe tissée de soie que les dames elfes affectionnaient. Sa svelte silhouette ondulait entre les arbres comme celle d'un félin. De toute sa voix, elle appelait "Lucas ! Lucas !" et son cri désespéré se répercutait contre le silence de la nature qui, implacable, l'observait.
Puis elle débouche sur une longue étendue herbeuse. Là bas, une falaise. Et la mer, loin en dessous. Nelen. Une croix de bois plantée dans le sol. A son pied, un pendentif, une étoile. Un bébé, aussi, qui s'agite sur le sol en tendant ses bras vers le ciel. Daneva se penche pour le prendre dans ses bras, l'y lover comme dans un cocon et l'entourer d'amour. Mais il se brise, et les morceaux scintillants tombent à ses pieds. Désespoir. Elle se jette à genoux, tente de les récupérer, mais ils se brisent de nouveaux en des dizaines d'autres fragments. Il ne reste plus que de la poussière. Elle pleure.
Soubresaut.
Elle rêva d'une silhouette, sur la falaise. C'était un grand homme, de dos. Il portait les cheveux longs ornés de tresses colorées et de perles de bois qui s'entrechoquaient dans le vent. Calis ? Ce n'était pas Calis. Lorsqu'il se retourna à demi pour la regarder, elle reconnu Chadden. C'était ça, Chadden. Il tenait un long bâton de marche.
De l'autre main, il désigne quelque chose sur le coté. Daneva tourne la tête. Un petit garçon se tient à l'orée de la forêt, et il l'observe. Il doit avoir trois ans. Lucas ! Daneva se lève, d'un sursaut, et se jette en avant. Mais elle trébuche, et tombe. La chute est longue, vertigineuse. Chadden se penche pour l'observer. Il a les yeux tristes, et même si elle est loin désormais, elle l'entend distinctement prononcer cette phrase qui rebondit à chaque recoin de sa tête. "C'est dommage."
C'est dommage.
Daneva force. Elle se concentre, ses traits se tirent. C'est un effort mental colossal. Lentement, sa chute ralentit. Elle ne tombe plus aussi vite. En fait, elle est presque à l'arrêt désormais, et les rochers en bas semblent toujours aussi lointains. Elle crie. C'est difficile. Elle s'agite, et sa volonté se bat contre la fatalité qui la tire toujours plus bas. Furieux coup de jambe. Elle nage littéralement vers le haut, seulement elle commence à comprendre qu'elle n'y arrivera pas, que malgré tout elle a des limites, que tout ça est plus fort qu'elle. A quoi bon ? Elle lâche prise, et sa course vers la mort reprend. Il n'y a plus qu'à attendre désormais. Ce ne sera pas long, en fait ça viendra juste...
Sursaut.
Elle du pousser un petit cri en se réveillant, et manqua de briser la flamme en pot en l'envoyant valdinguer par réflexe. Elle haleta quelques secondes, paniquée par l'obscurité oppressante du sous-sol. Pourtant elle en avait passé des nuits là dessous... Elle avait sans doute perdu l'habitude.
Il y avait quelqu'un près d'elle. Elle battit des paupières, le temps que ça lui revienne. Chadden. La plaie à la cuisse. Le sang, l'orage. Ca y était. Il s'était assis et semblait mâchouiller quelque chose. C'était bien. Il fallait qu'il reprenne des forces, et Daneva était heureuse de constater qu'il avait fini par se réveiller.
Elle frissonna en ramenant les coins de la couverture sur elle pour se maintenir au chaud, tout en essayant de mettre de l'ordre dans ses idées. Ce rêve la laissait désemparée. Surtout, Lucas lui manquait. Qu'était-il devenu, là bas ? Elle se secoua. Ce n'était pas le moment. Elle se tourna vers Chadden. Ses yeux commençaient à distinguer les formes dans le noir, mais rien de très précis. Elle leva une main pour toucher son visage. A tâtonnements, elle chercha son front et y déposa ses doigts pour en éprouver la chaleur. Il était moite et brûlant. Pestant entre ses dents, elle se leva dans un grognement et se saisit à gestes hésitants son sac, d'où elle sortit la miche de pain qu'elle avait acheté plus tôt.
- Mangez ça.
Elle ne savait pas trop si il allait deviner sa main tendue dans le noir, néanmoins tenta le coup. Puis elle se remit à farfouiller.
- Ca, aussi.
Quelques fruits secs. Ca devrait le requinquer pour le moment.
- Allongez-vous.
Elle l'y aida d'une main sur l'épaule, l'autre venant recueillir sa tête pour la déposer doucement sur la couverture. Daneva était une infirmière autoritaire et organisée. Douce aussi, lorsque de ses doigts tremblants elle vint effleurer la plaie pour vérifier que le fil n'avait pas cédé. Tout allait bien de ce coté là. Elle s'autorisa un soupir de soulagement.
- Comment vous sentez-vous ?
C'était peut être par ça qu'elle aurait du commencer, à réflexion. En tout cas il faudrait bien remonter à la surface un jour. Rester confiné dans les égouts avec une plaie à vif ce n'était pas tout à fait encouragé si on souhaitait éviter l'infection. Daneva, pour le moment, ne voyait pas plus loin. |
| | | Chadden Charis
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Lun 3 Jan 2011 - 20:01 | |
| ~ Brendan Perry - Crescent ~ La voilà réveillée.
A mesure que ses forces lui revenaient, galvanisées tant par le sommeil que par la nourriture qu'il ingurgitait lentement, Chadden reprenait peu à peu le contrôle de ses sens. L'ouïe, tout d'abord, affûtée comme une lame, qui guettait le silence. S'attachait au plic-ploc régulier d'un liquide invisible dans les profondeurs. Furetait vers la surface, guidée par les murmures incertains captés de temps à autre.
L'odorat ensuite. Toutes les effluves étaient teintes de sang. Parfum lourd, écoeurant, omniprésent. Il y avait cependant une odeur d'air, fraîche encore, chargée de l'humidité tant du dedans que du dehors - souvenir de pluie, sans doute. Cette fragrance plus que toute autre lui fit regretter d'avoir ce plafond ténébreux au-dessus de sa tête. Chadden n'était pas un animal cavernicole, définitivement pas. Le ciel lui manquait déjà terriblement. Le vent et les étoiles d'avantage encore.
La vue. Dilatées à l'extrême, ses pupilles captaient la moindre étincelle de lumière, si ténue fut-elle, pour la distiller et en peindre ce qui l'entourait. Quelques points de fatigue avaient beau danser devant son regard, il distinguait confortablement les alentours immédiats. Et c'était sur la silhouette endormie de Daneva qu'il avait concentré toute son attention, depuis ses petits tressaillements de sommeil jusqu'au rythme parfois saccadé de sa poitrine.
Aussi ne fut-il pas surpris lorsqu'elle émergea brutalement de sa torpeur.
Un temps. Silencieux, Chadden patienta, qu'elle prenne ses repères, qu'elle rassemble ses idées - lui mangeait, toujours, aussi impavide qu'à l'ordinaire.
De fait - et cette constatation l'amusa, à tout prendre - ce fut vers lui que les priorités de la jeune femme s'orientèrent rapidement.
Une main sur son front. Du pain frais dans les siennes - de mains. Une poussée douce mais volontaire pour le faire se rallonger. Des ordres. Elle était touchante, à se montrer aussi maternelle. Il avait du vraiment l'effrayer, dans son état de la veille. Qui ne l'aurait pas été ?
- Allongez-vous. - Je risque d'avoir un peu de mal à manger une fois allongé, rétorqua-t-il tranquillement, en repoussant avec douceur la main qui tentait de joindre l'acte à la parole. Laissez-moi un moment."
Puis :
- Je vais bien."
Paisible, posée, la voix. On y devinait même l'ombre d'un sourire, et un remerciement tacite. Je vais bien, grâce à vous. Manière aussi de la rassurer, et d'éviter qu'elle ne se sente contrainte à le prendre encore en charge.
Il avait sa fierté, après tout.
- Il me faut encore un peu de temps. Une bouchée de pain. Mais je devrais pouvoir tenir debout bientôt. Ou essayer. Un silence. Daneva put deviner les yeux luisant en facettes fixés sur elle, intenses. Navré de vous avoir causé du souci, et merci, une nouvelle fois. Puis un sourire. Je vous dois la vie." |
| | | Daneva
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Mar 11 Jan 2011 - 10:04 | |
| Il allait bien. Il allait bien. Daneva ramena ses jambes sous elle et s'assit à coté de lui. Elle inspira longuement. Dans ce noir presque absolu, elle se sentait oppressée, dans un néant sans limites ni réalité. C'est pourquoi elle posa une main sur son épaule et la serra doucement. L'étoffe humide de sueur exhalait une chaleur réconfortante. Il y avait un corps là dessous, et il allait bien.
- J'ai eu très peur pour vous.
Elle chercha un repère visuel, et le trouva en une raie de lumière ténue qui filtrait d'un soupirail.
- Je sais tailler la chair, la faire saigner. La recoudre, la soigner... Ce n'est pas dans mes compétences en temps normal. Vous êtes très mal tombé. Je suis navrée de vous avoir frappé. Et de... d'avoir cherché à vous voler.
Elle ne rougit cependant pas de honte à l'évocation de cet incident. Elle assumait ses actes, jusqu'au bout. Navrée d'avoir cherché à le voler lui, mais elle n'aurait eu aucun remords à délester n'importe qui d'autre de sa bourse. Elle avait fait ça toute sa vie, par besoin ou par plaisir. Ca lui était arrivé de tomber sur un os, comme ce soir, et de frôler la catastrophe, mais elle s'en était toujours assez bien tirée.
En tout cas, curieusement, elle éprouvait un certain soulagement à être tombée sur lui ce soir. Si bien qu'elle pensa à voix haute.
- Vous êtes parti si vite, à Nelen. Par la suite je me suis demandée si vous aviez seulement jamais vraiment existé.
Elle secoua la tête. C'était stupide de dire ça. Cette rencontre l'avait troublée, et si par la suite elle avait eu bien d'autres choses à penser, elle n'avait jamais oublié Chad, sa pelisse et sa tisane.
Prise d'une soudaine inspiration, elle passa une main sur la peau de sa hanche droite, là où la lame de la dénommée Manta l'avait effleurée plus tôt. Rien que la surface lisse d'un épiderme sain. Elle fronça les sourcils. Elle n'avait pas rêvé pourtant, et elle sentait encore le sang encrasser ses chausses. Encore une diablerie ? Il faudrait qu'elle regarde tout ça à la lumière, avec un miroir. Elle n'aimait pas ça du tout, mieux valait selon elle une bonne cicatrice plutôt qu'une fichue guérison magique.
- Je vous dois la vie.
Elle se crispa.
- Vous ne me devez rien du tout. C'est moi qui vous ai frappé, je n'ai fait que réparer les dommages que j'avais moi-même causés... chez un ami.
Elle laissa retomber sa main sur ses genoux et entremêla ses doigts.
- En revanche après ça, vous me devez un peu plus de vous-même. Un sourire. Je ne sais de vous que vous ne rechignez pas à prêter main forte à qui le demande, même ceux qui vous offensent d'entrée de jeu. |
| | | Chadden Charis
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Ven 14 Jan 2011 - 19:48 | |
| ~ Qntal - Winter ~
- Je sais tailler la chair, la faire saigner. La recoudre, la soigner... Ce n'est pas dans mes compétences en temps normal. Vous êtes très mal tombé. Je suis navrée de vous avoir frappé. Et de... d'avoir cherché à vous voler. - Excuses acceptées."
Il continua de manger, l'appétit restreint à présent que l'urgence n'était plus. Son dos trouva un appui contre la paroi derrière et, tout en savourant l'acidité des fruits comme s'il s'agissait de son premier repas sur terre, son premier en tant qu'être rescapé des bras de la mort, le bâtard ferma les yeux. La main fermée sur son épaule le fit à peine tressaillir. Tacitement, il acceptait le contact, même si l'espèce d'intimité qu'il induisait faisait naître en lui une sorte de malaise.
Son esprit se projeta dans le passé, et il fouilla les recoins de sa mémoire. Combien de temps, depuis la dernière fois où quelqu'un avait posé sa main sur lui de cette manière ? C'était si lointain, si confus. En général, c'était lui, désormais, qui apportait aux autres le réconfort et la sécurité. C'était lui, la main qui apaisait, lui encore, la main qui soutenait. Toute cette longue abnégation avait couvert ses sens d'une sorte de coquille d'indifférence et d'insensibilité. Paradoxal, mais pas tant. L'on devient indifférent à son propre ressenti lorsqu'on dévoue son existence à panser celui des autres.
Chadden déglutit, se secoua faiblement. Dia, qu'il détestait être en position de faiblesse... Cela lui paraissait presque contre-nature. Une main libre s'en alla palper sa blessure recousue, pour jauger de son état et de la douleur qu'elle lui infligeait. De plus en plus supportable, semblait-il. Mais probablement était-ce là dû au relâchement de la tension.
- Vous ne me devez rien du tout. C'est moi qui vous ai frappé, je n'ai fait que réparer les dommages que j'avais moi-même causés... chez un ami. - S'il est vrai que nos deux rencontres ont pu tisser quelques liens, il faut bien du temps pour construire une amitié, murmura le sang-mêlé en retour. Ne l'évoquez pas ainsi. Il est trop tôt."
Il eut même, brièvement, l'envie de retirer cette main trop aimable posée sur lui - mais se retint. D'une part, elle l'aurait peut-être mal pris. D'autre part, il était grand temps que lui - Chadden - acceptât d'être le réconforté, de temps à autre.
La faim convenablement satisfaite, le jeune voyageur tendit le reste du pain à sa compagne d'infortune. Celle-ci avait repris la parole, d'un ton où il sentait poindre comme une ombre de sourire.
- En revanche après ça, vous me devez un peu plus de vous-même. Je ne sais de vous que vous ne rechignez pas à prêter main forte à qui le demande, même ceux qui vous offensent d'entrée de jeu. - Ah..."
Ici, Chadden se fit tout à fait rêveur.
- ... Je ne sais quoi vous dire. Que voulez-vous savoir de moi ? Devrais-je parler des chemins que je tutoie depuis bien des années ? Des familles que j'ai connues, défendues, aidées ? Aucune de celles-ci n'était véritablement la mienne... Ses yeux se rouvrirent, fixés sur rien. Si courte soit-elle, votre phrase me définit assez bien. Je suis la main qui défend. Il y a longtemps de cela, j'ai décidé de me mettre au service du peuple, de toutes les façons qui m'étaient accessibles. J'ai appris à me défendre, et à défendre les autres. C'est pour cela que je suis fait. Qu'y a-t-il d'autre à savoir ?" |
| | | Daneva
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Jeu 27 Jan 2011 - 22:22 | |
| La remarque de Chad fit tiquer Daneva. Elle se redressa, et regretta l'absence de lumière sans laquelle elle aurait pu le toiser de son regard le plus pénétrant. Sa voix se fit un peu plus sèche, un peu plus rauque.
- Je n'ai pas le temps d'attendre de tisser quoi que ce soit de plus avec le gens. Vous êtes soit un ami, soit un ennemi. Ou bien vous n'êtes rien. Soyez heureux ne pas être rien. Vous vous seriez vidé de votre sang dans l'ombre d'une ruelle de Diantra si cela avait été le cas.
Elle se frotta les yeux, et poussa un soupir.
- Ce genre d'aide, je ne l'apporte qu'aux amis.
Il était évident qu'elle ne souhaitait plus en discuter. Elle avait perdu l'habitude d'écouter les gens, et plus encore de recevoir des directives sur sa façon de penser. C'était elle qui les donnait, les directives.
Elle mâcha. Le mouvement lent de ses mâchoires la détendit un peu. C'était bon de malaxer la mie de pain, la faire rouler sur sa longue puis la déchirer encore. Cela donnait plus de réalité à... tout ça. Elle en avait presque oublié ce pourquoi elle était en ville.
Il réagit bizarrement à sa remarque suivante. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était connaître un petit bout de lui, rien de plus. Il semblait réticent, comme si elle venait de lui demander quelque chose de très intime. Hésitations, longueurs... Elle n'en fut qu'intriguée davantage, et tendit l'oreille vers le son de sa voix avec impatience mais rien ne vint la sustenter sinon quelques vagues indices.
- Vous restez un mystère. On ne peut pas résumer sa vie à ces seuls quelques mots. Vous êtes bien davantage, Chad, je ne mérite seulement pas encore de vous connaître.
Pour mettre fin à la discussion, elle se leva. Les affaires furent rapidement rassemblée, les sacs gonflés, les couvertures pliées. Elle s'affairait avec efficacité malgré la pénombre, et bientôt tout fut près. Elle retourna auprès de lui, ramassant les reliefs de leur maigre repas.
- Vous pouvez marcher ? Je pense que l'orage est passé. Ca ne dure jamais... |
| | | Chadden Charis
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Mar 1 Fév 2011 - 10:45 | |
| ~ Corvus Corax - Tourdion ~ Ne pas insister. Première règle de la sagesse face aux personnes sûres d'elles, sûres de leur fait, sûres de leur bon droit. L'insistance et le verbiage sont privilèges de sang-bleu. Chadden n'était friand ni de débats ni de rhétorique ; et ni l'endroit ni les circonstances ne se prêtaient à ce genre d'exercices. Bast ! N'en parlons plus. A tout prendre, la décision de Daneva à son endroit n'était-elle pas des plus favorables et des plus positives ?
- Ce genre d'aide, je ne l'apporte qu'aux amis."
Bien. Le bâtard hocha la tête, fit craquer une dernière fois le pain sous ses dents, et ne répondit que par un silence de consentement. Elle était bien une fille du peuple, à la logique simple, basique et rassurante. En cela, oui, il pouvait bel et bien se considérer comme un ami.
Mais pas au point de faire d'elle sa confidente.
- Vous restez un mystère. On ne peut pas résumer sa vie à ces seuls quelques mots. Vous êtes bien davantage, Chad, je ne mérite seulement pas encore de vous connaître. - Aye... Il haussa les épaules, plus serein ; et si les yeux de Daneva avaient été capables de percer la pénombre, ils auraient vu se dessiner un très léger sourire, teinté d'amusement. Vous savez l'essentiel. Le détail viendra peut-être. Plus tard. Ailleurs."
Se faisant distraite sur la fin, sa voix mourut. A la place retentirent le bruissement de l'étoffe et le raclement du cuir, tandis que, sur la question de la jeune femme, il commençait à se redresser prudemment. Une main contre la paroi en arrière, le sang-mêlé se déplia. Avec précaution, le dos roula, les jambes s'étirèrent. Lorsqu'il estima que son équilibre avait atteint une pérennité satisfaisante, Chadden claqua de la langue.
- Je pense, dit-il, que ça ira. Elle avait déjà rassemblé toutes les maigres affaires disposées dans la pièce, et s'affairait à nouer les sacs. Vous pouvez me donner ma besace et mon bâton ?"
Il ne leur fallut que quelques instants supplémentaires pour être prêts à quitter les lieux. Quelques sombres étincelles dansaient encore devant les yeux du bâtard, mais tout autant que la douleur tapie dans la blessure fraîchement refermée, ce serait là un désagrément qu'il devrait pouvoir supporter le temps nécessaire.
Dehors, le ciel était encore maussade. Gris et gonflé. La cité portait ici et là les cicatrices de la tempête, mais même ces marques-là finissaient par disparaître aux aléas des passants et commerçants. Diantra ne saurait rester immobile et silencieuse ; et si les caprices du ciel guettent encore, elle continuera de les braver tout le temps que cela lui sera possible.
Chadden eut un vague regard de regret dans la direction du Fort, avant de se considérer lui-même. La fourrure de sa pelisse était rougie par endroits ; ses mains craquelées de sang ; et que dire de ses chausses... Il soupira.
- Misère... L'oeil gris glissa vers Daneva. Je vais encore avoir besoin de vos services. Pourriez-vous m'aider à sortir de cette cité ?"
|
| | | Daneva
Ancien
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Lun 14 Fév 2011 - 14:26 | |
| Il s'extirpèrent des sous-terrains en clignant des yeux, le regard encore trop habitué à l'obscurité pour supporter d'emblée la luminosité pourtant faible de l'après-midi orageuse. Daneva secoua la tête, presque sonnée par le choc du retour au monde des vivants. Là bas un sergent beuglait des ordres à ses soldats, ici un groupe de femmes se lamentaient en triturant des cendres encore chaudes, et là les marchands rouvraient précautionneusement leurs étals. La réalité envahissait de nouveau l'espace. Son nez frémit en analysant les odeurs qui lui venaient. Cendre, égouts, sueur... Sang. Elle baissa les yeux. C'était elle qui puait le sang. Chadden aussi avait mauvaise mine. Ils étaient tous les deux tâchés de fluide sanguin, lui surtout au niveau des jambes, elle le long de ses bras et sur le devant de son corset. Pour le moment cela paraissait tout à fait normal, mais la vie reprenait son cours et bientôt ils seraient vus, remarqués, et jugés. Autant que possible, Dane souhaitait éviter d'attirer l'attention, c'est pourquoi elle acquiesça à la demande de Chadden.
- Suivez-moi.
Elle avait cru un moment qu'ils allaient se séparer, ainsi, au milieu de la ruelle. Le laisser partir à nouveau paraissait assez incongru à Daneva. Le seul fait de l'avoir rencontré le soir précédent la confortait dans l'idée qu'il y avait quelque chose qu'elle *devait* élucider à son propos. Pourtant il ne lui venait même pas à l'idée de lui demander de l'aide, encore. Elle en aurait eu bien besoin, et un peu de compagnie amie ne lui aurait pas fait de mal non plus, mais la nuit sur Nelen la retenait. Elle s'était trouvée si pitoyable, si faible devant lui, et assumait assez peu d'avoir eu à lui demander autant d'entrée de jeu.
Il se glissèrent entre les habitations, bifurquèrent de rues en rues, évitèrent les grandes places - un tic dont Dane n'arrivait pas à se défaire... La jeune femme connaissait la ville comme sa poche. Elle y avait assez travaillé pour pouvoir se repérer en quelques secondes, elle savait où patrouillaient les militaires, où trouvaient les marchands les plus riches et où chaparder la meilleur brioche. Diantra avait été son foyer pendant quelques années et elle avait du apprendre à en maîtriser tous les aspects. Cela du se traduire par son aisance à se diriger au sein de ces veines brûlantes de vie, à s'esquiver comme un chat à la vue d'une patrouille, à se glisser entre deux tas d'ordures pour emprunter un passage discret... Bien qu'exilée de longues années dans la nature, Dane restait un félin de ville, définitivement
Bientôt, ils furent aux portes. Le flux était plutôt important à cette heure du jour, malgré la tempête de la veille, et ils n'eurent aucun mal à franchir sans encombres l'obstacle que représentaient les deux rangées de gardes royaux de part et d'autre de la route.
- Comment va votre jambe ? demanda-t-elle alors qu'ils continuaient leur chemin vers les plaines verdoyantes qui cernaient la cité. |
| | | Chadden Charis
Ancien
Nombre de messages : 274 Âge : 39 Date d'inscription : 24/07/2008
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Sam 26 Fév 2011 - 21:11 | |
| ~ BSG OST - A Promise to Return ~ Sang et cendre... Le spectacle d'une ville foudroyée avait toujours quelque chose de fascinant, d'exaltant, malgré les pertes et l'horreur. Les yeux du jeune bâtard errèrent sur les décombres tandis qu'ils progressaient tous deux dans les rues à peine animées, croisant ici ou là les cicatrices de la fureur du ciel. Entre les murmures, les plaintes ; et le bruit du verre brisé que l'on fait crisser sous la semelle faisait harmonieusement écho aux débris entassés sans douceur dans cette échoppe-ci.
Ils ne déparaient pas trop, tous deux, avec leurs vêtements abîmés et leurs yeux qui peinaient à se remettre de l'obscurité. Pour le moment. Si l'attention des citadins ne faisait que glisser sur eux, elle risquait de finir par se focaliser de désagréable façon une fois l'ordre revenu. Fort heureusement, Daneva avait saisi cela. Répondant favorablement à la demande de son compagnon d'infortune, elle l'entraîna à travers le dédale des ruelles sans plus attendre.
Si sa jambe le tirait d'une manière insistante et peu agréable, Chadden ne put qu'apprécier les précautions prises par la jeune voleuse. Ainsi, ajoutant détour sur détour, ils évitèrent la foule autant que faire se pouvait jusqu'à parvenir - enfin - au bord du seuil de la grande Diantra. Ici, il n'était plus question de fuir le contact des autochtones ; il allait leur falloir louvoyer. Bousculant, bousculés, les deux compères accomplirent sans trop de mal la traversée de cette grande mer humaine, franchissant sans encombre le cap des armures rutilantes qu'exposaient les gardes à la vue de tout un chacun - tandis qu'ils auraient été bien plus utiles à remettre un peu d'ordre dans la cité hagarde.
Le bâtard sourit amèrement à cette pensée alors que le paysage autour d'eux s'évasait. Il ne put masquer un certain soulagement à laisser dans leur dos les murailles altières, et les murs blancs des citadelles. Si Daneva était une créature des villes, lui demeurait homme des campagnes. Son pas, quittant le pavé, retrouva avec bonheur la boue et la poussière des routes.
- Suffisamment bien pour marcher, répondit-il une fois que le vacarme d'une charrette croisée dans leur périple se fût estompé. Vos points tiennent très bien. Un coup d'oeil vers le ciel, toujours nuageux. Vous feriez une bonne guérisseuse."
Le ton calme et l'expression neutre n'aidèrent pas à déterminer si le bâtard plaisantait ou non dans sa réplique. Haussant légèrement les épaules, Chadden adopta un rythme de marche un peu plus soutenu - que n'aurait aucun mal à suivre sa compagne de voyage. Le bâton claquait au sol, régulier et rassurant.
- Hmmm... Non loin d'ici, se trouve l'une de mes caches. J'aurai de quoi me rendre un peu plus présentable."
Fermant les deux paumes sur la hampe de son bâton, il s'arrêta cette fois-ci, et pivota pour faire face à la jeune femme. Dans l'allure, dans le regard et dans la posture, était de retour l'homme de la plage, le guerrier précis et attentif, distant dans ses propos. S'il avait été plus accessible le temps de la blessure, Chadden semblait avoir dressé une nouvelle barrière - quoique inconsciemment - entre eux. Rien qui n'eût réellement trait à la méfiance, en vérité ; c'était bien plus profond que cela.
- Je ne veux pas vous retenir d'avantage, si vous avez d'autres objectifs. Coup de menton vers la cité, derrière eux. Vous m'avez beaucoup aidé, je devrais pouvoir me débrouiller seul. Mais je reste votre débiteur. S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour vous remercier, dites-le moi."
|
| | | Daneva
Ancien
Nombre de messages : 6546 Âge : 33 Date d'inscription : 20/11/2007
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Ven 11 Mar 2011 - 23:58 | |
| Il était temps de se séparer. Daneva leva vers Chadden un regard fatigué. Le ciel avait retrouvé une couleur normale et la vue de la campagne environnante lui donnait envie de respirer à pleins poumons. Il y a quelques années elle n'y aurait pas été aussi sensible, mais après tout ce temps passé en Aleandir elle avait appris à apprécier ce genre de choses. Ils venaient de vivre un enfer au plus profond de la ville, cela devait jouer aussi.
- Soit.
Ses pieds s'enfoncèrent dans la boue tandis qu'elle se tendait sur le chemin, campée fièrement malgré des épaules affaissées par l'angoisse de ces dernières heures que même son sommeil agité n'était parvenu à estomper. Chad avait retrouvé de sa prestance d'antan, c'était comme si le souffle du vent lui avait redonné un peu de vie. A le voir se tenir si droit sous les bourrasques, elle savait qu'il irait bien. Il était en territoire connu désormais, et Dane n'avait plus grand chose à lui apporter. Diantra, dans son dos, l'appelait de ses devoirs et des corps encore vivants des hommes qu'elle traquait qu'elle devait transformer en autant de cadavres. Elle pouvait en revanche palper l'attraction qu'exerçait la nature sauvage sur le voyageur qui lui faisait face. Il devait partir, et elle comprenait.
- Il y a bien quelque chose qui pourrait vous intéresser. Si du moins vous avez besoin d'argent... J'ai eu vent de l'organisation d'un certain travail, avec quelques mercenaires du coin. il s'agirait de récupérer des pots de vins en livraison, quelque part sur la route vers Anaëh.
Elle ferma les yeux à demi, éblouie par le soleil. D'une main rougie de sang, elle dégagea une mèche de cheveux que le vent avait fait tomber devant ses yeux. Cet argent, elle en avait besoin pour mener ses projets à terme, et elle savait d'expérience que compter sur l'efficacité de mercenaires lambdas était illusoire. Si Chadden s'invitait, ça ne serait pas pareil. Et puis, elle était de plus en plus intriguée par ses manières. La nuit de leur rencontre, elle lui avait demandé si il savait se battre. Le soir d'avant, elle avait bien failli l'expérimenter elle-même... Peut être aurait-elle la chance de le voir en action, contre de vrais ennemis. Elle savait qu'elle ne serait pas déçue. Il n'y avait qu'à le regarder marcher...
- Je partirai demain, à l'aurore. Rejoignez-moi à la porte est si le travail vous intéresse. Sinon, hé bien... Je vous souhaite une bonne route.
Une moitié de sourire, un regard en coin. Les rayons de lumière l'aveuglaient toujours autant, et elle joua là dessus pour ne pas avoir à le regarder franchement dans les yeux avant de faire volte-face. |
| | | Chadden Charis
Ancien
Nombre de messages : 274 Âge : 39 Date d'inscription : 24/07/2008
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| Sujet: Re: Elle rêve [Terminé] Mar 15 Mar 2011 - 14:31 | |
| ~ This Morn Omina - Oddua ~
Chose étonnante de voir à quel point certains adieux peuvent se ressembler parfois.
Point de pas de porte entre eux ; c'était pourtant comme s'il venait, déjà, de se tracer une ligne bien distincte entre leurs deux chemins. Soudain las, Chadden porta la main à son front et dispersa, machinal, les quelques mèches sombres qui y étaient demeurées collées. Ce geste anodin fut comme une excuse, un prétexte à garder le silence alors que la voix de la jeune femme, par intermittence, s'élevait.
Qu'est-ce qui dérangeait, dans les rapports entretenus avec la soit-disant voleuse ? Pourquoi avait-il, ici comme la fois dernière, cette espèce de goût d'inachevé, cette sensation perpétuelle de manque qui lui faisait fouiller avec plus d'intensité l'oeil de son interlocutrice et guetter, avec insistance, d'autres dires dans ses silences ? Il n'était pas question de trouble, pourtant. Il s'agissait d'autre chose. Du fait d'avoir partagé avec cette étrangère ses forces et ses faiblesses, sa vérité brute, d'avoir été tour à tour la main qui se tend et celle qui empoigne. L'aide puis l'aidé. Oui. Ce genre de partage absolu que l'on n'accorde pourtant qu'aux rares alliés, et qu'ils avaient l'un l'autre échangé avant même que ne soient tissés les premiers rapports de confiance.
Il était là, précisément là, le manque. Lui aussi voulait connaître d'elle plus qu'un nom, plus qu'une allure, plus qu'un titre, bien qu'il sache déjà d'avantage que ce que des mots n'auraient jamais pu traduire. La colère, la douleur, la méfiance, l'attention. La peur. Autant de tableaux peints sur le vif, embrassés du regard avant que l'esprit n'ait eu le temps de les apprivoiser. Il était là, le manque. Un équilibre à rétablir.
Et Chadden se prit à sourire, alors que le silence entre eux s'éternisait. Pourquoi pas, après tout ? L'argent ne serait pas de trop, pour les projets qui lentement s'échafaudaient sous son crâne.
- J'y serai", laissa-t-il simplement tomber, placide.
C'était un accord, et c'était une promesse. Plus encore, c'était une occasion de mettre en ordre ce qui ne l'était pas, d'obtenir réponse et de disperser cette tenace impression de vide. Par conséquent, cela ne pouvait qu'être une bonne chose.
Sans plus rien ajouter et sans plus attendre, le bâtard tourna les talons. Devant lui étaient le ruban de la route et le moutonnement des vallées. Il lui faudrait quelque temps pour se reposer et retrouver une allure présentable, comme l'exigeait l'urgence du moment.
Demain attendrait bien. |
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