On joue au voleur ? [Valkayre]

Il eut un mouvement de recul lorsque Dane lui toucha la joue, et cela lui fit froncer les sourcils. Qu’avait-elle donc fait pour lui déplaire ? Conciliante, elle remit sa main dans sa poche et l’observa d’un œil inquiet. Elle brûlait d’envie de le questionner sur ses aventures en territoire drow, mais ne le fit pas. Pas tout de suite…

-Au fond je ne suis qu’une gamine qui joue encore à braver l’interdit… Et la Compagnie ne fait rien pour alléger cette tendance.

Comme pour prouver ses propos, avec une nuance de provocation, elle profita du fait qu’un autre passant la bouscule pour lui subtiliser quelques piécettes en effleurant sa bourse. Sous le regard de Valkayre, elle ajouta cette petite somme à son butin en affichant une mine réjouie. Intriguée, elle le suivit sur le toit de l’établissement et observa avec lui l’immensité du marché.

-Ces nobles ont les poches plus remplies, voilà tout. Tu préfèrerais que je me charge de délester celles de pauvres mendiants ? Quand à ma beauté, ces gens là la méritent bien plus que d’autres, qui eux n’ont pas fait que la regarder…

Elle se rembrunit quelques instants, et s’assit à coté de lui sur les tuiles chaudes. Il venait de faire remonter en elle de biens vilains souvenirs, et l’évocation de Calis juste après ne suffit pas à la faire sourire.

-Forte comme l’océan, si seulement c’était vrai… On raconte des choses bien indiscrètes à tes oreilles, mon ami.

Pensive, elle joua du bout des doigts avec le pendentif qu’elle portait autour du cou, un cadeau de l’assassin blanc quelques temps avant qu’il ne s’en aille jouer les héros chez les elfes noirs.

-Tu te souviens de notre rencontre ? La situation était bien différente…

Daneva caressait avec tendresse la main de Valkayre, qu’elle avait prit entre les siennes. Il avait toujours eu les mots justes et sa réflexion poussait souvent les gens à se poser les bonnes questions. Elle fronça les sourcils, le regard perdu quelque part au milieu des tuiles brûlantes. Si seulement il avait tord… Dane n’aurait pas supporté de se rendre compte de la perte de sa chère liberté. Pourtant, il avait raison : la Compagnie était devenue sa raison de vivre. Ou du moins, l’une de ses raisons… La deuxième se nommait Calis. Regrettait-elle sa vie d’avant ? Celle où certes, elle volait pour son propre compte, n’avait pas à se soucier de décisions importantes autres que celles qui concernaient sa propre vie, papillonnaient ça et là à sa guise… Celle où cependant elle n’avait pas sa force actuelle, celle où les hommes pouvaient abuser de son corps sans réelle difficulté, celle où parfois se nourrir était peu aisé, où il lui arrivait de passer la nuit en prison…

-J’ai… J’ai peut être échangé une certaine forme de ma liberté contre… la vie que je mène actuellement. Tu ne sembles pas en avoir l’impression, Valkayre, mais je suis heureuse telle que tu me vois. Mon mode de vie me satisfait, bien que certaines choses soient difficiles de temps en temps. J’ai prit de l’importance, on m’obéit, les problèmes qui autrefois me paraissaient insurmontables me sont aujourd’hui broutilles… C’est tellement plus facile. Et puis il y a mes projets… Des promesses d’une vie encore meilleure ! Chaque jour, mon organisation s’enrichit un peu plus. Dans peu de temps, les Silencieux pourront prétendre avoir retrouvé leur prestige d’antan. Et c’est moi qui…

Elle se tut brusquement. Un pas de plus, et elle dévoilait à son ami sa véritable place au sein de la hiérarchie de la guilde… Non pas qu’elle ne lui faisait pas confiance, mais avait-il réellement besoin de le savoir ? Une telle information arrivant aux mauvaises oreilles pouvait entraîner la chute immédiate de la Compagnie, et sûrement la mort de Daneva. On ne plaisantait pas avec ces hommes là, elle se trouvait dans un sacré pétrin. Et puis Valkayre se ferait du soucis, tel qu’elle le connaissait. Il semblait lui aussi avoir des responsabilités, il était inutile de le charger davantage. Dane savait tellement bien que certains poids étaient bien lourds à porter…

Désorientée, elle prit son visage entre ses mains et expira longuement. Son visage reflétait sa fatigue et ses soucis. Tout n’allait pas si bien… Il y avait des tas de problèmes auxquels il fallait remédier, comme par exemple cette sale histoire de bateaux, ou encore celui de la contamination… Parfois, Dane avait l’impression de ne pas être à la hauteur, de marcher sur un fil trop fin pour elle, sur lequel elle se maintenait tant bien que mal tout en sachant qu’il faudrait bientôt tomber…

Au bout de quelques instants, Valkayre reprit la parole. Lui aussi avait l’air soucieux… Daneva se releva pour se mettre en face de lui. Encore des adieux. Elle détestait ça… Il prit sa main pour la poser sur son cœur, et le sentit battre dans sa poitrine. Un ultime contact ? Emue, elle l’écouta parler, la quitter encore une fois.

-Ce n’est pas la première fois que je te le dit Valkayre, mais nos destins sont liés, et cela tu ne peux pas l’ignorer. Il faudra bien de nous nous croisions une nouvelle fois… Où et quand, cela ni toi ni moi ne pouvons le décider, mais je suis sûre de revoir un jour ton visage. Vas donc, puisque ma présence te trouble et semble nuire à tes desseins, mais ne me demande pas de t’oublier. Il y a longtemps que j’en suis incapable…

Il la tenait par les hanches. Le fait qu’il se permette un tel geste signifiait bien qu’il ne comptait pas la revoir, et que son attachement était plus grand qu’il ne voulait l’avouer. Ainsi son insulte, quelques minutes auparavant, n’aurait été qu’une parole d’homme jaloux… Daneva ne l’aimait pas comme elle aimait Calis, mais il ne faisait aucun doute qu’une relation bien plus passionnée aurait pu se tisser entre eux si ils avaient été moins différents. Cependant ils avaient tous deux des obligations qui pesaient sur leurs épaules, ce qui les rapprochait. Sous son capuchon, Valkayre laissa couler une larme. Touchée, Dane lui caressa doucement la joue et resta silencieuse, incapable de trouver les mots correspondant à sa pensée.

Finalement, il s’écarta et sauta sur un autre toit avec l’agilité de l’habitude. Il ferait de grandes choses, et il en serait suremement de même pour Daneva. L’homme qu’elle regardait, ombre blanche illuminée par l’astre rayonnant, était un seigneur de guerre, puissant et respectable. Elle n’avait aucun mal à imaginer Valkayre ainsi, il en avait la carrure. Tentant de dissimuler ses émotions derrière un masque d’impassibilté, Dane lui adressa un signe de la main.

-Je serais à Nelen avec les Silencieux ! N’oublie pas que tu as là bas une alliée, Valkayre !

Puis plus bas, plus pour elle-même que pour l’assassin…

-Nous nous reverrons.

Cela, elle n’en doutait pas. Longtemps après qu’il soit parti, elle resta assise sur le même toit à jouer de ses doigts avec le pendentif, contemplant les habitants de la ville vaquer à leurs occupations. Il fallait remettre un peu d’ordre dans ses pensées, ce qu’elle tentait de faire. Cette rencontre avec Valkayre l’avait surprise et réjouie, mais la fin la laissait seule et désemparée. Elle avait besoin de sentir les bras de Calis serrer sa taille, et d’entendre sa voix lui murmurer des mots tendre, pour oublier l’assassin blanc et ses paroles si justes. Lentement, son corps finit par se déplier douloureusement et elle sauta dans la foule rejoindre ses responsabilités, sa vie.