Mémoires et souvenirs

Skarn s'assit lourdement sur la chaise, restant silencieux quelques instants, souriant de manière franche, observant son interlocuteur. Ce dernier, un peu plus petit que lui, et sans doute plus agé, le regardait, plein de nostalgie, et d'étonnement. Les rayons du soleil percant à travers les fenêtres de la caserne éclairaient de manière étrange le visage du vieux sergent, dont les traits burinés ressemblaient à des montagnes centenaires. Il versa un peu de lait dans le verre de Skarn.

"Ca fait quand même bizarre de vous voir... capitaine ?"

"Je suis colonel maintenant. Mais vous pouvez me tutoyer Bjorn. Même si j'était Roi et vous, toujours sergent, vous resteriez mon supérieur." répondit poliment Skarn, avant de boire le lait avec appétit.

"Colonel... le temps passe bien vite. Avant, tu m'arrivais à l'épaule, t'avais quel âge, 17, 18 ans ? Et te voilà colonel, assez fort pour porter la vieille carcasse que je suis..."

Comme si celà le déprimait, le sergent Bjorn bu son pichet de vin presque cul sec. Voilà un domaine ou Skarn resterait éternellement inférieur. Skarn ne prenait jamais d'alcool.

"Enfin bref, je suppose que tu ne viens pas rendre visite à un quasi-retraité par pur plaisir, n'est ce pas? Que cache tu encore mon Skarnichou? "

"Skarnichou" fronca les sourcils, même si Bjorn était le seul qu'il autorisait à utiliser cette boutade datant d'il y a presque 15 ans désormais. Il porta sa main à l'intérieur de son manteau et en sortait quelques feuillets, qu'il présenta au sergent. Ce dernier les luts quelques instants, haussant les sourcils. Il haussa la voix, lisant l'un des feuillets.

" ... or, dans la guerre, il peut se produire cent changements au cours de chaque étape. Lorsqu'on voit que c'est possible, o avance, lorsqu'on voit que les choses sont difficiles, on se retire. Dire qu'un général doit attendre les ordres d'un Souverain dans ces circonstances, c'est comme informer un supérieur que vous voulez eteindre un feu. Avant que n'arrive l'ordre s'y rapportant, les cendres sont froides. C'est comme si, pour construire une maison le long de la route, on prenait conseil des passants. Le travail ne serait jamais achevé... c'est toi qui a écrit ca?"

"Oui. J'ai l'intention d'écrire un ouvrage se rapportant à la stratégie militaire et tout ce qui tourne autour. Il n'y en a aucun similaire. Et cela m'occupera puisque la paix est revenue. Et j'avais besoin de vous, afin que vous me racontiez comment s'était passée la bataille d'Alonna, lorsque vous étiez parmis les défenseurs. Je faisait partie des armées de renforts, et je voulais votre point de vue pour les évenements. Et vous revoir également..."

"En parlant d'Alonna, ca me fait penser à ce que vous aviez fait... c'était pas un peu risqué ? Harceler les drows comme ca sans attendre le reste des renforts ? Quand on vous à récupéré à la fin de la bataille, vous étiez bléssé de partout! "

"Temporiser, temporiser... si j'avais attendu les autres renforts, vous auriez été tous tués, il fallait bien occuper les drows. Enfin, c'est de l'histoire ancienne, même si la plupart des plaies ne se sont pas refermées... "

Ils continuèrent leurs discussions, parfois rejoints par d'autres soldats de permission dans la caserne. Skarn, comme à son habitude, refusait de trinquer, et se contentait de lait.

Etheldred consulta sa liste d'adresses une nouvelle fois et s'arrêta devant la caserne, légèrement hésitante. Ses précédentes rencontres n'avaient strictement rien donné et elle se sentait toujours aussi maladroite à débarquer ainsi devant les gens en quête d'une histoire qui ne les concernait pas vraiment. Elle se décida pourtant à rentrer, demandant à la première personne qu'elle vit, à voir le dénommé Skarn Jard. Un militaire, très probablement, au vu du lieu où il résidait. Au moins, le nom était suffisamment connu pour qu'on ne l'envoie pas promener purement et simplement.

Certains des hommes qu'elle croisait là avaient dû faire la bataille d'Alonna quelques années plus tôt. Mais lesquels, elle aurait bien été en peine de le dire, ne reconnaissant aucun visage. Elle avait à présent l'habitude, mais il était frustrant de se demander si elle n'avait aucun souvenir parce qu'elle croisait ces personnes pour la première fois ou parce que sa mémoire défaillante lui jouait des tours. On finit par la laisser en lui désignant un homme, à l'autre bout de la salle, en quelques mots : "le colonel, là-bas.". Etheldred remercia d'un petit signe de tête et regarda dans la direction : deux hommes discutaient à une table. Le plus âgé buvait du vin en parlant, le second, plus jeune, semblait être un véritable colosse. Ce fut tout ce que pu repérer la jeune femme le temps de s'avancer et de se demander lequel des deux était le fameux colonel.

" Je vous prie de m'excuser, mais je cherche le colonel Skarn Jard, " commença-t-elle, son regard allant de l'un à l'autre sans vraiment savoir sur lequel se fixer.

Comment savoir ? Aucun des deux ne lui évoquait quoi que ce soit pour le moment. Mais selon son carnet, elle avait soigné des dizaines de blessés : même avec une mémoire exceptionnelle, elle n'aurait sans doute pu se souvenir de chacun d'eux. Elle fit une petite pause, le temps qu'on lui dise à qui elle avait affaire et reprit à l'intention de Skarn :

" Je m'appelle Etheldred... elle hésita, comme si elle ravalait la suite, ne pouvant se décider à accoler son nom de famille elfique qui n'était pas vraiment le sien. Je... j'aimerais m'entretenir un instant avec vous, si vous voulez bien m'accorder un peu de temps. "

Elle s'aperçut qu'elle jouait nerveusement avec la bandoulière de sa sacoche, ne sachant comment s'y prendre. Allez voir quelqu'un qu'on ne connait pas et lui demander de but en blanc si on lui rappelle quelque chose était pour le moins étrange. Mais il fallait bien en passer par là et elle finit par se jeter à l'eau, expliquant simplement :

" Je suis amnésique et je recherche des informations sur mon passé. Il semblerait que j'ai participé à la bataille d'Alonna en tant que guérisseuse. Peut-être nous y sommes nous rencontrés ? "

Elle s'attendait un peu à ce qu'il lui réponde simplement "non" et la renvoie d'où elle venait. Mais quelque part, elle espérait encore pouvoir obtenir quelques informations, n'importe quoi qui aurait pu lui confirmer que les lignes qu'elle avait tracées quelques années plus tôt n'étaient pas que le fruit de son imagination. Elle avait reconstruit son passé d'après son journal intime : s'il ne menait à rien de concret, tout s'effondrait.

Skarn regarda la jeune femme attentivement. Elle semblait relativement jeune, plus que lui sans le moindre doute, mais on pouvait voir qu'elle avait définitivement dépassée l'adolescence pour entrer dans l'âge adulte. Elle parlait d'une voix petite et assez timide, bien qu'elle voulait y insinuer de la volonté. Sa beauté était éclipsée par sa nervosité. Après l'avoir écoutée se présenter, ainsi que la raison de sa présence ici, Skarn déposa son verre de lait. Il tira sa chaise, et se leva doucement et fermement. Il se leva et se présenta droit devant la jeune femme. Elle lui arrivait tout juste au menton, et elle recula legèrement, afin de voir l'homme dans son ensemble.

Il fit une legère révérence.

" Je suis Skarn Jard. Heureux que vous ayez pu me trouver sans difficultée. "

Il regarda autour de lui. Quelques soldats les regardaient, se demandant de quoi ils devaient bien parler. Son attention revint à la jeune femme. Elle ne semblait pas être à l'aise ici.

" Voulez vous discuter à l'extérieur peut être ? Nous y serons plus à l'aise. " proposa t-il poliment. Elle accepta, soulagée, et ils sortirent de la caserne. Skarn prit garde à ne pas trop trâiner sa mauvaise jambe. Il posa auparavant quelques pièces sur la table afin que Bjorn puisse continuer à boire s'il le souhaitait, et pour payer sa part.

" Donc, vous êtes venue me voir car vous pensez que je ait déja vu, c'est cela ? " demanda t-il une fois qu'ils étaient à l'exterieur, rangeant ses feuillets dans une poche intérieure.

Il se mit à marcher sur le chemin menant à la caserne, se dirigeant vers là ou il y avait moins de monde. Les rues bondées n'étaient pas très adaptées aux réminiscences. Il se mit à prendre la parole aux cotés de la jeune femme silencieuse tandis qu'elle l'écoutait. Il la regardait également, ses yeux coulant sur les traits de son visages.

" J'ai participé à la bataille d'Alonna, oui. Je ne commandait qu'un régiment de cavalerie, envoyé en renforts. J'avais engagé les arrières des drows sans attendre le reste des renforts afin d'empêcher les drows d'attaquer de suite. Bien entendu, j'ai été bléssé, et après la bataille, j'ai été amené au fort. "

Il la regarda dans les yeux.

" Donc, oui, si vous vous occupiez des bléssés graves, il est tout à fait possible que nous nous soyons rencontrés. Mais je dois vous avouer que j'ai du mal à identifier vos traits. Ils me disent quelque chose, mais guère plus. Il faut dire que je délirais tandis qu'on me soignait. "

Il s'arrêta un moment. Les bras croisés dans le dos.

" Mais, votre mémoire... comment l'avez vous perdue ? Et comment comptez vous récupérer la mémoire ?"

A vrai dire, la jeune femme l'intriguait. Pendant qu'elle préparait sa réponse, les yeux baissés au sol, il se mit à fouiller dans les bribes de ses souvenirs fiévreux d'alors afin d'y retrouver sa silhouette.

Etheldred recula un peu, légèrement impressionnée, lorsque l'homme se leva. Il ne tarda pas à se présenter, avant de lui proposer d'aller discuter ailleurs, ce qu'elle accepta de suite : la caserne la mettait mal à l'aise parce que cela lui rappelait la bataille du Fort et, de façon plus confuse, Alonna. C'était pourtant le sujet de la conversation et elle hocha la tête à la question de Skarn.

" C'est possible oui, bien qu'il y ait eu énormément de blessés et que je n'aie pu tous m'en occuper moi-même. Mais je n'ai aucune autre piste pour le moment et j'essaye de ne rien négliger. Je n'arrive pas à me résoudre à tirer simplement un trait sur le passé. "

Elle se détendait légèrement à mesure qu'ils avançaient. Il acceptait de répondre à ses questions, c'était un bon début, plutôt réconfortant, même si cela ne mènerait peut-être à rien. Elle essayait de ne pas trop le dévisager, mais ne pouvait s'en empêcher tout à fait, essayant de reconnaitre un ancien patient sous ces traits carrés, ces cheveux bruns... quant à sa démarche, quelque soit ses efforts pour ne pas laisser trainer sa jambe, elle avait remarqué, même si elle garda cela pour elle, que sa position n'était pas tout à fait naturelle. Question d'habitude, même s'il était étrange de parler d'habitude lorsqu'on avait oublié la plupart de ses patients.

Elle se troubla un peu lorsqu'il fut question des renforts et hocha la tête, commençant à se remémorer certains détails. Des cris de joie, épuisés : "les renforts ! Les renforts arrivent !" Il avait fallu continuer à soigner, pourtant. Les blessés arrivaient toujours, toujours plus nombreux, encore et encore, même après la bataille. Les souvenirs se mêlaient à ses écrits, lui faisant se remémorer des images qu'elle aurait peut-être préféré oublier. Elle échangea un regard avec Skarn, cherchant à y déceler quelque chose qui lui donnerait un indice. Hésitant un instant, elle finit par demander :

" Quel genre de blessure avez-vous reçu, si ce n'est pas indiscret ? "

Elle ne voulait pas le forcer à se remémorer cela, mais pour que des images plus précises lui viennent, il lui fallait plus de détail que "blessé grave". Elle se souvenait déjà de certains gestes qu'elle avait pu faire, du sang, d'un patient en particulier qu'elle avait perdu, même si elle ignorait les raisons pour lesquelles elle restait figée sur lui plutôt qu'un autre. Il y avait aussi cette inquiétude qui la rongeait quant au sort de Belegar, bien qu'elle soit incapable de mettre un visage sur ce nom.

Lorsqu'il lui demanda comment elle avait perdu la mémoire et par quel moyen elle pensait la retrouver, elle se contenta de sourire légèrement, soulagée d'être un peu tirée de ses souvenirs morbides :

" Je me suis réveillée en forêt, sans même savoir quel était mon nom. Mon carnet m'a appris que je me nommais Etheldred et permis de me faire une vague idée de ma vie telle qu'elle était avant. Je ne sais pas ce qui a pu se passer. "

Elle n'en avait vraiment aucune idée. Et, selon son carnet, elle n'aurait pas spécialement dû se retrouver en forêt elfique, détail qu'elle passa sous silence, les elfes n'étant pas forcément appréciés des humains. Enfin, elle conclut doucement :

" Ma mémoire revient petit à petit en s'appuyant sur ce que je vis. Par exemple, lorsque je me suis réveillée, je ne me souvenais plus du nom d'une seule plante. A présent, à force de les étudier, je sais à nouveau les reconnaitre, bien que certains noms m'échappent encore, tout m'est revenu très rapidement. Pour Alonna... "

Elle le dévisagea un instant, essayant encore une fois de trouver un souvenir quelconque se rapportant à lui, avant de baisser à nouveau les yeux.

" Au début, je n'avais que les informations notées dans mon carnet et à présent, je revois des blessés, je... elle se troubla à nouveau, poursuivant, je me rappelle l'odeur du sang... Nous avons tellement attendu les renforts ! Je me souviens du soulagement que j'ai ressenti lorsqu'ils sont arrivés. Je crois que je n'y croyais plus. "

Chercher à se remémorer ce genre de scène n'était pas vraiment agréable. Le peu dont elle se souvenait l'ébranlait déjà suffisamment. Elle n'osait imaginer ce qu'il en serait si elle avait encore sa mémoire intacte. Elle fit une petite pause pour se ressaisir, avant de reprendre :

" Il semblerait que je sois restée près d'un mois sur place pour soigner les blessés. Êtes-vous resté longtemps ? "

Skarn et la femme étaient tous les deux restés immobiles. Sans qu'il ne sache pourquoi, quelque chose dans son physique le troublait. Pas forcément sa beauté (Skarn n'était plus un enfant) ou les traits de son visage, mais pour autre chose. Une odeur différente, si l'ont pouvait dire. Elle lui rappelait un peu les elfes qu'il avait pu croiser, connaître ou combattre, mais elle était plus... humaine qu'eux. Elle se rendit sûrement compte qu'il restait silencieux, et il se reprit, répondant à ses questions.

" Non, une fois guéri, je suis reparti au front, étant donné que des signes avant-coureur de la guerre civile se faisaient sentir. Mes hommes m'ont également suivis, du moins, ceux qui restaient, n'est-ce pas ? "

Il disait cela avec un aplmob et une simplicité presque effarante, parlant de la vie et de la mort des hommes comme du temps qui passe. Etheldred le regarda dans les yeux, mais elle ne vit que deux portes closes qui ne laissaient rien filtrer. Il se mit à réfléchir.

" Sinon, les blessures, alors... "

Tout en désignant à chaque fois la zone touchée, il se mit à les énumérer.

" J'ai été bléssé ici et là, à cause de flèches drow. Puis, ici, aux bras, vingt-deux coups d'épées si mes souvenirs sont bons. Sur le flanc droit, ici, j'ai perdu un peu de chair, après un méchant coup de hallebarde, ils adorent mettre des pics partout. J'ai eu la jambe droite bien amochée également, au niveau de la cuisse. Enfin, pour finir, une grosse bosse à la machoire, après un vilain coup, mais j'ai appris à me protéger avec un casque. "

Une fois cette effrayante énumération terminée, il se mit à sourire.

" Ajoutez cela aux restes de mes blessures plus anciennes sur le corps, et vous avez une petite idée du résultat. Je pense que je n'ai pas du passer inapercu à l'infirmerie. Mon bras gauche était également cassé. "

Il bougea son bras gauche comme pour montrer sa guérison, mais il était clair qu'il le bougeait avec plus de prudence que son bras droit. Ce n'était bien sûr pas du aux blessures à Alonna, mais au grand brasier qui l'avait dévoré quelques mois plus tard...

" Vous ne vous souvenez pas d'avoir soignée un corps particulièrement abîmé si je puis dire ? Par exemple lors d'une brutale réminiscence ? En général, je finit assez amôché... "

Ils reprirent leur marche, marchant sur un chemin legèrement isolé, entre les arbres et les collines. Il crut bon de s'expliquer, ou de justifier toutes ces blessures.

" Je ne suis pas une tête brulée vous savez. Pas un de ces soldats sans cervelle qui pense à la gloire et est persuadé que foncer vers l'ennemi en agitant son arme et crier suffit. Mais lorsque l'on a plusieurs centaines d'hommes qui vous regardent, vous ne pouvez pas les envoyer à la mort en restant bien à l'abri... il faut montrer l'exemple et prendre des risques. "

Il avisa une souche d'arbre qui gisait près du chemin. Il marchat vers cette dernière, et s'y assit, comme pour profiter du paysage. Il massa discrètement sa mauvaise jambe.

" Mais du coup, la curiosité viens m'étreindre. Qu'étiez vous avant, du moins, que savez vous sur ce que vous étiez, et surtout... "

Son regard s'illumina d'un souvenir un bref instant, et un sourire carnassier passa sur son visage comme une ombre.

" Si ce que vous étiez ne vous plaît pas, que ferez vous ? "

Le vent se leva.

Retourner au front à peine guéri ? Oui, bien qu'il ait aussi eu des lâches, elle avait le sentiment d'avoir croisé nombre de soldats qui voyaient la vie ainsi, qu'il fallait retenir pour les empêcher de retourner à la mort trop tôt. Ce fut d'ailleurs ces mots qui lui rappelèrent qu'elle avait dû faire des choix difficiles pour savoir qui soigner en priorité, qui renvoyer combattre aussi vite que possible pour combler les effectifs qui se réduisaient à une peau de chagrin. Il n'y avait déjà que trop de travail pour les guérisseurs, on n'allait pas en plus forcer les gens à prolonger les soins : on n'en avait ni le temps ni les moyens.

Elle hocha la tête et l'écouta énumérer ses blessures, l'imaginant en armure, une bosse sur le front et...

" Vingt-deux coups, oui... "

Elle le dévisagea à nouveau, se demandant si elle avait l'impression de se souvenir parce qu'elle se forgeait une image à partir de ce qu'il venait de dire, ou si elle commençait réellement à se rappeler de lui. Il avait dû arriver inconscient ou presque, en grande partie vidé de son sang... Il avait fallut parer au plus pressé et voir ce qui réclamait des soins immédiat. Elle avait écarté les blessures par flèches, laissant ces dernières où elles étaient afin de ne pas déclencher une hémorragie supplémentaire de suite... Elle avait probablement bandé le torse et donné la priorité à la cuisse pour être certaine que l'artère n'était pas touchée.

La jeune femme gardait les yeux dans le vague, à présent, reconstituant la scène. Elle avait sans doute aussi dû se demander s'il valait la peine d'être pris en charge, s'il ne valait pas mieux s'occuper de blessés qui avaient de réelles chances de survivre. Et, comme souvent, elle avait voulu accorder son attention à chacun.

" Vous avez sans doute été lourdement drogué, pour supporter les soins. Pas étonnant que vous ne soyez pas certain de vous souvenir. "

Et elle, elle avait dû en voir défiler, des blessés, elle avait de plus écrit qu'elle était épuisée, retenir les visages dans ces conditions étaient difficile. Il lui demanda si elle se souvenait et elle eut un sourire désabusé :

" Je me rappelle beaucoup de corps en piteux état. Plus je cherche et plus je vois de morts, d'amputations, d'hémorragies... Mais je visualise vos blessures, il me semble. Peut-être. "

Dire qu'il avait eu de la chance serait insultant, mais c'était pourtant ce qu'elle pensait, d'une certaine façon : en étant débordés comme les médecins l'avaient été, il aurait aussi bien pu être condamné au profit de ceux qui seraient capables de retourner au front. Savoir que ça n'avait visiblement pas été le cas la réconfortait : elle avait pris au moins une bonne décision, en admettant que ses souvenirs soient réels.

Il tenta de se justifier, comme s'il eut été honteux d'être blessé et elle secoua légèrement la tête.

" Il n'y a que les naïfs qui pensent qu'il suffit d'un bon entrainement pour éviter toute blessure et revenir du combat en plaisantant. Si vous aviez été un inconscient vous ne seriez plus de ce monde pour vous poser ce genre de question. "

Elle avait l'impression d'avoir déjà eu ce genre de conversation, plusieurs fois. Elle n'avait pas fait que soigner le physique, elle avait aussi pris soin du moral de ses patients et elle venait d'en prendre conscience. Ainsi plein de détails ressurgissaient, lui permettant de lire entre les lignes qu'elle avait écrites. Elle avait sûrement dû lui bander la cuisse, puis la tête, le torse, les bras... il avait fallut augmenter les doses de calmant pour l'empêcher de s'agiter et de souffrir inutilement. Elle croyait se souvenir... peut-être était-ce le cas. Elle se revoyait se laver les mains, poisseuses de sang, après avoir extrait la dernière flèche. Elle se rendit compte d'ailleurs, qu'elle se les frottait machinalement, reproduisant ce geste qu'elle avait dû faire de nombreuses fois.

Skarn s'assit et elle se douta qu'il devait quelque peu souffrir de sa jambe. Elle regretta aussitôt d'être sortie : ils auraient mieux fait de rester assis à la caserne. De nouvelles questions lui firent oublier un instant qu'elle cherchait déjà une manière de le soulager alors même qu'elle ne savait exactement ce qu'il avait. Pâlissant légèrement, elle perdit contenance alors qu'il lui lançait à la figure sa remise en question.

" Je... "

Elle frissonna alors que le vent se levait, regretta de n'avoir pas pris sa cape, et fut bien forcée de constater qu'elle se rabattait sur ce genre de considération pour ne pas avoir à répondre à ses questions. Si elle n'aimait pas ce qu'elle découvrait... Elle l'avait longtemps craint, le temps où elle n'avait pu lire son journal. Elle avait finit par se convaincre qu'il recelait une vie qui lui plaisait. Mais... les lignes étaient trop succinctes, elle ne pouvait s'en contenter, bien que jusqu'à présent elle ait évité d'y penser. Elle se résigna, pourtant, estimant que si elle lui demandait des informations, il avait bien le droit de savoir à qui il avait affaire. D'un ton qui se voulait neutre, bien qu'elle ait la gorge nouée, elle se mit à parler, résumant simplement :

" J'étais... je suis herboriste et guérisseuse. D'après mon carnet, j'ai perdu mon père lors de la peste et depuis lors je n'ai plus de famille. Il semblerait que j'ai suivi un ami, à Alonna, je m'étais engagée pour soigner ses soldats. Elle se détourna un instant, plus touchée qu'elle ne le voulait par des souvenirs incertains. Il est... elle ne put se résoudre à dire "mort", il a été porté disparu. "

Elle se contraignit au calme, fit quelques pas le temps de refouler ses larmes, avant de revenir vers lui, un peu plus calme. Au fond, quel intérêt de ressasser tout cela ? Elle en ressentait le besoin, mais plus elle en apprenait, plus elle en parlait et plus elle souffrait. Elle soupira légèrement et conclut en essayant tant bien que mal de retrouver son sang-froid :

" Apparemment, j'étais quelqu'un qui aimait soigner les gens et j'étais douée pour aller au devant des ennuis, surtout si une vie était en jeu... Je ne suis pas sûre d'avoir tellement changé. "

Elle se l'était d'ailleurs prouvé à elle-même assez récemment, mais elle ne s'étendit pas sur la question. Ce qu'elle devait faire, à présent... Elle hésita un instant avant de demander :

" Que feriez-vous à ma place ? Je ne sais pas où j'en suis et j'espérais que retrouver la mémoire m'aiderait à me reconstruire une vie, mais... il semblerait que mon existence ait été désespérément chaotique. "

Et vide de sens. La première partie de son carnet évoquait une vie de famille relativement classique, la suite n'était que combats, fuites, deuils, nouveaux départs... Elle ne pouvait même pas se mettre à la recherche d'un ami proche car elle n'en avait cité aucun. Elle était là parce qu'elle n'avait rien de mieux et tout ce qu'elle pouvait faire c'était laisser ressurgir un passé sanglant.

" Je suis désolée. Je vous force à vous souvenir d'une bataille que vous préféreriez sans doute oublier. "

A la vérité, elle ne savait plus où elle en était. Elle aimait toujours soigner, comme elle le lui avait dit, et avait récemment mis sa vie en jeu pour cela, elle n'avait donc pas tant changé. Mais... elle se retrouvait sans réel but et sans attache.

Skarn l'écouta sans l'interrompre, se contentant de regarder la jeune femme, observant sa réaction quand à sa question, et ses états d'âmes. A l'entendre, sa vie avait été dure, et aventureuse. La guerre avait du la toucher dûrement.

Ni amis, ni famille. Skarn eu un frisson. S'il ne pouvait considérer ses soldats comme ses amis, n'était-il pas dans la même situation qu'elle, d'une certaine manière ? Non. Il n'était pas à plaindre. Il était riche, avait des connaissances, et était "reconnu", surtout après avoir été anobli. Se comparer à elle était une insulte envers Ethledred. La situation n'était vraiment pas la même. Ni leurs attitudes face au passé.

" Ne vous inquiétez pas. Je suis ici précisément pour m'en souvenir. Je ne compte rien oublier de mon passé, de ce que j'ai fait ou ce que j'ai vu. Mais je ne me fait pas emprisonner par ce dernier. A force de regarder derrière sois, on ne voit pas ce qui arrive. Et on se cogne contre les arbres. Et puis, mon corps est là pour me rappeller ce qu'il s'est passé. C'est plus efficace qu'un livre. "
Elle hocha la tête, signifiant qu'elle comprenait ce qu'il voulait dire.


" Quand à faire du temps qu'il vous reste, et bien... je ne suis pas bien placé pour vous dire quoi faire, n'est-ce pas ? Mais si vous cherchez une vie tranquille, épousez un homme compréhensif et doux, afin de vivre en paix. Et vous pourrez continuer à soigner et guérir les gens. "

Il se leva pour faire les cent pas, lui tournant le dos, l'air presque nostalgique.

" La guerre est finie maintenant. Les soldats ne sont plus indispensables, mais les personnes comme vous, pouvant réparer les corps et les esprits seront toujours nécéssaires. Mais supporteriez vous une vie calme et sans soucis ? "

Ils reprirent leur marche, l'un à coté de l'autre. Skarn n'aimait pas cela. L'ambiance était clairement déprimante. Etheldred ne semblait guère avoir de souvenirs heureux, et elle regrettait peut-être ses aventures passées. Mais il ne la pensait pas capable de rester tranquillement chez elle. Après tout, on ne se changeait pas. Lui avait bien quitté son île par ennui pur et simple. Et il ne se voyait pas revenir. Sa famille devait le penser mort. Peut être avaient ils envoyés quelqu'un pour le retrouver. Dans ce cas, bonne chance...

Il regarda encore Etheldred. Elle était petite, du moins, comparé à lui. Comme une jeune fille. Il reprit la parole.

" Même si j'ai l'habitude des drogues, il se peut que vous m'ayez soigné, en effet, et donc, que ce n'est pas notre première rencontre. Vos souvenirs reviennent-ils ? Ou s'agit-il juste de réminiscences ? "

" Et puis, en supposant que ce soit confirmé... qu'allez vous faire ? Repartir de zéro ? Rechercher votre ami disparu ? "

Elle ne semblait pas réellement savoir quoi dire. A force de poursuivre ce qu'elle était, Etheldred devait avoir mis de côté l'important, à savoir, les projets d'avenir. Elle rebaissa la tête. Skarn hésita un bref instant, ne voulant pas se montrer trop... familier. Mais il se lanca, et souleva le menton de la jeune femme avec son index.

" Et arrêtez de broyer du noir voulez vous ? Ca ne changera absolument rien, mettez vous à sourire plutôt. N'est ce pas ce que vous faisiez vous réconforter les bléssés après tout ? Vous devez sûrement être bien plus jolie ainsi, alors profitez d'avoir un corps impeccable. "

*Merde, je me transforme en gros nounours là. C'est mauvais*

" Essayez de trouver un moyen de vous distraire sinon. Il doit bien y avoir des bals, ou des fêtes quelque part. Des nobles à rencontrer. Vous feriez fureur je pense. Ca ne vous tente pas ? "

Il avait raison : regarder sans cesse en arrière n'aidait pas à aller de l'avant. On lui avait même suggéré de ne pas chercher à se souvenir, de simplement repartir à zéro. Cela aurait sans doute été plus simple s'il n'y avait pas eu ce carnet qui la narguait, lui donnant des indices trop confus. Et puis, ce n'était pas comme si elle n'avait plus eu aucun souvenir. Elle gardait l'espoir de retrouver l'essentiel, un jour... peut-être se trompait-elle. Peut-être faisait-elle réellement fausse route.

Se marier et mener une petite vie bien tranquille ? Elle ne put cacher que l'idée la surprenait : elle n'y avait pas pensé une seule seconde. Se réinstaller pour travailler, oui, mais épouser quelqu'un... qui d'ailleurs ? Elle arrivait de nulle part, ne connaissait personne, on ne se mariait pas ainsi par miracle et elle n'était pas du genre à se précipiter dans les bras d'un inconnu. Quant à supporter une vie sans souci... Aurait-elle aimé l'aventure, au fond ?

" Je ne sais pas... c'est... je ne m'étais jamais posé la question en ces termes. "

Pour cette fois, la question la déstabilisait, mais différemment. Peut-être avait-il raison, peut-être aurait-elle dû commencer par se poser ce genre de question. Se demander ce qu'elle voulait réellement, ce qui comptait pour elle, plutôt que chercher à savoir ce qui avait compté. Surtout qu'apparemment, elle n'avait pas grand chose à regretter.

Il lui demanda si elle se souvenait de lui et elle hésita en le dévisageant brièvement :

" J'ai l'impression de me souvenir, oui, mais c'est encore flou. Je saurai si ce sont de réels souvenirs lorsque je serai capable de vous donner un élément que vous n'avez pas évoqué. "

Elle commençait à savoir comment revenaient ses souvenirs. Il était inutile de s'acharner, mieux valait prendre son temps. Pour le moment c'était trop vague. Elle pouvait avoir donné ces soins, mais elle pouvait aussi les inventer par déduction d'après ce qu'il décrivait. Pour la suite... Elle se ferma à nouveau et fixa le sol.

" Belegar est mort, " souffla-t-elle simplement, se décidant enfin à parler franchement. Skarn connaissait peut-être ce nom, d'ailleurs, étant donné que le nain avait coordonné la défense de la ville.

La constatation l'avait fait replonger aussi vite dans ses idées noires. Elle sursauta lorsqu'il lui releva le menton et resta figée en écoutant ses mots. Effectivement, elle devait avoir l'air complètement abattue. Se distraire ? D'abord interdite, ces sages paroles firent leur chemin... elle finit par se reprendre, un peu gênée de s'être laissée aller. Mieux, la suggestion à propos des nobles la fit réellement sourire et elle lâcha même un petit rire, amusée, en se remettant à marcher.

" Et qu'irais-je faire dans la noblesse ? Me faire engager comme domestique ou guérisseuse, peut-être, mais je n'ai pas ma place dans ce milieu. "

Au moins, même si elle ne pouvait lui donner raison, il avait bel et bien réussi à la faire sourire. L'idée lui paraissait saugrenue, tout simplement. Elle doutait faire fureur auprès de qui que ce soit, à vrai dire et encore moins des nobles qui la regarderaient sans doute de haut. Au moins, elle prenait cela avec humour.

" Quant à me distraire... je n'en ai pas vraiment pris le temps. D'ailleurs, je ne sais même pas si je sais danser ! "

En réalité, elle avait déjà du mal à payer sa chambre à l'auberge et ses repas, elle n'avait pas vraiment d'argent à gaspiller et le temps, c'est justement de l'argent. Et puis, seule, elle ne se voyait pas aller faire la fête et craignait de s'attirer des ennuis. En même temps, elle se rendait compte qu'elle ne savait pas ce qu'elle voulait, tout simplement. Mettre sur pied un commerce coutait cher, et son amnésie devait rester discrète si elle ne voulait pas attirer la méfiance de ses patients. Mais il fallait bien aller de l'avant, la question était de savoir vers où. Un peu rassérénée, malgré tout, elle continua à marcher, calant son allure sur celle de Skarn afin de ne pas le forcer à aller trop vite. Même si elle n'avait pas l'air convaincue par ce qu'il proposait, elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'elle devait effectivement se décider à faire quelque chose.

" Je devrais peut-être retourner à Diantra, chercher si l'herboristerie m'appartient toujours et reprendre la boutique. Retrouver une petite vie tranquille, comme vous dites. Mais sachant que j'ai déjà choisi de fuir cette vie par deux fois, j'avoue hésiter, même si cela semble être le plus raisonnable. "

Puis soudain, alors qu'elle ne cherchait plus particulièrement, lui revint en mémoire leur rencontre. Peut-être était-ce parce qu'elle venait de voir passer sur son visage une expression, ou un geste qu'il avait pu faire, quoiqu'il en soit, elle le revit soudain distinctement.

" Je me rappelle ! s'exclama-t-elle. Vous m'avez demandé... je ne sais plus exactement, mais vous souhaitiez savoir si vous alliez vous en sortir ou peut-être quand vous pourriez retourner au combat, si ce serait possible... quelque chose comme ça, je ne suis plus certaine. Je me souviens avoir hésité avant de vous promettre que vous vous relèveriez tôt ou tard. "

Et elle avait tout fait pour, malgré les nombreuses plaies. Parce que, malgré les calmants qui lui embrumaient l'esprit, il avait fixé sur elle ses yeux verts, pour savoir, et elle avait compris qu'il avait besoin d'une réponse. Elle eut un petit sourire qui ressemblait un peu à de la nostalgie et conclut :

" Je me souviens aussi m'être dit que vous aviez besoin de cette certitude, pour tenir. Et je me rappelle avoir espéré pouvoir tenir ma promesse... ce n'était pas le genre de chose que je disais à la légère. C'est pour cela que ça m'a marqué, je pense. "

Un poids s'envolait, comme chaque fois qu'elle parvenait à clarifier un pan de son passé. Elle n'était sans doute pas plus avancée, mais elle avait l'impression d'avoir progressé et elle se sentait soulagée. Peut-être aussi était-ce réconfortant de se dire qu'il y avait au moins une personne au monde qui connaissait son existence, qui savait qu'elle avait existé avant. Même si pour Skarn, elle devait n'être qu'une vague silhouette dans les brumes de la douleur, c'était mieux que rien. En tous cas, à présent, elle se rappelait son visage.

Skarn resta silencieux, les yeux dans le vague après les descriptions d'Etheldred, fouillant dans ses souvenirs. Il se souvenait de ses hommes qui l'avaient emmenés aux soins urgents après la bataille et qui hurlaient à tout le monde de dégager. Les infirmières qui se pressaient autour de lui, certaines étant effrayées par ses blessures, au torse nottament. La douleur immense, et surtout continue dans sa tête. Dans son esprit, la bataille continuait, et il voulait tout de suite y repartir.

" Mes hommes sont encore là bas ! Je dois revenir ! " avait-il hurlé.

Puis, le bruit s'était dissipé, et il s'était senti très fatigué. Et une des infirmières, celle qui n'avait pas peur, lui avait dit, comme à un petit enfant qui a peur la nuit, que tout irait bien.

" C'est donc vous qui m'aviez soigné. Le hasard fait bien les choses n'est ce pas ? Vous avez fait un beau travail. Ces blessures sont désormais beaucoup moins apparentes que toutes les autres. Et comme vous me l'avez promis, j'ai pu retourner au combat. Pendant très peu de temps certes... "

Il reprit la marche, s'étant immobilisé pour parler, lui faisant signe de le suivre, peu à peu, le paysage évoluait. Skarn l'emmenait vers le fort d'Alonna.

" Pour Belegar, j'ai dans mes souvenirs qu'il avait passé l'arme à gauche. A vrai dire, je pourrais me renseigner dessus, mais j'ai mieux à faire qu'envoyer mes agents poursuivre un fantôme. "

Il la regarda dans les yeux, tout sourire, se disant intérieurement qu'elle devrait enlever sa capuche.

" Vous m'avez sauvé la vie, mais j'ai une seconde faveur à vous demander, si vous me permettez. " Il reprit, après qu'elle ait acceptée de l'aider.

" J'ai besoin de plantes. Des anesthésiques nottament, comme la feuille de coca. En clair, ce qui permet d'ignorer la douleur un temps. Et des champignons. Mes reserves sont quasiment vides, et il serait bon, je pense, de me réaprovisionner. Et ne faite pas cette tête là, j'ai besoin de ces drogues. "

Si jamais on l'attaquait, ou que la guerre reprenait, il serait bien obligé de les réutiliser de toute facon.

" Mais j'ai tout mon temps, donc je ne vous presse pas, à vous de réfléchir à cela, toutefois... "

Il avanca rapidement de quelques pas, et tourna sur lui même pour lui faire face dans un sourire de pitre.

" Ma réputation tomberait aussi vite en ruine que ma conscience si je ne vous rendait pas la pareille jeune femme, alors je vais le faire ! Il y a une simple question: que voulez-vous ? "

Question terriblement simple, mais avec une réponse souvent terriblement ardue. Maintenant qu'elle avait enlevée une ombre, elle se trouvait au carrefour. Entre retourner à son passé, et recommencer une nouvelle vie.

" A votre âge, tout est encore possible. Vous n'avez pas de famille qui vous retient et vous emprisonne. Vous êtes libres comme l'air, personne ne peut influer sur vous. Profitez-en. Vous savez que je suis originaire d'une petite île nordique, et fils de pêcheur ? Maintenant, me voilà officier supérieur des armées du Langehack. Alors ne vous sous-estimez pas. Que voulez vous ? "

Etheldred esquissa un sourire, heureuse de se souvenir de ce moment, de savoir qu’il s’en rappelait aussi, bien que, au fond, ce n’était pas de très beaux souvenirs. Qu’il lui dise qu’elle avait fait du beau travail lui faisait chaud au cœur, même si c'était du passé : elle se souvenait de la panique engendrée par les blessés. Nombre de guérisseurs avaient été formés sur le tas, parfois par elle-même. Il y avait même des gamins qui avaient été recrutés pour l’occasion, pour de menues tâches, simplement parce qu’on manquait de bras. Elle se rappela soudain avoir hésité à leur demander de l’aide, sachant que les plaies seraient souvent horribles à voir et puis, elle s’était dit qu’il valait mieux se rendre utile que trembler à l’arrière en ne pouvant rien faire. Elle resta un instant les yeux dans le vague, avant de reprendre le fil de la conversation.

Ils se rapprochaient du fort, petit à petit, elle ne s’en souvenait que trop bien, à présent. La façon dont il parla du nain lui parut bien crue, trop indifférente, mais en réalité, elle avait perdu espoir depuis trop longtemps pour lui reprocher quoi que ce soit.

" Ce serait inutile, en effet, " se contenta-t-elle de murmurer.

Si à présent elle ne se rappelait pas vraiment ce qui l’avait poussée à une telle conclusion, ses écrits étaient suffisamment clairs sur le sort de son ami. Après tout, elle ne se souvenait même plus du visage de ce dernier. A quoi bon continuer à y repenser étant donné qu'elle ne le reverrait plus jamais ?

Elle hocha la tête lorsqu’il lui demanda une faveur, bien qu’elle se doute déjà un peu de la nature de la demande :

" Je vous écoute. "

C'était la moindre des choses qu'elle pouvait faire, tout de même. D'ailleurs, elle ne s’était pas trompée. Ce qui ne voulait pas dire qu’elle allait accepter sans réfléchir. Certes, il souffrait et, plus elle le voyait marcher, plus elle pouvait affiner ses suppositions sur la cause de sa boiterie, mais ce n’était pas une raison pour lui délivrer n’importe quelle drogue qui pouvait aussi bien le tuer s’il en faisait mauvais usage. Évidemment, il dut voir dans ses yeux ce qu’elle en pensait et se hâta d’argumenter. Bien-sûr, il avait l'habitude, il savait s'en servir... le refrain habituel, qui n'était pas forcément faux, elle ne le niait pas. A son tour, elle voulu prendre la parole, mais il n’en avait pas terminé, proposant de lui rendre la pareille, arguant que lui-même était un simple fils de pécheur.

Un instant bouche bée sous l'avalanche d'explications, elle finit par secouer la tête en riant :

" Une question simple, n’est-ce pas ? "

Ah ! A l’entendre parler, il lui suffisait de se décider. Bien-sûr qu’elle avait la vie devant elle, mais… Elle hésita, haussa les épaules, hasardant finalement :

" Je crois que vous avez raison, je vais cesser de regarder en arrière, pour commencer. Ensuite, je sais que je souhaite continuer à soigner. "

C'était un fait qu'elle ne pouvait nier. On avait pourtant essayé de l’en détourner, mais elle y était sans cesse revenue : cela avait bien trop d’importance pour elle. Elle aimait autant chercher les plantes et concocter des remèdes que soigner avec.

" Après… me réinstaller, pourquoi pas, mais où ? Alors que je n’ai fait que me déplacer, semble-t-il… Et si je ne tiens pas à nouveau boutique, alors que faire ? Jouer les vagabondes ne pourra que m’attirer des ennuis.

Le fort était impressionnant. Plus encore l'étaient les souvenirs qui refaisaient surface, les images qui surgissaient confusément dans son esprit. Elle était déjà revenue là, depuis son retour à Alonna et c'était toujours le même sensation diffuse : une peur sourde qui l'étreignait. Essayant d'en faire abstraction, elle haussa à nouveau les épaules, avant de conclure, sincère :

" Je vous remercie, mais vous avez déjà beaucoup fait pour m’aider, pouvoir discuter un peu me fait le plus grand bien. Vous pouvez avoir bonne conscience ! Pour la suite… "

Quoiqu'elle fasse, elle n'arrivait pas à se projeter. Elle savait pourtant qu'elle ne pouvait pas continuer à mener cette vie : herboriste itinérante était trop peu rentable, même selon ses critères qui n'étaient pas bien élevés. Il lui faudrait tôt ou tard prendre une décision et s'organiser. Ce qu'il lui fallait, c'était un but. Et un qui soit plus précis que "soigner son prochain".

" Pour en revenir à votre demande, je ne vous fournirai pas de drogue... elle leva une main pour qu'il la laisse finir, sans même vous avoir examiné. J'ai compris que vous en avez besoin, ne vous méprenez pas. Mais, pour ne citer que le coca, vous devez savoir que les effets secondaires, sans même parler de l'accoutumance, peuvent être dévastateurs. "

Elle parlait soudain de façon calme, mais bien plus assurée. Si elle était complètement perdue lorsqu'il s'agissait de savoir où elle allait, il n'en était plus de même lorsqu'il était question de son travail. Plus d'hésitation, mais une fermeté qui laissait entendre qu'elle savait de quoi elle parlait.

" Je n'aurai pas la conscience tranquille si je me contente de vous donner ce que vous demandez sans chercher plus loin. Il y a suffisamment d'apothicaires cupides pour vendre de tout et de n'importe quoi. "

Et c'était bien le problème, on trouvait ce qu'on voulait pour peu qu'on y mette le prix. Évidemment, on ne pouvait jamais être vraiment sûr de ce qu'on ingurgitait ensuite et des conséquences. Elle aurait pu en rester là, mais une idée subite venant de lui effleurer l'esprit, elle hésita. Elle réfléchit un instant, se demandant s'il était judicieux d'aborder le sujet, avant de reprendre :

" On m'a fait découvrir récemment un remède efficace contre les douleurs chroniques. Cela ressemble aux effets du coca, justement, mais on ne voit pas d'accoutumance, si bien que les doses peuvent rester faibles sur le long terme. On évite ainsi de voir apparaitre des effets secondaires dus à une trop forte quantité. Je peux vous fabriquer ce remède... toujours en admettant que vous acceptiez de me faire assez confiance pour que je ne vous donne pas cela les yeux fermés. "

Elle paraissait légèrement mal à l'aise, malgré tout, comme si elle n'avait pas dit l'entière vérité et qu'elle en était gênée.

" M'examiner ? "

Skarn était relativement troublé, bien qu'il n'en montra aucun signe. Il n'était jamais examiné par des médecins. La seule exception est lorsqu'il est bléssé, c'est à dire, après chaque bataille, et en général, il s'agissait d'hommes. Se faire examiner, comme ca, par une femme, le gênait quelque peu. Même si elle était medecin, et avait déja vue des grands bléssés, il n'était guère enchanter à l'idée de la voir faire une moue dégoutée et de le regarder plein de pitié. Non, cela ne l'enchantait pas.

Mais d'un coté, il avait besoin qu'elle l'examine, si cela lui permettait d'obtenir ce qu'il voulait. D'autant que ce remède apparement miraculeux l'intéréssait beaucoup. Oh, certes, tout le monde vend de sois-disant drogues sans addictions et plus efficaces que les dures, donc il restait méfiant, mais, sait-on jamais...

" Très bien, si vous le souhaitez, je vous montrerais le problème, mais... "

Il regarda autour de lui. Même s'il n'y avait personne, quelqu'un risquait de passer par là.

" Pas ici. Je prefèrerais un endroit plus discret. "

Ils reprirent leur route en s'enfoncant dans un petit bois se trouvant dans les alentours. Ici, au moins, personne ne les surprendrait en se faisant de fausses idées. Ils restèrent silencieux durant la marche. Skarn ne se déshabillait jamais en public. Ni en privé d'ailleurs. A vrai dire, il ne s'était pas déshabillé devant une femme depuis...

Il compta intérieurement les semaines. Puis les mois. Puis les années.

* Oh merde. Je ne sais plus à quand remonte la dernière fois. Ni même avec qui... *

Ils arrivèrent dans une miniscule clairière au milieu de laquelle trônait un arbre mort. On pouvait y voir gravé "ici repose...." le nom étant mal écrit. Des gens avaient du se battre, tuer et mourrir ici. Elle lui demanda avec un ton clinique de se déshabiller. Bien qu'elle avait perdue la mémoire, elle semblait avoir gardée en elle ses habitudes de soigneuse.

Il commenca à se déshabiller leeeeeeeenteeement, comme pour repousser l'échéance. Elle s'en rendit toutefois compte, et Skarn décida finalement d'accélérer, ne voulant pas se comporter comme un enfant. Il finit par enlever ses vêtements au niveau du torse, mais il les posa sur son bras gauche, désiré de le masquer. Elle put voir directement ses blessures. La triple balafre d'ours sur toute la longueur du torse, en diagonale, et de multiples petites eraflures ici et là, certaines venant des flèches, de carreaux, d'autres de lances et d'épées. Sans toutes ces blessures, il était sans doute assez beau pour rouler des mécaniques. Mais là... l'attrait de la musculature dévellopée disparaissait sûrement presque totalement. Il lui tourna le dos afin de déposer son manteau par terre, et elle put voir, que, contrairement à son torse, le dos de Skarn était quasiment vierge de blessures ( et donc, plus agréable à regarder déja ). Skarn ne tournait jamais le dos à l'adversaire.

Mais elle devait sans doute s'intérésser à son problème de jambe. Il enleva une jambe de son pantalon, ne voulant pas non plus se mettre uniquement en sous vetements pour l'instant. Etheldred put y voir deux blessures. La première était assez large et visible, bien que peu profonde. La marque de la défense d'un sanglier. La seconde était plus grave. Une sorte de "bleu", au niveau de la rotule, et une petit blessure en étoile caractéristique d'une flèche.

Skarn avait eu tout simplement la jambe brisée au niveau de l'articulation. C'était déja exceptionnel qu'il puisse marcher. Il se leva et resta immobile, droit comme un I, ses vêtements jetés sur son bras gauche. Voir ce corps recouvert par maintes blessures était à la fois impressionant, opressant et repoussant. Mais surtout, il jurait totalement avec le visage de l'homme. Un visage doux, jeune et calme, sur le corps d'un vétéran de soixante ans.

" Je vous avais prévenue que ce n'était pas beau à voir. "

" M'examiner ? "

Etheldred réprima un sourire. Évidemment, que croyait-il ? Qu'elle pouvait déterminer ce dont il avait besoin grâce à la transmission de pensée ? Était-il gêné, lui qui était pourtant déjà passé entre les mains de médecins... et les siennes si elle en croyait ses souvenirs confus ? Pour le coup, elle s'attendit presque à ce qu'il refuse et fut légèrement surprise lorsqu'il lui donna son accord. Pas là, non, il y avait des endroits plus agréables qu'un chemin près d'un fort pour une consultation. Par contre, qu'il se dirige vers la forêt la laissa sans voix. Pourquoi donc choisir un endroit pareil ? Pour le coup, elle commençait à se demander à quel point elle pouvait lui faire confiance. Peut-être s'inquiétait-il de ce qu'elle allait voir, mais elle, elle n'avait pas spécialement envie de se retrouver seule avec un presque inconnu.

Elle le suivit, pourtant, jusqu'à une petite clairière, lui demandant finalement :

" Je vais avoir besoin de voir votre jambe, j'imagine, et il serait bien aussi que vous enleviez votre chemise. "

Si le ton pu lui paraitre assez clinique, elle avait pourtant essayé de ne pas être trop directive. Il n'avait aucune envie de subir cet examen, par pudeur, honte ou elle ne savait quoi, alors elle n'allait pas en plus le brusquer. D'ailleurs, elle déposa sa sacoche et se mit à farfouiller dedans, plus pour s'occuper d'autre chose que réellement pour y trouver quoi que ce soit. Mais dévisager Skarn pendant qu'il se déshabillait ne serait sans doute pas pour l'aider. Ce faisant, elle vérifia quand même qu'elle avait une partie de ce qu'il lui faudrait pour ce fameux mélange et engagea la conversation sur le ton de "on se détend je ne vais pas vous manger" :

" Si vous me disiez un peu pour quelles raisons vous prenez ces drogues, celles que vous prenez, en quelles quantités et à quelle fréquence ? A quand remonte la dernière prise aussi. "

Cela, elle ne pouvait pas le deviner. Ce qu'elle devrait deviner en revanche, ce serait la part de vérité et de mensonge dans ce qu'il répondait : il était rare que les patients, à plus forte raison ceux qui n'aimaient pas qu'on les ennuie avec des consultations, racontent tout de plein gré. En même temps, elle relevait les yeux vers lui par intermittence, cherchant toujours quelques objets dans sa sacoche, surveillant l'avancée du déshabillage. Les blessures n'étaient effectivement pas vraiment belles à voir. De là à faire la grimace, il ne fallait rien exagérer : elle en avait vu d'autres. En tous cas, il avait une sacrée musculature, ce qui lui apprenait déjà que, souffrant ou pas, drogues ou non, il était en relative bonne forme physique.

" Je vous avais prévenue que ce n'était pas beau à voir. "

La jeune femme eut un petit sourire et secoua la tête, reposant sa sacoche et se relevant :

" Personne n'est parfait et j'ai déjà vu pire, alors ne vous en faites pas pour moi. "

De fait, elle ne paraissait pas spécialement horrifiée. Certes, ce n'était effectivement pas beau à voir mais, au final, c'était question d'habitude. Et puis, de toute manière, elle avait appris à se maitriser pour ne pas se mettre à pousser de hauts cris à la vue du sang, alors ce n'était pas pour faire la grimace devant des cicatrices.

" Et puis, même si c'est impressionnant... bien tenté, mais vous ne couperez pas à cet examen pour autant ! " ajouta-t-elle en plaisantant pour dédramatiser un peu.

Elle finit par s'approcher de lui et se permit enfin de réellement l'observer, en espérant qu'il avait eu le temps de se détendre un peu.

" Faites quelques pas, " demanda-t-elle en regardant de quelle manière il déplaçait sa jambe. Un instant plus tard, elle le rejoignait.

" Bien. Si j'en crois votre posture, vous souffrez donc de la jambe, jusque là pas besoin d'être un génie pour s'en douter, mais elle poursuivit, vous compensez plus haut, ce qui fait que tout votre corps se crispe... en particulier là, elle toucha un point dans son dos, et là.... je me trompe ? " demanda-t-elle en revenant face à lui.

Logiquement, il y avait la souffrance de base, qui influait sur tout le reste et le corps finissait par être perclus de douleurs à force de tenter de compenser. Alors, on prenait un calmant, on oubliait un instant la douleur, on maltraitait un peu plus son corps et quand la douleur revenait, c'était plus fort. Sans parler de l'accoutumance. Un véritable cercle vicieux qu'il était difficile de briser. Elle réfléchit un instant, lui laissant quand même le temps de répondre à ses questions.

Lorsqu'elle reprit la parole, elle paraissait avoir pris une première décision :

" Je ne vous proposerai pas de remède miracle qui vous permettra de gambader joyeusement, mais je pourrais traiter votre jambe de manière à ce que la douleur disparaisse en grande partie, ce qui atténuerait aussi vos efforts pour compenser et donc améliorerait l'ensemble. Cependant, c'est un remède puissant, j'aimerais donc vérifier quelques petites choses. Asseyez-vous et donnez moi votre main, s'il vous plait. "

Elle voulait simplement prendre son pouls, dans un premier temps. S'asseyant sur le tronc de l'arbre mort, elle lui tendit la main.

Car s'était un peu calmé. Pour l'instant, l'examination se passait bien. D'un coté, qu'est ce qu'il allait s'imaginer ? Qu'elle sortirait une grosse scie pour lui amputer un bras ou une jambe ? Toutefois, les questions finissaient par arriver, et il se voyait bien obligé de répondre. Surtout qu'il n'avait rien à cacher.

" Je n'ai plus pris de drogue depuis la fin de la guerre civile à peu près. Sauf peut être une fois, pour matter une révolte paysanne. Je prend la majorité du temps de la coca, afin d'ignorer la douleur à la jambe ou une fatigue trop grande. Sinon, lorsque je me battait, je prenais lorsque la situation l'exigeait une espèce d'amanite, celle noire à corolles. Elle a des vertues hallucinogènes pour la majorité des gens, mais pour moi, elle me permet de mieux me battre... au détriment de mes capacités intellectuelles et de commandant je dirais. Donc uniquement durant les cas d'extreme urgence. "

Elle le regarda avec attention, comme pour l'inviter à dire la totale vérité.

" Je le jure. Je n'en prend que durant ce genre de cas. Enfin, je reconnait en prendre lorsque je fait des activités nécéssitant une certaine... tension physique, comme, disons.... la danse. Oui, voilà, la danse. Mais je n'ai plus dansé depuis des mois, voir des années, donc du coup... aucun danger de ce coté là "

" Toutefois, personne n'est au courant parmis mes troupes que j'utilise des drogues et des champignons. Ils pensent que mes... colères sont naturelles. "

Il tendit sa main droite afin qu'elle lui prenne le pouls. Il garda sa main gauche bien fermée et son bras gauche camouflé sous ses vêtements. Bêtement, il ferma les yeux et respira un grand coup. A vrai dire, se faire toucher par une femme ne lui était pas arrivé depuis si longtemps, et même quelques doigts sur son poignet suffisait à gratter le mur qu'il s'était construit durant des années.

" Que voulez vous dire par "remède puissant" ? " l'interroga t-elle. " C'est le genre de remède sensé provoquer chez moi de grosses crises ? Je suis robuste, il en faut plus pour m'abattre " dit-il virilement.

Plus sérieusement, il avait peur. A à peine 30 ans, il avait déja le corps ravagé. Bien qu'il se persuadait qu'il l'avait fait pour son pays, il ne s'était jamais senti récompensé à sa juste valeur. Officier supérieur ! Capitaine ! Il n'avait jamais été à la tête de plus d'un milliers d'hommes, mais il se savait bien plus compétent que ces généraux promus grâce à leurs origines et qui commandaient de manière cruelle ou naïve. Il méritait mieux. Beaucoup plus. Et il n'avait pas l'intention d'attendre la parution de son receuil pour cela. Il se jura d'aller voir le prochain seigneur du Langehack, dès qu'il serait élu, afin d'obtenir une promotion. Et si on lui demandait de faire ses preuves, il les ferait. Même s'il s'agissait de tuer à mains nues une meute de loup ou d'intégrer des drows dans son armée.

Voilà qu'il se remettait en colère. Il referma les yeux et ce qui bouillonait en lui repartit aussitôt. Se maîtriser en toutes cirsconstances. Quelque soit son caractère de base. A savoir, la colère.

* Cesse d'être aussi instable mon vieux. Sinon, elle ne te donnera rien *

Skarn obeit à ses ordres, content d'avoir échappé à l'examen de son bras. Il se demanda s'il n'était pas risqué de lui cacher l'état de ce dernier. Et si celà influait sur sa réaction au baume ? Tant pis, il prendrait le risque. Car il avait bien l'intention de le prendre. S'il pouvait marcher régulièrement sans sentir cette douleur se répandre de manière insidieuse dans tout son corps, il n'allait pas hésiter à prendre le risque.

" Après un examen approfondi de la question, je suis prêt à tester vos produits. Et quand à leur utilisation, elle n'est pas régulière. Je les utilisent uniquement dans des situations précises, après avoir estimé en avoir besoin. ".

Il finit de remettre son haut alors que Etheldred avait déja finie de ranger sa sacoche.

" Et puis, je pense qu'il y a eu un quiproquo. La colère n'est pas un effet secondaire de mes drogues, c'est l'effet recherché. Je sais que ca peut vous sembler étrange. Mais en général, je n'ai que peu d'effets d'accoutumance, car je n'en prend pas assez régulièrement pour cela. "

Il se rendit compte qu'il faisait le même discours que tous les drogués. Il se placa davtn la jeune femme et posa ses mains sur ses épaules, baissant sa tête pour être à la hauteur de la sienne, afin qu'elle voit bien son visage et ses yeux.

" Ecoutez, même si je dois passer par un traitement renforcé et un trythérapie, je suis prêt à tout pour avoir ne serait-ce que la possibilité de marcher normalement sans douleur. Dites moi ce que je dois faire et en quoi consiste votre baume donc "

Il voulait montrer le courage et la volonté dans son regard, mais comme d'habitude, il ne montrait qu'un fond vert sombre, sans le moindre reflet ou la moindre lumière, semblable à un mur inexpressif, sans émotion, dans lequel on le lisait rien. Puis, il s'écarta, rapidement, comme s'il jugeait s'être montré trop brave de s'être approché d'elle comme cela.

" Et si votre remede marche, je pourrait vous réapprendre à danser si vous avez oubliée comment faire ! " lanca t-il d'un air joyeux.

Il mimat alors quelques pas de dance, au ralentit, étant donné sa jambe. Elle put voir qu'il s'y débrouillait, mais sans plus. Il se mit à lui sourire, d'un sourire franc, même si le regard au dessus n'était pas du tout synchronisé. Il continuait à parler en continuant son mime, comme s'il était avec une cavalière invisible. Comme pour se justifier, il expliqua.

" Les nobles adorent danser. Je pensais que c'était un cliché avant d'être intégré dans la noblesse, mais ce n'est même pas cela. Je pense qu'on doit leur apprendre la danse autant que la guerre pour les hommes, et l'ennui pour ces pauvres femmes. Ne pas savoir danser est vu comme une hérésie là bas ". Comme s'il désignait un autre monde.

" A vrai dire, ils sont tous pour la plupart insupportables. Alors que ca ne fait que quelques mois que j'ai été anobli. Je pense que je suis peut être plus à l'aise avec la populace. Quoi qu'il en soit, vous pouvez commencer à me soigner dès maintenant. Ma santé est un domaine ou je ne fait guère preuve de beaucoup de patience à vrai dire. "

Il arrêta ses pas de danse, et se mit à remarcher vers le chemin qu'ils empruntaient avant d'entrer dans le forêt. Il n'eut pas besoin de se retourner pour entendre qu'elle le suivait.

" Si votre remède marche, je suis largement disposé à vous aider financièrement pour vous relancer. Tout le monde a besoin d'argent, et avoir des économies ne vous sera que profitable. J'ai largement assez d'argent, à vrai dire, tellement que je ne sais quoi en faire. Acheter les plus beaux chevaux ou des fauteuils plus chers qu'une maison ne me distrait pas vraiment. "

Pas d’accoutumance, bien-sûr… et pas non plus d’effets secondaires néfastes, tant qu’on y était ! Etheldred s’abstint pourtant de tout commentaire : qu’il ait raison - après tout, pourquoi pas, jusqu'à un certain point - ou tort, cela se verrait lorsqu’il lui faudrait s’en passer. Il devait avoir compris qu’elle était loin d’être convaincue, car il se plaça soudain devant elle pour continuer, lui posant ses mains sur les épaules. A l’entendre, il suffisait d’essayer et elle finit par esquisser un sourire :

" Pour l’instant, vous n’avez rien à faire. Juste cesser la prise de quoi que ce soit d’autre, mais d’après ce que vous m’avez dit, vous n’avez rien pris depuis au moins plusieurs jours. "

Elle ne lisait rien, dans son regard, rien qui ne la mette sur la voie… Il avait dû apprendre à se maitriser, mais constater que ses yeux étaient d’un vert profond ne l’aidait en rien. Elle attendit confirmation, puis poursuivit :

" J’ai des achats à faire, puis je préparerai un premier baume. Ensuite, j’aurai besoin de vous examiner à nouveau, en particulier votre jambe, à chaque prise, le temps d’adapter le mélange. "

Cela, il n’allait pas apprécier, elle en était convaincue. Mais ce qu’elle venait de faire n’était qu’un rapide examen, elle ne pouvait s’en contenter. Son air sérieux s’évapora pourtant lorsqu’il prétendit lui réapprendre à danser. L’idée la surprit et elle le regarda esquisser quelques pas, amusée. Puis il se mit à parler, même à sourire, et elle commença à se rendre compte que derrière l’homme qui semblait de marbre il y avait quelqu’un de bien plus humain. Ainsi, il avait été anobli ? Elle comprenait mieux pourquoi il parlait ainsi de la noblesse : un mélange de proximité et d'incompréhension. Pour sa part, elle n'avait pas eu le temps de s'en faire à nouveau une idée. Tout ce qu'elle savait était que quelques années plus tôt, elle avait eu un avis qui ressemblait un peu à celui de Skarn.

En tous cas, il semblait pressé de commencer à se faire soigner, mais elle ne s’attendait pas pour autant à ce qu’il y mette un tel prix. Se figeant, elle le regarda avec de grands yeux avant de se reprendre et de se remettre à marcher à ses côtés.

" A vrai dire, j’avais d’abord pensé vous soigner gratuitement pour vous remercier. Mais je vais avoir besoin de certains simples que je ne possède pas. De plus, plusieurs jours à m’occuper de vous sans l’assurance d’avoir d’autres patients en parallèle risque aussi de me poser problème. Payer le remède, donc, je crains que vous n’ayez guère le choix, par contre, me relancer… "

Il fallait avouer que l’offre était plus que tentante, car elle, elle était bien loin d'avoir de l'argent à ne plus savoir qu'en faire. Mais…

" C’est très généreux de votre part, mais ce n’est qu’un remède qui ne sera pas miraculeux. Attendez au moins de voir, déjà, si cela fait effet avant de songer à me remercier. "

Elle ne voulait surtout pas qu'il soit déçu. Vivre avec une douleur persistante était pénible, mais on pouvait en accepter l'idée. Par contre, de faux espoirs pouvaient rendre l'expérience encore plus pénible qu'elle ne l'était déjà. Tout en parlant, alors qu'ils se rapprochaient à nouveau du fort, elle continuait à réfléchir mentalement à ce qu’il lui faudrait et à chiffrer le tout.

" Je vous propose que l’on se retrouve demain matin… disons à tierce, dans cette même clairière, si vous ne connaissez pas d’endroit plus approprié, afin de faire un premier test. J’aurai besoin de vous surveiller les quelques heures qui suivent, au moins pour cette première fois, afin d’être certaine que vous ne réagissez pas de façon inappropriée. Cela conviendrait-il ? "

Elle pouvait comprendre qu’il puisse avoir mieux à faire et était tout à fait prête à repousser le rendez-vous. En revanche, il faudrait bien en passer par là tôt ou tard : elle n’allait pas lui faire une simple tisane de reine des prés, elle avait vraiment besoin de voir sa jambe de plus près et, même si elle ne le mentionna pas, ce bras qu'il s'obstinait à cacher pour elle ne savait quelle raison. Enfin, pour le moment, elle ne voulait pas le faire fuir : elle avait suffisamment d'informations pour concocter ce qu'il lui fallait.

***

Elle passa le reste de la journée à acheter les simples qu'il lui manquait, à réfléchir au dosage de base à employer et à tester la consistance du mélange obtenu. En l'absence d'autres patients, elle avait tout son temps et, après une bonne nuit de sommeil, elle se mit en route avec sa sacoche remplie de tout ce dont elle avait besoin. Elle aurait bien fixé le rendez-vous plus tôt, mais elle n'avait aucune envie de s'aventurer seule en forêt alors que le jour se levait à peine. Là, au moins, il faisait beau, c'était un vrai bonheur d'aller faire un tour dehors. Et puis, trouver à réellement s'occuper lui faisait du bien et l'empêchait de ressasser ses souvenirs.

Un peu en avance, finalement, La jeune femme entreprit d'installer au sol un petit drap, sur lequel elle déposa plusieurs objets qu'elle sortit peu à peu de sa sacoche : entre autres un un petit récipient qu'elle rempli avec l'eau de sa gourde et un flacon de sels, au cas où...

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Skarn rentra dans la caserne, seul. Il ouvrit la porte du refectoire et resta immobile sur le pallier, cherchant Bjorn du regard. Il le vit, assis sur la même chaise, entouré d'autres soldats, riant et buvant. Skarn souria joyeusement devant cette scène. Le vieux sergent, voyant Skarn leva son verre et l'encouragea à venir les rejoindre boire un coup. Chose que le colosse nordique fit. Il tira une chaise et se posa dessus.

" Quoi de neuf ? "

" On parlait de toi Skarni... Skarn. Alors, comment ca s'est passé avec cette donzelle ? Elle était plutôt bien roulée ! "

Le language de Bjorn indiquait qu'il était bien plus poli que la majorité des soldats.

" Alors comme ca vous renouez avec les femmes chef ? Je croyais que vous n'y arriveriez plus depuis la dernière fois ! " commenta un soldat qui avait servit sous les ordres de l'ancien capitaine. Skarn adopta une mine sevère, en froncant les sourcils.

" Ce n'est pas une donzelle comme vous dites. Ce n'est qu'une herboriste qui me permettra de mieux supporter les impertinents comme vous ! " finit-il en souriant et en buvant du lait, comme à son habitude. " Désolé de vous décevoir, mais je ne saute pas sur la première femme venue. "

" Ca ne vous gêne pas si on le fait pour vous alors ? " demanda Bjorn, après de longues minutes de discussion sur le sujet.

" Ce sont vos affaire. " commenta Skarn, parfaitement neutre. " Mais, ne m'en voulez pas, je vais vous laisser. J'ai rendez-vous demain. "

Il sortit de la caserne sous les vivats et les encouragements de ses hommes, qu'il salua de la main en sortant de la caserne. Lorsqu'il arriva dans sa chambre à l'auberge, il regarda le plafond durant un long moment, immobile. Skarn se mit à trembler, le manque l'envahissant, avant de revenir à son état normal, après avoir fermé les yeux. Se maîtriser en toute circonstance. Après avoir combattu l'envie, il s'endormit rapidement

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Le lendemain, alors que le soleil venait à peine de se lever, un Skarn à moitié endormit chevauchait rapidement sur les chemins. Bien qu'il soit boiteux, cela ne changeait absolument rien à ses talents de cavalier, ce qui était son principal argument pour revenir au front si besoin. Seul changement notable, un seul de ses pieds avait un léger éperon. Lorsqu'on lui avait demandé pourquoi, il avait expliqué que lorsqu'un moitié du cheval démarrait, l'autre suivait automatiquement. Il n'eut aucun mal à reconnaître le chemin, et arriva dans la clairière un peu en retard, sur son cheval. La silhouette d'Etheldred s'y trouvait, et la voir mélanger des ingrédients inconnus lui fit courir un frisson dans l'échine. Il fit une révérence, sur son cheval.

" Mes excuses pour le retard, une de mes bottes étaient coincées loin sous le lit. " Il sauta de son cheval, atterissant sur sa jambe normale, et l'envoya d'un signe paître au loin. Le destrier obéit sans la moindre contestation. Skarn s'avanca et salua Etheldred de loin. Si elle était une noble, l'étiquette aurait sûrement exigée au moins un baiser sur le dos de la main, mais il craignait de se montrer trop familier à son goût, et préféra rester prudent.

" En tout cas, vous semblez être en meilleure forme que moi ce matin, quel est votre secret ? " demanda t-il joyeusement

Il regarda ce qu'elle était en train de préparer, haussant un sourcil et froncant l'autre.

" C'est donc cela que vous aller tester sur moi donc. Et quels en seront les effets ? Enfin, je vous embête avec mes questions de gosses. Dites moi ce qu'il faut faire, c'est tout. "

Etheldred releva la tête dès qu'elle entendit quelqu'un arriver et se leva en reconnaissant Skarn, lui adressant un sourire et un petit signe de la main :

" Bonjour ! "

Inutile de lui demander s'il avait bien dormi, à voir la tête qu'il avait, ce n'était pas le cas. Avait-il souffert de sa jambe, était-il en manque ou bien était-ce une autre raison qui n'avait rien à voir et qui ne la concernait pas ? Quoi qu'il en soit, elle passa outre, préférant faire comme si elle n'avait rien remarqué. Elle balaya d'un geste ses excuses et haussa légèrement les épaules à sa question :

" Hum... Un sommeil réparateur ? "

Elle ne faisait rien d'extraordinaire si ce n'était garder une hygiène de vie irréprochable... sauf quand, évidemment, on la faisait venir en pleine nuit pour un cas urgent, ou qu'elle partait courir la campagne à la recherche de simples ou... Enfin bref, elle n'avait pas de secret miracle à révéler. Se remettant à préparatifs, elle finit pourtant par relever les yeux vers lui, amusée. Il semblait bien joyeux... réalité ou bien désir de donner le change ?

" Vos questions ne m'ennuient pas du tout, et m'éviteront d'avoir l'impression de parler toute seule quand je vous donnerai des explications ! "

Le baume était déjà prêt, elle n'avait plus qu'à en vérifier l'homogénéité. Elle prenait son temps, afin de continuer à voir ses réactions, déjà sans le remède. Ne le connaissant que peu, il lui était difficile de se faire une idée. Il paraissait de bonne humeur et elle devait reconnaitre qu'elle l'était aussi, contente de le revoir et à mille lieues de ses soucis de la veille. Elle aurait bien le temps de se reposer des questions plus tard. Elle reposa ses affaires, précisant :

" Je vais commencer par vous examiner, surtout votre jambe, afin de me faire une idée plus précise de votre état. J'aimerais prendre à nouveau votre pouls, pour commencer. "

Elle lui fit signe de s'asseoir, faisant de même et comme la veille, lui tendit la main. Ce faisant, elle continua à expliquer :

" Ensuite, j'appliquerai le baume. Vous devriez avoir une sensation de chaleur, puis d'anesthésie. Ça ne devrait durer que quelques dizaines de minutes pour cette fois. "

Elle garda le silence un instant, prenant le temps d'écouter ses battements de cœur. Elle ne se pressait pas, loin de là, tenant à avoir une base de départ aussi précise que possible avant de lui administrer le traitement. Sans le lâcher, elle reprit à nouveau la parole, complétant le programme prévu :

" Ensuite je revérifierai essentiellement votre pouls, je vous demanderai de marcher un peu pour voir quels sont les effets attendus et... éventuellement inattendus. Il faudra me signaler tout mal être, c'est important. Et pas question de jouer au héros, hein ! Vous avez suffisamment fait vos preuves, je crois, pour reconnaitre quand ça ne va pas. "

Elle avait beau l'avoir fixé un peu plus durement en disant ces mots, non seulement, elle n'était pas vraiment douée pour avoir l'air sévère, mais de toute façon elle doutait qu'il soit du genre à écouter sagement... plutôt le style à n'en faire qu'à sa tête en se disant qu'il prendrait le risque.

Quelques minutes plus tard, elle se décidait enfin à lui lâcher la main, non sans avoir profité de leur proximité pour le regarder droit dans les yeux et vérifier à tout hasard qu'il n'avait pas les pupilles dilatées.

" A présent, au tour de votre jambe. "

Elle le laissa se déshabiller en partie, le fit s'asseoir, puis entreprit de regarder de plus près les différentes blessures. Palpant doucement sa jambe, elle laissa ses doigt courir sur les muscles, les os, les tendons.

" Où avez-vous le plus mal, exactement ? J'ai besoin de déterminer la source de la douleur. "

Elle doutait que ce soit la cicatrice la plus visible qui soit en cause. Impressionnante, certes, mais probablement recousue sans qu'il n'en soit resté beaucoup de dommages internes. La seconde, en forme d'étoile, lui paraissait plus inquiétante. Elle fit jouer doucement l'articulation, se gardant bien de forcer sur quoi que ce soit.

" Que vous a-t-on dit à l'époque, lorsque vous avez été soigné ? Soyez le plus précis possible sur les lésions que l'on vous a nommées... Pourriez-vous marcher un peu, à présent ? "

A nouveau, elle l'observa se déplacer, mais cette fois se focalisa uniquement sur la jambe. Elle commençait à avoir une bonne idée de la façon dont elle devrait procéder. Mais avant de faire quoi que ce soit, elle demanda sur le ton de la conversation :

" Si vous me disiez, à présent, pourquoi vous m'avez caché votre bras, hier, et si vous me laissiez y jeter un œil ? "

En réalité, elle ne lui laissait guère le choix. Peut-être n'y avait-il rien à cacher, mais elle n'aurait pas le conscience tranquille tant qu'elle n'aurait pas vérifié toutes les pistes. Elle avait suffisamment peu d'informations sur lui pour ne pas en plus se montrer négligente.

" Et ne faites pas cette tête là, ajouta-t-elle avec un petit sourire en reprenant son expression de la veille. Quoi que je voie, je doute qu'il y ait de quoi annuler purement et simplement notre accord. "

Skarn s'était pour l'instant soumis aux directives d'Etheldred, la laissant prendre son pouls, l'observer en train de marcher, palper sa jambe (ce qui l'avait fait sourire, le contact des doigts sur ses poils ou sa peau le chatouillant). Elle semblait s'intéresser à sa jambe, observant la manière qu'il avait de se déplacer. Il lui expliqua que les chirurgiens l'avait bien réparé comme ils disaient, mais qu'il était obligé de traîner la jambe pour ne pas avoir de douleur.

" C'est entre autre pour ca que j'ai besoin de drogues si je retourne au front. En ignorant la douleur, je peux pratiquement retrouver mes capacités d'avant. "

Elle lui posa plusieurs questions sur la douleur. Il pointait les zones de son index de la main gauche, gantée.

" Ici, au niveau de la rotule. Un carreau d'arbalète m'a brisé la jambe à ce niveau là. Quand je marche, la douleur explose ici, se répand dans la jambe, cesse au niveau de la taille, mais.... respire je dirait, au niveau de la tempe. J'ai mal, je n'ai pas mal, j'ai mal... et ainsi de suite. "

Il se remit à marcher, répondant à ses questions, les yeux au ciel, comme s'il réfléchissait.

" Ce qu'on disait à l'époque ? Et bien, quand je leur avait demandé ce que j'avais, j'ai eu droit à une réponse du genre.... oh putain les mecs, venez voir ca c'est gore ! On m'a proposé plusieurs fois l'amputation je me souviens, ainsi que des drogues pour calmer la douleur durant les réparations, car c'était plus des réparations que du soin. Mais j'avais refusé, imaginez si j'avais lâché un oui durant la demande d'amputation... "

Il s'arrêta. Elle le regardait plus sevèrement.

" Plus sérieusement, il m'ont dit que j'avais de la chance si je marchait encore. Je ne m'y connait guère en anatomie, mais j'avais la jambe brisée, une triple fracture ouverte au niveau de la rotule, et une luxation de la jambe, en même temps. J'était à cheval en fait, et quand j'ai été fauché, je suis retombé sur le genoux, et sur le carreau, ce qui a fait que... enfin, vous voyez le tableau. "

Puis, vint la question fatidique, ou elle lui demanda de voir son bras. Il s'arrêta d'un seul coup, et resta silencieux quelques instants.

" Vous me demandez beaucoup de choses là, Etheldred. Ce n'est pas le genre de blessure que l'on montre avec plaisir à ses enfants car cela fait viril. Et puis, la dernière fois qu'une femme l'a vue, ca s'est très mal passé... "

Il regarda ses deux mains, l'une nue, et l'autre gantée. Après examen, on pouvait voir que la gauche était legèrement plus grosse que la droite, nue. Il respira un grand coup.

" Enfin, je suppose que je ne dois rien cacher à mon médecin, non ? " lanca t-il d'un air presque désespéré.

Il enleva son gant doucement et presque avec difficultée. La main était gonflée. Mais surtout, la peau était rougeâtre, crevassée et ravagée comme une terre après un énorme tremblement de terre. On avait l'impression que la peau avait fondue et s'était mélangée, dessinant des sortes de cercles. Ce qui était le cas d'ailleurs. Puis, en fermant les yeux et après une grande respiration, il se déshabilla complètement, laissant son bras gauche nu.

Le bras ressemblait encore à un bras humain. Du moins, il en avait la forme globale. La peau était elle aussi ravagée, et les horribles trâces de brûlures le parcourait tout du long, jusqu'a atteindre la moitié du pectoraux gauche de Skarn, et la base de son cou. Des traces de cicatrices s'ajoutaient au spectacle. Le bras donnait l'impression d'être aussi solide et dur que le bois, tout en étant mou. Il le fit bouger, et le spectacle de ce bras ecoeurant bouger, les cicatrices remuer, était à la fois repoussant et fascinant. Il ressemblait à un corps étranger gréffé à Skarn. Comme s'il n'avait rien à faire ici.

" Il est devenu comme celà avant ma blessure à la jambe. En fait, vous pouvez dire que je l'ai perdu, car je ne ressent rien à ce bras. Je peux le bouger ou le mouvoir, mais je ne sais pas si j'ai mal, si j'ai froid, et je serais incapable de différencier du bois ou de la soie au toucher."

Il caressait son bras avec son autre main, d'une manière presque affectueuse.

" Je l'ai perdu dans un incendie. Plusieurs de mes soldats se trouvaient alors dans la maison en feu, et je m'était porté à leur secours. J'en ai tiré deux des flammes en échange de ce bras. J'ai eu beaucoup de mal à convaincre mes supérieurs que je pouvait continuer à me battre avec un tel bras. "

Cet acte aurait pu être héroique s'il n'avait pas continué.

" Enfin, notez que cela n'a servi à rien, car mes deux hommes sont morts peu après des suites de leurs brûlures. Aujourd'hui encore, je me demande si j'ai bien fait de plonger à l'interieur. En restant à l'extérieur et les laissant mourir, je m'en serais tiré sauf. Mais au final, je ne sais pas si j'aurais été capable de me regarder dans un miroir après celà. Tout son honneur contre un bras... même aujourd'hui, je me demande ce que j'aurais préféré perdre. "

Se tenir quasiment nu devant une femme était assez troublant pour lui, mais, étrangement, il arrivait à en faire abstraction.

" J'espère que celà ne changera rien à ce que vous avez l'intention de me donner. "

Etheldred esquissa une légère grimace lorsqu'il expliqua être tombé sur le carreau. Pas étonnant qu'il y ait eu tant de dégâts. En revanche, elle eut une moue désapprobatrice lorsqu'il décrivit la réaction des médecins : c'était tout simplement lamentable. Enfin... ce n'était malheureusement pas un cas isolé.

Vint la question de son bras et, malgré le ton un peu léger qu'elle avait employé, elle sut qu'il n'y répondrait pas de bon cœur. Seulement, il fallait qu'elle sache, ce vêtement pouvant cacher tout et n'importe quoi. Que lui dire ? Elle ne pensait pas partir en courant en hurlant ou s'évanouir, si c'était ce qu'il craignait. Elle avait vu assez d'horreurs, tout de même, pour se remettre de ce qu'elle découvrirait. Enfin, elle l'espérait, parce que sinon, c'était qu'il était vraiment dans un sale état. Elle hocha la tête lorsqu'il admit enfin qu'il ne devait rien lui cacher, et acquiesça doucement :

" Je suis désolée, je ne vous le demanderais pas si je ne le pensais pas nécessaire. "

Il n'eut pas besoin d'enlever sa chemise qu'elle avait compris, rien qu'en voyant sa main : brûlure, et pas qu'au premier degré. Décidément, il en avait vu... Elle secoua légèrement la tête, comme pour affirmer que personne ne méritait ça, mais l'écouta attentivement : elle venait au moins d'apprendre qu'elle ne pouvait se fier à cette partie de son corps pour tester les effets du baume, ce qui ne faisait pas une grosse différence, mais qu'elle estimait important malgré tout. En tous cas, elle lui épargna la grimace dégoutée ou tout autre réaction négative, s'efforçant de rester professionnelle.

" Non, rassurez-vous, ça ne change rien. En revanche, je sais à présent qu'une partie de vous risque de ne pas réagir... enfin, vous n'avez pas fait cela pour rien, c'est ce que je veux dire. Vous pouvez vous rhabiller, excepté votre jambe. Je ne vous ennuierai plus avec cela. "

Elle alla vérifier la consistance du baume et revint avec un petit récipient en bois qui en était rempli, ainsi qu'une petite serviette, au cas où il faudrait supprimer la substance en urgence.

" Je vais l'appliquer et masser jusqu'à le faire pénétrer. Regardez bien la zone que j'ai choisie car il faudra y rester : par la suite, vous pourrez le faire vous même si vous préférez. "

Elle attendit qu'il soit prêt et préleva une noisette qu'elle déposa avant de commencer à masser doucement, commentant :

" Normalement, vous allez sentir une certaine sensation de chaleur, mais rien qui ne soit douloureux : dites-moi si ça brûle de façon anormale, je devrai réadapter le dosage. "

En théorie, il n'y avait quasiment aucune chance pour qu'il se trouve mal, à moins qu'il ne fasse une réaction allergique particulièrement violente. Lorsqu'elle eut terminé, elle s'assit à ses côtés sur le tronc mort et reprit :

" Votre genou va s'engourdir peu à peu, vous ne devriez plus vraiment le sentir sous peu. Dites-moi si vous vous sentez mal, ou s'il y a quoi que ce soit qui vous parait anormal. "

Pour le moment, mis à part lui prendre le pouls à intervalles réguliers, elle n'avait plus grand chose à faire. Elle l'avait déjà prévenu qu'elle tenait à vérifier qu'il allait bien durant les heures qui suivraient le traitement. En attendant, plutôt que laisser s'installer un silence pesant, elle revint sur ce qu'il avait dit un peu plus tôt, prouvant que si elle avait fait abstraction du reste pour donner la priorité au côté médical, elle l'avait tout de même écouté.

" Pour votre bras et votre honneur... Dites-vous que si vous avez agi de la sorte, c'était que sur le moment c'était ce qui vous a paru le plus logique... et que c'est probablement ce qui l'était, de fait. C'est le genre de situation qu'il faut vivre pour savoir, il me semble. Revenir dessus après n'a pas vraiment de sens. "

En tous cas, à son expression, elle ne serait pas celle qui le traiterait d'imbécile pour avoir agi de la sorte. De son point de vue, c'était une question de conscience : elle ne savait pas si elle se serait montrée aussi héroïque à sa place, mais elle comprenait cette crainte de ne plus pouvoir se regarder en face en cas de passivité.

" Votre main, s'il vous plait. "

Si elle perdait un peu ses manière de guérisseuse le temps de discuter, elle n'oubliait tout de même pas qu'elle devait surveiller l'avancée des effets du baume. Elle garda donc le silence un instant, le temps de prendre son pouls, avant de le lâcher à nouveau, pour le moment satisfaite de ses réactions.

" Je me demandais... si ce n'est pas indiscret, quand vous parlez de colère pour aller combattre... Pourquoi ce besoin ? Je veux dire, en admettant que votre jambe ne soit plus un souci, serait-ce toujours nécessaire pour vous ? "

Au ton qu'elle employait, ce n'était plus la guérisseuse qui parlait. Elle s'interrogeait plus sur sa logique, sur ce qu'il pensait, en somme, et il ne s'agissait pas d'émettre de jugement, mais de comprendre.

" Je demande cela parce que... elle hésita, quand j'ai dû me remettre à l'escrime, après mon amnésie, mon... hum... maître d'arme m'a fait remarquer que je manquais de hargne. Vous voyez ce que je veux dire ? "

Elle haussa les épaules, un peu gênée :

" Enfin, bref, je vous embête à vous raconter ma vie et avec mes questions, je vous en ai posé des suffisamment pénibles comme ça, je crois... "

Elle pouvait comprendre qu'il n'ait pas envie de discuter tranquillement avec elle. Ce ne serait pas le premier patient qui la réduirait à son statut de guérisseuse par malaise. Il fallait dire aussi que forcer plus ou moins les gens à se déshabiller et à accepter d'entendre certaines vérités pas toujours agréables, n'aidait pas à instaurer une relation de confiance. Quand elle voyait la réticence de Skarn à montrer ses blessures, elle pouvait supposer qu'ensuite discuter comme si de rien était n'était pas dans ses priorités.

" Non, ne vous inquiétez pas, c'est toujours plus agréable qu'un silence de mort. Et puis, je n'ai pas souvent de compagnie ces derniers temps, ca me change agréablement. "

Il tendit les bras en l'air, comme s'il venait de se reveiller, dans sa couette.

" Disons qu'il y a plusieurs manières d'aborder un combat. Sois en gardant la tête froide et un calme olympien afin de pouvoir observer la situation attentivement, et donc de réagir de la meilleure manière. La seconde est de laisser libre cours à vos pulsions et de les utiliser pour vous améliorer si je peux dire. "

Il continua ses explications.

" La seconde option, pour les personnes comme moi qui ont un avantage physique énorme sur leurs opposants, est souvent plus efficace, bien que plus risquée. Avant, on m'appelait l'Ours. Ce surnom venait de ma barbe et de ma moustache, que je portais à l'époque (il fit un grand sourire ) et de ces balafres que vous avez pu voir sur mon torse. Celui qui m'a fait ca est un ours que j'avais vaincu seul durant mon adolescence. "

" J'ai, enfin, j'avais des capacités physiques laaaargement supérieures à la moyenne des hommes d'ici. Se battre en étant en colère me permet d'en profiter encore plus, assez pour que j'envoie valser plusieurs hommes. Avec les champignons, la colère est telle que j'en devenait incotrolable et dangereux, mais destructeur. Plus je me lâche si je puis dire, plus je suis mortel. "

Il ferma les yeux, comme cherchant l'inspiration, puis, il cita, d'une voix très différente de celle qu'il avait naturellement, quelques paroles, le regard plongé vers le loin.

" Ses hommes à lui allaient de l’avant sans armure, enragés comme des chiens ou des loups, mordant leur bouclier, forts comme des ours ou des taureaux, et tuant les gens en un coup, mais eux, ni fer ni feu ne les navraient "

Il commença à masser sa jambe doucement, la chair de poule apparaissant sur son épiderme avant de disparaître d’un coup.

« Par contre, les baumes ont l’air plus efficaces que le feu et les armes sur moi… est-ce normal que la chaleur augmente de plus en plus ? C’est parce que ca commence vraiment à agir, ou il y a un problème ? » demanda t-il d’un air inquiet, malgré un visage neutre.

Contrairement à ce à quoi elle s’était attendue, Skarn ne semblait rien avoir contre un peu de discussion. Comme elle, il paraissait apprécier de pouvoir parler un peu et ne tarda pas à lui répondre. Ses explications étaient logiques et, quelque part, l’entendre s’exprimer lui permettait de savoir s’il se sentait encore bien. Enfin, en cet instant, elle s’intéressait surtout à ce qu’il racontait. Lorsqu’il avoua avoir été surnommé l’Ours elle lui rendit un sourire amusé : elle n’avait aucun mal à l’imaginer ainsi. Par contre, apprendre qu’il avait pu vaincre un tel animal en étant adolescent lui fit ouvrir de grands yeux. C’était drôle, mais elle imaginait les petits villages de pêcheur plus tranquilles… quoiqu’en voyant la carrure de l’homme elle n’était pas si étonnée que ça.

" De qui est-ce ? " demanda Etheldred lorsqu’il eut terminé sa citation. S’il s’agissait d’une référence connue, elle l’avait soit oubliée soit jamais entendue.

En tous cas, lorsqu’elle l’entendait parler, elle se disait que, décidément, elle pouvait toujours s’agiter, une épée à la main, elle n’aurait pas une chance contre ce genre d’adversaire. Mais en tous cas, à l’écouter, elle avait plus intérêt à en rester à sa façon de faire : être calme. De toute façon, il fallait être réaliste, même si elle décidait de se déchainer, elle ne risquait pas d’effrayer quiconque par sa force ! Elle avait toujours tablé sur sa légèreté et, plus honnêtement, sur le fait que ses adversaires la sous-estimaient la plupart du temps, ce dont elle avait pris l'habitude de jouer. Enfin, face à un adversaire tel que Skarn, elle n'eut qu'à prendre ses jambes à son cou en espérant qu'il courre moins vite qu'elle !

Il revint soudain à sa jambe, la massant en demandant si tout était normal. Se penchant un peu en avant pour la voir de plus près, la jeune femme essaya de discerner une éventuelle rougeur :

" Tout dépend de ce que vous ressentez : si c’est juste chaud, mais supportable, c’est normal, si ça devient douloureux, alors on arrête tout de suite et je réadapterai. "

Elle guettait sa réaction, prête à aller chercher la récipient d’eau qu’elle avait déjà préparé pour intervenir. Mais la peau semblait rester intacte, le baume devait être efficace, ou du moins n'était-il pas nocif. A présent, il allait commencer à ne plus sentir son genou, puis une partie de la jambe. Rien de mieux pour cette fois, elle n'avait pas poussé assez les doses pour qu'il crapahute comme un bienheureux.

" Faisons quelques pas, voulez-vous ? "

L'idée était de voir à quel point sa démarche pouvait s'en trouver modifiée. Et tant qu'à faire plutôt que l'observer bêtement marcher devant elle, elle préférait autant le suivre pour transformer un examen qu'il aurait pu trouver désagréable en un semblant de promenade. Elle fit pourtant attention à ne pas s'éloigner de son matériel : s'il devait tout à coup avoir un malaise, elle aimait autant se savoir prête. Elle pouvait presque voir la progression du produit qu'elle lui avait administré par sa simple façon de se tenir et de mettre un pied devant l'autre.

Elle avait raison de se méfier : une dizaine de minutes plus tard, alors que le baume semblait avoir fait des merveilles, Skarn put sentir comme un étourdissement qui arriva sans prévenir. Son cœur s'accéléra subitement, il sentit des fourmillements dans les membres et vit danser des points noirs devant ses yeux. Le temps qu'elle s'en aperçoive, la jeune femme eut juste le temps de l'attraper par un bras et de placer une main derrière sa tête pour freiner autant que possible sa chute et lui éviter de se fracasser le crane au sol. Sauf qu'évidemment, étant donné le poids de l'homme, elle ne put que légèrement limiter les dégâts et fut à moitié entrainée elle-même. Ce qu'elle ne limita pas, en revanche, ce fut la claque qu'elle lui administra de suite en protestant d'un ton énergique :

" Skarn ! On se réveille ! "

Il avait encore l'air à peu près conscient et elle le lâcha pour aller chercher son flacon de sels et lui en faire respirer afin de lui donner un coup de fouet. Son pouls était retombé, le cœur semblait être reparti pour un battement régulier.

" Skarn ! C'est pas le moment d'hiberner ! Gardez les yeux ouverts ! "

Si c'était bien ce qu'elle croyait, il n'y avait pas lieu de s'affoler, juste de surveiller afin que cela ne se reproduise pas. Il devait récupérer rapidement, ce qui ne l'empêchait pas de l'observer attentivement pour parer à tout ennui. Malgré la petite touche d'humour et le sang-froid dont elle faisait preuve, elle s'inquiétait tout de même. Après tout, si elle avait eu de bonnes sources, elle n'avait pas testé ce baume elle-même durant des dizaines d'années jusqu'à être certaine de sa fiabilité. Bien-sûr si elle avait eu des doutes, elle n'aurait pas pris le risque, mais...

" Comment vous sentez-vous ? "

Skarn se massa la mâchoire d'un air douloureux. Ouvrant les yeux, il vit qu'il était allongé sur le sol, face au ciel bleu qui semblait l'aspirer. La faible voix d'Etheldred lui parut plus claire.

" Comment vous sentez-vous ? "

Elle semblait réellement inquiète, ce qui le toucha un peu. Il répondit d'une voix pateuse.

" Comme si toute l'armée diantriaise avait marchée sur ma langue avec des chausses. Je me sens quasiment vidé. Et j'ai mal à la joue aussi. "

Il sentait l'étourdissement disparaitre peu à peu. Il cligna des yeux, qui le picotait et il toussa plusieurs fois. Le coup du sel près du nez ne l'avait pas aidé. Il avait respiré si fort qu'il en avait avalé avec le nez et il luttait contre la toux irrépréssible. Il commenca à se lever doucement, se tenant la gorge et toussant comme un pestiféré sous l'oeil inquiet d'Etheldred. Il fit un signe de sa main afin de l'arrêter.

" C'est... bon, raaaaah, craah, c'est le sel ! Pas le baume ! "

Il se rétablit peu à peu.

" Ca va, je n'ai plus rien, à par quelques vertiges, ne vous inquiétez pas. "

Après quelques étourdissements, il parvint à se mettre tout à fait debout, la main sur le front.

" Ah, quelle pitié... on peut s'entraîner autant qu'on veut, s'endurcir par tous les moyens possibles, s'infliger des entraînements douloureux par dizaines, ca ne changera jamais rien. Quelques herbes, un peu de poudre et de l'eau chaude suffisent à me mettre à terre. C'est vraiment nul " finit-il, presque plaintif.

Il sentit une douce pression sur son flanc, et vit que Etheldred était la seule chose qui l'empêchait de tomber au sol, sous le vertige. S'appuyant à demi sur elle afin qu'elle ne s'écroule pas sous ses 90 kilos, il claudiqua jusqu'a une souche d'arbre, la remerciant. Ils s'étaient legèrement éloignés du fort et de la route, et étaient plus profondément ancrés dans les bois. A leurs pieds s'étendaient un tapis de feuilles, de mousses, de champignons et de... pommes de pin. Alors que Etheldred lui tournait le dos, parlant de la prochaine mixture qu'elle allait concoter suite à son étourdissement.

Skarn prit une pomme de pin épaisse, et la fit tourner entre ses doigts. Ses mains étaient grandes, mais contrairement au reste du corps, impeccables, sans la moindre eraflure ou blessure. Même la ligne de vie n'apparaissait pas. Leur douceur était surnaturelle. Ou artificielle. Plutot artificielle.

Il arrêta de faire tourner la pomme de pin. Et la douce peau qui entourait des doigts à l'ossature effrayante commencèrent à se presser, et la pomme de pin finit brisée dans plusieurs craquements. Il soupira. Cela le destressait, et il recommenca à en briser d'autres dans sa main. Au moins, il n'avait pas perdu sa force. Il s'était entraîné à solidifier sa poigne durant des années, en frappant à répétition le plat de ses doigts sur des briques, trempant ses mains dans de l'eau brûlante à intervalles régulier, ce qui avait fini par applanir sa peau. Il en avait eu plusieurs fractures, ouvertures, blessures et saignement, mais le résultat était à la hauteur de ses esperances. Une poigne de fer dans un gant de soie. Il passa sa main sur sa joue rouge. Etheldred avait elle aussi une bonne frappe. Un sourire apparu sur ses lèvres alors que de vieux évenements revinrent en mémoire. Il se retourna pour parler à Etheldred qui revenait vers lui.

" Vous savez que vous êtes la troisième femme à me gifler ? La première était ma mère, et la seconde était une femme auprès de laquelle j'était un prétendant. Et maintenant, on me gifle pour me reveiller... "

Oh, il était suffisamment en forme pour se plaindre ! La constatation tira un petit sourire rassuré à la jeune femme. Il venait de faire une jolie réaction au mélange, mais elle voyait plutôt bien comment y remédier. Mentalement, elle passait déjà en revue le dosage qu'elle tenterait en rentrant à l'auberge et testerait le lendemain si cette mésaventure ne lui avait pas fait changer d'avis. Non, elle ne jouait pas aux apprentis sorciers, elle savait ce qu'elle faisait : mais on ne pouvait pas toujours administrer les mêmes doses sans réfléchir. Mal à la joue ? Hum... elle devait avouer qu'elle n'y était pas allée de main morte.

" Pour la joue, ce n'est qu'une "petite gifle"... eh ! Doucement ! "

Trop tard, il étouffait joyeusement avec les sels, bien qu'elle se soit empressée de reboucher le flacon. Le soutenant comme elle pouvait, elle attendit un long moment qu'il arrive à se calmer et que les vertiges disparaissent, avant de l'aider à se relever pour s'installer plus confortablement. Il avait beau lui dire de ne pas s'inquiéter, elle craignait tout de même qu'il ne chute à nouveau. Finalement, le "c'est vraiment nul" qui faisait très gamin boudeur acheva de la convaincre qu'il allait mieux.

" Je vais arranger ça, ne vous en faites pas. J'avais prévu cette possibilité... ça devrait aller. En tous cas, le baume fait malgré tout effet, normalement. "

Il ne devait plus sentir sa jambe, effectivement, et se trouver soulagé de sa douleur coutumière. Elle alla récupérer ses affaires et rangea le tout dans sa sacoche avant de revenir vers lui. A présent, il n'y avait plus qu'à attendre que les effets se dissipent. D'ici une ou deux heures elle le laisserait partir et irait de son côté adapter son mélange. Il venait de remarquer qu'elle était la troisième à le frapper de la sorte.

" Il faut croire que vous aimez bien vous mettre dans des situations où vous recevez des gifles, " le taquina-t-elle en l'observant.

Il semblait avoir récupéré. Elle lui demanda une fois de plus sa main afin de prendre son pouls et ce fut à ce moment qu'elle s'aperçut que quelque chose clochait. Son rythme cardiaque s'accélérait alors qu'à présent il aurait dû se calmer et sa respiration faisait de même, elle voyait sa poitrine se soulever rapidement. Elle fronça les sourcils, beaucoup plus inquiète qu'un instant plus tôt et lui posa une main sur le front à la recherche d'une éventuelle montée en température.

" Vous êtes bien certain que vous n'avez rien pris avant de venir ? "

Là, la réaction lui paraissait anormale et elle craignait qu'il ne fasse une crise plus inquiétante qu'un simple malaise. Cela aurait pu s'expliquer par une combinaison inadaptée de substances. Si c'était le cas, il fallait absolument qu'elle lui dise ce que c'était avant que la crise ne s'amplifie. Si c'était autre chose... alors elle allait devoir réagir avec bien peu d'éléments en main. A vrai dire, elle ne savait pas quelle réponse elle préférait. Lui prenant le bras, elle s'efforça de rester calme :

" Essayez de vous détendre et allongez-vous. "

Skarn se trouvait une fois de plus allongé au sol, mais cette fois, il sentait vraiment que quelque chose n'allait pas en lui. Il sentit la chair de poule envahir tout son corps, son coeur s'accellerait et une veine près de sa tempe battait à toute vitesse. Ses yeux allaient et venaient de droite à gauche, comme paniqué. Il vit le visage d'Etheldred qui essayait de le rassurer, mais il savait qu'elle ne pouvait à partir de ce moment rien pour lui. Ses mains essayaient d'attraper quelque chose et, ne trouvant rien, elles s'accrochèrent au sol, comme si l'homme craignait de s'envoler vers le ciel sans espoir de retour.

Une horrible sensation commencait à le tirailler, puis l'envahir comme la rivière en crue s'étend sur les champs et les plaines, balayant les maigres barrières et haies. Il serra les dents et essaya d'ignorer le gout du sang qui venait peu à peu envahir son nez et sa bouche. Ses doigts commencèrent à creuser dans la terre en tremblant d'aldrénaline. Il commencait à avoir faim et de la salive envahissait sa bouche. Comme s'il cherchait une proie, il se mit à renifler et respirer de plus en plus fort. Il commencait à se relever peu à peu, se redressant. Même si celà était impossible, il avait même l'air d'avoir grandi. Les traits de son visage commencaient à se modifier sous l'effet de la colère l'envahissant et la fuite de sa raison. Ses sourcils froncés lui donnaient un air terrible et haineux. Un râle sortit de sa gorge.

" Aaaaarrrrrrrrrrhhhnnnn.... "

* La ferme ! *

Sa propre voix retentit dans son esprit comme venant d'un étranger, et il s'étonna lui même de sa présence. Les quelques restes de son esprit sain essayaient de se raccrocher à n'importe quoi d'autre que le gout du sang. Quelque chose dans ce qu'elle lui avait donné avait du clocher. Elle ! Voilà !

* Il y a une femme alors calme toi ! *

Son visage tourna vers Etheldred. Une envie passa sur son visage, mélange de faim sexuelle et de faim tout court, avant que son visage revienne à la normale, une fraction de seconde.

* Tais-toi ! *

Sa voix résonnait en lui comme un écho dans la montagne. Il commenca à se prendre le visage dans ses mains, tremblantes comme s'il allait exploser. Il faisait un léger mouvement de pendule d'avant en arrière.

" Skkkkkkkkarrrrrrrnnn.... "

* TAIS-TOI !!! *

La bête en lui commencait à hésiter et à plier. Oui, il n'y avait qu'un seul être à coté de lui. Et ca ne suffisait pas à briser ses chaînes. Ce serait du gâchis. Et cette stupide voix à l'intérieur de lui... qui lui hurlait de se terrer dans son trou avec une puissance et une volonté terrifiante, même pour elle.

L'ombre partit et l'esprit du nordique revint. Sa peau était devenue presque rouge, pas de honte ou de sueur, mais de colère. Elle commenca par pâlir peu à peu, et sa stature sembla diminuer en même temps que sa haine. Sa respiration revint à la normale, et la pupille de ses yeux reprit sa forme initiale. Il prit une grande inspiration et chercha Etheldred du regard. Elle avait reculée de plusieurs mètres, mais ne s'était pas cachée. Courage, curiosité, ou frayeur telle qu'elle n'avait pas su bouger plus que cela ? Il se sentait mieux. Mais terriblement fatigué. Il se releva, se mettant debout, et, sans prevenir, baissa sa tête, les yeux fixés sur le sol.

" Je suis désolé. Je crois que j'ai mal réagit à l'un de vos produits. J'aurais voulu que vous n'assistiez pas à cela, même si ce n'était qu'un apercu. "

Il releva sa tête. Son air calme et impérieux avait quasiment disparu, et on aurait dit que le jeune pêcheur refaisait surface en lui.

" Dites moi que cela ne vous donne pas envie de courir dans la direction opposée à la mienne et que vous accepterez encore de me tenir compagnie. S'il vous plaît. "

Il brûlait de lui demander ce qu'il y avait dans la composition de ce qu'elle lui avait donné. Car il doutait qu'elle ait mit des amanites noires dedans. Existait-il un autre produit qui le ferait réagir ainsi ?