[Autel] Petite balade à deux [Alia et Lenwë]

[Bon en fait je réponds maintenant]

Alia avait été ravie que Lenwë accepte sa main tendue et, par là même, accepte sa petite balade. Ce n'était que maintenant qu'elle se rendait compte à quel point se promener avec une personne du peuple allait peut-être paraître incongru aux quelques croyants venus prier ce matin là. Mais Alia chasse ces pensées négatives : après tout, elle était la Haute Prêtresse de Néera, réincarnation de la Déesse ! Que chacun jase derrière son dos, cela la laisserait complètement indifférente. La réactions d'éventuels spectateurs n'allaient pas lui dicter sa conduite : c'était elle qui choisissait sa route et ses actes, pas les autres. L'affaire était close.

Haussant un sourcil interrogateur, surprise par la question indirecte de l'elfe quand à son âge, Alia n'en fut pas moins ravie qu'il décide de lui tenir le poignet pour pénétrer à l'intérieur du bâtiment. Ainsi, son compagnon n'avait pas pris mal les quelques contacts physiques éphémères qu'ils avaient échangés, et Alia en fut soulagée. Tant que cela restait épisodique et discret, elle pourrait ainsi continuer à manifester ses sentiments par le toucher. Voilà quelque chose qui la mettait de bonne humeur et surtout, qui lui en apprenait un peu plus sur les relations entre les humains. Encore une fois, la pleine de conscience de son ignorance manqua de la faire chanceler, mais elle se raccrocha au bras de Lenwë avec un peu plus de force que ne l'aurait supposé un geste totalement naturel et banal. Son malaise passa, et Alia se concentra de nouveau sur leur petite marche. Ils étaient à présent au seuil de la cathédrale, baignés dans sa fraîche pénombre et, inspirant à pleins poumons, Alia se sentit revivre.

Esquissant quelques pas à l'intérieur du bâtiment, Alia répondit à la question de Lenwë en chuchotant, attitude qui venait naturellement à toute personne pénétrant en ces lieux :
"J'habite ici depuis que j'ai été nommée Haute Prêtresse, c'est à dire il y a neuf ans. Avant, j'habitais dans un orphelinat, là où j'ai grandis. Malgré ma fonction prestigieuse, je n'ai pas un passé glorieux."
Nulle tristesse, nulle peine dans sa voix, juste une simple résignation. Son passé était son passé, point. Il n'y avait pas matière à s'étendre dessus pensant des heures.
Avec un petit sourire espiègle, elle enchaîna :
"Et avant de répondre à ta question indiscrète, je voudrais savoir. Quel âge me donnerais-tu, de manière complètement objective?"
Un jeu... Oui, cela paraissait n'être qu'un jeu pour la prêtresse. Comme tout à l'heure et sa question bien innocente sur le pourquoi de la présence de Lenwë à Diantra, son ton indiquait clairement que, quelque soit la réponse de l'elfe, Alia n'en prendrait aucune offense. Après tout, il y avait seulement une infime chance pour qu'il trouve du premier coup quel âge elle avait vraiment... Oui, c'était vraiment un jeu.

En silence, accompagnés par le doux murmure du tissu de sa robe caressant le sol de marbre, ils avançaient dans la cathédrale, s'approchant de plus en plus de l'autel au centre. Resplendissante dans sa robe immaculée, Alia ressemblant à une mariée virginale mais une telle pensée ne vint même pas effleurer son esprit. Une mariée? Un homme et une femme unis par un sentiment encore plus fort que l'amitié? Alia arrivait à peine à concevoir une telle chose, alors l'amour... le mariage... Non, c'était des concepts pour l'instant atteignables, hors de son esprit d'enfant. Bientôt, oui bientôt elle commencerait par les apprivoiser, tout doucement, mais pour l'heure, il n'était pas question de mariée et de couple, juste de deux futurs - peut-être - amis. Rien de plus. Rien de mois.

Ils étaient à présent arrivés devant l'autel majestueux de la cathédrale. Immobile, Alia le contemplait, une fois de plus subjuguée par sa beauté. C'était oeuvre d'art d'une rare beauté, et d'une rare précision. D'un instant à l'autre, on s'attendait à ce que la statue se mette à bouger, quittant son socle pour venir évoluer parmi les vivants, parmi les mortels, créature artificielle mais parfaite.
"Elle est belle, n'est-ce pas?" demanda Alia dans un souffle, presque certaine que l'homme partagerait son sentiment.

Alia ne se formalisa sur l'absence se réponse de Lenwë. D'ailleurs, elle n'y fit même pas attention, tant elle était accaparée par les beautés de ce lieu qui, malgré les années, la fascinait comme au premier jour lorsque, encore toute jeune fille, elle avait pénétré dans ce havre de paix aux dimensions prodigieuses, liant à jamais sa vie et cet endroit sacré. C'était il y a neuf ans et, à cet instant, cela aurait bien pu être hier qu'Alia n'aurait pas vu la différence. Ces dernières années étaient passée à une vitesse folle bien que, en y réfléchissant, Alia n'avait pas fait grand chose de la majorité de son temps, si ce n'est apprendre et apprendre dans les premiers mois de sa fonction.

Et le temps passait d'autant plus vite qu'il défilait sans laisser de trace sur le corps d'Alia. A peine si une personne proche, la côtoyant chaque jour et avec attention aurait pu remarqué les infimes altérations du temps sur sa silhouette juvénile. Pour tous les autres, elle restait l'éternelle adolescente de dix-huit, fraîche et pétillante, l'image parfaite - quoiqu'un peu vieillie - de la Déesse de la Vie. Etait-ce une forme d'immortalité? Alia l'ignorait et, au plus profond d'elle-même, redoutait de le savoir, terrifiée d'être condamnée à vivre pendant des siècles, des millénaires peut-être même.

Cette pensée lui rappela brutalement que, à ses côtés, se tenait un être appartenant à une race d'immortels. Son sourire s'éclaira, et une nouvelle idée germa dans sa tête : peut-être qu'au près des elfes et de leur sagesse infinie, elle pourrait en apprendre plus sur sa condition, et sur ce qui l'attendait. Après tout, si elle n'était arrivée à trouver la moindre information sur un quelconque précédent dans l'histoire de l'humanité, peut-être que les elfes se souvenaient d'un être comme elle qui, des siècles ou millénaires plus tôt, avait gardé une apparence juvénile pendant des années, voir beaucoup plus.

Mais pour le moment, il n'était pas question de projeter déjà ses futurs questions à un quelconque représentant elfe. Elle était là, dans la cathédrale, accompagné par un jeune elfe absolument charmant... qui s'était par ailleurs agenouillé devant la statue. Un tel comportement la surprit légèrement : elle ne savait pas que les elfes étaient des êtres pieux. En fait, vu l'étendue de son ignorance... Ce n'était pas étonnant que son comportement lui parut étrange. Surtout dans un lieu comme celui-ci, fortement ancré dans les moeurs humaines... et non elfiques.

Haussant imperceptiblement les épaules, comme si ce geste banal pouvait chasser ces pensées, Alia posa un genou à terre et, après une rapide prière, se remit de bout et, toujours de son murmure chantant, entreprit de répondre à sa question :
"Je n'en sais guère, l'architecture m'étant totalement étrangère et ne rentrant guère dans les enseignements que j'ai à apprendre sans relâche. Mais je peux certainement t'en dire un peu. Cette statue, par exemple, est sans aucun doute une statue gardienne, charger de protéger cet endroit et tout le peuple humain. Vois sa splendeur, vois son air impérieux et en même temps sa bienveillance ! Elle est là, protégeant cet endroit, et lançant un message de mise en garde à quiconque voudrait s'élever contre la puissance de Diantra. Remercions les gens qui ont construit une telle beauté, car elle l'a été dans un but noble et important !"

Alia aurait pu parler pendant des heures, sentit-elle lorsque sa voix mourut d'elle-même, emportée par sa passion. A grand-peine, elle se contint, évitant de noyer l'elfe sous un flôt de parole. Un peu gênée, elle s'excusa :
"Je pourrais t'en dire bien plus mais... Je ne sais pas si le moment est bien choisi."
Son ton indiquait clairement que c'était une question et un regard interrogatif vint appuyer ses dires. Le dérangeait-elle, avec tout son babillage? Ou au contraire, était-il passionné par ces fragments de connaissances qu'elle distillait lentement, n'en possédant que très peu en réserve? Aucune idée. Ce serait à lui de lui dire.

Enfin, Lenwë répondit à sa question sur son âge et, avec surprise, elle l'écouta énoncer le sien. Ainsi, il était jeune aux yeux des humains ! Bien plus que jeune qu'elle, en tout cas, alors... qu'il avait vécu quatre fois plus qu'elle. C'était étourdissant. C'était un vrai mystère. Et il lui faudrait en apprendre plus, c'était désormais certain. Si elle devait vivre pendant des siècles, autant qu'elle se prépare à l'avance à cette épreuve qui lui apparaissait insurmontable.

Avec un brin de lassitude, inhérent à ses pensées et non à la question, elle répondit, perdue dans ses réflexions :
"J'ai pourtant trente et un ans, même s'ils ne se voient nullement. Etrange, n'est-ce pas?"
Mais l'était-ce, finalement, pour un peuple qui vivant pendant des siècles vieillissant sans brutalité, contrairement aux humains ? En fin de compte… Alia se sentait presque plus proche des elfes que des humains. Presque… seulement.

[Bon, toujours pas de réponse de Bromar alors je vais te répondre quand même, tant pis si je reste évasive sur ta dernière question.
Ajouté à cela que je ne vois pas trop quoi répondre, tu m'excuseras pour cette réponse plus que merdique.]

Les mains jointes, dissimulées dans ses amples manches, les doigts de sa main gauche caressant inconsciemment la gourmette toujours attaché à son poignet droit, Alia écouta avec gravité les paroles de l'elfe. Ils contenaient une part certaine de vérité mais, bien que ne se sentant pas vraiment concernés, Alia ne pouvait s'empêcher d'éprouver un petit malaise à leur écoute. Elle qui, quelques minutes auparavant, se sentait étrangement proche des elfes, de par la caractère étrange de son apparence quasi-immortelle - du moins le pensait-elle - elle comprit soudain que ce n'était que chimère de penser une telle chose : jamais les humains et les elfes ne seraient sur un même pied d'égalité, jamais ils ne seraient semblables, la question de la mortalité humain creusant un gouffre bien trop profond entre ces deux races. Elle fit part de ses réflexions à Lenwë, lorsque celui-ci termina de parler :

" Etre vieux, pour nous, signifie la fin d'une vie. Voir les signes du temps s'accumuler sur notre visage et sur notre corps est une épreuve bien difficile à supporter, car en nous regardant, chaque jour, nous prenons pleinement conscience de notre mortalité, et de la durée de vie éphémère inhérente à notre race. Nous ne vivons même pas un siècle alors que vous, peuple sylvain, vous viviez plusieurs fois notre existence. Il est donc plus que compréhensible que vieillir nous fasse peur, et encore plus lorsque nous estimons que notre temps sur terre devrait durer un peu plus longtemps. Vous avez de longs siècles pour vous préparer à cela, vous vivez bien de plus de choses qu'un seul être humain ne pourrait le faire dans une seule existence ! Nous, nous n'avons que quelques années pour nous préparer et nous faire à notre mortalité. A peine avons-nous le temps de profiter de notre jeunesse qu'il est presque l'heure de quitter cette bonne vieille terre, et de la laisser aux générations suivantes. Je pense que, jamais, nous n'arriverons à nous entendre sur ce point ! Nous sommes bien trop différents..."

Aucun reproche ne filtrait dans sa voix, juste une constatation un peu douloureuse, comme si cette fracture entre les deux peuples n'avaient pas lieu d'être, comme si sans elle tout serait bien moins compliqué. *Néanmoins, elle était nécessaire*, pensa Alia, étonnée elle-même par cette conclusion. Nécessaire, oui, mais pourquoi ? La réponse vint d'elle-même, limpide et évidente. Souriant doucement, elle écarta les bras, et posa une main amicale sur l'épaule de Lenwë. Oui, c'était une bonne chose que différentes races vivent en paix en ce bas monde : des êtres différentes apportaient une vision différente du monde, et ce n'était qu'ainsi que l'on pouvait progresser, soi-même, et faire progresser son peuple. Si uniquement des humains n'avaient pris possession de cette terre, ou uniquement des elfes... Non, Alia n'arrivait pas à imaginer ce qu'aurait pu être Miradelphia, si une seule race n'avait vu le jour. C'était une pensée trop étrange, impossible à appréhender, même pour elle, qui n'avait vécu qu'entourée de ses semblables, et n'avaient vu des représentants d'autres races que très rarement.

Revenant sur terre, sortant de ses pensées toujours aussi étranges pour elle, elle tourna son visage vers Lenwë et, avec douceur, lui répondit :
"Mon rôle ? Il se limite seulement à être en vie, et à assurer les fonctions inhérentes à ma charge. Quelqu'un d'autre aurait très bien pu s'en charger, mais le Destin en a voulut autrement. Je crains qu'il n'est pas réellement fait le bon choix mais, que veux-tu : je n'ai jamais eu mon mot à dire dans l'histoire."
Un petit sourire mélancolique vint apporter une ombre à son visage d'habitude si serein, alors qu'elle se remémorait les souvenirs de son enfance, une enfance bien spéciale et diamétralement opposée à ce dont on se serait attendue. Dès son plus jeune âge, elle avait été différente. Elle n'avait jamais vraiment connu une croissance normale, ni même un développement psychologique identique aux autres. Il n'était donc pas étonnant si elle était si gauche dans ses rapports avec le monde comme si elle ne s'était ouvert à lui que depuis ces quelques dernières années. C'était d'ailleurs, par certains côtés, le cas.

Se rappelant soudain de quelque chose, elle demanda à Lenwë, une urgence inattendue dans la voix :
"Mais ne suis-je pas en train de te retarder ? Tu as du venir ici pour une raison bien spéciale, ne t'attendant certainement pas à me rencontrer et à t'embarquer dans une conversation fort peu intéressante. N'as-tu donc rien d'autre à faire? Ne suis-je pas en train de t'empêcher de vaquer à tes occupations quotidiennes ?"
Un profond désarroi se lisait désormais sur le visage de la prêtresse. Elle haussa imperceptiblement un sourcil, en une mimique interrogative. N'était-elle pas en train d'agir de manière discourtoise, en monopolisant l'attention de l'elfe ? Tout lui semblait si compliqué !