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 N'était-il vraiment qu'un homme ?

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Ernst Monventeux
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MessageSujet: N'était-il vraiment qu'un homme ?   N'était-il vraiment qu'un homme ? I_icon_minitimeDim 18 Mar 2012 - 14:42

Mercatouille, à une table installée,
Tenait en ses mains un fromage.
L’hotellier, par l’écu alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
"Hé ! bonjour, Immondice rurale
Que vous êtes rougi ! Et comme vous êtes sale !
Sans mentir, si votre monnaie
Vous ne pouvez l’aligner
Alors ce sera mon pied au cul, et fissa."
A ces mots Mercatouille ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer ses bonnes manières,
ouvre une large main, qui choit sur le compère.
Au col, il s'en saisit, et dit : "Mon bon flatteur,
Apprend donc que tout seigneur
Exige la paix pour son casse croute :
Cette leçon mérite une baffe, sans doute. "
Le marchand, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.



Telle sera la légende que se transmettront les serfs et les vilains durant des générations. Mais à la vérité, tout ceci n’est pas en tout point conforme. La postérité eu beau nous dépeindre ces moments avec grandiloquence par la suite, la réalité elle, n’avait pas cette délicate attention de mettre en valeur notre héros.

Ce jour là, le banc sur lequel reposaient les lourdes fesses était tombé en raison du poids et des mouvements brusques d’un Mercatouille ivrogne, trop occupé à cuver son vin pour s’intéresser à son équilibre. C’était de son seul fait s’il s’était étalé de tout son long sur le plancher en terre, salissant un peu plus sa tenue qui, au point où elle en était, ne s’en effarouchait plus. Le petit peuple de l’auberge assistait ainsi au spectacle du seigneur banneret du Mercatin écroulé, les pieds gisant encore sur le banc retourné, le fromage tombé à son côté, le poing droit fermé autour d’un couteau auquel restait collé un morceau de brie.
Mercatouille reprit ses esprits et fit sortir mollement une sorte de beuglement de sa gorge épaisse, alors que ses yeux s’ouvraient à grand peine. Le gérant de la taverne, qui avait bien vu l’arme à la ceinture et reconnu un petit seigneur des provinces, accouru à son aide, cherchant à prévenir un désastre. Il paraissait en effet plus sage de s’en débarrasser avec tact. Mercatouille, distinguant à peine la forme floue du gérant s’appuya dessus maladroitement et le pauvre homme eu toutes les peines à remettre sur pieds l’énorme masse grisée et chancelante.

Et voilà où en était le grand seigneur et banneret de Mercatouille, celui-là même qui trois ans plus tôt était encore un héro local. Voilà où, au mépris de ses gloires passés, au mépris de son noble cœur, le destin l’avait mené. Empâté, ivrogne, colérique et toujours autant ignare, Mercatouille avait comme cédé de tout côté. Le vice l’avait atteint et transpercé de part en part, sa face rougit, boutonneuse et sale suffisait seule à rendre compte de la débâcle. Et son vêtement, sa tenue, son haleine, ses dents, étaient autant d’échos qui ne laissaient aucun doute sur la profondeur de sa déchéance.

Il émergeait de sa rêverie alcoolique, essaya d’avancer d’un pas. Il se trouva soudain fort surpris de trouver écrasé sous son bras le tavernier qui peinait toujours à le maintenir debout. Croyant qu’on s’en prenait à sa bourse, Mercatouille lui colla alors un généreux coup de son poing fermé autour du couteau à fromage, dont le brie alla s’écraser dans la chevelure du marchand. Le malheureux valdingua plus loin. Mercatouille, privé de son appui failli choir et se rattrapa de justesse à une table. Son regard vague fit le tour de la pièce, détaillant le gros mobilier de bois et les quelques badauds rieurs. Il ne comprenait pas tout du monde autour de lui, mais pour se donner une meilleure contenance, il se mit à vociférer et insulter le tavernier, le traitant d’escroc, de voleur, de vide poche, de fond de crachoir et de violeur de prêtre. Ajoutant encore quelques injures, il gagna la sortie, escorté et soutenu par sa clique de petits nobles. Il abandonna le tavernier blessé contre son comptoir en laissant une dette qui ne serait jamais payée.

Comment un homme si brave pouvait-il en arriver là ? Certains peut être se rappelleront avoir croisé sur les routes de la brande Scylléenne cet homme bon, courageux et proche de son peuple. Ce même homme qui avait tenu tête aux hordes déferlantes de Merval, qui avait mené l’assaut décisif au temps de la guerre. Ceux-là arriveront-ils à reconnaitre encore aujourd’hui cet esprit chevaleresque dans l’épave obèse qu’il en restait ? Pour vous faire mieux comprendre cette tragédie, peut être dois-je vous conter ce qu’il advînt de la brande Scylléenne ces trois dernières années. D’ailleurs, je crois également de mon devoir de vous faire part des mauvaises fréquentations de Mercatouille. Je pense à un gaillard du nom de Monventeux.

Suite aux combats entre Scylla et Merval, la région du Mercatin avait eu des difficultés à se remettre. Le voile avait laissé ses marques, la guerre ses cadavres. Le nord de Scylla avait du panser seul ses plaies alors que les suderons fêtaient la victoire. Bien vite, ces blessures s’infectèrent dans le paysage triste de la brande. La malnutrition avait gagné du terrain suite aux mauvaises récoltes. Mercatel, le chef lieu du Mercatin, avait alors connu une terrible épidémie venue de Merval. La maladie, appelée « Chiabrédrouille » par les doyens, avait contraint à des mesures sévères de quarantaine. Mercatouille avait dans cette débâcle sanitaire perdu sa femme, plusieurs neveux, des amis. Même sa grand-mère Martine avait lâché son dernier souffle.

La perte des siens, sa gloire désormais vaine, sa ville comme assiégée par un fléau invisible mais odorant, les paysans mourants et ces matins tristes où nulles tartines à la confiture de Mémé Martine ne se trouvaient sur le bord de la table, avaient achevés de saper le moral de Mercatouille. Il s’était mis à boire de plus en plus, fuyant ses responsabilités et laissant au jeune Jeanjean, un fils qui s’avéra médiocre, la gérance de la ville de Mercatel.

Il chercha à fuir, ne supportant plus la mélancolie qui le gagnait à rester ainsi, inerte, chez lui. Il visita d’abord ses vassaux, ne mettant plus les pieds à Mercatel durant quelques mois. Puis il s’établit définitivement chez l’un deux, dans un paysage morne et triste de village fantôme. Cela lui valait mieux que la ville où il était devenu la cible de quolibets. Bien sur, il aurait pu faire revenir l’ordre à coup de mandales, mais l’envie n’y était plus. Mercatouille s’était recroquevillé, il avait sombré dans une insondable langueur, désabusé et perdu. Il s’était senti comme trahis par toutes ces injustes misères, il n’avait plus gout à rien.

Il y avait des raisons à cela. Le comte, qui avait exprimé sa gratitude au courageux peuple de la brande pour son opposition à Merval, n’avait pourtant pas été par la suite très généreux envers ces contrés. C’était même, de l’avis général et comme le disait souvent Mercatouille, un sale corniaud ingrat, un fils de putain allant faire le beau à la cour de Diantra. On n’avait pas digéré toutes ces dépenses pour l’autre garce en robe de satin. On crevait la dalle au Mercatin pendant que l’autre pendard de conte se mariait en secret à une godinette sortit d’on ne sait où. Ici, on pouvait bien crever, là bas le comte avait des attentions pour une donzelle. L’injustice était à son comble. Délaisser ainsi ses sujets pour une Marie pervenche se faisant de temps en temps détrousser par son mari, on le savait bien car on tenait l’information des gardes, dans le chenil, oui ! au milieu des bêtes vous dis-je. Jolie lune de miel ! Et même si on avait assez de ses propres soucis, on plaignait les molosses qui devaient courir à la chasse le lendemain, alors que leur sommeil était fréquemment saccagé par des râles gutturaux. On entendait bien, les nuits sans lune dans la cour du château leurs bruits terribles, mélange infâme de brame, de béguètement et de croassement qu’on ne savait plus même attribuer au mâle ou à la femelle de cette terrible union. Et heureusement, les animaux ne pouvaient parler ; on en aurait appris des bien bonnes sur les pratiques du conte qui, disait-on au Mercatin, aimait bien autant jouer les ramoneurs que les cheminées.

Enfin, ce sont là des histoires qui se disaient, des ragots. Était-ce la vérité ou la simple amertume d’un peuple pour qui ces dernières années avaient étés dures et dont les habitants, surtout au mercatin, avaient quelques rancœurs contre le régent ?

Toujours est-il que c’était cette haine, cette pesante amertume qui avait mené Mercatouille jusqu’à la triste tour d’Ernst Monventeux. Ce sinistre vestige entouré de ruines et de masures souvent abandonnées.

Ernst avait du faire bien des efforts pour rameuter quelques-uns de ses villageois après la terrible bataille de Froifaissier, mais la confiance revenait difficilement. C’est à force de ruse, de fourberie, de tractation et de délation envers les autres seigneurs qu’il avait fait revenir un peu de monde. Une fois même, il avait dû tuer. Mais il était loin du compte, tout juste arrivait-il à ne pas mourir de faim.

Pourtant Ernst n’avait pas connu la déchéance physique et morale de son seigneur, dont il avait même plutôt profité. Hébergeant chez lui le banneret dépressif dont l’état empira au contact de la famille Monventeux, il profita des denrées que le seigneur de Mercatel se faisait amener et il s’assura un certain niveau de vie ainsi qu’une influence politique, une sorte de légitimé. Il était la voie de raison qui maintenait l’épave Mercatouille, et chacun pour cela l’écoutait.

Surtout, Ernst avait un plan pour reconquérir son fief, pour refaire de Froifaissier la ville que ce village abandonné était autrefois. Bien sur, il y avait des risques. Mais lorsque les moyens conventionnels ne suffisaient plus, il en fallait d’autres. Ernst était près à risquer gros pour retrouver la gloire de son aïeul. Et c’est ainsi qu’un soir de beuverie avec son seigneur, il glissa subtilement une idée et Mercatouille l’a fit sienne.

Il allait tuer Atus le Vrai.

C’est pour ça que Mercatouille était venu à Diantra. C’était la récente gloire du Vrai qui l’exaspérait au plus au point, ce n’était plus supportable. Alors, au détour d’un défilé, il se glisserait, s’avancerai, et le tuerai d’un coup au cœur. Et le terrible Atus, ce fils de pute-borgne, expirerait sous sa lame.

Mais pour ça, il fallait du courage, beaucoup de courage. Peut-être même un peu plus qu’en avait Mercatouille. Alors il était entré dans la première taverne, pour faire le plein. Et puis, ils avaient faim. De là, vous savez comment l’histoire finit.

Et Carloman Mercatouille se retrouva dehors, saoul, soutenu par Lorenzo et le chevalier Casimir D’orange. Derrière, Ernst ferma la porte après avoir embarqué la carcasse inachevée de son poulet. Le banneret donna l’ordre de se mettre en selle après quelques rots et autre vulgarités. En effet, des bruits de foule venaient du lointain, et un courant de passants se dirigeait en leurs directions. L’heure du défilé du roi commençait. Et à son côté, il y aurait Atus le vrai.

Mercatouille ouvrit la marche, rejoignant le flot de passant. Il constata qu’il avait gardé le petit couteau de la taverne, il le regarda et vit le nom marqué dessus : « Chez l’innocent Candide ». Le banneret ironisa en lui-même et il le mit tant bien que mal à sa ceinture en guise de souvenir, écartant du pied des passants sur son chemin. Il fendit la foule en se dirigeant vers le bruit, suivi de ses chevaliers.

Il mit une bonne dizaine de minutes pour trouver le rassemblement, et attendit plusieurs encore avant que la foule éclate en ovation, annonçant la venue du roi. Aucun des quatre mercatins n’étaient descendus de son cheval, ils restaient en retrait, voyant aisément s’approcher le cortège depuis leur selles à mesure que les clameurs s’amplifiaient. Ernst même finissait son poulet.

Carloman était dans un stress immense, il allait faire justice, venger les siens. Le temps était venu. Il fallait qu’il le fasse. Et puis, le jeune roi comprendrait peut être son geste, il lui expliquerait qui était le Vrai, et tout finirait bien pour lui. Ou peut être qu’il devrait s’échapper de Diantra au grand galop, et devenir vagabond. Mais qui comprendrait alors pourquoi Atus était mort ? Peut être devait-il l’expliquer en même temps qu’il… Ah mais tous ces péquenots autour ne pouvaient pas la fermer non plus !... en même temps qu’il tuerait Atus. Peut-être qu’en provoquant le monstre haut et fort, les gens comprendraient. Peut être devait-il charger en hurlant « Pour la Brande ». Mais était-ce vraiment clair ? Son corps lui faisait mal et sa tête était douloureuse, il peinait à réfléchir. Peut être « Pour tes crimes ! ». Non, les gens ne comprendraient pas. Ou… sa tête lui faisait vraiment mal, il avait un vertige… ou alors « Meurs affameur de peuple »… Mais bordel ce n’était pas le moment d’avoir la tête en feu… ou peut être « Attention Le Vrai ! Le temps du jugement a sonné ! » Oui c’était bien trouvé ça… et ce foutu crâne. Nom des dieux, il y avait un truc atroce qui lui mangeait le cerveau, s’il l’avait pu, il se serait ouvert le crâne pour l’en extraire.

Mais le moment crucial était venu.

MAINTENANT !

Mercatouille hurla d’une voix qui lui échappait un peu.




« ATTENTION… !
»
…CHIABRENA ! Quelle était la suite ?

Mercatouille arrêta net son cri, le trou de mémoire au pire moment.

Mais qu’importe, il lança son cheval à la charge, enfonçant violemment les éperons au mépris de la foule devant lui. Plusieurs reçurent des blessures au passage alors que la monture fonçait droit vers le roi et le régent. On ne pouvait s’écarter assez vite et les pieds étaient écrasés par la bête qui peinait à avancer. Le cheval devînt fou de panique au milieu de tous ces gens affolés, essayant de s’enfuir. Il était encerclé, noyé sous le flot où il s’était enfoncé, fuyant vers l’avant, écrasant d’autres pieds, d’autres membres. Tant et si bien qu’à force d’alterner les pavés glissants et les membres humains, le cheval se trouva déséquilibré. Mercatouille était ivre de colère, toute sa haine était remontée et il regardait le peu de chemin qui lui restait à parcourir. Il y était presque. Les premiers rangs de curieux s’étaient approchés du cortège, n’ayant d’autres issus dans cette foule compacte. Mais Mercatouille les rattrapait à quelque mètre du régent. Maintenant, il ne restait plus qu’un seul pécore et le roi sur son passage, et enfin le régent serait à lui. Mais sa monture se souleva soudainement. Le cheval mort de peur se cabrait. Le sabot de la bête frappa le crâne du dernier bedeau, venu admirer son roi au premier rang, Jacques Ravaille. Pire, le cheval glissa sur ses pattes arrières et s’écroula sur le flanc, envoyant valser Mercatouille de l’autre côté. Le cheval avait une patte cassée.

Le bruit de galop avait cessé, les gens s’écartèrent encore dans de grands cris. La stupeur gagna les compagnons de Mercatouille qui avaient pris soin de ne pas le suivre. Ils s’approchèrent à leur tour, au petit trot, la foule s’écartant très volontiers.

Carloman Mercatouille avait le contenu de son crâne répandu sur le pavé sale de Diantra. Son cadavre recouvrait celui du paysan Ravaille. Il avait chu à deux mètres du roi, si près du régent, si près du but. Que restait-il du courageux Mercatouille ? Bien peu de choses. On garderait surement le souvenir du fou furieux ayant blessé d’innocentes curieux avant de rendre son dernier souffle sur le corps de son ultime victime. Voilà le fiasco total dans lequel se terminait sa vie. Il avait un pied qui par l’intermédiaire d’une cheville brisé, était encore dans son étrier. Ses armes, ils n’avaient pas encore eu le temps de les sortir. Ironiquement, seul le couteau de paysan qu’il avait volé à la taverne avait fait quelque chose. Il s’était envolé dans sa chute, se plantant juste au pied du roi. C’était là une bien piètre consolation.
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Aetius d'Ivrey
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MessageSujet: Re: N'était-il vraiment qu'un homme ?   N'était-il vraiment qu'un homme ? I_icon_minitimeSam 24 Mar 2012 - 19:26

Le proto-régent, lors de la parade du roi, n’était alors au courant de rien. De rien rien. Les machinations des Brandais n’avaient même pas été éventées, pas même effleurées par les agents de l’habile Hubert, pourtant connu pour ses services d’universel araigne, de maître-espion et de sponsor de barde. Il fallait bien dire, à la décharge du vieux routier de la politique des coursives, qu’on ne prêtait que peu d’attention à la Brande, ce pays loin de tout, de clairières pauvres en sol et de chevaliers pauvres en or. L’empire de l’Ivrey devenait foncièrement maritime, urbain, fastueux, son or venait de ses mines de diamants, ses douanes et ses routes, pas d’une poignée de hobereaux à la morale douteuse et à l’équipement vétuste. Savez-vous combien cela coûte d’engager un agent dans ce terreau-là ? Les paysans, même aisés (cette classe d’hommes n’existe cependant virtuellement pas par là-haut), s’horrifiaient rien qu’au mot renseignement, et quand on leur parlait de lettre codée, ils vous interrogeaient sur cet étrange concept : « layrtre ? » vous disaient-ils, la mine circonspecte et l’œil surpris.

Et quand vous trouviez un prêtre un peu moins ignorant que le reste de la brave populace qui s’échinait, malgré le bon sens et tout le reste, à labourer les mauvaises terres du pays, il se gardait bien de se mêler de tout commerce qui le mettrait entre le fougueux comte de Scylla et la bonne aristocratie de la Brande. C’est que le souvenir encore brûlant de l’affaire « Valdemar le Suicidé » pesait encore sur la conscience de tous les hommes de Temple locaux. Et enfin, quand on envoyait un prêtre des cités libres jusqu’à la Brande, il était bien incapable de décrypter le verbiage coloré et abscons des hommes du nord.

Aussi, quand le comte de Scylla apprenait des choses sur cet arrière-pays gibbeux et excentré, c’était de la part de ses viguiers et ses questeurs. Hélas, les uns, s’ils étaient allogènes, se contentaient de mettre en coupe réglée le fief qui leur état échu avant d’envoyer un rapport sur une énième et minuscule jacquerie les ayant forcé à mettre à l’amende la roture du pays, et les autres, les braves questeurs, ces dignes fils du patriciat des cités libres, se cantonnaient bien souvent aux frontières des collines du Mercatin et des autres pays (la notion de frontière étant des plus vague ; beaucoup de ces dignitaires considérèrent, à juste titre ou non, que leur villa située à quelques lieues de Pharembourg constituait la frontière qui séparait Brande et vraie Scylla), buvaient un peu des vins de leurs vignes, rédigeaient un rapport salé sur l’état critique mais sans plus des pays outrefluviaux et rentraient à la vraie ville pour y lire le dit rapport devant un Concile indifférent.

Le comte n’était pas exempt du peu d’égards que le reste de Scylla portait au pays des chevaliers-brigands, et lorsque les vraies (et rares !) nouvelles lui arrivaient, celles qui ne sentaient pas bon du tout, il se contentait de lancer un sempiternel « Tout cela ne sent pas bon ! » et de rire en compagnie de sa coterie, de sa maîtresse ou de ses oiseliers. Il ajoutait souvent une phrase qui dit toute l’ambiguïté qu’entretenait le suzerain négligent à l’égard des confins de son empire : « Monventeux et Mercatouille trouveront bien quelque chose ! » L’Ivrey, à mesure que les choses se dégradaient dans la Brande, était de plus en plus assuré des capacités exceptionnelles de ces hommes qui l’avaient si bien servi, et qui sauraient le servir encore un peu en trouvant le remède à une épidémie de rien du tout, un mécontentement proche de la fronderie et une toute petite famine cyclique.

Ainsi, le proto-régent n’était au courant de rien. Il défilait placidement au côté de son « bon neveu » le roi Eliam, jetant parfois des regards autour de lui, pour prévenir une quelconque manœuvre… de Diantrais. En effet, ce peuple qui avait osé se lever contre leur précédent pour demander sa tête, qui avait mis la ville à feu et à sang, qui s’était entredéchiré entre camp du comte et camp du roi, ne lui disait rien qui vaille. Ayant en tête ce qu’il vient d’être dit, le lecteur pardonnera un peu les actes qui vont suivre, et qui ne donne pas d’Aetius une image d’aigle au regard perçant et à l’intelligence supérieure. Lorsque le bazar commença, il chuchotait à l’un de ses familiers à quel point les Diantrais étaient ingrats, quand tout soudain l’irruption bruyante de Mercatouille interrompit ses idées d’incendie de la capitale. Le chevalier brandois, fendant la foule comme un éclair sur le dos d’un étalon furieux qu’il maîtrisait d’une main de maître-cavaliere, s’était jeté sur un assassin qui avait cru que la masse aurait pu le protéger de l’œil de lynx du banneret mercatin. Mal lui en prit ! D’un coup de sabot, voilà Ravaille occis, mais ses complices, inquiets du tour que prenait leur tentative de régicide (ou, pis ! d’aecide !), se décidèrent de se venger sur le brave et son fidèle destrier, qui fut mis à terre et qui entraîna, dans sa chute, la mort du héros.

Le cortège, d’abord paniqué, ne sut que faire, et tandis que la foule s’égaillait, Aetius aperçut la cervelle ensanglantée de Carloman souiller le carreau crasse de l’avenue – dois-je préciser que tout ce qui a été dit plus tôt n’a pas été vu par le régent, mais qu’on lui raconta tout cela aussi fidèlement que possible. Le couteau, le roturier, le chevalier moribond, tout s’emboîtait dans l’esprit d’Aetius, qui cria de stupeur et de colère, et se jeta sur le petit groupe de ribauds, suivi bientôt par les hommes de sa suite. On ne put guère tailler dans les complices de cette tentative d’assassinat tant ils fuirent rapidement (autre preuve de leur complicité), désertant le lieu où reposait, pour la dernière fois, ce bon vieux Carloman.

Bondissant à terre, Aetius s’approcha de l’homme, bouleversé. Il mit un genou à terre, puis un autre, et prit dans ses mains le chef tout poisseux de sang du banneret de Mercastel. « Non non, ce ne peut être possible ! » s’écria le prince, au bord des larmes. Il secoua un peu le cadavre, avant de le serrer contre lui. « Pas vous, doux sire, pas vous, ce ne peut être ! » répéta-t-il, le cœur au bord des lèvres. Il finit par lâcher prise, posant délicatement la tête de ce sauveur sur sa cape, qu’il avait retiré pour l’occasion. Il admira un instant le faciès du Brandais, une ignoble mimique sûrement due à la surprise et la douleur de la chute le défigurait. « Regardez, mon neveu, regardez ce que c’est qu’un brave ! Voyez la rage qui habille son noble visage et qui, même dans la mort, ne se détache de ses traits. Il ne pouvait souffrir qu’on s’en prenne à ses seigneurs, ce prud’homme. Oh, voyez comme son visage est rouge de colère ! »





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Clélia d'Olyssea
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MessageSujet: Re: N'était-il vraiment qu'un homme ?   N'était-il vraiment qu'un homme ? I_icon_minitimeMer 4 Avr 2012 - 15:46

    Aurélia di Sansiriani n'en revenait pas de ce à quoi elle était en train d'assister.

    De passage à Diantra depuis quelques jours, la dame de compagnie, fidèle suivante de Clélia d’Olyssea, avait pris congé de cette dernière un peu à regret, se devant d’aller saluer quelque parent et surtout, d’honorer le décès d’un de ces derniers, un de ces vieillards dont le nom lui échappait encore de temps à autre mais qui avait peuplé son enfance bienheureuse et insouciante. Car avant d’être débauchée pour intégrer la cour olysséenne qui l’avait tant attiré, la jeune diantraise – car c’était la son origine – avait goûté aux terres royales et à leur agréable quiétude ; une quiétude presque ennuyeuse pour une femme du calibre d’Aurélia, d’ailleurs.

    Indécrottable pervenche aussi célèbre pour sa facilité à la médisance que pour son incroyable talent d’imagination et d’enrichissement personnel de la réalité, la camériste avait un véritable amour pour le moindre petit détail bizarre, voire embarrassant. Ses charmants yeux émeraudes étaient d’ailleurs si bien aiguisés à cet exercice qu’il ne lui fallait pas bien longtemps pour comprendre, à peine entrée dans une salle de banquet, qui était l’amant de qui. Peut-être était-ce sûrement ce don aussi surprenant qu’intéressant qui faisait que bien souvent, Clélia d’Olyssea s’entourait de Sansiriani à la plupart des festivités auxquelles elle participait. Le bon sens lui indiquait clairement qu’il ne fallait pas laisser filer l’oiseau rare.

    Aussi était-il d’autant plus rageant de réaliser que si la jeune femme ne manquait pas d’être observatrice et bavarde avec qui savait la travailler au corps – et ce dans bien des sens du terme -, elle connaissait néanmoins parfaitement la mécanique des rumeurs et n’était pas assez sotte pour se faire piéger par ses rouages. « On ne s’imagine pas tromper un sharasien au Kjall », la brune le savait pertinemment, et malheur à celle qui se jaugeait assez futée pour la pincer à son propre jeu.

    Mais aujourd’hui Aurélia di Sansiriani allait être particulièrement bien servie.

    Ce jour-là, un défilé des plus solennels avait été organisé dans une des grandes rues de Diantra, afin que le régent et le nouveau roi Eliam puissent saluer le peuple et embrasser de leur regard noble la populace. Une bien belle initiative, qui avait d’ailleurs nourri l’entrain de toute la ville, sortie de ses gargottes pour aller assister au passage royal.

    La foule s’émerveillait, s’impatientait, et surtout, piaffait de commentaires quant à l’arrivée que se paierait volontiers l’Ivrey. On lui imputait entre autres une tendance à avoir la folie des grandeurs – et après tout, quand on a les moyens, il serait bien idiot de s’en priver, songea avec envie Aurélia -. Ce fut finalement le moment le plus attendu du défilé qui coupa court à toutes ces messes pas si basses que ça, et tout Diantra put alors enfin se repaître de la magistrale apparition royale.

    Tout cela eut été des plus commodes si un cri, ou plutôt un beuglement n’avait pas fendu l’air festif de la grand rue, faisant tourner les têtes paysannes brusquement tandis que quelques soldats disséminés ça et là se redressaient, à l’affût.

    « ATTENTION ... ! »

    Le chaos qui s’en suivit fut si indescriptible que personne ne sut clairement ce qu’il se produisit : mais le résultat était là, et, après les ruades, les cris et le choc, le silence retomba platement, aussi platement que le corps du cavalier qui avait été bouté hors de la selle par la puissance du cheval, pour qui l’étrange et incompréhensible incident avait été également fatal.

    Lentement, le silence se mua en une panique croissante, les murmures solitaires s'unifiant et se popularisant pour bientôt agiter la foule d'un soubresaut des plus communicatifs, chacun s’agitant alors et se laissant aller à des débordements plus ou moins risibles, plus ou moins pathétiques. La camériste olysséenne, elle, joua des coudes comme elle savait bien faire, à la fois trop heureuse et mortifiée d’un tel vacarme en plein défilé.

    Le spectacle était d'ailleurs fameux à voir, le frêle estomac d'Aurélia se nouant plus que de raison à l'horrible et néanmoins fascinante vue des viscères et autres résidus corporels qui ornaient le pavé diantrais dans une mare écarlate. Il faut dire que l’olysséenne n’avait pas l’habitude de ce genre de paysages, et que rien n’avait été épargné aux deux malheureux. Nombreux furent les ribauds qui se pressaient pour mieux y voir, alors que le roi s'approchait, s'effondrant dans un geste empreint d'un drame bouleversant de sincérité auprès du cadavre qu’il sembla reconnaître immédiatement.

    Les épanchements de l’Ivrey en déroutèrent plus d’un – ce qui avait le mérite d’être compréhensible après les récents évènements -, pourtant le peuple fut peut-être bien touché par cette fêlure qui se révélait, cette humanité criante et surtout, par le geste inconsidéré et mortel de cet inconnu, qui avait péri pour ... Pour quoi ? Ses derniers mots n’avaient échappé à personne. Il avait voulu alerter le régent. Et on n’alertait pas le régent pour une histoire simplette. On ne mourrait pas au nom du roi pour n’importe quelle raison. La raison commençait à enfler dans l’esprit de la donzelle, dont le regard contemplait sans les voir le cervelet de Mercatouille.

    Cet anonyme, qui gisait là, serait-il décédé pour sauver l’honneur et la vie d’Aetius d’Ivrey et d’Eliam Fiira ?

    On aurait donc voulu attenter à la vie du roi – ou peut-être bien du régent, quoique d’une pierre deux coups, les deux étaient réalisables -, en vain. Contré par l’intervention glorieuse et héroïque – mais néanmoins macabre – de cet étrange homme, le projet avait été tué dans l’œuf. L’étonnant évènement, s’il ne manquait pas d’attiser les curiosités et les questions sans réponse, serait des plus excitants à conter à la cour ... Peut-être même que la baronne en serait diablement intéressée ! Rendue tout excitée par cette idée, les yeux d’Aurélia étincelaient, tandis que sa bouche se gardait bien de sourire en pareille circonstance.
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Ernst Monventeux
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MessageSujet: Re: N'était-il vraiment qu'un homme ?   N'était-il vraiment qu'un homme ? I_icon_minitimeMer 4 Avr 2012 - 18:50

Sous les moult bravos vint Eliam Premier
Et le jeune roi faut-il se rappeler
De vils infâmes voulaient le dépecer

Vienne le roi sonne l’heure
Diantra espère un sauveur

La lame dans les mains l’ennemi faisait face
Tandis que dans la foule était vivace
Vigilant Mercatouille bien à sa place

Vienne le roi sonne l’heure
Diantra espère un sauveur

L’ennemi s’élance dans un but opaque
Mercatouille s’élance et le mets en vrac
S’envole en enfer le vil Ravaille Jacques

Vienne le roi sonne l’heure
Diantra espère un sauveur

Pour la vie du roi et pour tous nous sauver
Mercatouille git sur le sol meurtrier
Sous les moult bravos vint Eliam Premier




XXXXXXXXXX
A travers la tempête, Ernst restait silencieux.

Au milieu des cris et des sanglots, le cavalier regardait à quelques mètres devant lui le régent agenouillé et pleurant Mercatouille. Monventeux était stupéfait, il en lâcha sa carcasse de poulet qui tomba sur le pavé sale de Diantra.

Et il n’arrivait pas à se reprendre. Comment cela avait pu rater à ce point ? Bien sûr Ernst savait son plan dangereux, bien sur la mort de Mercatouille était escomptée. Mais cette succession d’événements échappait à ses yeux au domaine du possible.

Ernst regarda le régent faire de sa cape un petit coussin pour le banneret de Mercatel. C’était ahurissant. C’était comme un rêve prenant qui sur un caprice changeait du tout au tout et vous emportait dans un autre monde. Oui, le monde autour d’Ernst avait vacillé lorsque ce cheval était retombé lourdement, un changement d’une consistance obscure s’était fait au milieu des cris et de la panique. C’était le moment précis où, comme mué par un divin caprice, la réalité s’était affranchie des règles de la logique. Il s’était passé quelque chose qui dépassait les pouvoirs de la nature.

Mais le vavasseur lui était resté sur place. Il n’avait pas compris la tournure de la situation, il n’arrivait pas à l’intégrer, il se sentait trop lourd pour suivre le cours tumultueux des événements, il se sentait comme une grosse pierre au milieu d’un ruisseau, incapable de se mouvoir.

A travers la tempête alors que l’univers devenait fou, Ernst restait silencieux.

« Regardez, mon neveu, regardez ce que c’est qu’un brave ! »

Le cœur du Monventeux était même ému. Il se soulevait même à la vue de ce petit roi, si petit, qui regardait apeuré et méfiant le visage de Mercatouille. Vois et contemple petit morveux ce qu’est un héros…

…ce qu’est un héros.

…un héros.


…Voilà ce qu’était devenu Mercatouille, ce Mercatouille obèse et triste, cette épave saoule : un héros.

A travers la tempêtes alors que l’univers devenait fou, que le monde pleurait un ivrogne, Ernst restait silencieux.

Et puis, il s’avança un peu plus vers le cadavre de Carloman que couvait le régent.

Il ne pouvait pas être juste spectateur des événements. Il ne pouvait attendre la conclusion de ce drame sans y prendre part. Les yeux de la foule, après avoir regardé le régent éploré et le petit roi commençaient à se tourner vers eux, les brandais. Qui étaient-ils ? Que faisaient-ils ? Savaient-ils quelque chose ?

Que fallait-il faire ?

Il fallait faire partie de l’histoire. Être là au moment crucial. Faire la différence.



XXXXXXXXXX
Or, il y avait en séjour à Diantra des hommes, êtres pieux venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. […] Alors Ernst, debout avec les mercatins, s’exprima d’une voix forte en ces termes : « Homme de notre royaume et vous tous qui séjournez à Diantra, comprenez ce qui se passe et prêtez attention à mes paroles ! […] Diantrais, écoutez ces paroles ! Les cinq vous ont désignés Carloman Mercatouille en accomplissant par lui, au milieu de vous, des miracles, des prodiges et des signes comme vous le savez vous-même. Cet homme vous a été livré suivant le projet défini et la prescience des Cinq. Vous l’avez fait mourir sur le pavé par l’intermédiaire d’hommes impies et régicides. […]

Mes frères, qu’il me soit permis de vous parler en tout franchise au sujet de notre roi : Il serait mort. Il aurait été enseveli et son tombeau serait aujourd’hui parmi nous ! Or il est notre roi et il fallait que les cinq lui jurent allégeance et lui envoie un de leurs descendants, pour le faire triompher du mal.

C’est ce Mercatouille que les cinq nous ont envoyés, nous en sommes tous témoins. Elevé au côté des dieux, il a reçu d’eux le Saint nectar qui avait été promis et il l’a déversé, comme vous le voyez et l’entendez maintenant.

Le roi en effet n’est pas monté au ciel, mais il le vit lui-même, ce bannerêt a dit à sa couronne : « Je te protégerai jusqu’à ce que tu aies fait de tes ennemis ton marchepied ». Que toute la communauté des hommes sache donc avec certitude que les cinq a fait Saint et martyr ce Mercatouille tué par vos pavés. »

Après avoir entendu ce discours, ils eurent le cœur vivement touché et dirent à Ernst et aux autres mercatins « Frères, que feront-nous ? ».

L’apôtre Ernst leur dit : « Changez d’attitude et que chacun de vous soit baptisé au nom de Carloman Mercatouille pour le pardon de votre impiété, et vous recevrez sa sainte protection. En effet la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que les cinq les appelleront. »

Et par beaucoup d’autres paroles, il rendait témoignage et les encourageait en disant : « Sauvez-vous de cette génération pervertie ! ».



Extrait du testament de Mercatouille

XXXXXXXXXX
- Vous n’êtes pas d’ici vous, pour vous trimballez un accent pareil, on comprend rien, lui dit un paysan.
Ernst lui donna un coup de martinet au visage en le traitant d’impie. Puis, ayant fini son discours, il mit pied à terre et s’approcha du régent.

« Il est temps monseigneur de châtier les coupables. »


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MessageSujet: Re: N'était-il vraiment qu'un homme ?   N'était-il vraiment qu'un homme ? I_icon_minitimeLun 14 Mai 2012 - 3:56

Le printemps était dans son âge doux.
Le froid d’un hiver porteur de malheur avait peu à peu disparu, laissant place à un soleil triomphateur et sa suite de chaleur, encore mâtiné par des rosées fraiches et des brises érisiennes bienvenues. Le ciel avait retrouvé un peu de sa clarté azurine, et le climat, étrangement doux pour Diantra et son temps difficile, hésitait encore entre chaud et froid. Ainsi les bourgs n’exhalaient pas encore trop ces fragrances viciées provenant des rues recouvertes d’ordures et d’excréments, et les jardins du palais des Dômes libéraient le doux parfum des arbres et des plantes en fleur.

Et ces effluves en bouquet remontaient jusqu’à la salle aulique, la grand-salle royale, se répandait légèrement à travers les balcons et ouvertures, se mélangeait avec le fumée du bois roussi, des encens de myrrhe et la fraîcheur de cette haute salle ombragée. C’était l’après-midi, et cela rendait encore un peu plus doucereux ce jour de printemps, surtout pour les hommes assemblés ici même. Il y avait, dans la pièce, une centaine de clercs et de religieux, des grands prêtres, des moines et mêmes des chanoines. Réunis sur l’invitation du régent, c’était tout le clergé des domaines du roi qui avait afflué il y avait de cela plus de deux semaines, pour participer à ce concile qui avait pris une tournure des plus capitales pour le comte de Scylla. Ce dernier, quand il eut envoyé ses invites, n’avait en tête qu’une simple démonstration de pouvoir. La réunion de ce concile avait été, primitivement, une façon de montrer qu’il était compétent pour user des prérogatives du prince (ici : appeler le clergé en une assemblée) et un moyen de séparer le bon grain de l’ivraie : venir était un moyen de prouver sa fidélité au nouveau maître de la maison royale. Peu de gens avaient décliné l’appel, mais il fallait dire que peu d’entre eux avaient pensé que ce concile aurait pour première motivation le divorce du comte de Scylla d’avec la baronne d’Hautval. Car quelques semaines après l’annonce du concile futur, il semblerait qu’Aetius ait eu quelque scrupules à honorer son épouse comme il se devrait, de tels scrupules qu’il aurait abandonné la couche de sa femme et décider de greffer aux discussions de l’assemblée religieuse la question de la sainteté de son union avec sa cousine Blanche d’Hautval.

Aussi les discussions avaient été longues et quelque peu houleuses, et l’assemblée, pas si mal installée dans le palais des Dômes, s’était peu à peu embourbé dans un rythme de vie agréable où l’on profitait des meilleurs vins et disputer théologie dans sa chambre avec quelques coreligionnaires voire une ou deux servantes peu aux faits des choses de la morale et de la religion. Il fallait bien dire, pour leur défense, que les motifs avancés en faveur d’un divorce étaient fragiles (il s’agissait, pour l’heure, du fait que l’épouse n’avait pu enfanter aucun enfant mâle et, sur une base plus solide, un lien de parenté confinant à un petit peu d’inceste), les lits chauds et propres et la société de ses pairs pas si désagréables qu’on l’eut suspecté en premier lieu. C’était, pour beaucoup de grands-prêtres, un bon moyen de revoir la famille. Les fils, les oncles et les neveux, souvent des ‘collègues’ voisins pouvaient ainsi passer un peu de temps avec le reste de leur dynastie cléricale, parler de la Brigitte, des affaires de tel et des soucis d’argent de chose.

Mais bref, tout cela était révolu, car après deux semaines de palabres, l’assemblée avait trouvé une réponse à la plupart des sujets abordés lors du concile, et cette après-midi, le régent s’en viendrait les écouter. Contrairement à certains monarques, ce roi-par-défaut n’avait pris que peu de parts aux débats et discussions, laissant à ses agents l’honneur de trôner au milieu de ces puits de science et de jouir des discours chevrotants des anciens. Pourtant, il avait fait savoir assez clairement à la noble assemblée la réponse qu’il attendait sur le point qui l’intéressait personnellement. Mais le voilà qui arrive !

Habillé d’un pourpoint de velours, enrichi d’une chlamyde mauve, sa hanche alourdie d’une épée de cour, il s’assied sans autre ambages sur un petit trône de bois installé sur l’estrade, là où siège, lors des grands événements, la cathèdre royale. Il pousse un regard distrait sur ces hommes aux tempes blanchies par le temps. Ces derniers, assis sur de longs bancs richement ouvragés et mis face à face, tournent aussi leur regard vers ce jeune régent. Cette centaine de seigneurs de Temple semble rachitique au milieu de l’immense grand-salle. Il fait un geste, le silence est dérangé par un froissement d’aube. C’est Gorman de Sales, le doyen du concile, qui se lève et inspire. Il initie sa palabre d’un long préambule, sur les temps anciens, les temps nouveaux, les époques charnières comme celle que le bon régent offre aux sujets du royaume, ses enfants, blablabla. S’ensuit les décisions conciliaires, sur le divorce, qui est demandé et nécessaire, et sur les sujets secondaires. Le discours s’éternise, et l’on somnole sur son banc en cuvant son vin et digérant sa pintade aux airelles. Le régent, pourtant, semble agité, extrêmement curieux sur un autre point tout à fait mineur, et lorsque Gorman se prononce à ce sujet, Aetius l’interrompt brutalement.

« Comment ça, il ne vous a pas ‘semblé déceler une once de preuve quant à la sainteté de Carloman Mercatouille’ ?! »
« Mais… c'est-à-dire qu’il ne nous ait pas apparu que… »
« Et que faites-vous de ses suivants, qui pullulent ici même, au sein de Diantra ? »
« Sire, je… »
« Eh bien ? »
« Ce sont principalement des soldats de Brande qui prennent prétexte de ce ‘martyr’ pour dépouiller les bourgeois et laisser libre cours à leur pulsion de brutalité. »
« Qu’est-ce à dire ? Certains organisent même des processions en son honneur, c’est ce que l’on fait pour les saints hommes, il me semble ! »
« L’avant-dernière procession s’est conclu sur l’aspersion d’un tanneur dans une jarre d’urine, Sire, ce n’est aucunement… »
Le dialogue continua dans les mêmes termes, avec un Aetius particulièrement remonté et un doyen sur la défensive, essayant d’enrober comme il pouvait les élans de violence de la soldatesque du comte, qui avait trouvé en ‘saint-Carloman’ un bien beau prétexte pour donner la chasse aux prétendus traîtres au roi et autres individus ayant eu le malheur d’avoir excité la convoitise ou la jalousie d’un chevalier en goguette. La conversation se termina sur un long soupir du régent, qui mit sa tête entre ses mains. Le silence s’installa, Gorman ne savait s’il devait reprendre les conclusions du concile et l’Ivrey en profita. Il se leva tout soudain, jeta un regard sévère à l’assemblée et dit que si l’assemblée en avait décidé ainsi, il en serait ainsi, mais que tout cela lui semblait bien vague. Et il prononça ce verdict comme s’il faisait une faveur à ces théologiens, ces enfants incapables de percevoir la vérité comme il le pouvait, lui, le prince du sang. Et sans plus attendre, il se retira.
« Sire… Ne voulez pas entendre le reste des conclusions de ce concile ? »
« Allons, allons, j’ai pleine confiance en le jugement de celui-ci. »
Et sur ce, il disparut.


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Clélia d'Olyssea
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MessageSujet: Re: N'était-il vraiment qu'un homme ?   N'était-il vraiment qu'un homme ? I_icon_minitimeMar 5 Juin 2012 - 22:36

    Des jours plus tard. Grand'Place de Diantra, une tiède après-midi.


    Aurélia contait encore à ses amies pour la énième fois comment la Manslène avait été surprise par toute la maisonnée elle-même dans une bien étrange position - "cette dame, allons bon, avait malheureusement chuté par une grande coïncidence, se trouvant ainsi les jupes retroussées, la croupe sur le bureau du messer !" -, les précieuses se gardant bien d'agiter leurs éventails pour émettre leurs rires les plus pervencheresques. Ce n'était pas étonnant de la Manslène, cette gourgandine qui, du haut de ses seize ans, pensait bien faire en vendant ses cuisses rosées au premier nobliau venu. Une camériste aussi maladroite que parvenue comme on n'en faisait plus, et comme on en voyait tellement peu à Olyssea !, se lamentait publiquement la malheureuse Aurélia. Et les autres de sourire avec bienveillance, maudissant ces petites catins vêtues de soie sauvage aux manières bien trop prudes pour les donzelles suderonnes qu'elles étaient.

    Vint le triste moment où Di Sansiriani dut prendre congé de ses comparses. Après moult pleurs et moult étreintes, Aurélia quitta, en compagnie de sa servante la plus fidèle, la demeure familiale, se jurant, un dernier sourire étincelant décoché, de ne plus jamais remettre les pieds à la capitale à moins de vouloir mourir d'ennui à écouter pareilles sottises. Une belle perte de temps que cette dernière journée à Diantra !

    Afin d'achever son voyage dans de bonnes prédispositions, la brune camériste demanda à sa suivante de l'accompagner pour rejoindre la diligence qui l'emmènerait à son "véritable pays natal". Là les attendait cocher, bagages et calèche confinée propice à un repos bien mérité.

    La Grand'Place et son fourmillement habituel de gueux et de marchands s'offrit aux yeux perçants de l'olysséenne, qui esquissa l'ombre d'un sourire versatile, se remémorant les joyeusetés qu'elle aurait à narrer à la cour. Elle avait déjà hâte.

    Pour autant, déchirant l'air de nulle part, un cri rageur héla la foule. Dressé là sur une scène improvisée de quelques vieux cageots de fruits et légumes, un paysan alpaguait la foule.

    « 'COUTEZ COM' LE ROY EST BIN MEPRISANT ! Lui qu'a vu sa vie sauvée par eul'grand Mercatouille ! V'LA QU'IL LE R'NIE, COM'SI QU'C'TAIT UN CHIEN ! L'CHIEN QU'A POURTANT BIN ETE A TYRA A S'PLACE ! »

    Et la tirade continuait, se teintant de quelques borborygmes avinés et d'insultes qui donnaient autant de corps au texte que les passants s'accumulaient de plus en plus autour de lui, partagés entre la curiosité et l'intérêt pour cet homme qui disait donc que Mercatouille, le Salvateur, Mercatouille l'Homme de bien qui avait épargné au peuple de la péninsule les larmes salées du deuil du régent, n'était alors plus reconnu comme tel. Si au début, la rumeur avait été lancée de manière anodine, elle enfla, enfla si vite que rapidement la Grand'Place devint le lieu de débat le plus prisé de toute la capitale en une poignée de minutes. Il en fallait peu pour mettre le feu aux poudres, mais encore moins au coeur de toute une populace qui s'était si vite attachée à ce Mercatouille, ce Saint-Martyr.

    L'allégresse fit place, peu à peu, à une étrange sensation d'électricité dans l'air. On ne discuta bientôt plus que de cela, et ce fut bientôt des cris, des protestations, des contestations virulentes qui éclatèrent. On commença alors à prendre à partie un garde royal trouvé là, bien malheureusement pour lui au mauvais endroit, au mauvais moment. La tension montait, et acculé, seul, l'homme finit par voir arriver quelques camarades à lui.

    Tout cela aurait bien pu s'étouffer et la vie reprendre son cours ; mais l'envie de révolte démangeait bien trop les poings de nos gueux diantrais. Et alors que les gardes s'apprêtaient à faire disperser la foule, le harangueur pointa du doigt la soldatesque, leur assénant un regrettable "MERIT'RIEZ D'CREVER POUR MERCATOUILLE, P'TITS PISSEUX !". Puis, geste à la fois misérable mais ô combien déclencheur, l'homme jeta un caillou à l'adresse du garde le plus proche de lui, ce dernier ricochant sur son crâne dans un "poc" inaudible.

    C'en fut trop pour ces hommes d'honneur, qui dégainèrent leurs armes. Alors le peuple répondit à cette offense métallique par sa seule arme : la colère. Prenant ce qui leur tombait sous la main, une bagarre mémorable s'en suivit. Aurélia, que nous avions laissée là à sa contemplation et à ses réminiscences, n'avait pu s'empêcher de s'approcher : mais cette fois-ci, le geste lui coûterait cher. Car comme chacun savait en Sharas, "la curiosité tuait le louveteau".

    Rapidement, les projectiles manquèrent, et on jeta du côté de la piétaille des cageots, des fruits pourris, du bois, du foin, des blettes, du poisson avarié. Et quand la nourriture et les cailloux se firent trop rares ... On en vint aux pavés.

    Le premier projectile décroché à même du sol frappa le torse d'un garde, qui s'effondra derechef sous le choc. Des soldats supplémentaires ayant été attirés par le bruit, la foule et les dires des rues aux alentours, ce qui avait commencé comme une simple querelle de franche camaraderie virait au cauchemar. Le sang s'épanchait alors sur les pavés qu'on continuait d'arracher tant bien que mal, frappant, creusant jusqu'à ce que les ongles se brisent, cognant, dépeçant la rue de ses pierres fondatrices. Partout, on criait "A MERCATOUILLE !" ou "POUR LE MARTYR !". Il pleuvait des pierres et des rocs.

    Aurélia voulut alors s'enfuir, mais à force d'avoir voulu trop en voir, elle allait savourer au premier rang le spectacle. Alors que cette dernière poussait sa suivante comme le bouclier humain qu'elle était tristement devenue, la foule l'empoigna, l'engloutit dans sa masse compacte, la séparant alors temporairement de sa protectrice. S'insurgeant, s'égosillant pour qu'on la lâche, un pavé vint cueillir ses lèvres, et un autre son crâne, les deux suffisant à faire taire la mijaurée qu'on secouait de coups de coudes et de coups d'épaule.

    La chance voulut que, si Aurélia réchappa de la mort qu'elle aurait pu rencontrer à l'image de Mercatouille, sa servante finit par à son tour décocher quelques coups de pavés judicieux pour récupérer là sa maîtresse. S'extirpant tant bien que mal avec une Aurélia en bien piteux état sous son bras dodu, la suivante, haletante, disparut, quittant sans regret mais à grand peine ce terrible combat ; combat qui resterait alors gravé dans les mémoires comme le "tryste Jour du Pavé du Martyr" pour les esprits les plus philosophes de la capitale.

    A n'en pas douter, Aurélia di Sansiriani aurait bien des choses à raconter à Olyssea.



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MessageSujet: Re: N'était-il vraiment qu'un homme ?   N'était-il vraiment qu'un homme ? I_icon_minitimeDim 1 Juil 2012 - 0:22

XXXXX 12 jours après le martyr de Mercatouille XXXXX


L’eau tombait sur les rues déjà boueuses de Diantra. Les pauvres hères y vivant habituellement les avaient désertés pour l’ombre de quelques couverts odorants. De là, ces malheureux clochards dont on ne voyait dépasser qu’un bonnet ou un bout de pied lançaient leurs tristes gémissements. La nuit se faisait noire, seuls les rats intrépides osaient s’aventurer pour piller les ordures. Les rongeurs étaient innombrables et les rues grouillaient de vie autour de chaque tas d’immondices. Quand l’orage illuminait le ciel d’un éclair, la vision d’horreur des rats répandus dans la ville prenait corps.

Après les derniers événements, on ne pouvait craindre plus gadoueux chemin que ceux de Diantra. Le sol s’était noyé et la terre était informe, se mélangeant volontiers aux cailloux, au sable, aux pierres, aux restes de foin éparpillés et aux myriades d’excréments divers. Des bruits de bottes éclatant les flaques vinrent au loin. Le boucan des pas rapprochés laissa indifférente la vermine trop occupée à son repas. Un malheureux rongeur étourdi eu la tête écrasée sous le poids d’Ernst qui ne prêtait pas non plus attention à toute cette misère et se dépêchait de rejoindre sa destination. A ses côtés, de fidèles Brandais et quelques amis Diantrais cavalaient aussi vite que lui. On fuyait les quartiers pauvres dont quelques débuts d’incendies étaient étouffés et l’on se ruait vers les belles maisons où l’on passerait la nuit avant de partir pour le Mercatin, le lendemain.

Ernst avait, en ces deux semaines à Diantra, su se constituer une petite escorte. Parmi eux se trouvaient les autres « Apôtres » : Casimir d’Orange, Lhorenst de Baude, mais aussi les quelques recrues qu’il avait faites ces derniers jours. Des gens acquis à la fameuse cause Mercatouilliste qui depuis quelques jours agitait Diantra. Tous se préparaient à un long voyage vers le Mercatin.





XXXX Jour du Martyr de Mercatouille XXXXX


On disait dans la capitale, et l’on avait bien raison, que les moments suivants la mort de Mercatouille furent sanglants. Dans la précipitation et dans sa douleur, le régent avait autorisé la demande du vavasseur Monventeux à traquer et châtier les coupables. Au premier indice, un couteau provenant d’une auberge que l’on attribuait à l’assassin Ravaille, il impliqua l’établissement nommé « l’innocent candide ». Sa première perquisition eut lieu dans l’heure par des gens d’armes scylléens. Evidemment, en temps de crise, les suspects étaient des coupables.

« BLASPHEME » avait hurlé Ernst lorsque le tenancier voulu prononcer un mot. La Brandais, encore ému par la mort de Mercatouille n’était pas venu exercer une quelconque justice. Il était là pour effacer les traces ; que nul ne connaisse à Diantra le vrai visage alcoolique de Mercatouille. La survie d’Ernst en dépendait. Alors, au premier mot de l’aubergiste, il avait frappé de son martinet, frappé encore et encore, et encore. Et encore. Jusqu’à ce que la peur d’être démasqué le quitte, jusqu’à ce que ses esprits reviennent, jusqu’à ce que le visage de sa victime ait disparu sous les blessures. On arrêta tout le monde dans l’auberge, saoulard et gens de passage. Une fois l’ensemble regroupé dans la rue et à la demande d’Ernst, chacun des prisonniers eut le jarret droit coupé sous les yeux des passants, pour qu’aucun ne puisse s’échapper.

Le bon peuple raconta plus tard que l’apôtre avait brûlé de sa lumière divine le visage hérétique du tenancier qui avait fondu, un miracle. A la vue des traces de sang que laissaient les pas des condamnées du cortège, on évoqua la malédiction de Mercatouille qui tombait sur les comploteurs : autre miracle. On les porta jusqu’à la grande place alors que leurs jambes laissaient de longues trainées rouge sale sur le pavé sale. Là-bas, on laissa faire la foule en furie et sa grande tradition de justice populaire. On raconta que les condamnés, dont il ne restait nulles traces, avaient été consumés par l’enfer même. Puis dans la journée on perquisitionna chez Ravaille, tuant parents, femme, enfants, frères, sœurs, toutes personnes apparentés ou voulant les défendre, puis d’autres qui pouvaient déranger. A grand cri on éventra, égorgea, défenestra et d’autres choses encore qui dans ce grand mouvement de liesse populaire ne semblaient pas plus cruelles qu’écraser un insecte. Ce fut sur cette haine aveugle que le Merc
atouillisme se bâtit. Ce furent sur ces mensonges qu’il prospéra, emplissant les rues de prêcheurs en tout genre dès le lendemain.






XXXXX 2 jours après le martyr de Mercatouille XXXXX


« …car Mercatouille sait d’où il est venu et Mercatouille sait où il va. Quant à vous, vous ne savaient pas d’où il vient ni où il va. Vous, vous jugez de façon humaine ; lui il ne juge personne. Et si il juge, son jugement est vrai, car il n’est pas seul, mais il est avec le Saint Esprit Mercatouillesque qui l’a envoyé et qui le constitue. Il est écrit dans la loi Mercatouillistique que le témoignage de deux personnes est vrai. Or Saint Mercatouille se rendait témoignage et le Saint Esprit Mercatouillesque qui l’a envoyé et qui le constitue rend témoignage aussi. Et Mercatouille entra dans la taverne, et personne ne l’arrêta parce que son heure n’était pas encore venue… »

Ainsi prêchait Arthur sur la grande place, au lendemain de ses événements. Le physique de ce rhéteur ne s’accordait avec aucun paysage et il restait obstinément la petite tâche qui vous gâchait la vue en tout circonstance. Pourtant autour de lui se rassemblait la foule, et on l’écoutait. Arthur se disait touché par la grâce de l’esprit Mercatouillesque, et il attirait le monde. Il avait entendu la veille au soir un discours d’Ernst et s’était senti porté. Il avait dès lors délaissé son commerce au profit d’une nouvelle vie : celle d’intermédiaire entre Mercatouille et les hommes. Inspiré, il prêcha à son tour et ses interventions en place publique ne laissèrent pas indifférents. Au-delà de l’incompréhension de son public hypnotisé, il déposait les graines du fanatisme. La haine, le grégaire, le racisme, la misogynie, toutes ces choses enfouies en lui, trop souvent critiqué par les bien pensants, trouvaient un catalyseur. Mercatouille était celui-qui venait apporter un nouvel ordre ou les hommes triompheraien
t enfin de leurs ennemis, les noyant dans leur propre. Tel était le cri d’espoir et d’amour que relayaient les précheurs. Tel était son but à lui, Arthur. Il parla encore des miracles du Banneret, de ses paroles, il vilipenda les elfes et les drows qui étaient une injure au genre humain. Il méprisa les nains et leur physique. Il éructa contre la médiocrité chronique des femmes et le fardeau qu’elles constituaient pour l’humanité, se moquant de ces châteaux lointains, tenus par des femmes, et donc les armées avaient l’obligation de porter des culottes en dentelles. Et il parla encore, encore… Arthur Sapinaware devenait un prêcheur célèbre.


« Sapinaware ? Voilà bien un nom étrange qui sonne elfique » reprocha dédaigneusement Ernst.
« Que Monseigneur sache que si le destin devait de me donner du sang elfique, je ne le voudrai nul part ailleurs que sur ma lame», répondit l’autre sans hésitation.

Ernst, ému par cette bafouille raciste, invita la recrue à son côté. Une bien bonne idée car parallèlement à la foule de convertis qui offraient à Monventeux un fastueux train de vie, et aux soldats scylléens qui assuraient la force, Sapinaware apportait d’autres moyens. L’homme en effet connaissait par son ancienne vie mille noms et mille intrigues des bas-fonds. Cet ancien marchand s’était construit dans les dédales de Diantra un solide réseau et il maniait sa toile avec une grande finesse. Quelles intrigues grotesques avaient menées cet esprit fin à manifester une dévotion inébranlable envers Mercatouille et son principal Apôtre ? Parmi le vent de folie qui prenait Diantra depuis quelques jours, cela n’était qu’un mystère supplémentaire.

La rencontre faite, Arthur Sapinaware fut un témoin privilégié des nombreux événements qui touchèrent Diantra. C’est lui le premier qui parla de la nécessité d’écrire un évangile afin de répandre la nouvelle de Mercatouille, c’est lui qui quelque jours plus tard glissa les mots qu’on hurla à la foule, c’est lui encore qui dans l’ombre écrivait les premières pièces de théâtres relatant les exploits de Mercatouille à travers le monde. Ainsi naquirent les œuvres qui firent le tour des royaumes humains : « Le Pavé rubicond », « Mercatouille, la vérité dans ta mouille » ou encore « Mercatouille bis, la rétroaction», dont des inconnus reprenait les célèbres tirades dans les rues :


« Je suis Mercatouille, Carloman Mercatouille, Fils de Mercatouille… et toi qui es-tu ? »
« Je suis Jacques, Ravaille Jacques, fils de… »
« Fils de Godinette ! ».

Sapinaware assista également à la nomination d’Ernst au rang d’Hérault de la Couronne, ainsi que Lorenzo. Une simple distinction car, dans les faits, aucun des deux ne maitrisaient les héraldiques, ni ne s’en souciaient. Les massacres perpétués de-ci de-là au nom de Mercatouille par fantaisie ou amitié envers un donateur s’essoufflèrent. On préparait la prochaine étape : le concile de Diantra et l’officialisation du culte.






XXXXX Entre 4 et 12 jours après le martyr de Mercatouille XXXXX


Il fallut quelques jours pour que le concile rende publique ses conclusions. Mais déjà Monventeux avait été informé du soufflet qui avait été jeté à la gueule des Mercatouillistes. Dans son cercle proche, on serra les poings, on s’informa sur les noms des participants, on envisagea l’irréparable. On dressa des plans de conquête et on les oublia bien vite. On prêcha encore avant que la nouvelle ne se réponde, mais le cœur était gros. Le roi, à travers son régent, trahissait son sauveur. Les clergés s’étaient ligués contre Mercatouille. Cela était un complot ourdie par les malfaisants qui voulaient stopper la vague pieuse. On attendit en préparant les cœurs à s’embraser.

Quelques jours plus tard la nouvelle se répandit. Le «
triste jour du pavé du martyr », connu sous bien des noms, embrasa la ville et consacra le symbole ineffable du Mercatouillisme : celui du pavé Diantrais. Chacun voulait le sien, ensanglanté de préférence. C’était s’attirer la protection de Mercatouille, c’était le symbole de la lutte. On s’attaqua aux symboles de l’autorité, à quelques temples. Les rues du centre de la ville furent attaqués à coup de pioche et pelle. Au slogan de « sous les pavés la rage », les Mercatouillistes endommagèrent irrémédiablement la voierie, faisant du réseau routier un champ de ruine. On profita de la confusion pour égorger quelques officiels du concile, quelques autres hostiles aux Mercatouillistes et enfin, on régla quelques comptes aux Diantrais trop peu reconnaissants envers l’occupant scylléen, et particulièrement l’occupant brandais.

Au soir les conclusions s’imposaient : la voirie Diantraise allait connaitre de sérieux problèmes, et un nouveau pion se posait sur l’échiquier politique local.

Fier de ce succès, Ernst termina avec l’aide de Sapinaware la rédaction du « Testament de Mercatouille » que l’on recopia et diffusa avec ferveur parmi les rares gens lettrés. On ajouta les Evangiles selon Ernst Monventeux et selon Lhorenst de Baude (Lorenzo Di Baude). On raconta la vie de Mercatouille, on raconta aux diantrais comment Mercatouille avait vaincu avec quelques hommes la grande armée de Merval, comment il inspirait ses apôtre à lutter contre l’envahisseur, comment il avait passé trois ans à s’isoler pour atteindre la vérité du Saint Esprit Mercatouillesque et ne faire plus qu’un avec lui ; on raconta comment il avait triomphé des démons dans la taverne de l’« Innocent Candide ». Et on mentit autant que possible. Pire, le livre n’eut pas une copie identique car les prophètes retouchaient les passages, en retranchaient, en inventaient. De fait, l’unité de culte n’exista jamais.

Mais qu’importe ces détails, la vague était en route et ce testament eu un grand succès. Après les processions religieuses d’arrachage de pavé, au grand dam des autorités, après avoir semé des incendies bien trop dangereux pour la ville, certain parlèrent de pèlerinage dans le Mercatin, le pays d’origine de Mercatouille. Des paysans déjà se préparaient à prendre la route vers ce pays merveilleux, on parlait de vivre dans la ville de Mercatel qu’il avait longtemps administré ; mais la plupart envisageaient plutôt Froifaissier où le Saint Homme avait enfin trouvé, en vivant chez l’Apôtre Ernst, le Saint Esprit Mercatouillistique. Ainsi les pèlerinages commencèrent timidement vers Froifaissier en une longue colonne.

Ernst, qui n’aimait pas Diantra, décida que ces objectifs étaient menés à bien et qu’il était temps de rentrer chez lui, emmenant avec lui sa bande et quelques nouvelles recrues en plus de ses bien sombres projets.
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