L’avènement d’un nouveau dieu [Taurë]

HRP:

« Il est en retard.»
« Un magicien n'arrive jamais en retard. Il arrive précisément à l'heure prévue.
« Et quelle est cette heure ? »
« Celle de sa mort. »

L'Ordre était on ne peut plus clair. Les cris retentissaient. Ils s'amplifiaient, à mesure que les cadavres se proliféraient. Le Chant hurlait, de peur, de peine...et de colère. La Gardienne entama sa route par une marche. Puis, à mesure que les cris se faisaient plus forts et plus douloureux à ses oreilles, ses pas s'accéléraient. Ils finirent par forcer Taurë à trottiner. Trois minutes plus tard, elle courrait le plus vite que ses jambes lui permettaient. Appelez cela de l'instinct - ou de la chance - mais jamais ses pieds ne s'emboitèrent dans une racine. Elle était guidée par les cris, se repéraient grâce à eux, sentant que plus elle s'approchait, plus les lamentations se faisaient fortes. Les complaintes devenaient plus dures à supporter, et lorsque la première vie fut en vue, la magie qu'elle déploya fut accompagnée d'un hurlement de rage. Elle sentit la terre s'animer et se remuer, et sous le Sombre jaillit des lianes qui, s'emparant respectivement de tous ses membres, lui ôtèrent les deux pieds puis les deux bras dans un vomissement de sang et de hurlements. Elle continua sa course, le sentier se faisant moins difficile à parcourir, signe que l'on parvenait au sanctuaire profané.
Une...Deux...Vingts ? Non, trente ! Ah bah non, quar...cinquante. La Gardienne cessa le compte de vie misérable que la Symphonie lui indiquait. Qu'ils soient dix, ou milles, ils subiraient le courroux de la Mère. Taurë ne sut pas réellement quel effet causa son arrivée, ni même si un piège lui était tendu. Ce qui était sûr, c'est qu'en quelques instants, toute la puissance de la Nature fut délivrée contre les imposteurs. Les hurlements des Drows surplombaient ceux des Arbres. Les âmes qu'elle percevait perçait les cieux à quelques mètres de hauteurs, promenés dans les airs par les lianes qui les démembraient. Alors qu'un chargeait l'Elfe, des ronces s'accrochèrent à ses jambes, et effectuant une puissante pression, séparèrent les deux membres du buste. Elle ne prêta que peu d'attention au filet de sang qui gicla sur son visage. Certains s'enfuyaient, mais elle ne prit pas la peine de les poursuivre. Se frayant un chemin au milieu du massacre, tandis que les guerriers ennemis combattaient ce qu'ils ne pouvaient voir, la Gardienne marchait tant bien que mal au milieu d'organes, s'emmêlait parfois les pieds dans ce qui semblait être un intestin. Par les bruits étouffés qu'elle entendait, elle devina un Sombre en train d'être pendu par une liane jaillissant du sol avant de s'attacher à un arbre. Bientôt, les derniers hurlements s'atténuèrent. Le souffle de Taurë se fit plus long et pesant, ses muscles lui pesèrent. Mais c'était la volonté de la Mère, et qu'est ce que quelques courbatures en comparaison d'une vengeance ? Reprenant son souffle, se tenant au milieu d'un bain de sang et d'organes, de dépouilles mutilées et démembrées, elle écouta ce que le Chant lui disait...et ce qu'il lui narra lui plut : D'autres arrivaient. Ce combat n'était qu'un prélude.

La Gardienne n'eut que quelques pas à faire pour parvenir au lieu du sanctuaire. Si elle supportait les plaintes du Chant et ceux des suppliciés, c'était car elle ne les entendait plus, tant sa propre colère avait pris le pas sur tout ce qui pouvait l'influencer. Aucune peur ne l'habitait, seulement de la haine et une envie de vengeance. Son arrivée provoqua la mise en place d'un demi cercle autour d'elle. Son regard céladon se tournait, de droite à gauche, balayant de ses émeraudes l'assemblée Sombre qui la scrutait. Trois fous osèrent l'assaillir, et c'est sans plus d'attention qu'elle en appela à sa magie pour les broyer tel les misérables qu'ils étaient. Une voix s'éleva parmi le silence bruyant qui avait lieu en plus profond d'elle même. Une voix perçante, qui aurait pu terrifier n'importe quel enfant. A sa question, elle se mit à rire, essuyant d'un revers de bras le sang sur son visage...rassurez-vous, ce n'était aucunement le sien.

« Je te retourne la question. »

A peine eût-elle le temps de finir, que déjà elle sentit la misérable magie des Sombres s'animer, et la ruée de guerriers vers elle lui confirma que l'assaut débutait. Elle devina l'essaim de torrents de flammes jaillissant vers elle, de même que des dizaines de fantassins aux armes découvertes. Instinctivement, elle chercha à se protéger. Précédant l'instant de l'impact des boules de feu et des flèches, des lianes par dizaines jaillirent du sol se dressant devant leur invocatrice. Elles étaient si denses que même l'air n'y filtrait pas. Le bouclier improvisé s'éleva sur plusieurs mètres de hauteur, protégeant la Gardienne intégralement en formant un cercle. Cette dernière sentit la violente rencontre entre le feu et les lianes, mais dès qu'une brûlait, une autre repoussait, maintenant le bouclier homogène et impénétrable. Au vu de l'inefficacité des assauts à distance, les épéistes s'arrêtèrent à quelques mètres de l'arbre, dont le tronc vide accueillait l’Élue. Intimant sa volonté, les lianes se rassemblèrent de nouveau, se mouvant dans la terre, jaillissant du sol et convergeaient afin de donner naissance à ce qui était une silhouette. De plusieurs mètres de haut, l'être humanoïde, uniquement formé de lianes, prenait pied directement dans la terre. Ses armes ? Ses poings.

Au premier signe de sa maîtresse, il abattit son bras végétal sur un attroupement de guerriers, les écrasant sous son poids sans aucune autre forme de procès. Lorsqu'il le releva, seul un trou béant s'y trouvait, accueillant les restes broyés de quelques soldats. A la vue de leurs frères morts, les autres chargèrent, et un nouvel assaut de magie fut lancé, ciblé sur le golem végétal improvisé. Il reçut mains chocs, dont certains le firent vaciller, mais tant que ses membres inférieurs demeuraient liés à la terre, il ne pouvait être vaincu, car pour chaque liane brûlée, une autre la remplaçait. Conservant l'attention nécessaire à cette création, Taurë en invoqua de nouveau aux végétaux, et agit comme elle avait déjà agi : La terre donna naissance aux ronces et à de nouvelles lianes, s'élançant, empalant, ligotant et décapitant tout ce qui se mettait au travers de leurs chemins. Elles semblaient jouer avec les corps, certaines s'emparant des guerriers par leurs membres inférieurs, puis le propulsaient vers la créature humanoïde qui les explosait littéralement en un coup de poing. La Gardienne reçut en plein sur sa robe ce qui semblait ressembler à une tête, ou bien un coeur...elle ne s'attarda pas pour vérifier, car marchant dans le massacre tout en gardant ses sens éveillés, elle entama sa lente remontée jusqu'à celui qui lui avait adressée la parole.

Or alors qu'elle avança, Une dizaine de Sombres chargèrent directement sur elle, ayant réussi à passer les mailles du filet qu'étaient le champ de lianes. L'un d'eux, sans s'arrêter de courir, l'emporta dans sa course en la ceinturant violemment, et ils roulèrent au sol. L'instant d'inattention fut suffisant pour l'Être végétal se brise, les lianes tombant mollement sur le sol ou retournant à la terre. Son adversaire prit le dessus au sol, et à genoux sur elle, Taurë sentit comme une lame se lever. Mais le coup ne tomba pas. A la place, elle put entendre un gargouillis, comme quelqu'un s'étouffant dans son propre sang. Compréhensible, car à l'endroit où se trouvait auparavant le haut de sa nuque, une liane l'avait percée, ressortant par sa bouche infâme. Elle finit la mise à mort en remontant d'un coup sec, tranchant littéralement le visage en deux, répandant sur la robe de la Gardienne un flot de sang et de cervelle. Libérée, mais quelque peu éreintée face à tant de pouvoir utilisé, elle se releva, reprenant ses esprits, prête à faire face au nouvel assaut qui se profilait.

Lorsque le faisceau lumineux jaillit d'un des Drows pour s'élancer vers elle, la Gardienne eut un instant d'absence. Jamais elle n'avait vu pareille magie, chose similaire durant toute sa vie. Le Chant ne lui intima qu'une chose : danger.

Trop tard malheureusement, car le buste de Taurë fut percuté de plein fouet par ce sort. Au début, elle ne sentit rien. Puis peu à peu, elle sentit sa puissance la quitter. Elle se sentait de plus en plus comme impropre, perdant toute cette sensation de bien-être qu'elle possédait depuis son élévation. Sa perception se perdait, et parfois elle entrevoyait des images floues de la réalité, retrouvant une vue instable. Ce n'était que des images éclairs, mais elles effrayèrent la Gardienne pour la première fois depuis le début de son combat. Elle finit par entendre de moins en moins les hurlements des Arbres, peu à peu devenant sourde. Taurë sentit un immense froid l'envahir, un état d'épuisement que ni elle ni personne n'aurait pu soupçonner. Sans qu'elle y consente, ses genoux ployèrent, baignant dans un seuil de sang et d'organes. Ses mains plongèrent dans la terre gorgée de sang pour s'y appuyer. En avait-elle la force ? Plusieurs fois son coude faillit dans sa tâche de la soutenir, et elle manquait de s'étaler de tout son long dans le sang. Était-ce cela, mourir ? Le froid l'envahissait de plus en plus, et au fur et à mesure qu'elle percevait de moins en moins le Chant et sa puissance, elle comprenait ce qui se passait. Son histoire resterait gravée dans l'Histoire, comme celle qui fut vaincue par un Sombre qui vainquit Son avatar...

Ce qui se passa ensuite, l'Histoire ne le raconte pas. Les interprétations sont diverses, se contredisent et sont probablement faussées. Quoi qu'il en fut, on raconte que la clairière fut illuminée d'une immense lueur immaculée, et que quiconque était sensible à la Symphonie dans toute l'Anaëh entra en transe. Une hystérie s'empara de tout ; animaux, végétaux et Elfes, tous furent saisis par ce qu'ils purent entendre. On raconte alors que la Gardienne n'était plus elle-même, qu'elle ne réagissait pas comme elle le désirait. Elle agissait comme elle devait le faire, et remplissait le rôle qui devint le sien lors de son élévation. Ce qui sûr, c'est que la personne qui se redressa devant les Drows n'était pas la Gardienne.

« Je suis la Maîtresse de la Nature, détentrice de la Prime Magie. Le feu sombre ne vous servira à rien, Haldren ! Repartez dans l’ombre ! Vous ne réussirez pas !

Les empruntant à un grand mage, ce furent les seules paroles que la Déesse prononça, et dont Taurë eut le souvenir. Elle gardait ces paroles en tête, du moins, s'efforçait de les retenir. Elle rouvrit les yeux, et fut soulagée de ne pas voir. Debout, elle se tenait toujours au milieu de la clairière, baignées dans un seuil de sang, d'organes et de cadavres. Le Chant ? Elle ne l'entendait pas. Elle était bien trop épuisée pour prêter l'oreille. Ce qu'elle savait, c'était que cette clairière avait été témoin de l'apparition de la Déesse même. Elle essaya tant bien que mal de lever son pied afin de qu'il la porte, mais elle n'en avait même pas la force. Taurë chercha du regard s'il restait des survivants. Le Chant ne lui en dénonça aucun.

Certains avaient fuient, en voyant la tournure des choses. Le Sombre avait espéré dérober ce qui faisait de Taurë ce qu'elle était. Un plan démesuré et trop ambitieux, même pour qui il était. Si elle ne ressentait pas cette fatigue qui l'accablait, la Gardienne aurait jurée que rien ne s'était passé. Elle se souvenait de quelques images soudaines, le Drow, prenant possession de son pouvoir, et l'apparition d'une sorte de portail immense. Le reste, rien ne lui apparaissait. Sa mémoire était perforée à cet instant, comme si la descente de la Mère dans ce monde avait ravagée les souvenirs de la jeune Elfe des dernières minutes.

« Où est leur meneur ? »
« Haldren Baenfere n'a pas franchi les frontières de ce pays. Il a basculé dans l'Ombre. »
« Est-il mort ? »
« Il est là où nul ne peut l'atteindre, et où il n'atteindra personne. »

La Mère demeurait mystérieuse, parlant par énigmes. Il ne manquait plus que la longue robe blanche, les cheveux blonds et le miroir pour parfaire la vision de la Dame de l'Anaëh. Taurë fit un effort surhumain pour traîner son corps jusqu'à une pierre semblant plate au toucher. Se hissant dessus, elle posa ses deux genoux à terre, la Gardienne laissant le sommeil la gagner. Au milieu d'un massacre, d'un champ de sang et d'organes, elle s'endormit d'un sommeil d'acier, que rien ni personne n'aurait pu troubler, pas même le retour d'Haldren.