Un adieu à la tranquillité [Aylah | Delyndil]

      Le Capitaine avait maintenant quitté sa robe du culte de Calimenthar, et c’était sur son armure étincelante que venaient danser les éclats furieux du soleil. Le Trône Blanc avait proclamé la marche à la guerre, et Aranos s’était apprêté pour : à sa droite s’élevait la courte lance des I ehtyari, et un large bouclier relevé d’argent protégeait son bras gauche. Seul le dur casque ciselé de trois feuilles manquait à son armure, et le Capitaine allait ainsi tête nue, sa crinière blonde balayée par les bourrasques automnales. D’un pas d’airain, Aranos pénétra dans le Sanctuaire de la Mère, les armes à la main.

      Ils étaient nombreux, les soldats à venir rendre leurs derniers hommages au Temple Majeur ; tous devraient bientôt s’élancer vers le Sud et la guerre. Aranos laissa son regard implacable marcher d’un visage à l’autre : ces fils venaient fidèlement saluer leur Mère, à l'heure où les rumeurs rapportaient depuis les Sud des promesses de combats féroces. Le Capitaine connaissait quelques figures parmi les soldats agenouillés face aux oracles, ou bien discutant d’une voix chantante avec les Prêtres.

      Aranos fendit la petite foule des guerriers, jusqu’à atteindre le vaste bassin d’eau claire que renfermait le Sanctuaire d’Alëandir ; près du flot calme comme de l’argent, le Capitaine se laissa tomber au sol, et déposa les armes. Sa lance était consacrée par le feu à Calimenthar, et le dieu Soldat veillerait à ce qu’elle morde et tranche ; mais à la Mère, Aranos destinait son bouclier, et dans le bassin sacré il le plongea délicatement.

      « Amillë, souffla le Capitaine, la nuque courbée jusqu’à effleurer du front la surface de l’eau, protège ceux qui en auront besoin. »

      Aranos n’avait pas achevé de murmurer ces mots, qu’un autre vœu lui vint à l’esprit. Les traits serrés, le frère de Taurë laissa tomber dans le secret du bassin quelques paroles encore :

      « Triompher par les armes, Amillë, plutôt que les mauvaises paroles. »

      D’un geste ample Aranos retira le bouclier aux flots, et le frappa contre sa cuirasse pour disperser les dernières gouttes d’eau sacrée. Plus loin sur le rebord du bassin, quelques Elfes venaient immerger leur armure entière dans l’onde divine de la Mère ; parfois, ceux-là n’avaient connu aucune bataille véritable, comme ils étaient à Alëandir lorsqu’Ellyrion s’était effondré. Eux se préparaient à un long voyage vers Ardamir et le front, aussi ils imploraient la bénédiction de Kÿria ; mais si leurs traits étaient emplis d’appréhension, une ombre bien différente durcissait la mâchoire et les lèvres prématurément ridées d’Aranos.

      Il allait retrouver Ellyrion et le Sud, là où il avait livré bataille durant six cents ans. Le Capitaine quittait la quiétude d’Alëandir, il retournait vers ses terres toujours en guerre.

Note:

Aylah n’était capitaine d’Archerie que depuis peu. Elle arrivait tout doucement à se faire à cette idée et surtout à accepter ce rôle et les responsabilités qui y étaient liées. Le roi Dyarque donna l’ordre de marcher vers le Sud, plus précisément vers le fort Ellyrion. Aylah prépara donc ses hommes au mieux. Doublant les entraînements sans pour autant épuiser son ost. Même si tout se passait comme prévu cela n’empêchait pas l’elfe d’avoir des appréhensions vis-à-vis de cette campagne. Il avait donc été décidé d’aller implorer le soutient de la mère.

C’est donc dans cette intention qu’Aylah se dirigea vers le sanctuaire, accompagné de son lieutenant. L’elfe n’était pas vêtu de son armure de combat, au contraire, Aylah était en robe. Une robe de couleur vert pastel ornée de différentes broderies elfique. Par-dessus elle disposait d’une longue cape à capuchon d’une couleur bien plus foncée. En réalité Aylah se voulait décontractée durant cet instant de recueillement. Tout son apparat militaire était prêt à être enfilé, donc elle pouvait se permettre de la faire juste avant le départ.

Pénétrant dans le sanctuaire, l’elfe pouvait se rendre compte du monde qu’il y avait. Il fallait s’en douter vu le départ qui était organisé. Se frayant un chemin sans perturber les prières, Aylah arriva jusqu’au bassin d’eau. Tout en récitant une prière, la jeune elfe fit tremper son collier qu’elle ne quitte jamais. Demandant ainsi la protection de la mère. Son lieutenant quant à lui fit tremper la pointe de ses flèches. Chacun son choix, chacun ses demandes.

Fermant ensuite les yeux en laissant place aux suivants souhaitant également faire bénir quelques objets, Aylah pria encore. Demandant à la mère de veiller sur chacun des hommes qui accompagneront l’ost. Ces prières durèrent un certain temps. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle remarqua de nouveaux visages, notamment celui d’Aranos, Capitaine d’infanterie de l’armée Royale.

Respectueuse envers les autres, elle ne le dérangea pas. Son lieutenant revenait prêt d’elle, et c’est ainsi qu’ils commencèrent à discuter dans le calme et dans le respect des autres compagnons elfes.

« Croyez-vous donc que cette mission sera une réussite ? » Demanda-t-il à Aylah.

« Je ne m’avancerais pas sur cela. Notre roi nous a donné un ordre. A nous de faire en sorte que celui-ci soit exécutée le plus parfaitement possible. Ellyrion nous appartient, nous ne pouvons le laisser dans cet état et aux mains de l’ennemi. Reprenez-vous donc et soyez un exemple pour vos hommes lieutenant. »

Un ton sec, une attitude stricte, Aylah avait du mal avec la compassion. Tous deux au fond de la salle, ils continuèrent de prier la mère en silence.

      Lorsqu’on s’aperçut que trois Capitaines se tenaient au bord du bassin, sous la voûte du Sanctuaire, on fit place nette autour d’eux. Sous le regard de la Mère se trouvaient réunis Aranos Hëlmeliòn, Aylah Elabriryn et Delyndil Fervellon : ces trois-là portaient la même armure frappée de la bannière royale, pourtant ils ne s’étaient que rarement rencontrés.
      « Êl síla erin lû e-govaned vîn, heri Aylah ar’edan Delyndil, déclara Aranos de sa voix profonde. L’heure est bien choisie pour notre rencontre, alors que le Trône Blanc nous commande à tous d’aller porter la guerre au Sud. »

      Le regard d’Aranos planait sur les deux Capitaines, glissant d’une figure à l’autre. Ceux-là étaient jeunes encore, à peine un quart de siècle dans leur vie d’immortels ; alors qu’Aranos avait mené des siècles de campagne déjà, et veillé sur Anaëh plus longtemps que bien des Elfes dans ce Sanctuaire. Pourtant, Aranos était au-delà de les juger : la Forêt abritait encore bien des Elfes millénaires, le Seigneur Adantar lui-même dépassait Hëlmeliòn de plus de dix siècles.

      « Le Trône Blanc est sage de nous envoyer renforcer nos frères et sœurs en Ardamir, dit encore Aranos. »

      Et ce fut tout. Ces quelques mots-là, cet avis laconique sur les raisons de la guerre, c’était tout l’esprit politique dont l’officier était capable. Aranos était un Capitaine, un guerrier dans les rangs de la Forêt, certainement pas un homme de discours ; maintenant que le Roi avait jugé qu’il était bon de combattre, tous savaient que la bannière à l’étoile et aux trois feuilles serait portée au Sud. Prêtre de Calimenthar, le dieu Soldat, Aranos contemplait l’ébullition autour de lui, et il savourait le grondement des tambours qui déjà annonçaient le fracas des armes.

      Lui en avait fini avec le bassin d’eau pure, pourtant le Sanctuaire ne désemplissait pas : nombreux étaient les Elfes venus protéger leurs cuirasses avant de rejoindre la marche des armées vers Ardamir. Les yeux d’acier d’Aranos jaugeaient de la trempe de chacun des soldats qui venaient s’accroupir devant l’onde sacrée.

      « Qu’est-ce qui les secourra dans la tempête de la bataille, Capitaines ? interrogea abruptement Aranos. L’eau de la Mère, les décennies d’entraînement, ou bien le simple hasard ? »

      Parmi la marée, Aranos distinguait quelques visages familiers : beaucoup de bons soldats, mais aucun des guerriers endurcis qui avaient veillé des siècles durant sur les murailles d’Ellyrion ; trop peu avaient réchappé de l’assaut, il y a sept ans de cela.

      « Ce sera une nouvelle guerre, lança Aranos aux deux jeunes Capitaines, et les armes révéleront de nouveaux soldats. »

Note:

Trois capitaines sont présents... Trois elfes hauts gradés qui méritent le respect de leurs frères et sœurs. Lorsqu’ils se rejoignirent autour du bassin, l’on pouvait constater les réactions des autres qui priaient. Ils se retrouvèrent donc tous les trois, côte à côte, à scruter ce bassin. Aylah quant à elle avait le regard dans le vide. Une multitude de questions lui vint à l’esprit. Comment est-ce que cela allait se dérouler ? Était-ce réellement nécessaire ? Pourquoi la mère autorisait ce genre de massacre qui a lieu en Ardamir ? Pourquoi ? Et encore une fois pourquoi ?

L’elfe fut distraite, si bien qu’elle n’entendit qu’à moitié les salutations d’Aranos. Heureusement, elle a su réagir assez vite et lui répondre après que le capitaine Fervellon l’ait fait. Aylah se doutait bien que la conversation se tournerait sur le sud, sur la guerre qui venait à grand pas, sur l’ordre du trône blanc et sur la stratégie à adopter. Il était évident qu’il fallait de parler de tout cela, mais Aylah aurait préféré un autre lieu. Le sanctuaire était un bâtiment de culte, là où on priait la mère. Là où on s’abandonnait à nos rêves, à nos espoirs. C’était donc dommage d’aborder ce sujet ici, juste devant le bassin.

Mais soit, l’elfe ne pouvait se permettre d’être impolie, surtout envers un capitaine d’une telle envergure qui a non seulement plusieurs siècles d’expériences en plus mais qui a également combattu à Ellyrion durant une bonne partie de sa vie.

« Ce qui nous sauvera lors de cette bataille, ce n’est pas l’eau de la Mère, n’y l’expérience et le hasard mais l’envie de défendre nos terres. Le courage de nos frères et sœurs, la haine que nous portons en nos cœurs vis-à-vis de notre ennemi. Un homme ou une femme qui porte l’envie de vengeance au plus profonds de lui-même, même si notre Mère ne cautionne ce genre de sentiment, sera toujours plus efficace qu’un guerrier expérimenté mais qui porte la paix en lui. »

Aylah marqua une pause, elle venait de dire ce qu’elle pensait, ce qu’elle ressentait au plus profond d’elle-même sans se soucier des différentes réactions que cela pouvait provoquer. Ce n’était pas son genre de se soucier de cela de toute façon.

« Nous repartons dans le sud pour atteindre notre but, et c’est avec de la volonté et du courage que nous y arriverons. Certains continueront de prier, d’autres à s’imaginer dans leur foyer mais pour ma part je ne saurais me considérer en paix tant que le souhait du trône blanc ne soit accompli. »

C’était là son but, non seulement récupérer nos frontière mais également satisfaire son Roi. L’Anaeh était déjà si fragile suite à la perte du fort, à multiples petites attaques perpétrées par l’ennemi. Même si l’ennemi n’est pas toujours celui qu’on croit être. La forêt allait mal, il était temps de redresser cela.

« Nous nous devons de protéger ce qui nous appartient. »

Aylah n’en dit pas plus, pensant qu’il était temps d’arrêter de rendre ses opinions publique.

      Les paroles avaient été rudes et chargées de mots lourds : haine, colère, et mort. Delyndil s’était à présent retiré vers ses guerriers, et il ne restait plus au bord du bassin qu’Aylah et Aranos. Le Temple était alors empli de guerriers comme jamais il ne l’avait été dans les siècles récents, et l’atmosphère devenait grave et pesante. Pourtant, à entendre quelles paroles terribles avaient été avancées par les Capitaines de la Cavalerie et de l’Archerie, Aranos sentit l’air devenir plus agité encore dans le Sanctuaire de la Mère. On n’avançait pas des thèses guerrières sans sentir le murmure courroucé de la Mère, le Prêtre de Calimenthar l'avait appris de nombreuses fois au cours de sa brève existence longue de sept siècles à peine.

      Lorsqu’Aranos prit la parole, sa voix était encore douce et paisible :

      « Les Elfes ne combattent pas pour la haine ou le sang, nikerym Elabriryn. Nous ne sommes pas des Hommes. Nous luttons car nul n’est digne d’ôter la vie des fils et filles de Kÿria, ni de détruire nos terres : celui qui attaque les Eldar doit mourir car cela est le juste ordre des choses. Celui d’entre nous qui laisse les forêts brûler et les cités être anéanties, celui-là est indigne de s’abriter derrière nos murailles. »

      Sur le bouclier du Capitaine achevaient de ruisseler les gouttelettes d’argent du bassin, et sa lance reflétait avec férocité l’éclat de l’eau bénie. Aranos avait connu six siècles de guerre, et cette nouvelle chevauchée vers le Sud était accueillie avec froideur par son esprit : il avait si souvent tranché dans la chair sous les arbres d’Ardamir. Pourtant, cet esprit guerrier mais paisible, Aranos doutait que d’autres parmi les jeunes guerriers dans le Sanctuaire, ou même les jeunes Capitaines, le partagent.

      A Aylah alors, qui avait si violemment parlé de guerre et de haine, le Prêtre de Calimenthar déclara :

      « La guerre élève notre peuple, elle est une épreuve bénie adressée par le Soldat à la Forêt. Lorsque nous serons dans le chaos de la bataille, au cœur de la tempête des arcs, aucune sauvagerie ne nous sauvera : ce n’est pas la voie des Elfes. »

      Le ton du Capitaine se fit plus grave, comme sa bouche aux commissures ridées articulait les paroles suivantes :

      « Capitaine Aylah, nous devons promettre de combattre avec honneur, comme Kÿria et Calimenthar le commandent, et non comme des bêtes affolées par le feu. Gwestog ? »

Note :

Aylah regarda le capitaine Fervellon s’en aller. L’elfe ne le connaissait pas plus que cela mais elle avait entendu parler de son caractère. Il était sylvain mais voulait protéger toutes les races de Miradelphia. Il avait certainement pas mérité sa place de capitaine et fort heureusement Aylah ne pouvait pas décider de qui restait ou de qui partait ou encore de qui méritait quel poste, si c’était le cas, elle ferrait très certainement un tri parmi l’ost elfique. Mais bref, Aylah reprit ses esprits et écouta alors Aranos qui lui adressa à nouveau la parole. Il lui demandait de tenir une promesse mais Aylah n’était pas sûr de pouvoir la tenir. Elle aussi avait son propre caractère et il était difficile de lui faire changer d’avis.

« Capitaine Aylah, nous devons promettre de combattre avec honneur, comme Kÿria et Calimenthar le commandent, et non comme des bêtes affolées par le feu. Gwestog ? »

« Je ferais de mieux pour satisfaire cette promesse. » Finit-elle par dire.

Et elle était sincère, elle ferait ce qu’il faudrait, pour elle et ses hommes. Aylah baissa ensuite les yeux, pour après quelques instants les replonger dans ceux du capitaine.

« Permettez-moi de vous demander votre plan d’action en ce qui concerne le sud. »

Aylah voulait savoir ce qu’il avait prévu.

« J’ai été nommée récemment et je souhaiterais être mise au courant. »