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 L'Œil bleu

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Aetius d'Ivrey
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Aetius d'Ivrey


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MessageSujet: L'Œil bleu   L'Œil bleu I_icon_minitimeSam 25 Mai 2013 - 21:36

« Demain tout ira mieux tu verras. »

C’était les dernières paroles qu’il avait adressées à la princesse Lyhann tandis qu’ils crapahutaient jusqu’au sommet de la tour de l’Arcanum. Le Favrius d’automne touchait à sa fin, et le soleil s’était couché depuis des heures lorsqu’ils accédèrent à la salle des arcanes. Demain tout ira mieux tu verras, avait-il dit dans le grand escalier à colimaçon. Lyhann avait plongé ses grands yeux, humides et pourpres, dans celui qu’elle appelait son bon oncle, le Régent. Et comme il prononçait cette volée de mots rassurants, la jeune fille se raidit un peu plus, hoqueta un sanglot et serra la main de l’Ivrey de toutes ses forces, comme si on l’avait suspendue au-dessus du vide. Elle ressemblait de plus en plus à sa mère, la comtesse de Chrystabel, et le chagrin, l’angoisse et la peur révélaient un peu de la beauté, triste et diaphane, que serait la princesse Lyhann. Son frère, Eliam, tenait quant à lui de son père – du moins pour l’aspect cadavérique. Le petit roi était couché dans un brancard, inanimé. Son visage inerte prenait, à la lueur dansante des torches, des aspects et des expressions éphémères, tandis que deux chevaliers le transportaient, bon an mal an, dans l’antre des sorciers du roi. Et à mesure qu’ils montaient les degrés étincelant de runes, le murmure des psalmodies se faisait plus fort, se mélangeait aux lourdes fragrances des encens qu’en haut de la tour une armée de Magistères faisaient brûler pour le rituel.

Mais la rumeur et l’odeur qui couraient sur les escaliers n’étaient rien en comparaison à ce qui les attendait dans la salle des arcanes. La pièce, pourtant immense, était étouffante d’olibans, assourdissante de litanies prononcées en d’anciennes langues mortes et maudites. Tout ici semblait donner un avant-goût des Enfers à Aetius. Les rondes de mages, tournant et retournant, la pénombre parée de braseros plus fumeux que lumineux, l’écho de ces dizaines de voix se rejoignant en un chœur monocorde et guttural avait, dans un premier temps, plongé le prince dans une terreur sacrée, un effroi presque atavique pour ce sabbat démoniaque. Jusqu’à ce que, enjambant un parvis de quelques marches, il fut installé sur un trône qui dominait toute la mascarade. Etaient-ce ces parfums méphitiques qui affaissaient la volonté du chevalier, ou le chant, presque hypnotique, qui l’envoûtait ? Tout semblait certain, à présent. Tout irait pour le mieux, il n’en avait aucun doute, et les sorciers expurgeraient du petit roi l’affliction qui le rongeait et qu’aucun Temple n’avait su guérir. Le désespoir qu’il ressentait, quelques heures auparavant, lorsque le baronnage royal, aussi résigné que lui, avait accepté cet ultime recours, l’usage de la magie, s’était dissipé. Ses entrailles semblaient pulser au scandement des vers thaumaturgiques. Ses yeux, agressés par les enchantements, le brûlaient, mais il ne cillait pas. Hébété, son regard embrassait l’ébranlement de la cérémonie. Lyhann ne pleurait plus, les chevaliers – ceux qui avaient osé entrer pour protéger leurs maîtres – restaient immobiles aux abords des portes, comme des ombres. Tout s’était soumis à l’enchantement et les regards, subjugués, contemplèrent les serpents de fumée, les cascades tournoyant autour du corps malingre d’Eliam.

Le noir sacrement s’intensifia, les formules s’accélérèrent, soutenues par les chants, qui pénétraient la chair et l’esprit. Une procession de cauchemars et de chimères chevauchait maintenant le crâne des sorciers, qui tournaient la tête, leur voix vibrante poursuivant leur rituel. Des lettres, dans de grands éclats blancs, fusaient de toutes parts, et ces grands glyphes incompréhensibles lui firent penser aux derniers mots d’Herménégildoricius le Trépassé. « Le monde n'existe pas, tout me laisse penser qu'il s'agit d'un jeu dont nous ne sommes que les pions. Je ne sais d'où me vient cette lucidité mais j'espère que nul ne vous ôtera de l'esprit les paroles que j'y place en cet instant, ainsi ma vie, si vaine soit-elle, aura servi une cause juste. »

Il y eut un bruit assourdissant.

Et un Magistère de crier : « La vierge, elle n’est pas v– ! » Mais avant qu’il puisse finir sa phrase, tout avait disparu dans un éclair bleu, dans un tonnerre. Un grand orbe de lumière, aussi bleu et froid que le givre, d’une pureté immense, une pureté d’autre part, qui vous envahissait et vous glaçait les os, recouvrit le sommet de la tour, et au dehors, les nuages noirs s’empourpraient, la lune rougissait et une fumée épaisse montait dans le firmament. Diantra aux dômes d’argent brûlait et saignait. Aetius quant à lui contemplait ce grand Œil bleu. Il contemplait la marche des cochons, l’empire de poussière. Il voyait les secrets de la fabrique du monde et deux femmes qui dansaient comme on le faisait pour invoquer les divinités de la Terre. Et comme son esprit se dissolvait dans l’Œil bleu, une dernière image s’imposa. C’était celle d’une terre nue, gibbeuse de chaos de roches blanches. Une chaleur insoutenable faisait vibrer les lignes de l’horizon déchiré. Et au milieu, un olivier blanc offrait son ombre.

Puis l’Œil bleu se volatilisa, emportant avec lui le donjon de l’Arcanum. Ainsi disparut Aetius, dans la plus haute tour de la ville aux cinq-cents-soixante-quinze tours.

FIN.

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