La Rose d'Or

Les vents étaient particulièrement violents en ce milieu d'automne. La saison des tempêtes étaient désormais arrivé sur l'Eris et il ne passait quasiment plus une ennéade sans que les pluies battantes et les vents déchaînés ne viennent accabler la riche cité de Soltariel. Du reste, cela n'empêchait nullement les marchands d'aller et venir comme à leur habitude, même si le flot de voyageurs entre Soltariel et Boniverdi s'était considérablement amenuisé. Seul le trafic avec Ydril perdurait ainsi que quelques aventuriers qui se croyaient en mesure de défier l'océan vengeur. On ne les voyait pas toujours revenir.

Asdrubal venait de sortir d'une réunion avec l'ensemble de l'amirauté soltarii. Une habitude en début d'automne, lorsque les vents immobilisaient pratiquement toute la flotte. En l’occurrence, ne manquait que quelques capitaines qui avaient été désignés volontaires pour mener la force expéditionnaire prêté à Velteroc. L'on avait beaucoup discuté des rumeurs qui étaient parvenus jusque ici et qui n'auguraient rien de bon, malheureusement. Il fut donc décider de commencer aussitôt que possible la construction de nouveaux bateaux.

Épuisé par la séance, qui présentait toujours le même taux de fourberie, de trahison et de mensonges que tout le reste de la scène politique de Soltariel, il gagna l'une des terrasses supérieures du Palais. Là, il resta immobile, face au vent qui soufflait. Il laissa ses sens filer le long des fils magiques que chacun de ces courants d'air recelait. Sa chevelure virevoltait derrière lui, soulevée en tout sens par les bourrasques. Il resta ainsi un certain temps, perdus dans ses pensées qui se déplaçaient le long des filament de magie.

-Monseigneur ?

Il rouvrit brusquement les yeux tandis qu'il se sentait s'affaisser sur lui-même en revenant au monde physique. Il se tourna pour apercevoir Vettias qui l'attendait. Son faciès rond n'exprimait rien de plus qu'à son ordinaire, cette indéniable impression d'être totalement inoffensif. Combien de petits conspirateurs s'étaient retrouvés pris à leur propre piège par sa faute depuis que Vettias était intendant. Difficile à dire, mais les bourreau lui devaient assurément de nombreuses heures de travail.

-Qu'y a-t-il ?
-On me signale que la Dame de Gwydir, dont je vous ai informé de la visite la semaine passée, se trouve désormais en nos murs. Peut-être serait-il bon d'aller l'accueillir, et je me permets de vous rappeler que votre femme se trouve dans vos propriétés à l'intérieur des terres.
-Je le sais, bien évidemment -il n'en avait cure et ne savait même pas depuis combien de jours elle était partis. Je descends... Où est-elle ?
-Je l'ai conduite au salon de réception intérieur. Ai-je mal agis ?
-Absolument pas.

Asdrubal quitta la terrasse et traversa rapidement l'aile du palais, avant de prendre une suite de couloir pour déboucher sur une galerie intérieure qui donnait une magnifique vue sur le jardin, cerclé de ses colonnades. S'il ne se trompait pas, le salon où se trouvait son invité devait se trouver juste en-dessous. A la réflexion ce n'était peut-être pas le meilleur moment ou endroit pour tester ce qu'il avait en tête. Mais au diable ce genre de précautions !
Il se plaça entre deux colonnes, à un pas du bord, ferma les yeux et se laissa de nouveau aller aux flux de magie, non pas pour les laisser glisser mais pour les saisir et les plier à sa volonté. Puis, lorsqu'il se sentit près, il inspira et fit un pas. Il ne tombait pas. Alors qu'il ne reposait plus sur rien, il parvenait à se maintenir en l'air en maniant habilement celui qui l'entourait. Relâchant doucement la contrainte, il se laissa tomber en douceur, comme une feuille. Puis, lorsqu'il se sentit assez proche du sol, se laissa tomber. Il atterrit avec un peu plus de force qu'il ne s'y était attendus mais parvint à rester debout. Rencontrer de nouveau le sol après cet instant en vol, puisqu'il n'y avait d'autre mots, avait quelque chose d’étonnamment frustrant.

Il rouvrit les yeux et repoussa de son visage une mèche de cheveux. Puis il se retourna, pour embrasser du regard le salon de réception jusque là dans son dos. Ne s'y trouvait qu'une seule occupante -ainsi qu'un serviteur qui amenait un plateau de rafraîchissement à celle-ci, mais l'on ne comptait pas le petit personnel-,à n'en pas douter la Dame de Gwydir. Elle était ravissante, aux couleurs radieuses du Soleil, de ses cheveux à ses yeux.
Asdrubal traversa les quelques mètres qui les séparait du salon avant de s'incliner légèrement pour la saluer.

-Asdrubal de Soltariel, Duc de Soltariel, Illustre Mercanti du Ponant et Grand Thaumaturge. Ravis de vous accueillir en soltarii.

Il lui prit doucement la main et déposa un délicat baiser sur ses doigts fins.