Correspondance Sybrondil-Merval

Citation :

A Cléophas d'Angleroy, Chancelier du Royaume et baron de Merval, etc, etc.

Messire, il nous tarde que soient mandés gens du Conseil et pairs du royaume afin que débutent les premières séances en la très haute Assemblée diligentée pour régir les affaires de la Couronne. Comme vous le savez très certainement, moult grands seigneurs et hautes dames ont déjà regagnés leurs fiefs et moi-même me rendrait sous peu en nostre seigneurie de Port Réal, pour y constater l'état de la flotte. Il est impératif d'agir au plus vite. Que ne nous sommes-nous déjà réunis ? Le temps presse et l'orage gronde.

Nous souhaiterions également diligenté homme sûr en une mission d'ambassade en Estrévent, afin d'y mettre un terme à la piraterie qui ronge notre commerce et souhaitons recevoir votre pleine autorité pour le charger de celle-ci comme d'une mission pour le Royaume. Car l'homme est en recherche d'offices ou de missions à la Cour et nous plaçons toute confiance, en sa sapience des lointaines contrées, qu'il a autrefois parcouru.

Donné sous notre sceau à Diantra, le jour de Panahos dernier, mois de Barkios, en la 7ème année du Onzième Cycle.

Maciste d'Irun,
Prince et baron, Sire de Port Réal et Amiral de la Flotte.

La lumière de quelques candélabres qui laissaient leurs volutes s’échapper vers les baies grandes ouvertes ; les tentures suspendues ça et là comme dans les grands déserts les barbares suspendent leurs maisons à quelques piquets de corne ; l’oliban encore et le baume toujours donnaient à ces quartiers un aspect trop feutré pour les grandes affaires qui s’y tramaient et y évoluaient. L’étrange cacophonie qui s’échappait du colombier berçait l’imaginaire du Chancelier, comme les monodies funèbres qui décorèrent de leur somptuaire les funérailles du Petit-Roy. En ce moment précis que brûlaient quelques braises dans l’âtre, que se consumaient les branches de thym et de romarin qui enfumaient les halls de leurs fumées odorantes, Cléophas s’attendait à recevoir la paix et le silence. Au lieu de cela, on lui offrit un Griffon de cire rouge et un parchemin tout peinturé d’encres. Les délicats entrelacs, quoique vifs, dénotaient le bon sang du seigneur sybrond. Comme autant d’arabesques esquissés dans un bloc de marbre, on y lisait l’art et la science à la fois ; la précision du stratège autant que la rondeur du suderon. Naguère, le Chancelier avait entendu de la bouche d’un aveugle oracle que le destin des Hommes se cachait dans les lignes tracées par leurs mains. Avait-il, le défunt Régent, le trait frénétique et interrompu ?

Les yeux de Cléophas parcoururent la lettre en vitesse, comme si tout ce qu’il y lisait il l’avait déjà lu ailleurs, dans d’autres circonstances. Sortant un vélin de quelque fatras de peaux, graissant sa plume et diluant dans son encre un peu de teinture d’indigo, Cléophas se mit à gratter. Son poignet guidé par Néera n’attendit point l’accord de ses pensées avant de tracer l’encre. Lisait-il, lors, dans ces lettrines automatiques son propre destin ? Une chose fut certaine, le Chancelier était déterminé à répondre et il répondit non sans avoir à plusieurs reprises rincé sa soif d’un peu d’eau de vie de pêche.

« Très-estimé, très haut ; cher et loyal : nous vous saluons.

Nous entendons les vôtres demandes, ci-donc exprimées et nous les jugeons sages. Voici pourtant que nos temps requièrent de notre part grande discrétion quant aux actes à prendre. Ne faut-il pas à l’acacia quelques semaines avant qu’il ne renaisse de-dessous le lit de cendres qui a décimé les bruyères ? Voici que nous escomptons réunir dans les salles souveraines du château, l’aulique Conseil à régir toutes les choses voué ; mais encore, ne faisons pas de notre empressement la cause de notre ruine. Notre dame-régente, très-puissante Marquise, se remet difficilement des évènements récents : accordons aux défunts les dévolutions et respects que nous leur dévons en tant que serviteurs de Tari-la-Piteuse. Lorsque les brumes des funérailles se seront évaporées de nos esprits, lors nous convoquerons les pairs et membres du Conseil qui en sont encore dignes et nous évoquerons là le sort du Royaume ; mais avant je vous prie : pacïence.

Au surplus, nous ne voyons point d’objection à la requête que vous nous mandez à cela que nous aurions préféré connaître levotre serviteur, aussi honorable soit son âme. La grande dignité de l’office que nous occupons nous ordonne de ne point accorder de munificences à ceux qui nous apparaissent sous le couvert du masque ou de la recommande : grandes pourraient être les souffrances résultant de l’erreur d’un homme perdu dans l’Olienne. Nous apprécions votre grandeur d’esprit par l’entreprise qui est la vôtre et lorsqu’une fois nous aura été présenté votre notable protégé, nous lui donnerons pouvoir pour rétablir l’ordre dans les horizons levantins ; et de sorte que vous puissiez mener à bien celle-là entreprise, nous donnerons mandement à nos connaissances de l’outre-mer de vous venir en aide.

Ainsi déclare Cléophas d’Angleroy, Baron de Merval et Seigneur Justiciaire de Diantra, Chancelier de la Couronne par la grâce du Conseil. »

La cire purpurine coula en gouttes visqueuses sur le vélin et Cléophas hésita. Dans ces évènements tumultuaires, la Grand-Chancellerie n’avait pas fait fondre de nouveau sceau et toujours gardait-on sur l’ancien l’image du Petit-Roy. Finalement, Cléophas opta pour le sien propre : le Gryffon répondrait au Griffon.