Haro sur le félon!

HRP:

Le bruit assourdissant des hommes en marche résonnait dans l'aile ouest de l'hostellerie royale, au moment même où une seconde cohorte pénétrait à l'autre bout du bâtiment, pour se rendre vers un second ennemi. Le comte de Velteroc, s'il n'avait, à la différence de sa femme, conspué ouvertement la royauté de Bohémond Ier, avait défié les décisions de la régence, en refusant de rendre tout hommage au nouveau duc d'Erac. Une forte troupe d'hommes en armes s’apprêtait donc à se saisir de sa personne, et à la traduire devant la justice du roy pour sa félonie.

Anseric menait l'escouade tambour battant, rutilant dans sa demi armure de bon acier oesgardien. À son côté tapotait désormais Cendrée, l'épée des sénéchaux : l'arme de Léandre de Soltariel, qu'il avait arraché, selon la légende, au Karliik Glenn lors de la bataille des cendres, il y a six siècles de cela. Son noiracier levantin, inaltéré malgré les années, offrait à la vue du connaisseur tout le savoir faire des forgerons d'Elda : son motif damassé donnait l'impression de veinules parcourant la lame. Non content de porter une si prestigieuse épée, Anseric avait glissé à sa ceinture un fléau d'armes, qu'il avait été connu autrefois pour manier redoutablement.

Sachant son invité d'ennemi bien gardé, le sénéchal s'était résolu de charger sans attendre, afin de profiter de l'effet de surprise au mieux. Au détour d'un escalier, la cohorte était tombée sur le premier garde ; elle le massacra sans attendre. Ainsi commença la sanglante besogne de ces zélotes royalistes! Plus ils progressaient, plus la résistance devenait acharnée, l'effet de surprise ayant été épuisé depuis longtemps. La couloirs jonchés de cadavres témoignaient de la violence de l'assaut, toutefois, alors qu'ils approchaient de la chambre du comte, Anseric et ses hommes avait été repoussés par la garde velterienne. Ces coriaces montagnards, une fois en formation, ne laissaient guère aux fines lames diantraise le loisir ferrailler : ils avaient littéralement muré le corridor d'une série de boucliers. Ceux qui s'étaient aventurés à jouer de la brette avaient au mieux fait rapidement marche arrière, leur plate bosselée par le coup d'une hache. Les moins chanceux trainaient sur le sol.

Tout ébaudi par le carnage, Anseric hurlait à ses hommes qu'il leur montrerait comment vaincre des sauvageons. Il s'empressa courageusement de faire porter des arbalètes. Bientôt, l'invincible mur de bouclier et les hauberts rutilants devinrent aussi utiles qu'un linceul. Les carreaux honnis de tous perçaient de part en part des lourdes armures, avec la force surprenante qu'on connait à ces armes. La formation mise à mal par ces viretons meurtriers ne résista pas à l'ultime assaut, et c'est Anseric, qui enfonçant la porte du logis, pénétra le premier sus au félon. Il découvrit le comte aux côtés de deux magiciens, et pas des moindres. Leur habit trahissait leur profession : le premier était un elfe en longue toge, dont il ignorait le nom. Quant au deuxième, sa panoplie intégrale ne laissait aucun doute sur son identité : il s'agissait de Nakor, l'ancien mage du roy Trystan, sur lequel courrait d’innombrables histoires toutes aussi atroces les unes que les autres, et dont le retour avait été attesté à la cérémonie funéraire.

"Soldats! Au nom du roy, emparez vous de ces hommes!"

La charge des soudards semblait être comme un appel à la boule de feu.

Nakor se tenait dans l'hôtel royal dans lequel Nimmio l'avait accueilli. Altiom devant absolument partir vers le sud pour s'occuper de ses affaires nobles, ils s'étaient séparés. Nakor et Celindel étaient restés avec le comte de Velteroc après que le vieux fou ait chaleureusement souhaité bonne chance et dit au revoir à son petit fils d'adoption l'Archonte. Après quelques discussions et mises au point, un brouhaha émana des étages inférieurs et sans trop se soucier du bruit infernal que faisaient ceux qui étaient les hommes de main du nouveau Sénéchal, Nakor sembla entrer en transe. Il allongea son cou vers le haut autant que possible, comme s'il essayait de sentir un effluve particulièrement subtil et peu présent avec un brin de surprise dans l'œil droit. Il tourna sur lui même en marmonnant

"Quelle est donc cette ... oui ici ... non, non ... là ... qu'est-ce que ..."

Puis le vacarme devint trop présent pour être éludé, Nimmio envoya ses troupes et lorsque les chocs des épées résonna, lorsque le métal se mit à s'occuper du métal, alors Celindel, Nimmio et Nakor se regardèrent. Par tous les dieux de Miradelphia, ils étaient attaqués. La maudite et infâme régente, satanée garce parmi les garces, n'avait pas attendu longtemps pour envoyer ses troupes laver l'affront constant et presque unanime qui lui avait été fait durant la cérémonie que le comte de Velteroc venait de décrire au vieux sorcier. Ils coururent jusqu'à la fenêtre. La place était cernée et des troupes entraient massivement dans le lieu de résidence momentanée des rebelles du médian. Nimmio allait fièrement se jeter dans la bagarre quand Nakor l'en empêcha avec une force qu'on ne pouvait imaginer dans le corps si frêle du vieux fou.

"Nooooon Nimmio, vous êtes l'espoir d'un renouveau dans le monde des hommes, ces gardes vont bientôt nous surpasser en nombre, nous devons nous replier ... sans quoi plus rien ne pourra être fait! Aller nous devons"

Et alors qu'il luttait pour maintenir le noble en place, la porte derrière eux explosa et un instant de repos, de silence tendu, d'infinie dans l'infime course du temps vit le jour. Nakor se retourna pour planter son regard dans cette nouvelle personne qui se trouvait sur le pas de la porte sans y avoir été invité. Il prit alors de plein fouet ce qu'il sentait et recherchait voilà quelques minutes à peine. Le nécromantique! Le rat qui osait se livrer à de la sorcellerie intolérable sur un monde de lumière et de respect de la vie. C'était faible mais là, l'homme usait d'arts arcaniques que le vieux barbu détestait par dessus tout. Et là, son sang ne fit qu'un tour, il ne pouvait laisser en vie un homme qui avait gagné ses galons de Sénéchal fièrement exhibés et qui donc était aux côté de la monarchie en place. Il devait lui régler son compte ou au moins s'assurer qu'il ne pourrait plus tenir son rôle à la tête de Diantra la belle. L'infâme manipulateur noir hurla un ordre d'emprise sur le trio et le Magistère n'attendit pas une seule seconde, dans sa furie nouvellement éveillée il tournoya sur lui même, toute main dehors, en hurlant à son tour

"Nonnnnnnnnnnn!"

Une mini tornade fut déclenché, qui entoura le trio et déploya un vent d'une puissance si forte vers l'extérieur que la vitre explosa et que les gardes de Diantra eurent du mal à avancer. Cette tornade fut maintenue par le courroux du vieux fou, qu'il fit parcourir d'éclairs, afin que le bruit masque complètement ses propos. Il brandit son bâton et l'enfonça presque dans le ventre de Celindel et Nimmio, le tenant bien droit. Pour passer par dessus le bruit de sa propre magie il hurla à l'oreille de ses compagnons

"Saisissez le et ne le lâchez sous aucun prétexte! Une fois que mon sortilège sera activé, Celindel continue simplement d'envoyer ton énergie magique dedans, le bâton fera le reste! Vous serez invisible, inaudible, inodore. Fuyez vers le nord, je vous rejoindrai plus tard, j'ai une affaire à régler ici!"

Voyant une minuscule seconde d'hésitation, Nakor s'énerva encore plus

"FAITE CE QUE JE VOUS DIS!"

Et il activa le vieux sort incrusté dans le bâton de Nisetis. Il propulsa ensuite avec une certaine force les deux lurons au travers de la vitre, en ouvrant une brèche dans sa tornade. Ils planèrent donc jusqu'à l'autre bout de la rue, espérant qu'ils feraient ce qu'il leur avait dit de faire il brisa la tempête et se retrouva nez à nez avec des gardes assoiffés de sang mais un peu surpris. Nakor pointa son doigt sur le Sénéchal et lui tint ce drôle de discours

"Tu es démasqué, monstre! Et vous tous les chiens qui travaillaient pour lui, hors de ma vue si vous ne voulez pas mourir!"

Puis poussant un râle d'effort, il avança soudainement ses deux mains, paumes ouvertes vers les gardes. Un immense poing d'air frappa de plein fouet les pauvres hères, qui furent balancé contre les murs en bois de l'hôtel. Une partie de la garde passa carrément au travers dans une explosion de bois et d'échardes, les autres encaissèrent de plein fouet la vague humaine des premières lignes. Puis faisant apparaître une boule de feu infernale dans sa main droite, forte et puissante, il dit tout haut

"Aller, à nous deux!"

Si bien sur d'autres tentaient de s'interposer ou de continuer le combat contre le vieux bonhomme bien énervé, ils s’en prendraient une belle dans la face! Voyons voir de quel bois se chauffait le fou qui osait user de magie noire, même à un niveau néophyte.

Sous les yeux médusés de l'assemblée, le vieux fou venait de déchainer les éléments, et faire disparaître le félon. C'était bien plus que ne pouvait supporter Anseric, trop courroucé de s'être fait subtiliser la proie qu'il tenait au creux de son poing. Le magicien s'obstinait une fois de plus à sauver ceux que la hache attendaient ? Il lui en cuirait!

"Tuez le!", hurla-t-il perspicacement.

De droite comme de gauche chargèrent, tel un seul homme, les zélés piétons des compagnies royales. La déflagration ne se fit pas attendre, consumant les chairs de ces soldats un peu trop courageux. Mais! Au travers des flammes mourantes, c'était Anseric qui s'élançait furieusement. Ayant combattu dans sa prime jeunesse les suppôts goétiques d'un sorcier redoutable, il en avait appris une savante tactique : sacrifier la piétaille pour mieux embrocher son adversaire. Traversant la pièce au milieu des flammèches, il fut sur son adversaire avant que ce dernier ne puisse lui lancer un autre sortilège. D'une frappe la plus parfaite, il fendit de long en large la figure décatie du magicien. Emporté par sa course, notre paladin fit quelques foulées, avant de se retourner, au fond de la pièce, pour constater les ravages qu'il avait pu causer à ce pauvre hère.

"Malédiction!" le coup avait manqué de peu. Sur le sol gisait le haut de forme du pyromancien, dont on apercevait désormais la base du crâne, tapissé d'une chevelure argentée. Anseric, dans sa fougue, avait cru pouvoir en finir avec son adversaire d'un seul coup, mais il apparaissait que celui-ci était plus coriace qu'il n'y paraissait. Pas déconfit pour un sous, le chevalier fit de nouveau face à son ennemi, pointant son épée droit sur celui-ci en guise de provocation.

"C'était un coup de semonce! Épargne toi les souffrance d'une mort violence, vieillard! Ton obsession à protéger des scélérats causera ta perte!"

Par tous les maudits esprits frappeurs de cette infernale situation! Ils chargeaient les bougres et sous les ordres infâmes de leur maitre lâche au possible. Il envoyait la petite chair à canon pour ne prendre aucun risque avec sa propre personne, à l'opposé de Nakor qui envoyait tout le monde loin de lui pour tenir le pont. Cela ne faisait que mettre encore plus en rage le magicien presque millénaire qui ne put retenir son coup. Tant pis, ces pauvres fou avaient choisi leur camp il allait donc y avoir de la cuisson pour accalmir le reste. La boule de feu parti et amplifia durant son vol en se séparant en plusieurs frappes violentes. Elles explosèrent quand elles entrèrent en contact avec les armures rutilantes des gardes de la cité. Un enfer de flamme se déclencha mais les explosions, après leurs souffles avaient la bonne idée de toujours rétrécir avec force et s'éteindre rapidement. C'est à ce moment là qu'une ombre perça les flammes mourante, le montre nécromantique se jetait dans la mêlée, une fois ses hommes sonnés par l'explosion et repoussés par la même. L'attaque au corps à corps, et le magicien qui avait donné son bâton. Pale-sang-bleu lui qui savait manier sa vieille relique de Nisetis pour parer justement à ce genre de situation, il était plutôt démuni. Une seule solution, tenter une esquive. Le poing partait en ligne droite, sur le visage du vieillard. S'il s'abaissait il serait à terre et en position de faiblesse pour se relever. Il fit donc quelque chose de très machinal, il se baissa, son front fonçant vers le sol en espérant éviter la lente remontée du poing vers le visage. C'est son pauvre chapeau qui s'en prit plein la poire. Nakor esquivant de justesse celui qui ensuite alla jusqu'au fond de la pièce pour remettre de la distance entre eux deux. Les yeux presque exorbités le vieux fou se rendit compte de cette infamie, cette ignominie inacceptable, cette monstruosité sans borne, cette horreur sans nom : quelqu'un avait frappé son chapeau. Il leva très lentement le visage sur le responsable de cet acte innommable, ses yeux devenant luisant d'une fureur infinie, animée par une magie interne flamboyante

"Et toi pauvre imbécile heureux, tu vas apprendre ce jamais on ne touche chapeau de mage sans en payer les conséquences!"

Puis levant une main vengeresse il déploya une pluie d'éclairs qui partirent de ses doigts, la pièce devint un véritable endroit de bruit, d'illumination et de force magique. L'innommable nécromantique tenait comme un pauvre innocent, une épée en métal dans ses mains. Et que se passait-il quand la foudre frappait proche d'un métal quel qu'il soit? Et bien le belligérant allait sans doute le savoir sous peu. Mais on ne prenait pas deux fois un vieux singe comme lui, une main était occupée à lancer un sort électrique, pendant que l'autre main préparait un sortilège de vent puissant. Heureusement qu'avec les siècles Nakor avait gagné son titre d'Archimage par la pratique constante et effréné de la magie, sinon il n'aurait jamais pu devenir un maitre élementaliste capable de manipuler à la fois deux ou trois éléments. Le Magistère n'avait pas prévu que son ennemi d'en face connaitrait une des techniques les plus efficaces qui soit contre un sorcier : l'attaque à main nue et au corps à corps. Mais maintenant qu'il avait raté son coup, il prévoyait justement un ou deux coups d'avance. Dans la furie du bruit, il hurla avec sa voix amplifié par la colère et la magie

"La protection des scélérats? Que dire de toi monstre, serviteur soumis de celle qui a prit la place du régicide!"

La suite serait sans doute un débordement dans la rue même ou sur le toit de l'hôtel, en effet si la vague de vent qu'il prévoyait d'envoyer partait, elle perforerait le mur avec largeur et emporterait peut-être le drôle nécromant.

Pour la deuxième fois, Nakor refusait d'attaquer, se contentant d'incanter de puissantes arcanes, les bras bien hauts. Qu'à cela ne tienne! son attentisme lui couterait. Sans prendre la peine de répondre aux provocations du magicien, Anseric chargea sus. Cette fois-ci, il ne commettrait pas la même erreur, et trancherait d'un grand coup furieux, de l'épaule jusqu'à l'aine. Il ne suffirait pas de courber la tête pour l'éviter, celui-là!

"FOUDREE PANTOUFLE!" L'antique cri de guerre annonça l'assaut.

Alors qu'il avalait les quelques mètres entre lui et son adversaire, Anseric leva son épée bien haut. Il aurait tranché un cheval en deux! Mais au moment de frapper, c'est une curieuse réaction qui s'opéra. Soulevé délicatement du sol, l'homme ne comprit trop tard son erreur, quand son corps tout entier fracassa le vitrage du fond de la pièce. Soufflé par un formidable poing d'air, il alla s'écraser sur la courtine opposée à l'hôtel royal.

Le souffle coupé, sa tête ayant de peu manqué de finir en ragoût contre le crénelage, Anseric était en état de choc. Hagard, il fit trois pas avant de s'effondrer, son cœur bâtant la chamade. Deux factionnaires qui se tenait là, d'abord incapable de comprendre ce qu'il se passait, volèrent sans plus attendre au secours de leur chef. Mais alors que ce dernier se remettait sur pieds, les premières étincelles du prodigieux sortilège transparurent du trou béant où se tenait autrefois un coquet vitrail. S’aplatissant sans attendre, Anseric manqua de peu d'être foudroyé. Les deux bienveillant furent quant à eux bien mal récompensés, la foudre magique leur vrillant les cervelles. Ils tombèrent amorphe, leurs cadavres encore fumant.

Face à une incantation similaire, notre héros ne donnait pas cher de sa peau. Cependant, avisant que sa chute lui avait été plus dangereuse encore, il s'empressa de ramasser le bassinet que portait l'un des gardes, et de s'en coiffer aussitôt. Rappant à l'abri du rempart, il ramassa son épée. La position était critique! à cette distance, il était impuissant, ce qui n'était guère le cas de Nakor. Cherchant à temporiser, Anseric s'adossa à un créneau, pour hurler des provocations à l'adresse du magicien. Il escomptait que ce dernier, dans l'incapacité de le toucher de sa foudre, tenterait quelque imprudence.

"Régicide, hein ? Si tu protégeais ton pédéraste d'ami royal aussi lâchement que tu te bats, je ne m'étonne pas qu'on l'ait estourbi! Tu veux tout savoir ? Peu me chaut qu'Aetius se soit acquitté du forfait : je l'aurais massacré moi même, et toute sa progéniture, si j'avais pu! C'est frayer avec ce giton couronné, et sa putain d'épouse, qui t'a fait t'acoquiner à de jeunes orphelins ? Ou est-ce le goût de la pulpe, maudite liche ? Viens t'en! Je vais t'envoyer auprès de la pourriture d'ancêtre que tu aurais du rejoindre depuis trop longtemps!"

Le pauvre diable pensait pouvoir prendre deux fois le vieux singe avec le même moyen. Il prenait donc réellement Nakor pour un imbécile, tant mieux, cela lui simplifierait la tache lors de ce combat qu'il espérait finir après avoir soutiré les informations nécessaires. Le poing d'air frappa de plein fouet le nécromantique qui pensait le sorcier occupé à incanter de manière trop longue. Le corps puissant du noir guerrier traversa avec force et obéissance le vitrail opposé. L'intensité du sortilège emporta la carcasse infernale jusque sur la courtine ouest du palais. Ils se trouvaient déjà dans l'aile ouest de l'hôtel royal, ils s'éloignaient donc tous les deux du début de l'affrontement. Mais peu importe, le vieillard avait encore beaucoup d'énergie à revendre et son contrôle arcanique sur les éléments étaient si fort qu'il dépensait peu son énergie pour user de ses vieux tours simples mais efficaces. Les éclairs fusèrent en espérant toucher l'ennemi, mais une fois de plus ses chiens se jetèrent dans la bataille afin de sauver leur maitre en déroute. Et là, une interpellation en bonne et due forme se fit entendre. Le sale rat, l'infâme porc, il insultait à tout va, Trystan, son épouse, sa dynastie et enfin les œuvres du mage. S'il était arrêté là, le vieux taré aurait pu se maitriser encore un peu, mais là, parler de ses ancêtres, de ses parents en ajoutant des qualificatifs comme pourriture s'en était bien plus qu'il ne pouvait le supporter. Ses mains qui tremblaient légèrement cessèrent de bouger, les yeux grands ouverts. Des images impossibles lui vinrent à l'esprit, des souvenirs enfouis profondément, un feu déclenché par ses propres pouvoirs incontrôlés, ses parents qui périssent par les flammes ainsi crées. Il n'en fallait pas plus. Arquant ses bras vers le sol, une onde de magie s'en échappa pour aller frapper les arbres aux environs du palais, toutes les plantes et le sol en lui même. Autour du vieillard émanait une aura vibrante et brulante, la magie lui sortait par tous les pores de la peau. Avant que son sortilège prenne forme il eut le temps de vociférer alors

"Tu vas payer de tes paroles monstres! Ta fin est proche. Dis-moi! Dis-moi qui t'a appris les arts noirs? Et combien de temps allais-tu attendre avant de tuer aussi la régence en place et le haut conseil. Combien d'enfant as-tu tué pour devenir le nécromant puant que tu es? Combien? Pendant que moi j'en sauvais de l’emprise de monstres sans cœurs comme toi! Combiennnnnnn?"

Puis le sortilège se mit en place. Des jets d'eaux jaillirent du sol et remontèrent le long du mur d'enceinte à une vitesse folle. Le vieux fou avait été chercher l'eau en profondeur. Bientôt, le Sénéchal devrait courir et danser, car les remontés d'eaux, pointues et acérés allaient s'avérer avide de sang noir. Il serait attaqué de toutes parts. La fontaine du centre de l'hôtel explosa aussi sous le courroux du vieillard, qui appelait à lui avec force toute l'eau qu'il pouvait trouver. Cette masse d'eau se rassemblait au dessus de la tête d'Hans avant de prendre une forme étrange et légendaire. Nakor modelait l'eau pour lui donner une forme de dragon ailé, ce dragon qui se mit en mouvement en suivant les gesticulations de ses membres supérieurs. L'eau, ayant simplement une forme stylisée faite pour apeurée et non une vie propre, fonçait sous les ordres du Magistère, en ligne droite depuis le ciel, vers Hans. Les conséquences étaient simples : soit il restait où il était et serait noyé sous des trompes d'eau, soit il courrait pour éviter cela et allait tomber dans les trompes d'eaux sous si grande pression qu'il pourrait y perdre la vie, partant dans tous les sens pour le transpercer. Dans tous les cas, il serait obligé de se déplacer sur une longue distance le long de la courtine. A ce moment là, quand il y aurait assez de distance, Nakor s'envolerait jusque là et continuerait à l'attaquer de plein fouet cette fois. Il ne fallait pas qu'il perde complètement le contrôle de ses nerfs, il dépensait déjà beaucoup d'énergie, il ne fallait pas qu'il parte totalement en vrille ou il s'écroulerait en plein combat, ce qui serait fort dommage face à ce cabri lâche et menteur, sans doute la source des rumeurs qui courraient sur le magicien depuis le temps de l'orphelinat, ce qui le fit tiquer. Mais qui diantre était ce vaut-rien?

Voyant prendre forme au dessus de sa tête le nouveau maléfice de Nakor, Anseric songea sans attendre à sauter. Il ôta bien vite cette idée de son esprit : au bas de la courtine bouillonnait ardemment des flots rendus vengeurs par le magicien. On entendait ça et là l'ultime râle des échansons, ironiquement noyés dans leur propre souperie - qui n'avait guère, elle, le goust de victoyre. Le roué redoublait d'artifice pour acculer un adversaire qu'il n'avait su mater! Ma foi, il lui faudrait plus que quelques goûtes pour jeter à bas Anseric.

Ce dernier, pour autant, n'en menait pas large face au dragon aquatique. S'il s'était senti d'humeur badine, il aurait allègrement souligné la qualité de l’œuvre, la ressemblance - sans manquer d'asséner qu'il avait, dans sa jeunesse, pourfendu un, non, deux, non, sept dragons! toutefois, il avait mieux à faire. De même que dans les vaillantes gestes, le héros fonçait sus dans le feu de la beste, Anseric n'imaginait pas un seul instant fuir. Cette chose l'aurait rattrapé, morbleu! La meilleur manière d'y échapper, était encore de passer en dessous.

Le sortilège ne tarda pas à se mettre en branle, de même que sa cible. Au moment où le dragon ouvrait grand la gueule pour le happer dans ses liquides entrailles, Anseric se précipita droit devant lui. Se jetant sur le côté de la courtine, il esquiva ainsi les mâchoires de la bête. Cette formidable masse d'eau, entrainée dans sa course, vint alors s'effondrer sur le rempart. Anéantie, la créature se répandait en flots tumultueux, débordant ça et là des créneaux. Balayé par la vague, le sénéchal fut roulé sur des mètres avant de pouvoir se relever, toussant et crachotant à qui mieux mieux. L'eau aux genoux, il se sentit dès lors plus menacé par l'idée d'être foudroyé que par la noyade, et dès lors parcouru les derniers mètres qui le séparaient de la plus proche tour.

Son gambison alourdi par le poids de l'eau, c'est essoufflé qu'Anseric parvint à une meurtrière, où il s'époumona finalement à l'adresse du magicien :

"Tu comptes me battre en faisant rouiller mon épée, magicien de pacotille ? Ces petits tours marchaient peut-être avec les nourrissons que tu sirotais, mais il t'en faudra plus pour m'avoir! Nous ne sommes pas de la même espèce, vieillard! Je suis de ceux qui les croquent tout crus, quand tes vilaines quenottes ne te les autorisent qu'en potage!"

Sa provocation lancée, il s’efforça de gravir le sommet de la tour. D'ici, Nakor pouvait tenter de le débusquer à sa guise ; à moins de faire écrouler ces murs cyclopéens, rien ne l'en délogerait! Il lui faudrait venir en personne, et non plus envoyer des mirages. C'est à ce moment là qu'Anseric l'accueillerait en lui arrachant le cœur.

C'est terrés en haut de leur tour qu'Anseric avait trouvé ses hommes : une dizaine de factionnaires s'étant réfugiés dans la bâtisse au moment de l'affrontement. Trop concentré sur son adversaire, le sénéchal en avait oublié ceux qui l'entouraient : ils étaient après tout en plein milieu du château royal, lequel n'était guère dépourvu d'occupants. À l'idée qu'on ferait des récits de sa geste, notre héros se ragaillardit, allant jusqu'à se pencher à un créneau, espérant apercevoir l'ineffable Nakor. Ce dernier ne tarda pas à léviter vers la courtine, avant de l'apostropher peu après.

Du haut de sa toute puissance et de ses siècles subtilisés à la Camarde, Nakor demeurait un imbécile. Ayant emmagasiné tant de pouvoir durant ses longues années de vie, il n'avait eut d'égal qu'à le dilapider après des causes pitoyables. Anseric, qui avait tant abhorré la magie pour n'avoir su la comprendre, en reconnaissait toutefois la puissance, après qu'elle l'eut détourné du tombeau. Quelles choses prodigieuses le magicien centenaire aurait il pu accomplir, s'il n'avait couru après les faveurs d'un roi aux yeux débiles! En six cent ans d'interminable existence, Nakor était resté un enfant : il rêvait encore de défendre un roy disparu depuis longtemps, et cherchait un maître nécromancien dans le premier opposant venu. Si cette naïveté pouvait être touchante chez un jeune page, elle devait avoir quitté Anseric lorsqu'il était devenu homme.

Ce dernier fit sans attendre mander des arbalètes. La magicien avait la langue bien pendue ? Bah! on la lui clouerait. Il en cesserait de vomir des inepties. Las! la garde remonta bien vite l'escalier, car les entrailles de la tour se remplissaient d'une eau maléfique. Penchant la tête pour juger de cette nouvelle rouerie, Anseric constata avec effroi le crépitement électrique à sa surface, lequel n'augurait un supplice que trop prévisible. Honteux de se faire ainsi débusquer, le sénéchal éructa sa frustration. Nakor voulait discuter, fort bien! se sachant bon orateur, notre héros escomptait que ce qu'il avait à dire saurait suffisamment intéresser son adversaire pour qu'il en délaisse son sortilège. Il monta dès lors au créneau - littéralement - se tenant au vu et au su de tous, au bord du vide, pour mieux hurler de sa voix de Stentor.

"Nakor! On te dit sage, mais tu es aussi aveugle que ton sodomite de roi, et aussi sot que sa garce de sœur! Zélateur diligent d'Aetius, que je suis ? Pauvre ignorant! je le comptais parmi mes amis, mais aurais planté mon épée dans sa poitrine avec un plaisir certain, à ce traitre, ce parjure, ce mauvais fils! dompté par l’appât d'une couronne qu'il n'aurait jamais eut, il a tourné son glaive contre ceux de race! il a choisi le roi, le roi! il marqua un arrêt, comme si le mot lui avait brûlé la langue. Je l'aurais tué de mes propres mains, qu'importe le temps, pour cette traîtrise, si tes commensaux n'avaient étés des inconscients! Moi un arcaniste ? J'ai passé ma vie à pendre des mages, brûler des sorcières, ébouillanter des devins! La magie est un pouvoir trop dangereux pour qu'on la laisse aux sorciers! De toute ta vie, tu t'es brisé l'échine à élaborer ton art comme on aiguise un outil ; mais qu'est-ce que l'outil, comparé à la main qui le manie ? Je suis un titan portant un gourdin, et toi un nourrisson armé d'une arbalète. Or les nourrissons, c'est braisés que je les aime! Viens t'en, que je brise ton art"

Alors qu'il reposait le pied sur le plancher, ses hommes le regardaient bizarrement, dans un mélange d'incrédulité et de dépit. Il est vrai qu'Anseric avait pu quelque peu se laisser emporter, et raconté n'importe quoi, dans l'élan du monologue.

Le pauvre fou, le rat, le monstre, l'infâme insupportable, il usait de sa langue comme d'un bien piètre fouet. Il essayait de donner des coups fort bas, des gifles à distances mais avec toutes ces bêtises, si au départ Nakor s'échauffait à blanc, il finit par arquer avec puissance un sourcil, le droit précisément, pendant que le gauche restait en place sans se mouvoir. Il empestait la magie que le vieux fou détestait tant, la magie noire des nécromants! Ses hommes semblaient un brin incrédule en entendant son débit hasardeux et courroucé. Cependant il termina son monologue avec une phrase qui maintint le niveau d'incendie du sang du Magistère. Lui? Un enfant? Qu'il allait bruler? Il hurla avec tant de force que sans doute tous les gens vivant encore dans le palais allaient entendre

"MOI! UN ENFANT QUE TU VAS CUIRE?"

Puis levant d'un seul coup sec et bref, ses deux mains, paumes ouvertes vers la cime où se trouvait le félon, en plein sur le créneau, accompagné de ses soldats, Nakor activa sa magie une fois de plus. Il voulait des flammes, il voulait cuire un enfant avec une arbalète dans les mains? Et bien il suffisait de le demander. Les arbalètes de chacun des soldats prirent feu, la partie en bois de ces armes solides s'incendia : le manche de maintient et l'arc de tir. Comme des femmes épouvantées et effrayées par de vieilles histoires de monstres, les hommes jetèrent leurs armes dans l'eau électrifiée en criant d'effroi.

"Comment comptes-tu briser mon art jeune imbécile inconscient? Ton maitre sorcier, celui que tu as ensuite sans doute brulé, félon maudit que tu es, d'où venait-il? Quelle partie de l'art nécromant t'a-t-il enseigné? Combien de cadavre aimes-tu manipuler? De qui tentes-tu de voler la vie pour subsister? Parle avant de mourir où jamais ta conscience ne trouvera le repos après que je t'ai tué."

Puis, les arbalètes chauffées à blanc par les flammes mystiques faisant monter la température, Nakor préparait ce qui serait sans doute son ultime sortilège : si le bougre ne se dénonçait pas, s'il n'avouait pas son odieux crime nécromantique, alors il mêlerait la terre aux flammes et c'est une rivière de magma qui laisserait la place au feu. Ainsi, le félon n'aurait plus le choix : soit il fondrait sur place, soit il serait obligé de mourir électrifié. Le sorcier manipulant en lui sa magie économisait ses forces, qui avait déjà étaient bien usés. Il voulait d'abord le faire parler. Ensuite il aviserait. Il ne remarqua qu'un peu tard, les volets ouverts tout le long de la tour, qui pourrait permettre à un fou, de descendre du créneau en sautant et en courant donc un immense risque s'il en manquait un, ce qui l'amènerait à se rompre le cou sur le sol des remparts, ou se casser quelque chose. Ou encore, par sa chance maudite de s'en sortir mais de se retrouver seul et juste en face à plusieurs dizaines de mètres d'un archimage très en colère.

Les arbalètes fumantes jetées hâtivement à l'eau scellaient le plan d'Anseric. Acculé en haut de sa tour comme un renard au fond d'un terrier qu'on enfume, entouré de pleutres et d'incapables, il ne restait qu'à notre homme son éloquence proverbiale.

"Merde!" hurla-t-il en faisant le deuil de cette dernière.

Se retournant vers les factionnaires, dans les yeux desquels on pouvait lire une peur certaine, l'Acide envoya voler une glaire dans les eaux saumâtres que la magie avait placé à sous ses pieds. Il ne lui restait guère plus que cela, et n'aurait certainement pas prononcé quelque boniment à l'égard de ses hommes, maigre consolation au moment de trépasser. Il en détourna rapidement le regard, pour mieux le plonger dans les remous bouillonnants qui emplissait la tour entière. C'était une bien piètre mort, ma foi.

Les soldats ne semblaient toutefois pas s'y destiner. Le plus jeune d'entre eux, voyant son chef résigné, alla se porter au devant des créneaux, hélant le mage millénaire pour l'inciter à la miséricorde. Rejoint promptement par le reste de sa compagnie, ce fut un orchestre de voix plaintives, graves et aigües, jeunes et vieilles, suaves et nasillardes, qui s'éleva de la tour à l'adresse de Nakor. À chacune des ouverture, la figure blême d'un homme ignorant pour quelle raison il devait mourir hurlait pitié.

Anseric, agacé, se retourna vers ces pleutres, bien décidé à en pousser un dans le vide. Il se ravisa pourtant, se contentant de faire tourner son fléau d'arme dans sa main gauche.

Nakor fut, il devait bien l'avouer, complètement pris de court. Les soldats n'étaient que de pauvres jeunes garçons qui avaient pour mission, en échange de leur solde, d'obéir aux ordres d'un imbécile, au service d'une usurpatrice récente et régente! Ils demandèrent pitié avec la sincérité d'un cœur qui ne pouvait mentir devant la mort imminente et qui n'était plus que confronté à lui même. Il hésita légèrement, voyant dans l'œil de Hans, une infâme doublure et une capacité sans doute à tuer lui même ses hommes plutôt que de les laisser vivre ainsi.

"Peste et malédiction!"

Nakor frappa violement ses deux mains entre elles, paumes toutes ouvertes, au niveau de sa poitrine et souffla en profondeur. La porte de la tour lâcha sous l'effet de la pression de l'eau, que la magie du vieux barbu ne retenait plus. Les éclairs se dissipèrent soudainement et les flammes prirent fin au sommet de la tour, sur le créneau du félon. Levant un doigt vengeur, le Magistère intima

"Partez! Partez pauvres fous et ne revenez jamais au service d'un tel homme! Aujourd'hui vous me devez la vie. Elle m'appartient donc! J'exige que vous en fassiez usage au service du bien commun! Abandonnez vos armes là haut et descendez de la tour. Je ne veux plus vous voir! Aller!"

Nakor restait prêt à réagir au quart de tour, la porte était grande ouverte et si les soldats, aussi traitres et lâches que leur maitre, se rééquipaient dans la tour et passaient à l'attaque? Oui c'était une possibilité. Il avança sa main droite, paume ouverte vers le ciel et concentra ses pouvoirs. Il rassemblait de l'air, beaucoup d'air dans sa main, qu'il faisait entrer en rotation. Le sortilège était contenu. S'il le libérait c'était un colossal poing d'air vibrant et mouvant qui s'abattrait sur les corps, avec tant de torsion qu'il déchirerait les corps soumis à cet effet dévastateur. Si seul l'ennemi sortait et s'approchait, il verrait bien comment réagir. Il pouvait modifier la forme de sa magie et user d'un autre artifice. Il n'avait pas encore obtenu le nom de son maitre noir, ni où il résidait, il ne pouvait donc pas le tuer tout de suite. Satané nécromancien!

Le piétaille ne s'enfuit de la tour que pour laisser apparaître la silhouette charnue d'Anseric. Celui-ci toisait d'un regard empreint de colère celui qui l'avait tenu un instant à sa merci. Une chose était sûre : il ne laisserait plus au mage l'initiative de l'acculer ainsi. Pour autant, notre bon paladin n'envisageait guère plus de foncer sus au goétique ; sa précédente tentative s'étant soldée par un vol plané. Nakor se croyait il protégé de sa magie ? Il allait être confronté à une menace nouvelle!

"Tu persistes à voir en moi quelqu'un de ta race, vieillard, soit! Tu ignores que je suis maître de l'arcane!" adressa-t-il au magicien.

Bien qu'il répugnait user de ces talents auxquels il avait été initié au sein des coteries nigromanciennes des Hortles, Anseric savait qu'il jouait là son va-tout. Rengainant sa lame au fourreau, il se prit au jeu des grotesques incantations typiques des enchanteurs, singeant leurs invocations et leurs mimiques bouffonnes. Son bluff allant de la valeur de son imitation, il finit par agiter les tréfonds de puissance magique qui dormaient en lui, tout en suant à grosses goûtes. Bientôt deux crânes vinrent survoler Nakor, pour venir virevolter autour du terrible nigromancien. Tandis que les échos d'âmes damnées entamaient une scansion hypnotique, celui que l'on nommerait assurément sous peu Le Baron Samedi partit d'un rire maléfique. Et pis y'dansa un peu aussi.

"Diantra sera ton tombeau! Crains! car voici les morts!"

Et alors qu'il espérait que son adversaire, trop empreint de cet orgueil de magicien, attende qu'il lance son sortilège pour en éprouver la force - car on ne le dira jamais assez, mais la magie est avant tout un ersatz de comparaison pelvienne - Anseric, au rythme de ses tressautements patauds, s'approchait inexorablement du vieillard, ses crânes tournoyant dans une lumière blafarde.

Enfin! la terrible malédiction arriva à son terme. L'Alcide, après les avoir levé bien haut, tomba à bras raccourcis sur Nakor. De sa ruse, il avait obtenu ce qu'il souhaitait : approcher son ennemi. La lutte tourna bien vite court, quand d'une impulsion furieuse, notre héros bouscula son adversaire par dessus le parapet, avant de le suivre dans sa chute. Il s'agrippa à la défroque du mage jusqu'au choc, sentant ses côtes de briser à l'impact.

C'est dans un rire hoqueté de sang, étalé sur le dos, que notre bout-en-train se félicita du tour qu'il avait joué au mage... et que ce dernier soit sous lui au moment de la chute.

Le bougre d'âne s'était enfin décidé, il sortait de sa tour, ses gardes le quittant enfin en obéissant aux ordres salvateurs du vieux fou. Il se présenta donc et se décida en partie seulement à répondre. Ainsi il l'avouait, lui qui chassait les sorciers sans grande raison, avait apprit la magie et la plus détestable de toute les formes existantes : la nécromancie. Le Magistère ne supportait l'utilisation des arcanes à de telles fins, pour lui la magie ne devait pas venir troubler le repos plus que mérité des morts et des cadavres, encore moins des âmes défuntes. Une anormalité trop grande qu'il n'acceptait tout simplement pas, depuis plus de six cents ans, même si lui même avait échappé à la mort. C'était sans doute justement parce qu'il respectait trop les malheureux qui avaient perdu la vie qu'il refusait qu'on y touche ainsi. Mais voilà qu'une scène tout à fait impensable vint presque désarçonner le barbu multi centenaire.

"Mais qu'est-ce que ... ?"

Celui qui était sur le point de devenir une sorte de Sénéchal noir au service de la régente se mit à singer la magie. A incanter n'importe quoi, en gesticulant comme un imbécile et en se mettant presque à danser de manière fort saugrenu, une gigue mortuaire. Cela transforma complètement la fureur du Nisétien. Au lieu de rester le sang en bouillon, Nakor arqua avec une grande suspicion son ennemi. Plus que de la suspicion, s'en était devenu un mépris colossal. Comme quelqu'un venant de se rendre compte que celui qui était en face de lui n'avait en réalité pas toute sa raison et qu'il était fort inutile d'entrer dans un tel jeu. Mais quelque part, de voir un ennemi de la magie se moquer de la sorte des arcanes rendit Nakor fortement sérieux, ce qui n'était pas une bonne chose pour Hans. Le vieux roublard fit alors appel à une magie peu répandu et peu considéré : la manipulation de l'élément lumière. Sentant qu'il fallait se presser car le nécromant commençait tout de même à éveiller une très faible puissance magique, avec force sueur, il créa autour de lui, à quelque millimètres seulement de son corps, une image de lui même, restant là, droit et attendant la suite du sort noir. Comme Hans dansait et bondissait, il ne pu voir cet imperceptible scintillement qui dura une seconde tout au plus. Ainsi protégé dans une reproduction de lui même, usant de son art pour contrôler et détourner les couleurs de la lumière du jour, il s'entoura d'un bouclier transcendantal qui laissait passer la lumière sur lui sans qu'elle ne puisse rebondir. Ainsi Nakor devint parfaitement invisible. Mais il devait faire attention et agir vite, ce sortilège même pour lui, était ardu à maintenir en place correctement. Il se recula de quelques pas et observa la scène, masqué par sa magie. Hans approchait de la projection qui ressemblait comme deux gouttes d'eaux à Nakor, des crânes luisants voletant autour de sa tête de malade mental. Admirant la danse incroyable du pauvre fol, le sorcier rempli son image d'une compression d'air, qui donnerait donc une contenance à ce qui n'était qu'une projection spirituelle. Et il se passa ce qu'il se passa. Nakor leva son sortilège quand Hans bondit par dessus le rempart. S’approchant du créneau il pu voir le corps s'écraser sur le sol, dans un rire étouffé par une remontée de sang. Le maître du Firmament hocha de la tête, de gauche à droite. Il allait prendre la parole quand il perçu un mouvement dans la tour. Il se retourna avec vigueur et ordonna

"Et toi! Toi là bas! Oui je t'ai vu, viens donc jusqu'à moi! Aller! N'est pas peur, hâte toi!"

Le ton était extrêmement autoritaire et le seul garde qui n'avait pas osé sortir de la tour s'approcha piteusement, armes à la main. Nakor insista

"Assez de sottise! Viens ici et dépêche toi je n'en veux pas à ta vie!"

Ne sachant pas trop quoi répondre, le soldat incrédule resta planté comme un imbécile.

"Hoooo par tous les dieux! Très bien reste là alors pauvre empoté! Tu vas bien m'écouter, fais courir l'information : celui qui allait devenir Sénéchal de la régente est un infâme traitre qui a avoué devant ses soldats qu'il était lui même prêt à tuer le roi et l'ancien régent. Explique que je l'ai combattu afin qu'il se révèle au grand jour! Moi Nakor, le Magistère du Firmament, qui garde un œil lointain sur le Royaume!"

Nakor insistait ainsi en espérant que la régente ouvrirait un peu les yeux. Mais un affreux sentiment lui disait que cela allait être tout le contraire. Tant pis! Il avait fait ce qu'il considérait comme devant être fait. Il monta sur une grosse pierre qui formait le sommet du créneau et l'arracha au mur afin d'aller se poser gentiment au sol. Il bondit à terre à côté du presque cadavre nécromantique et manqua de tomber à terre lui aussi. Il avait utilisé beaucoup d'énergie et il avait encore de la route à faire! Plus de magie pour le moment sinon il ne pourrait pas sortir de Diantra en sécurité. Les mains tremblantes par manque d'énergie, Nakor s'approcha de son ennemi. Sans trop se mettre à la portée du moindre coup qu'il lui resterait dans son sac il regarda la pitoyable scène et dit tout haut

"Diantra ne sera pas mon tombeau! Ton mépris de la magie t’aura entraîné dans l'idiote situation dans laquelle tu te trouves manipulateur de cadavre! Mais j'ai eu ce que je voulais, tu t'es livré devant tes hommes, tu as avoué tes intentions et tes noires pensées et eux t'ont survécu. C'est toi qui es fini à Diantra, ta carrière aura été fulgurante! Je vais m'en aller, en sachant que je ne pourrai pas remettre les pieds ici avant longtemps, mais le cœur léger de penser qu'il en va de même pour toi, si tu ne meurs pas."

Puis se souvenant subitement d'une légende qui avait proliféré dans les marais autrefois, voilà un peu plus de quatre cent ans, autour d'un nécromant maître d'une tribu dangereuse, il termina sa phrase ainsi

"Peut-être nous reverrons nous un jour ... Baron Samedi!"

Puis Nakor se prépara, il avait dans l'idée de se détourner et de se mettre à claudiquer en direction du nord, afin de rejoindre Nimmio de Velteroc et les autres et s'assurer de leur sécurité de manière plus complète, pensant par là même à son petit Altiom. Pourvu que tout aille au mieux. Mais il ne partit pas tout de suite, peut-être que le noir sorcier avait des aveux à faire.